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Les valeurs de l’écologie politique sont d’abord celles qui devraient être pratiquées par tout le monde, et avant tout, s’agissant d’un mouvement politique, l’éthique : le respect des droits humains et tout simplement l’honnêteté et la loyauté à l’égard des citoyens. Sa lutte contre la corruption internationale a d’ailleurs montré à quel point celle-ci joue un rôle crucial dans la dégradation de la planète.

Mais plus spécifiquement, trois valeurs phares balisent l’écologie politique, la « délimitent » par rapport à d’autres courants : l’autonomie, la solidarité et la responsabilité, les nécessaires conflits entre les trois devant être réglées par la démocratie et la non-violence.

Ces trois valeurs renvoient évidemment à l’écologie scientifique : un organisme, c’est ce qui est doté d’autonomie, un système se caractérise par la solidarité du tout et des parties, et cela à travers le temps. Mais ce sont évidemment les circonstances mêmes du développement de l’écologie politique (les années 1960 à 90), et l’accent mis sur ces valeurs par les mouvements sociaux constitutifs de l’écologie politique, qui ont questionné des valeurs bien plus anciennes du camp progressiste en France, y compris les valeurs de la Révolution Française : Liberté, égalité, fraternité.

Une façon commode d’approfondir les notions « autonomie, solidarité, responsabilité » est de les comparer avec les valeurs « progressistes» correspondantes, celles de la République libérale et celle des idéaux socialistes des deux derniers siècles.

Par « autonomie », nous visons la capacité des personnes ou des groupes de personnes à se fixer leurs propres buts et « voir le bout de leurs actes ». Ce n’est pas seulement la liberté au sens libéral du terme (par opposition à la dictature et l’absolutisme), pas seulement la liberté de faire, mais de maîtriser ce que l’on fait.

La « solidarité », c’est bien sûr l’affirmation de l’égalité en droit et dignité, mais une égalité qui n’est pas seulement affirmée au départ (et « que le meilleur gagne », comme dans le libéralisme du 18ème siècle), ni une égalité niveleuse à obtenir comme résultat (comme le socialisme de la première moitié du 20e siècle). C’est le refus que quiconque soit laissé sur le bord de la route : quelles que soit les injustices et les erreurs de la liberté, chacun doit être en permanence remis en position de vivre une vie digne et autonome.

La « responsabilité », c’est la capacité et le devoir de répondre à la question « qu’as-tu fait ? » : « qu’as-tu fait aux autres ? », « qu’as-tu fait à l’environnement ? ». Il s’agit de la valeur la plus nouvelle apportée par l’écologie politique, par sa compréhension des conséquences à long terme et à longue portée de certains de nos actes, résultant de notre liberté et qui, alors même que nous les pensions « solidaires », peuvent se révéler nuisibles à d’autres humains ou à d’autres êtres vivants, plus tard, plus loin…

Cette dernière valeur est évidemment la « signature » la plus lisible de l’écologie politique, ce qu’elle a apporté de franchement nouveau par rapport au libéralisme politique et au socialisme. Nouveauté qui repose sur la prise de conscience du caractère limité de biens communs, principalement l’environnement, comme médiation entre soi et les autres, entre une société et son avenir. Dégrader l’environnement, même dans une politique libertaire et à court terme d’apparence solidaire et progressiste (selon les conceptions « progressistes » anciennes : produire et distribuer) peut s’avérer pervers de manière cachée, pour autrui et pour nous-mêmes, et de ces négligences nous devons rendre compte. D’où les valeurs dérivées, plus concrètes, de l’écologie politique, telle la protection de la biodiversité etc.

Il s’agit en un sens d’une extension considérable de la notion de « fraternité », notion qui dès le premier dialogue de la Bible est accolée à celle de responsabilité : ‘Qu’as tu fait de ton frère ? — Suis-je donc responsable de mon frère ? ». Une extension à tous les vivants (sauf certains virus !) et à leur écosystème… D’où le rapport particulier de l’écologie à la science : la responsabilité écologique dépend de notre niveau de connaissance d’interactions cachées, alors que la simple contemplation du visage d’autrui nous appelle à la solidarité. Mais ce rapport à la science ne doit pas conduire au scientisme, car « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Comme on le voit, ces trois valeurs se conditionnent et se limitent les unes les deux autres. On ne peut être responsable que si l’on est autonome, et l’autonomie de chacun n’est garantie que par la solidarité de tous.

Mais ces trois valeurs entrent, aussi, souvent en conflit. La liberté sans règle ni responsabilité, c’est-à-dire la libre-entreprise au sens du libéralisme économique, ne peut aboutir qu’à la destruction de la solidarité et de l’autonomie d’autrui. De la même façon, la solidarité sans la responsabilité peut aboutir à la destruction des conditions d’existence des générations futures. Enfin, l’absolutisation des notions de responsabilité et de solidarité peut aboutir à étouffer l’autonomie, si l’on confie à des technocrates ou à des bureaucrates le monopole de l’organisation légitime de la responsabilité et de la solidarité.

Il revient donc à la démocratie de réguler les tensions qui peuvent en résulter. Mais la conception de la démocratie est elle-même modifiée par rapport à la démocratie « bourgeoise » ou à la démocratie « populaire » par l’approfondissement de ces valeurs au cours des derniers siècles. L’écologie politique, sans renier l’indispensable recours à la démocratie représentative (seule condition des négociations des compromis regroupant de vastes groupes d’êtres humains) doit au maximum se faire participative, c’est à dire exprimer l’autonomie des groupes humains. Ce qui implique systématiquement la pratique du fédéralisme, qui signifie d’une part la décentralisation maximum des décisions ne concernant que le groupe concerné, et la mise en place, au niveau collectif le plus large possible, de règles limitant ou prohibant le conflit entre ces groupes. Par exemple, des règles contre le dumping social, fiscal ou environnemental. Idéalement l’écologie politique vise une République universelle des peuples et régions solidaires !

De ces trois valeurs ainsi régulées résulte tout l’éventail des valeurs défendues par l’écologie politique, s’exprimant ou trouvant une expression en elle, comme le féminisme.

Le féminisme est né d’un mouvement social parallèle à l’écologie politique, mais, au nom de leurs valeurs, les écologistes ne peuvent être que féministes, même si l’inverse n’est pas forcément vrai, évidemment. La notion de solidarité inclut l’égalité de droit entre hommes et femmes, non pas comme une donnée, ni comme un résultat nivelant les différences, mais comme un mouvement toujours renouvelé d’effacement des inégalités. Elle implique une conception du féminisme qui rejette l’universalisme abstrait et prend en compte la réalité multiséculaire de l’oppression, et donc des points de vue différents sur le monde entre les deux genres. Le principe d’autonomie des écologistes les pousse à reconnaître la nécessité pour les femmes d’avoir des temps d’autonomie parallèlement à des temps de mixité politique et sociale. Le principe de responsabilité amène à rechercher dans les comportements quotidiens du passé et du présent les déterminants concrets de l’oppression et de l’inégalité des femmes. Etc.

D’autres exemples de cet « approfondissement » peuvent être trouvés dans tous les domaines traditionnellement abordés par les progressistes de l’Histoire. Ainsi, l’écologie politique défend, aux côtés des politiques plus traditionnelles de promotion de la justice sociale dans le domaine de la production (la législation et la négociation d’entreprise, la redistribution à travers l’impôt, le développement de services publics universels…), des formes de production à la fois très anciennes et très nouvelles : l’économie sociale et solidaire.

L’économie sociale et solidaire, particulièrement adaptée aux services à des communautés d’ampleur petite et moyenne, est une économie composée d’unités de production à la fois sociales (c’est-à-dire, définie par les deux principes : « une personne – une voix » et non-lucrativité ; il s’agit essentiellement des coopératives, associations et mutuelles) et solidaires (c’est-à-dire prenant en compte, parmi leurs buts, les effets, y compris non-marchands, de leurs actions sur le reste de la communauté). Par exemple : une entreprise d’insertion au métier de la restauration, installée dans une cité HLM, formant les chômeurs, ouvrant ces locaux aux associations d’habitants, servant des repas à bas prix.

L’économie sociale et solidaire, par son caractère « social » (coopératif ou mutualiste) exprime l’autonomie du groupe et des individus qui le compose. Sa liaison à la communauté et au territoire permet la mise en acte des valeurs d’autonomie, de solidarité et de responsabilité.
Comme on le voit, il faut distinguer les valeurs d’une part, et d’autre part les politiques et institutions qui peuvent les défendre ou le mettre en œuvre. Le féminisme est une valeur que doivent partager les écologistes. La parité n’est qu’une politique permettant la promotion du féminisme dans les organisations, technique que toutes les féministes n’approuvent pas[[Intervention à la convention d’Europe-Écologie Ile-de-France, Arcueil, 8 mai 2010]].

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