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A grands traits, je voudrais nous situer dans une perspective historique. En effet, nous devrons aimer ce XXIe siècle, malgré la grande difficulté de notre époque à rêver son futur, contrairement aux siècles précédents qui ont rêvé l’avenir avec force et parfois de grandes marges d’erreur…

Aujourd’hui, nous sommes souvent prostré par l’avenir. Pour sortir de cette peur, il nous faut regarder ce siècle en face, le comprendre, formuler des propositions et l’aimer. Car ce qui donne sens à nos vies, c’est ce que feront nos enfants et nos petits-enfants. Nous sommes à leur service. Nous aurons dans ce siècle, la fin de la croissance démographique humaine. Nous serons neuf milliards et demi. Tous voudront bien vivre et, contrairement aux siècles précédents, ils seront confrontés à des limites : en terme de ressources, et de réaction de l’environnement. L’humanité est dorénavant mariée avec sa planète. Elle doit concevoir son futur dans un contexte de raréfactions des ressources.

Il va falloir à la fois sortir des combustibles fossiles, stabiliser le climat et protéger l’environnement. Nous sommes là dans un changement civilisationnel profond. Et comme à chaque changement de civilisation, nous connaissons ce qui est derrière nous et pas ce qui est devant. D’où cette grande difficulté à avancer. Les deux siècles précédents, avec les grands progrès technologiques et l’accès à des ressources considérables, n’avaient pas vu de confrontation quelconque aux limites. Auparavant, c’était à la rareté que l’humanité était confrontée. La rupture que nous vivons va implique que la valeur de ce siècle – au sens moral, personnel, technologique, économique et financier – sera l’optimisation de l’utilisation des ressources. Ce sera là la condition de l’accès de tous à de bonnes conditions de vie.

Cette valeur, le libéralisme ne pourra pas la prendre en considération. Ce qui va nous mener à de grosses difficultés. Un enjeu déterminant sera celui des indicateurs, des balises pour comprendre ce siècle qui est devant nous, et qui comportera des facteurs en décroissance, d’autres en croissance. Il deviendra capital d’arriver à décrire cela.

Enfin, le point le plus essentiel réside dans le fait que la citoyenneté planétaire définira le sens de l’action : c’est notre appartenance à l’humanité toute entière qui nous donne ce sens.

Les autres bouleversements en cours

Un autre phénomène majeur dont il faut bien comprendre la portée consiste dans les grands bouleversements économiques et politiques nés de la mondialisation. Il faut les regarder avec précision. La croissance économique bascule vers les pays émergents. La rente financière et économique que les pays industrialisés avaient accaparés pendant les deux siècles précédents bascule aussi, vers d’autres endroits du monde. Ses effets induits – dont il faut prendre conscience de la gravité – sont considérables :

l’érosion de la protection sociale, la croissance des inégalités, la montée du chômage qui divise notre société ;

l’amplification de l’angoisse, et la difficulté qui l’accompagne, celle de se projeter dans le futur. Or, l’histoire nous demande d’être extrêmement attentifs. Car lorsque l’angoisse monte, avec des difficultés économiques aussi graves que celles que nous connaissons et connaîtrons, émergent deux risques à éviter conjointement : le repli sur soi et la désignation de boucs-émissaires ;

l’affaiblissement des Etats ;

un contexte global où trônent les règles de concurrence au plan international.

Les réponses possibles

Les réponses résident dans notre besoin de nous fixer des objectifs à long terme et une stratégie pour les mettre en œuvre. Nous attends un colossal travail de précision des étapes de transition, de constitution d’un cadre de régulation européen et international pour compenser l’affaiblissement des Etats. Et enfin, la reconstruction d’une promesse à la personne : que promet-on aux gens comme vie dans le futur qui leur permettra d’envisager leur vie dans la durée ?

Les actions politiques ne fonctionnent que si les gens les aiment

Commençons par la transformation politique et l’approfondissement démocratique. Il est clair aujourd’hui que la question de la réduction des inégalités est la condition de la cohésion sociale et de la stabilité de nos pays. Si on ne le fait pas, il faut craindre la montée de la violence. Chaque fois, dans l’histoire, qu’a eu lieu une grande bifurcation, nous avons changé de système politique ; nous avons trouvé à résoudre les conflits en progressant vers davantage de participation de la population. Dès lors, une démocratie de co-construction dans laquelle les gens participent aux décisions devient une nécessité. Les citoyens en ont la formation, ils ont l’accès à l’information et ils en ont l’envie. Notez ainsi ce qui se passe en ce moment en Turquie et au Brésil : ce sont sur des projets concrets que les populations ont exprimé que l’on ne pouvait pas décider par-dessus eux et qu’il était nécessaire d’y contribuer. Il y a là quelque chose qui nous est facilité parce que les nouvelles technologies de communication renforcent considérablement les capacités d’auto-organisation de la société. Il faut donc investir dans ces processus-là.

Une démocratie de co-construction, signifie à mes yeux, depuis ma pratique professionnelle sur les questions d’énergie et de climat, qu’il faut impliquer au moins un millième de la population dans la préparation d’une politique. Et lorsqu’on arrive à impliquer un pour cent, c’est encore mieux. Car à partir de ce moment, la prise en charge d’une politique publique s’étale dans la société. Les actions politiques ne fonctionnent que si les gens les aiment. Il faut donc construire l’adhésion de nos concitoyens aux choix politiques. Et une démocratie de co-construction renforce le mandat donné aux élus. Une des difficultés d’aujourd’hui, c’est que les élus voient des forces centrifuges dans la société qui souvent contestent les décisions publiques. Il faut avancer dans cette articulation de 2 niveaux : une démocratie de co-construction des choix et une démocratie représentative qui applique ces choix. Car il faut que la mise en œuvre soit faite par les élus issus du suffrage universel. Il reste encore beaucoup de travail sur cet enjeu-là : la nécessité du renforcement des pouvoirs locaux et régionaux – qui conditionnent la solidarité sociale, assurent la protection de l’environnement, permettent la valorisation des ressources locales, une économie circulaire et de fonctionnalités.

La nécessité de progresser vers une gouvernance globale

L’intérêt général, planétaire, n’est pas l’addition des intérêts des Etats. La dernière conférence de Rio l’a bien montré. Il faut donc construire cet intérêt général supérieur. En ce qui nous concerne, cela a forcément pour conséquence de renforcer l’Europe. Parce que l’Europe reste le prototype d’une gouvernance globale par-dessus les Etats, construisant des politiques communes.

Ensuite, il va nous falloir élaborer un cadre au niveau des Nations-Unies dans les décennies qui viennent, compte tenu notamment de l’échéance du changement climatique. C’est une nécessité de construire ce niveau supérieur de gestion de la maison commune, de la planète, tous ensemble.

Le changement climatique est essentiel de ce point de vue, car il constitue la première question à solidarité obligatoire de l’humanité toute entière. Elle va devoir être résolue avec l’ensemble du Monde, par-dessus les inégalités de développement héritées de l’histoire. On voit bien qu’il va en conséquence falloir avancer vers une convergence des modes de développements au niveau planétaire. Ce sera, bien sûr, la condition de la paix.

Une nouvelle promesse à la personne

Un dernier enjeu central consiste à élaborer une nouvelle promesse à la personne. Regardons comment évoluent nos vies, de quelle manière elles se complexifient : plus grande mobilité professionnelle, sociale, affective, culturelle,… Tout cela donne une liberté plus grande que par le passé. Mais en même temps, les vies sont plus imprévisibles et dans cette mobilité réside de nouvelles sources d’inégalités. Nous devons résoudre cette question de l’inégalité. Les avancées nécessaires pour y arriver sont, à mes yeux, de travailler sur l’évolution des modes de vie. La question majeure est celle du récit de vie, et pas seulement du projet politique. Une idéologie politique est mature quand elle arrive à expliquer comment vivre en société pour assurer la paix et les bonnes conditions collectives et fait une promesse à chaque personne. Les écologistes doivent donc apprendre à expliquer ce qu’est une société écologique devant nous, que chaque personne arrive à habiter. Nous gagnerons politiquement quand nous arriverons à expliquer à un enfant de dix ans – qui vivra tout ce singulier siècle – de quelle manière sa vie va s’y dérouler et comment pourra-t-on l’aider à évoluer.

Du point de vue de la promesse à la personne, la question-clé est celle de la substitution de satisfaction. Nous avions des satisfactions telles qu’elles nous ont été promises à travers la consommation. L’exubérance actuelle de la consommation de certains, inaccessible à d’autres, et confrontée aux limites de la planète, n’est pas l’horizon qu’il nous faut investir. Il nous donc réfléchir à la source de satisfaction que à proposer dans le futur à nos concitoyens. La force politique qui gagnera le XXIe siècle sera celle qui, la première, arrivera à le faire aimer en permettant à la population d’avoir envie d’une réalisation de leur vie à la hauteur de ces enjeux.

Il faut d’abord valoriser les personnes dans leur singularité culturelle, leur participation à la vie de la société et – c’est fondamental et, pour le coup, les technologies de la communication vont nous y aider. Il y a ensuite un aspect déterminant : la formation tout au long de la vie et la maîtrise par chacun du temps dans sa vie. Il y a enfin une nécessité d’amélioration des comportements individuels au travers d’une vie probablement plus sobre et dans un cadre plus démocratique, au sens d’une meilleure acceptation par les personnes. On ne pourra pas obtenir de la part des individus des changements de comportement significatif dans leur vie sans leur donner des sources nouvelles de satisfaction.

Pour que cela se déroule dans un cadre démocratique, il va falloir un fameux travail d’accompagnement. Pour améliorer nos choix, pour faire en sorte que chacun se vive comme partie de l’humanité toute entière, pour développer des modes de vie permettant à l’ensemble de l’humanité – qui aura été multipliée par dix en deux siècles et demi – de progresser. Il faut que les comportements individuels s’inscrivent dans une trajectoire collective de transition. Au fond, vous avez deux transitions : une pour la société et une pour chaque personne, avec des équilibres différents d’une personne à l’autre. Il faut trouver des mots pour la société post-consommation et ses excès. Je propose que l’on s’inscrive dans une société relationnelle. La seule formulation que j’ai trouvé pour le moment c’est une société relationnelle. Les sources de richesse dans le futur seront la relation à l’autre. Le lien social, la connaissance, la culture sont des infinis. Il faut donc que l’on enrichisse la vie des gens à travers une visibilité de ce qui est supportable par la planète et qui permet en même temps de les satisfaire.

Bonne vie au XXIe siècle et maintenant, au travail.

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