Comment transformer cet objet politique mal aimé qu’est l’Union Européenne, parfois même détesté, alors que partout les inégalités gagnent du terrain, des acquis sociaux et des emplois se perdent à la pelle. Et faute de pouvoir -pour certains de vouloir- identifier les causes et responsabilités multiples de cet état de fait, c’est à la seule Union Européenne qu’on adresse les quolibets.
Pour les Etats et les citoyens les plus touchés, l’austérité qui leur est imposée en échange du “sauvetage”, c’est une sorte de punition. Ce concept moral importé dans le champ politique, s’il n’en constitue pas pour autant une politique, est devenu un instrument puissant de démantèlement des acquis de l’après-guerre, kidnappe les politiques sociales et de cohésion, marchandise et privatise la fourniture de biens communs, coupe indistinctement dans les revenus et allocations, mine les franges les plus dynamiques et porteuses d’avenir d’une société et finisse par affaiblir gravement le modèle démocratique en donnant des ailes à l’extrême-droite, aux souverainistes et à toutes les formes de raccourcis.
Populisme et souverainisme
Soyons toutefois prudent dans l’analyse et l’attitude à prendre face au populisme ainsi défini. Le populisme – et non son instrumentalisation par quelques leaders ou partis – peut être considéré comme une demande de politisation, d’inclusion, de la part de citoyens qui se sentent de plus en plus exclus de la citoyenneté exercée par des élites incapables de proposer une alternative. Le populisme traduit aussi une accumulation de frustrations et un profond ressentiment face au détricotage d’acquis et de droits, pour soi-même ou pour les autres, face à des menaces réelles ou perçues, à des bouleversements profonds dans la société. Il est en quelque sorte l’expression d’une dépossession : ne pas être entendu comme un peuple souverain. Est-ce à dire que les démocraties nationales et régionales sont exemptées de toute critique ? Non, mais leur proximité et leur aboutissement historique les met quelque peu à l’abri de ce désamour prononcé. L’apologie de l’identité nationale (ou régionale), prônant plus ou moins explicitement l’égoïsme fiscal ou le refus de la solidarité avec les régions plus pauvres produisent les mêmes effets. L’Union Européenne incarnerait, plus encore que ce n’est le cas au niveau national, un consensus idéologique et politique, ralliant les partis de gouvernement, qui dépolitise la manière de résoudre les conflits, privilégie l’expertise et les solutions soit disant impartiales, dévitalise les antagonismes. Alors mêmes que ces antagonismes sont constitutifs de la formation d’identités distinctes et de la capacité à s’ouvrir à d’autres.
Cette perception n’est pas complètement non fondée : l’image que donnent d’elles-mêmes les institutions européennes dans leur manière de travailler est celle, au mieux, d’un laborieux compromis, au pire d’une incapacité à décider qui confine à l’impuissance. Le consensus qui s’en dégage est lu par ces partis et mouvements comme une alliance objective entre les oligarchies politiques et économiques, les experts, les élites des capitales. En gros et pour faire court, c’est l’establishment qui devient donc l’ennemi. Il est cependant piquant de constater qu’une bonne partie des leaders de ces mouvements et partis qui ont le vent en poupe au niveau européen et qui se targuent de “parler dru et cru” sont eux-mêmes partie prenante de cette élite, de cet establishment, leur talent d’orateur/trice faisant office de camouflage.
La crise globale et mondiale n’interroge pas que l’efficacité des mesures adoptées pour la contrer. Elle met aussi en cause la puissance de ceux qui en décident à l’échelle européenne, leur capacité à anticiper, agir et réagir, leur manière de décider, et par là-même les formes de la démocratie représentative transnationale. Qu’ils s’ancrent à gauche ou à droite, les mouvements souverainistes se gardent toutefois de révéler que ce que ces crises multiples font éclater au grand jour, c’est l’inadéquation de nos modèles nationaux aux enjeux contemporains et l’absolue nécessité d’une Europe. L’ambiguïté de la rhétorique populiste, nationaliste, eurosceptique, est qu’elle recycle des idéaux de légitimité démocratique, qu’elle récupère la magie de la souveraineté du peuple, des droits humains… et que vu son succès électoral, elle fait des émules dans d’autres familles politiques et syndicales.
Répondre aux frustrations sociales et démocratiques, promouvoir la transparence et l’éthique en politique, construire un référentiel, un imaginaire commun qui s’ajoute aux référentiels régionaux ou nationaux, c’est un processus lent, long, qui doit être reflété dans toutes les politiques, mais surtout dans les politiques culturelles et d’éducation. Il implique aussi une “dénationalisation” du discours politique et médiatique pour s’ouvrir à un espace public européen, une communauté politique qui dépasse la bulle bruxelloise ou strasbourgeoise, qui s’ouvre aux réseaux d’acteurs, aux paroles et suggestions citoyenne. Les expérimentations sociales et culturelles, réseaux et délibérations transnationales entre citoyens, groupes de citoyens, sociétés civiles, se multiplient mais pourraient connaître des développements bien plus importants en étant échangées, partagées, adaptées et dupliquées. La multitude d’initiatives existantes au travers de programmes européens mettant en réseau des acteurs, des collectivités locales, des organes de presse, et les prolongements qu’elles génèrent sont également de très bons indicateurs de la vitalité citoyenne transnationale. Ils/elles expérimentent l’innovation sociale et indiquent le chemin à suivre.
C’est justement cet espace politique et citoyen, ce qui sous-tend le vivre ensemble, qui tire profit de notre diversité, qui irrigue et donne du sens à l’union et la coopération qui a été relégué à l’arrière-plan au profit de l’expertise d’une certaine élite européenne qui a appris par coeur et appliqué le binôme dérégulation-compétition. La concurrence féroce que se livrent les Etats et leurs représentants à coup d’avantages fiscaux ou d’exemptions de toutes sortes pour attirer les investisseurs à fait le reste.
Cette grave négligence est l’un des fondements de la crise dans laquelle s’enfonce l’Europe. Mettre fin à l’ultralibéralisme ne suffira pas. La fracture ne se réduira que si émerge aussi dans le débat public transnational une vision, un cap, un chemin pour l’Europe. Quelque chose qui rassemble, qui donne envie d’y adhérer, qui mobilise les collaborations. Quelque chose qui tient compte de la superposition des identités, qui les respecte pour permettre ensuite à ceux qui s’en revendiquent de mieux les transcender. Quelque chose qui permet l’expression de la diversité, qui encourage la coopération, physique ou virtuelle, et le partage des émotions et des produits culturels.
Du local au global : les citoyens meilleurs que les politiques
Ce chemin, beaucoup de citoyens l’empruntent chaque jour. Ils/elles sont né(e)s dans les années 70 et 80 dans un monde de plus en plus interconnecté, aux murs et frontières abattues et dans lequel la démocratie est une évidence. Ceux dont on dit que la seconde guerre mondiale et les 60 ans de paix qui l’ont suivie ne les mobilisent plus (tiens, à propos, a-t-on jamais vérifié cette hypothèse ? ). Ils sont actifs dans une série de domaines, y compris dans l’organisation au quotidien d’autres modes de consommation et de vie en général. Pourquoi leur boucher l’horizon avec des visions étriquées, fragmentées, strictement nationales ? Pourquoi ne pas les laisser respirer dans un monde qu’ils perçoivent comme global ? Le chemin du local au global et du sectoriel au transversal leur est familier. Ils attendent de leurs élus locaux, nationaux et européens des décisions, un cadre législatif, des moyens, des soutiens. Ils veulent d’eux une vision, un horizon, une implication.
L’implication des élus, parlons-en. Comment permet-on aux parlementaires nationaux des 28 Etats membres de contrôler, d’intervenir adéquatement et au bon moment dans un processus de décision européen ? Il faut revisiter les échelles de responsabilité et de solidarité et articuler les procédures de décision entre les niveaux régionaux, nationaux et européens, en commençant par les procédures budgétaires. Mais aussi sur des thèmes tels que l’agriculture, l’énergie, le transport, chacune de ces politiques revêt des aspects locaux, régionaux, nationaux, européens.
Il en va donc aussi de leur légitimité démocratique : pas plus que les élus européens ne peuvent être « bypassés » sur les matières de gouvernance économique ou de fiscalité, ou de manière générale à cause de la montée en puissance d’une Europe des Etats en lieu et place d’une Europe des peuples, les élus régionaux ou nationaux ne peuvent pas non plus être tenus à l’écart.
Ces élus qui le sont parfois depuis de nombreuses années ont épousé tous les contours (et limites) de nos démocraties représentatives nationales. Leur mandat leur confère la responsabilité de faire la décision, de la faire appliquer ou de la contrôler. Mais ils ne peuvent faire l’impasse sur l’évolution de la société. Nos démocraties représentatives nationales occidentales sont fondées sur le suffrage universel et organisées sur base de différents systèmes électoraux, très déterminant de la culture politique nationale. Au fil des décennies et de façon assez variable dans chacun des pays européens, elles se sont entourées de dispositifs consultatifs plus ou moins contraignant du point de vue du droit et de la validité des lois ou du contenu. Mais il ne s’agit à chaque fois que d’un approfondissement de la consultation, pas d’une adaptation pourtant indispensable aux profonds bouleversements sociaux et technologiques de ces 50 dernières années. A l’heure où les flux d’informations traversent la planète en une fraction de seconde et sont accessibles aux citoyens sans filtre ni intermédiaire, il est urgent de relire nos systèmes démocratiques, a fortiori pour cette démocratie imparfaite et de plus en plus déterminante qu’est la démocratie supra-nationale ?
Transparence et participation prennent du temps, exigent une méthode rigoureuse pour légitimer ce qu’elle produit autant que pour être clair dans le contrat qu’elle passe avec les participants. La démocratie participative, selon son effet contraignant ou simplement consultatif, est autant un processus d’appropriation qu’un apport à la construction de la décision par les institutions de la démocratie représentative
Les (anciens et) nouveaux outils de la participation
Des outils existent, anciens et nouveaux. Le monitoring démocratique (Finance Watch, Transparency International, Socia Europe, etc…) fournit des chiffres et des analyses aux citoyens et aux médias. C’est particulièrement utile et développé dans un l’univers européen. Plus récemment est apparue l’Initiative Citoyenne Européenne: un nouvel instrument de participation mis en place par le Traité de Lisbonne, mais qui vu sa complexité, n’est pas à la portée d’un simple groupe de citoyens, même si c’est ainsi qu’il doit être piloté. Il faut en effet sept personnes au moins, résidant dans au moins sept Etats membres différents pour composer le comité qui formulera la proposition et l’introduira auprès de la Commission. Celle-ci jugera alors de sa recevabilité. Une fois enregistrée, les organisateurs disposent de 12 mois pour recueillir au minimum un million de signatures, dans les sept Etats membres, selon des modalités conformes aux réglementations nationales. La Commission a ensuite 3 mois pour répondre à la proposition, signifier sa volonté politique ou non de prendre une initiative dans le sens demandé et la justifier devant le Parlement Européen. Seize initiatives sont en cours pour le moment. Aucune d’entre elles n’a encore abouti sur la table de la Commission.
Les pétitions restent elles aussi un instrument de pression, et cette fois sur le Parlement Européen. Elles n’exigent pas de nombre de signatures minimum et le Parlement n’est pas sommé d’y répondre. C’est la Commission Parlementaire des Pétitions qui est chargée de “traiter” la pétition. Un exemple qui a montré la force des pétition et le succès du “lobby citoyen” est le dossier ACTA. En juin 2012, Avaaz a remis en Commission Pétitions un texte appelant à rejeter l’accord, signé par 2,5 millions de ctioyens en quelques semaines. Combinée aux campagnes téléphoniques et de mailing des citoyens à destination des eurodéputés, aux nombreuses mobilisations sur le terrain, la pétition a fait le poids : elle a renversé une majorité au départ favorable au traité ACTA.
Un autre instrument, pourtant particulièrement adéquat et citoyen reste très sous utilisé : la délibération citoyenne via les panels de citoyens ou conférence de consensus. Ce dispositif a ceci d’utile qu’il est à la fois efficace par l’exercice de citoyenneté et d’intelligence individuelle et collective qu’il permet ainsi qu’en raison de la qualité des recommandations qu’il produit. En effet, quel que soit le sujet, la mise en discussion du conflit de valeurs inhérent à la politique permet à chacun de ceux qui y participent d’apprendre des éléments nouveaux sur les solutions possibles à un problème autant que sur leurs propres références. Pour ces raisons, les préconisations négociées qui en découlent sont le plus souvent d’un grand intérêt, d’un bel équilibre et d’une grande validité. Ce type de “panel citoyen” est particulièrement pertinent à l’échelle transnationale. Mettre en présence des citoyens de différentes origines, nationalités et cultures, en dehors du coût que représente l’interprétation dans leurs langues, est du plus haut intérêt pour faire naître le sentiment d’appartenance dans la diversité.
Espace public et médiatique européen
La question de l’espace public est d’une autre nature, même si elle facilite la participation citoyenne. C’est une notion floue, un peu fourre-tout, qui va de l’espace démocratique et médiatique à l’espace culturel au sens le plus large du terme. L’obstacle de la langue n’en est pas vraiment et peut dans bien des cas être dépassé spontanément si la volonté ou la réalité de l’espace commun existe.
Quand ARTE lance sa télévision culturelle franco-allemande, c’est une fameuse contribution à cet espace commun. Les «capitale européenne de la culture», les réseaux d’échanges de toutes natures, les programmes Erasmus, et tant d’autres contribuent à leur manière. Mais il y a une certitude : indépendamment des micro initiatives de la société civile, cet espace public européen est très directement lié à la manière dont chacun des pays européens envisage son insertion dans l’Union Européenne et de la perception qu’on en a à l’échelle nationale. La position centrale ou périphérique de l’Etat membre dans les frontières de l’Union est aussi très déterminante : malgré l’Euro, à Kuusamo, petite ville du nord de la Finlande en bordure de la frontière russe, on ressent moins spontanément l’espace public commun qu’à Berlin ou à Bruxelles ! C’est d’ailleurs la pierre angulaire du programme électoral du parti des « Vrais Finlandais ».
Internet est indéniablement en train de changer les dispositifs administratifs et politiques. L’E-gouvernement se développe et, la fracture numérique se résorbant progressivement, les services publics deviennent de plus en plus accessibles par Internet.
Les réseaux sociaux (blogs, Twitter, Facebook) sont également utilisés comme un moyen de dialogue démocratique. Avec le nombre grandissant de Smartphones et autres tablettes, la télévision comme média de masse est en perte de vitesse, en particulier chez les jeunes. Ces réseaux sont notamment utilisés par les acteurs politiques, mais de façon assez traditionnelle, comme un moyen de faire rapport de leurs activités, avec plus ou moins de dialogue et d’interaction avec leurs lecteurs.
A l’échelle européenne, étant donné les distances et la diversité des langues, ces innovations constituent un formidable canal d’échange. Les développements récents sur la toile montrent des dynamiques très fortes de citoyens qui s’organisent dans des formes nouvelles, souples et parfois éphémères. Les citoyens s’y expriment et y participent d’abord en tant qu’individu. Internet fait ainsi ressortir un paradoxe : alors que la crise de confiance dans la représentation traditionnelle n’a sans doute jamais été si grande, ces réseaux s’animent et témoignent d’une vivacité certaine du débat politique. Il n’y a pas une disparition du politique, mais plutôt un déplacement du politique. Internet participe à un décentrement de la compétition politique vers une auto-organisation de la société civile et offre des outils intéressants qu’on ne peut ignorer, même si le raccourci et la démagogie tentent parfois de s’y imposer.
La crise actuelle est une crise de la démocratie substantielle : consulter par le haut, comme le fait fréquemment la Commission, sans d’ailleurs jamais dire ce qu’elle fait du résultat de ces consultations, ne fonctionne pas. Internet nous montre que les gens préfèrent poser des questions et être les acteurs. Ils veulent s’exprimer, commenter, critiquer, et pas seulement au titre de défoulement. Lorsqu’une institution ou un organe de presse pose une question ou organise un chat, le débat attire peu de participants et parmi eux, on retrouve ceux qui sont très concernés et actifs dans les discussions européennes.
Les institutions pourraient s’inspirer de l’exemple de Wikipédia. Il est parlant et contredit tous les modèles économiques. Wikipédia s’inscrit dans le courant coopératif né avec internet. Il s’inspire des principes du «copyleft» (qui autorise par opposition au copyright, la libre diffusion et modification d’une œuvre) et du logiciel libre (dont l’utilisation, la modification et la duplication sont permises). Indépendante, l’encyclopédie anticipative est financée à 85% par les dons particuliers, le reste provenant de fondations. Pour la faire vivre, 1 million de donateurs ont déboursé 15,3 millions d’euros lors du dernier appel au financement (le 3 janvier 2012). Wikipédia possède des procédures innovatrices et complexes, dans lesquelles chacun participe, argumente et corrige les autres. Cette encyclopédie forme un cadre dans lequel les expressions individuelles trouvent place et reconnaissance, mais peuvent également entrer dans une forme collective de production du savoir.
A partir de cette expérience, les institutions pourraient offrir un cadre pour débattre ou par exemple la traduction d’un tel processus, sans pour autant contrôler et valider la substance débattue. Ce serait aux citoyens de poser les questions, d’y répondre et de chercher les arguments et contenus qui pourraient par exemple aboutir à la commission Pétitions du Parlement, pour passer de la forme virtuelle à l’enceinte parlementaire.
Malgré cette révolution technologique qui donne aux citoyens les moyens de se libérer des intermédiaires habituels (politiques, institutions, administrations, journalistes) les médias qui pratiquent un vrai journalisme, y compris sur la toile, sont et restent des acteurs essentiels pour contribuer à l’analyse et au décryptage de l’information. Le propos n’est pas ici d’analyser les mutations qui affectent le secteur des médias et la fragilité de leur indépendance, mais plutôt d’identifier de quelle manière les médias nationaux, privés et publics, sur tous les supports, peuvent contribuer à la création de cet espace public européen. Mais peut-on parler d’espace médiatique européen ?
Si l’Europe des chefs d’Etat, des sommets européens, de la crise et de ses effets occupe la une des médias nationaux ces deux dernières années, l’Europe communautaire, c’est-à-dire celle de la construction progressive des décisions européennes intégrant les logiques des différentes institutions est relativement peu présente dans les médias en général. En moyenne, le temps réservé aux informations sur l’Union européenne dans les médias audiovisuels nationaux représente à peine 10% de celui consacré à l’actualité nationale. Au-delà de l’information européenne en tant que telle, il est intéressant de constater que les médias nationaux relatent assez peu d’informations sur les autres pays européens. C’est pourtant capital pour la constitution d’un espace commun non seulement axé sur une vision centralisatrice, mais ouvert aux réalités et spécificités dans chacun des Etats membres. Il est tout aussi curieux de constater que plus de 10 ans après leur adhésion, on parle encore dans nombre de médias nationaux -en particulier dans les Etats membres qui sont le plus éloignés géographiquement et politiquement de la partie est de l’Union- des « nouveaux pays ». Des pays et des régions dont on analysera la situation que dans des dossiers spéciaux, dans les suppléments du week-end, à l’occasion d’un événement ou d’une présidence tournante de l’Union. En moyenne, 68% des contenus sont domestiques, contre 25% d’informations internationales, 4 % en provenance d’autres pays européens et 3% sur les affaires européennes. Il y a donc peu d’informations sur les événements qui préoccupent les autres citoyens européens. Ce qui est en complète contradiction avec le renforcement d’un sentiment d’appartenance, de proximité.
Cette faible présence de l’Europe dans les médias s’explique par différents facteurs. Tout d’abord, il y a un problème de compréhension entre deux sphères (les institutions européennes et les journalistes) qui coexistent et qui ont parfois du mal à s’entendre. D’un côté, le système de communication des institutions européennes, dans un souci d’exhaustivité, engendre une masse d’informations extrêmement denses et non adaptées aux médias. C’est le cas par exemple des séances plénières strasbourgeoises qui produisent sur quatre jours des centaines de décisions que les journalistes doivent ensuite remettre dans le contexte national.
Ensuite, les médias ont du mal à trouver la bonne échelle éditoriale. Hors actualité chaude, l’actualité européenne communautaire n’appartient ni à l’information nationale, ni à l’information internationale. Sans place définie, il est difficile de la traiter. Les informations européennes des pages « Europe » devraient idéalement se fondre dans les rubriques soit nationales (l’Europe, c’est aussi chez nous), soit internationales pour ce qui concerne la politique étrangère de l’Union.
La faible présence de l’Union dans les médias s’explique aussi par le peu de correspondants permanents à Bruxelles face à la masse d’informations à traiter. Quant au journaliste expatrié, il a peu à peu tendance à se détacher de la culture éditoriale de son pays d’origine, parfois même de son média de référence. A l’inverse, ceux qui suivent les décisions européennes en étant restés dans leur rédaction sont considérés un peu de la même manière que des députés européens peuvent l’être dans leur parti national : une sorte de corps étranger. Il y a bien sûr des exceptions à la règle.
En dehors des projets tels Euronews ou Euranet (réseau de stations de radios nationales) , notons que même sur une chaîne nationale, faire débattre entre eux des européens, élus ou acteurs de la société civile, moyennant une bonne mise en contexte, est autrement plus enrichissant que de faire parler entre eux des nationaux sur l’un ou l’autre dossier européen. Avec une discussion croisée, on sort du cadre, les contraintes et atouts apparaissent plus clairement. Dans une émission politique en prime time sur une grande chaîne qui met sur la sellette pendant plus d’une heure un élu, faire intervenir un intervenant européen peut être très relevant. Ce fut le cas dans une émission où Marine Le Pen, députée européenne et présidente du Front National, n’a connu qu’un moment de déstabilisation : c’est lorsqu’elle a été interrogée par un journaliste allemand qui l’a fait sortir de l’arène habituelle et des codes convenus de la classe politique et du débat franco-français.
Implication des élus européens sur les terrains nationaux et des nationaux à la décision européenne, transparence et participation citoyenne transnationale, construction d’un espace public et médiatique transnational sont des chantiers aussi prioritaires que ceux des réformes de fond à apporter au projet européen. Ils doivent s’imbriquer. Il s’agit d’un des chantiers prioritaires de l’Union Européenne.
«La démocratie a été successivement politique puis sociale. Au 21e siècle, elle sera culturelle au sens où les individus et les collectivités reconnaîtront de multiples identités culturelles et l’obligation de penser leurs relations sur un mode politique, c’est -à-dire sur un mode qui à la fois garantisse les identités et offre le moyen de les transcender»
Cynthia Fleury