Les sondages se suivent et se ressemblent. Celui publié par La Libre le 16 avril* confirme, avec des nuances, les prédictions des précédents : domination de la NV-A au nord du pays, percée du PTB à Bruxelles et en Wallonie, diminution corrélative du PS et d’Ecolo, retour au Parlement de l’extrême-droite sous la bannière du PP. Bien sûr, il ne faut pas oublier les précautions d’usage sur les sondages (photographie de l’opinion à un moment précis et importance de la marge d’erreur) et leur méthodologie (échantillon de taille insuffisante et recours à Internet là où le « face to face » se montre plus fiable). C’est la réaction classique de tout politique, surtout si les prévisions sont mauvaises pour son parti. Elle n’en est pas moins pertinente. Mais soit.

Je voudrais partager une réflexion que ce baromètre m’inspire.

On a déjà beaucoup dit et écrit sur la montée annoncée du PTB. Pour ma part, je ne considère pas les membres de ce parti comme mes ennemis. La Belgique est l’un des rares pays d’Europe où la gauche de la gauche n’est pas représentée au Parlement. Et je ne vois pas en quoi notre démocratie serait mise en péril par l’entrée au Parlement du PTB ou de VEGA, dont on parle beaucoup moins. Donc non, cette perspective n’est pas mon pire cauchemar. Et, contrairement aux candidats de ces partis, je réserve l’essentiel de mes flèches pour la droite et les conservateurs plutôt que pour les autres courants de la gauche. Si l’on veut rompre avec les politiques antisociales menées par la coalition fédérale sortante, l’enjeu de ces élections est de faire en sorte que la gauche, dans son ensemble, gagne du terrain face à la droite.

Ce sur quoi je voudrais insister ici, c’est l’effet paradoxal du déplacement des voix au sein de la gauche sur la palette des coalitions qui seront possibles après le 25 mai. Comme le relève La Libre, la projection de sièges réalisée à partir du baromètre enterre l’Olivier à Bruxelles, le rend peu probable en Wallonie et « pousse naturellement vers une alliance PS-MR ». Vous voyez où je veux en venir. Le renforcement du PTB au détriment des autres partis progressistes aboutit à rendre les libéraux incontournables pour former les différents gouvernements. Ce paradoxe est la conséquence du refus du PTB de participer à toute coalition. Je voudrais mettre cette situation en parallèle avec celle qu’a connue l’Allemagne lors des élections fédérales de 2005. Avant cette date, l’Allemagne était dirigée par une coalition rouge-verte, sociale-démocrate-écologiste. Ces deux partis ont perdu des plumes à l’issue du scrutin. Mais les électeurs ne se sont pas pour autant tournés vers les conservateurs ou les libéraux. C’est plutôt la gauche de la gauche, Die Linke, qui est sortie grande gagnante des élections. Résultat : seule une grande coalition entre les conservateurs et les sociaux-démocrates s’est avérée possible, et Angela Merkel est devenue chancelière alors que son parti avait connu un tassement. C’était il y a neuf ans, et Angela Merkel est toujours chancelière.

Au-delà des divergences que j’entretiens sur le fond et sur les techniques de communication de ce parti, je pense que la stratégie du PTB consistant à attendre d’avoir la moitié des sièges pour exercer le pouvoir va porter préjudice à la gauche. Je n’apprendrai rien à personne en disant qu’en Belgique, c’est le Gouvernement qui décide, et non le Parlement. Certes, un parlementaire a entre ses mains des leviers importants pour contrôler l’activité gouvernementale. Il peut poser des questions qui dérangent, interpeller les ministres sur les carences de leur action, participer à des enquêtes parlementaires. Mais, dans les faits, l’ensemble des changements législatifs et des arbitrages budgétaires sont l’œuvre du gouvernement. Vouloir entrer au Parlement sans vouloir entrer au Gouvernement, c’est refuser de peser sur le réel. Je reste pour ma part persuadée, sur la base du bilan concret des différents gouvernements, que l’Olivier protège mieux la justice sociale et l’environnement que la tripartite traditionnelle du gouvernement fédéral. La dégressivité accrue des allocations de chômage, le report de l’âge de départ à la pension, les exclusions des sans-papiers : je ne trouve pas d’équivalents dans les politiques menées par les gouvernements wallon, bruxellois et de la Communauté française. La gratuité du minerval pour les boursiers, la tarification progressive de l’électricité, l’écopack : je ne trouve pas d’équivalents dans les politiques du fédéral. Ce sont pourtant les coalitions antisociales que le changement des rapports de force au sein de la gauche pourrait favoriser…

Zakia Khattabi

(*) “aujourd’hui” dans l’article original

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