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Née alors que l’élan des trente glorieuses pouvait laisser croire aux lendemains qui chantent d’un progrès infini, l’écologie politique eut d’emblée l’audace de dénoncer les contradictions et les limites de notre modèle de développement consumériste et productiviste. À l’époque, tout cela semblait, pour une majorité de nos concitoyens et des décideurs politiques, procéder d’un discours catastrophiste de mauvais aloi. Trente ans plus tard, en 2007, une période nouvelle s’est ouverte avec les prémices de la crise financière mondiale, métamorphosée ensuite en une crise économique, sociale et de demain sans doute politique, et ce alors même que la crise écologique se développe comme un film au ralenti. Dans une large mesure, la poly-crise que nous vivons valide un diagnostic posé de longue date par les écologistes. Mais si elle nous donne raison, elle nous place aussi à la croisée des chemins dans la mesure où elle nous oblige à démontrer que nous sommes capables de porter des réponses à la hauteur des défis. Ma conviction est que les écologistes ont le potentiel de devenir un des acteurs politiques majeurs du 21ème siècle en Europe. Nous risquons cependant tout autant de passer pour une manifestation éphémère, parmi d’autres, des alternatives politiques apparues au tournant du siècle.

Cinq conditions me semblent indispensables à notre succès :

Nous focaliser sur la société, pas sur nous-mêmes : si notre objectif est bien d’être un agent de transformation de la société, nous ne pouvons nous comporter comme un club dont l’activité principale est fait de débats (voire de disputes) internes. Être en prise avec la société aujourd’hui, c’est entrer en résonance – ce qui veut dire plus que simplement comprendre – avec l’indignation voire la colère qui montent dans la société, en particulier contre des injustices sociales toujours plus criantes. Nos sociétés sont engagées sur des voies qui nous mènent collectivement dans le mur et où ceux qui subissent les premiers et le plus fort le choc sont les plus vulnérables d’entre nous.

Partager l’indignation n’est cependant qu’une première étape, qui doit ouvrir vers des propositions de solution. Ainsi, les Verts doivent-ils être capables de sortir de leur cocon – certains diraient niche – originel. De dénonciateurs de problèmes, en particulier environnementaux, nous devons devenir des porteurs de solutions qui permettent de répondre aux défis existentiels de ce siècle : permettre à tous – pas juste au happy few, les 20% ou pire le 1% – une existence digne d’être vécue, et cela en respectant les limites physiques de notre planète. Et pour être crédibles, ces solutions doivent combiner une vision ambitieuse – seule une transformation profonde de nos sociétés peut leur éviter l’effondrement – avec des premiers pas concrets réalisables. Autrement dit, nous devons être capables d’être porteurs d’un changement auxquels nos concitoyens peuvent croire et dans lequel ils peuvent se retrouver. C’est ce que nous résumons par le Green New Deal, qui doit être l’instrument de la transformation sociale, environnementale mais aussi économique et financière de notre modèle de société.

Mais avoir un diagnostic lucide, une vision ambitieuse et des solutions praticables reste insuffisant : encore faut-il faire la preuve à la fois du courage politique et de la capacité à mettre tout cela en œuvre. Cela veut dire que, quitte à prendre des risques,  les Verts doivent garder la capacité de mettre en cause les tabous de tous les conservatismes, qui font obstacle à la transformation : nous ne sommes pas là pour simplement revendiquer notre modeste part du gâteau du pouvoir, mais bien pour engager la transition. Et là où nous occupons des postes à responsabilité, nous devons y démontrer compétence, professionnalisme et éthique.

Ensuite, reconnaissons que quand bien même nous réaliserions tout cela, nous ne changerons pas seuls la société. Au sein de celle-ci, et au travers des clivages traditionnels se manifestent aujourd’hui déjà des femmes, des hommes, des associations, des organisations, des entreprises, qui engagent la transformation. C’est avec eux que nous devons être capables de construire des alliances. Car si la direction qu’elle doit prendre apparaît chaque jous plus clairement, personne n’a sur plan l’itinéraire de la transition : elle sera une construction collective.

Enfin, dernière clé du succès : l’unité dans la diversité. Il est certain qu’une équipe, fut-elle talentueuse, où chacun joue pour soi ne peut que perdre. Mais si nous voulons porter collectivement un projet de société, nous devons être capables de le faire en assumant une réelle diversité de ton et de langage. Car on ne s’adresse pas de la même manière à des travailleurs précaires et à des chefs d’entreprise, à des étudiants et à des syndicalistes, à des militants associatifs et à des jeunes d’origine immigrée… Réaliser cela exigera sans doute des Verts une plus grande diversité de leurs militants, de leurs cadres et de leurs dirigeants, mais aussi un très grand degré de confiance réciproque, condition d’une expression diverse.

En bref, nous devons combiner radicalité et réalisme. En fait, c’est au nom même du réalisme – c’est-à-dire d’une compréhension aigüe des défis du réel – que nous ne pouvons que nous faire les avocats d’une transformation radicale – c’est-à-dire qui va jusqu’à la racine des problèmes – de la manière dont vivent nos sociétés et dont elles interagissent avec la planète et le vivant. Mais ce même réalisme nous rappelle que nous ne partons pas d’une feuille blanche et que nous devons être capables d’engager cette transition à partir du point où se trouvent nos sociétés aujourd’hui. Mais attention, si nous choisissons de nous contenter d’une radicalité déclaratoire, nous nous perdrons très vite dans la compétition à couteaux tirés qui règne sur cette partie de la scène politique. De même, si nous abandonnons toute ambition transformatrice pour une politique des petits pas se contentant de corriger les effets les plus outranciers du système en place, nous serons rapidement considérés comme une simple variante de l’orthodoxie. Dans les deux cas, nous perdons.

A moins d’un an d’une échéance électorale essentielle pour l’avenir de notre pays et de l’Europe, le mérite de ce numéro d’Etopia est de remettre en exergue et en perspective la vision politique des écologistes. Dans sa première partie, il retrace le parcours de cette vision en quatre étapes, du manifeste des Amis de la Terre (1977) à celui adopté voici quelques semaines par Ecolo. Il ouvre ensuite ses colonnes à douze contributions qui donnent corps et couleurs au projet de transformation que nous portons aujourd’hui pour nos sociétés.
Face à la société et à nos adversaires et potentiels partenaires politiques, notre prétention n’est pas d’avoir, sur plans, l’unique itinéraire de sortie de crise(s) pour nos sociétés. Simplement, parce que nous pensons avoir une meilleure compréhension des défis existentiels que celles-ci doivent relever pour donner un avenir à l’humanité, nous croyons pouvoir offrir une vision plus claire sur la direction à prendre et quelques idées concrètes pour nous mettre en marche sur l’itinéraire de la transition écologique juste. Loin d’être une recette prédéfinie par je ne sais quelle avant-garde éclairée de la société, celle-ci ne peut être que le produit de la mobilisation individuelle et collective de la créativité et de l’énergie de nos sociétés.

Les succès écologistes aux scrutins de 2009, tant au niveau belge qu’au niveau européen, ont pour la première fois démontré que l’écologie politique pouvait être perçue comme une alternative crédible en temps de crise. Je suis pour ma part convaincu que nous avons collectivement les ressources nécessaires pour remplir les cinq conditions que j’évoque plus haut et pour rééditer – et pourquoi pas, amplifier – ce succès en 2014. Dans un contexte de plus en plus anxiogène, à nous d’être capables de mobiliser la ressource la plus puissante que l’humanité ait à sa disposition face aux défis de ce siècle : l’espoir.

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