Introduction

Avoir une approche interdisciplinaire est une nécessité lorsque l’on parle du bouquet énergétique des États. Chaque État est amené à définir son mix énergétique en fonction des avantages et inconvénients des différentes sources d’énergies dont il dispose. La question du gaz de schiste se pose donc au sein de ce débat plus large de la sécurité énergétique. Cette dernière réalité ne doit cependant pas empêcher une analyse précise des externalités positives et négatives. Il s’agit donc de choisir en fonction de l’intérêt national, cadre supérieur de réflexion et de long terme.

Je m’attacherai dans cet article à donner une vue aussi large que possible sur la question du gaz de schiste. La première partie abordera tout d’abord la question des technologies utilisées et de leurs spécificités. Ensuite, nous ferons l’état des lieux des réserves estimées, prouvées et de leur localisation. Nous terminerons par les explorations et exploitations actuellement en cours.

Le cadre européen retiendra dans un deuxième temps toute notre attention. Les États membres ont des mix énergétiques variés et des situations – contractuelles – en matière de gaz naturel très différentes. Néanmoins, les États européens partagent des cadres législatifs communs – comme en matière de protection des ressources aquifères – et des objectifs environnementaux, notamment en matière de climat. Cette deuxième partie apportera donc, après la réalité technologique, les réalités législatives et géopolitiques actuelles.

Dans un troisième temps, une fois les conditions technologiques expliquées et le cadre européen posé, nous analyserons les implications d’une exploitation du gaz de schiste. Successivement nous balaierons les impacts environnementaux, économiques, et géopolitiques.

En conclusion, et après avoir mis bout à bout les différentes réalités liées au gaz de schiste, nous verrons si oui ou non, celui-ci doit être considéré comme une révolution énergétique et s’il doit intégrer, à l’avenir, le bouquet énergétique des États européens.

1. Les techniques de forages spécifiques du gaz de schiste, les réserves et lieux actuels d’exploration et d’exploitation

Dans cette partie nous analyserons les spécificités du gaz de schiste avant de réaliser un « état des lieux » de la situation européenne en terme de réserves et d’exploitations actuellement en cours.

1. La fracturation hydraulique et le forage horizontal, deux techniques qui ont permis l’essor de l’exploitation de gaz non conventionnel

Pour bien comprendre la nature du gaz de schiste, il est utile de revenir sur les termes anglophones et de se rappeler ce qu’on entend par gaz « conventionnel ».

Le gaz conventionnel regroupe les notions de gaz associated, de gaz non-associated et de gas-cap. Par-là on entend, respectivement, le gaz qui est enfermé dans un réservoir naturel qui contient à la fois du gaz et du pétrole, les deux éléments étant mélangés ; un réservoir contenant uniquement du gaz ; et, finalement, un réservoir dans lequel le gaz se trouve au-dessus du pétrole également présent. Dans ces trois cas, l’exploitation se fait par le forage vertical d’un puits dans le réservoir.

Le gaz non conventionnelunconventional gas – peut lui aussi être divisé en trois catégories : tight gas, shale gas et coal bed methane (CBM). S’il s’agit toujours de butane, propane ou, le plus souvent, de méthane, c’est le mode d’extraction qui varie. Le gaz de schiste, shale gas en anglais, est contenu dans la roche de shale – le schiste ne contient pas de gaz – qui a la particularité d’être à la fois la source du gaz et son réservoir. C’est cette roche qui « produit » le gaz tout en le maintenant enfermé et qui se situe entre 1000 et 3500 mètres de profondeur.

C’est la combinaison de deux technologies qui permet la production de gaz de schiste à une large échelle : la fracturation hydraulique d’une part, aussi connu sous le nom d’hydraulic fracturing ou fracking, et le forage horizontal d’autre part. Cette dernière technologie, maitrisée seulement depuis le début des années 2000, consiste à forer un puits vertical aussi profond que nécessaire pour atteindre la roche de shale avant d’opérer un redressement jusqu’à l’horizontal. Cette dernière partie peut atteindre deux kilomètres mais atteint le plus souvent 400 ou 500 mètres.

Une fois le puits foré, un liquide de fracturation composé d’eau claire, de sable et de produits chimiques est injecté sous haute pression dans la roche de shale afin de fracturer celle-ci. L’objectif étant de permettre au gaz contenu dans la roche de remonter avec l’eau et d’ainsi exploiter des ressources qui auraient mis des millions d’années à former une poche naturelle de gaz conventionnel. Les grains de sable injectés s’insèrent dans les fissures ouvertes sous la pression et maintiennent celles-ci en état pour permettre la remontée du gaz. Les produits chimiques servent quant à eux principalement à fluidifier la remontée du gaz.

Cette technique de fracturation hydraulique n’est pas neuve ; c’est la maîtrise de son association avec le forage horizontal qui la rend intéressante. Cependant, elle s’apparente plus ou moins à un « art » étant donné que la pression nécessaire varie en fonction du type de roche en présence. La qualité de la fracturation et donc la bonne pression influencent le rendement du puits.

2. Des réserves annoncées à considérer avec précaution…

Alors que les réserves de gaz conventionnel sont bien connues et localisées dans très peu de pays (Iran, Russie, Qatar…), celles des gaz de schiste le sont beaucoup moins mais elles semblent aussi être moins concentrées, d’aucuns diraient même « mieux » situées.

Si plusieurs études apportent un éclairage sur les réserves potentielles et leurs localisations, la question de l’exploitabilité des ressources non conventionnelles reste entière. En effet, si toutes les études s’accordent pour dire que les réserves de gaz non conventionnels sont plus dispersées géographiquement, l’ampleur, la qualité et le caractère exploitable de celles-ci ne font pas l’unanimité[[En 2011, l’agence américaine de l’énergie annonce 5000 milliards de mètres cube (Gm³). En 2012, le rapport du l’institut national de géologie polonais revoit le chiffre à la baisse en annonçant maximum 2000 Gm³. Les experts n’en voient eux plus que 350 à 770 Gm³.

]]. Les différents types de réserve évoqués apportent de l’eau au moulin de la confusion. La qualification d’une réserve varie en fonction des caractères géologique, technologique et économique. Une réserve prouvée, probable, présumée ou espérée, eu égard à son caractère géologique, doit être combinée à son caractère exploitable (ou non) du point de vue de la technique et au degré de rentabilité, en fonction du prix sur le marché et du coût des technologies[[Les réserves prouvées sont celles qui sont constituées des ressources découvertes et récupérables avec une certitude raisonnable et économiquement exploitable compte tenu des prix et de la technologie disponible. Les réserves probables sont quant à elles découvertes mais non exploitées et il s’agit en réalité d’une extrapolation de ressources potentielles dont on estime à 50% les chances d’extraction. Les réserves présumées sont des ressources non découvertes mais qu’on suppose pouvoir trouver dans des sites connus. Enfin, les ressources spéculatives sont elles aussi non découvertes mais dans des sites non explorés où l’on sait pouvoir trouver la ressource, il s’agit donc le plus souvent dans ce cas d’un problème de technologie. Les ressources de la mer du Nord étant, il y a 50 ans, considérées comme ressources spéculatives. In G. Rotillon, Économie des ressources naturelles, La Découverte, 2010, p. 12.]]. Ces différences doivent être gardées en mémoire au moment de choisir son mix énergétique et ainsi assurer sa sécurité énergétique dans le long terme.

En matière de réserves, il s’agit donc d’analyser les chiffres… avec réserve ! L’état des explorations et exploitations sur le « vieux continent » précisera les supputations des études par les réalités de la situation du terrain.

3. Où se trouve les exploration et exploitations en Europe ?

Actuellement (décembre 2012), en dehors de l’Union européenne, l’exploitation du gaz de schiste à grande échelle se concentre essentiellement aux États-Unis. La Chine, l’Australie et la Russie ont pour leur part marqué un vif intérêt au développement rapide d’exploitations sur leur territoire national mais celles-ci n’ont pas vraiment commencé si ce n’est quelques explorations et incitations législative et ou fiscale[[Attitude par ailleurs considérées comme négative, comme pour toutes énergies fossiles, par l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) dans son rapport World Energy Outlook 2010. car cela nuit à la sécurité énergétique, à la diminution de la pollution atmosphérique et à l’économie.]].

En Europe, plusieurs États ont manifesté un intérêt plus ou moins appuyé pour le gaz de schiste. Parmi ceux-ci on retrouve principalement l’Allemagne, l’Autriche, la Bulgarie, la France, la Hongrie, la Pologne, la Suède et le Royaume-Uni. Ce dernier est le seul a possédé des forages d’exploitations, ceux-ci sont situés le long de la cote du Lancashire (Nord-Ouest) avec la société Cuadrilla. Le British Geological Survey prévoit lui que d’autres comtés posséderaient eux-aussi des réserves et notamment le Kent, le Sussex, le Surrey, le Hampshire, le Dorset, l’île de Wight et l’Écosse sans oublier d’éventuels forages off-shore. En France, la société Total fut très active avant de se voir arrêtée en plein élan par une loi qui interdit la technique de la fracturation hydraulique comme mode d’exploitation. Le gouvernement ayant, en sus, suspendu les permis précédemment octroyés. Comme en France, la Bulgarie a imposé un moratoire. Du coté de Varsovie, l’ambition est d’atteindre l’indépendance énergétique en matière gazière (le gaz actuellement consommé étant importé de Russie mais ne représentant que trois pourcents de la consommation énergétique totale). Le gouvernement de D. Tusk a accordé de nombreuses licences d’exploration pour une surface recouvrant un bon tiers du territoire national (y compris dans des parcs nationaux) et en espère un début d’exploitation dès 2014. Les sociétés pétrolières et gazières nationales et internationales se sont ruées sur ces permis, se lançant ainsi à la recherche de l’eldorado gazier annoncé par une série d’études. Fin 2012, certaines sociétés comme ExxonMobil[[]] quittent la Pologne suite à une série de forages exploratoires infructueux ou estimés non rentables dans les conditions techniques et économiques actuelles.

Les différents États-membres, faisant face à des réalités géologiques, géopolitiques et politiques différentes, ont donc adopté des mesures variées allant du moratoire technique (France) ou politique (Bulgarie et France) à l’autorisation (Royaume-Uni) et même l’incitation – notamment financière (Pologne). Fin novembre 2012, c’est dans ce contexte que le Parlement européen a réalisé un premier vote sur deux rapports distincts et contradictoires concernant le gaz de schiste. Le premier rapport, issu de la Commission industrie est en faveur d’une exploitation du gaz de schiste ; le second issu de la Commission environnement est beaucoup plus réservé sur la question et reflète davantage les inquiétudes de nombreux acteurs. Les deux rapports ont été adoptés mais l’existence de deux rapports qui s’opposent est un fait rare qui souligne les nombreuses interrogations des parlementaires. Pas de moratoire donc mais un encadrement législatif qui sera plus que probablement, et on peut l’espérer, renforcé. Il faut noter que le débat sur l’inadéquation économique et géopolitique du gaz de schiste fut nul ; les arguments avancés par les uns et les autres portaient quasiment exclusivement sur la capacité à explorer et exploiter proprement la ressource[[Ces questions, bien que du ressort des États, auraient apporté une lumière plus complète sur le débat.]].

Le cadre européen a donc une importance particulière sur les matières environnementales. Cela étant, et comme nous le verrons dans la partie suivante, la réalité énergétique des États membres reste quasiment exclusivement nationale à l’exception de certains objectifs environnementaux.

2. Le cadre européen : règles et objectifs communs, bouquets énergétiques variés

Il y a en Europe autant de mix énergétiques qu’il y a d’États membres. La situation n’est pas nouvelle mais cela influence l’analyse des États en matière d’accès aux ressources gazières et donc, potentiellement, de gaz de schiste. Nous remarquerons aussi que Bruxelles définit à la fois le cadre du marché du gaz, afin de compléter le marché intérieur, et les objectifs environnementaux.

2.1. La situation du gaz dans le bouquet énergétique des 27 de l’Union

Connaître son bouquet énergétique est essentiel pour analyser sa dépendance à une énergie particulière ou à l’énergie en général. En analysant la place du gaz dans les mix-énergétiques, on constate des situations profondément différentes et variées avec des États membres qui exportent et d’autres, plus nombreux, qui importent d’importantes quantités de gaz. Ce qui est accepté par tous les analystes c’est, premièrement, que la proportion importée depuis une source extérieure à l’Union augmente régulièrement et que, deuxièmement, la consommation de gaz va augmenter plus rapidement que celle des autres sources d’énergies.

La dépendance de l’Union vis-à-vis de l’extérieur en matière gazière s’élevait à 40% en 1990. Aujourd’hui celle-ci est de 60% et elle atteindra les 80% en 2030. Seize États importent plus de 90% de leur gaz – ce dernier étant, pour l’Union et en 2005, issu à plus de 40% de Russie, à 20% de Norvège et à 20% d’Algérie. Cette situation gênante qui voit les 27 alimentés à 80% par trois fournisseurs est contrebalancée par une situation rare de monopsone qui lui permet, en tant que « consommateur unique », de faire pression sur les fournisseurs qui auraient des difficultés à trouver un tel débouché. Cela étant, pour être un véritable monopsone, l’Union doit s’intégrer réellement du point de vue énergétique ce qui pose toute la question du modèle de concurrence. Mais c’est un autre débat. Quoique…

2.2. Législations qui importent en matière de gaz de schiste

La politique énergétique reste très largement une compétence des États membres. Ils sont cependant tenus de respecter les législations européennes, qu’elles soient économiques, et notamment en matière de marché du gaz, ou environnementales.

Avec la libéralisation du marché du gaz et de l’électricité, des règles communes sont établies en matière de transport, distribution, fourniture et stockage du gaz naturel. Déterminant entre autre l’accès au marché, le fonctionnement et l’organisation du secteur, ces directives n’oublient pas, d’une part, d’intégrer le GNL (Gaz Naturel Liquéfié, ce qui permet de s’approvisionner par bateau plutôt que par gazoduc) et la biomasse (biogaz) et, d’autre part, de souligner le caractère stratégique en insistant sur la sécurité d’approvisionnement, la régularité des livraisons et le prix. La prise en compte systématique du GNL est importante car cela permets des importations issues de pays non reliés par gazoduc à l’Union. On peut dès lors imaginer, et c’est déjà le cas, des importations issues de pays comme le Qatar ou le Nigéria.

À côté de ces directives « marché intérieur », on retrouve les objectifs environnementaux de l’Union. Le paquet énergétique « énergie-climat » élaboré par la Commission dès janvier 2008 définit les objectifs en matière énergétique. À l’horizon 2020, l’Union devra réduire de 20% ses Gaz à Effet de Serre (GES), utiliser 20% d’énergie d’origine renouvelable et diminuer de 20% sa consommation d’énergie. La place donnée ou laissée au gaz de schiste dans le mix énergétique européen à venir ne peut faire l’impasse sur une réflexion approfondie au regard de ces objectifs ambitieux mais que l’on sait néanmoins insuffisants. Bruxelles impose également le respect d’une série de règles à propos de la qualité de l’air, du sol et de l’eau. Nous nous concentrons sur cette dernière car elle nous semble les plus appropriées au regard des menaces qu’amène l’exploration ou la production de gaz de schiste.

En matière d’eau c’est la directive-cadre 2000/60/CE qui indique le cadre communautaire. Cette directive, bien qu’actuellement sur le métier pour sa révision (normalement avant fin 2012), donne les grandes lignes à respecter en matière d’eaux intérieures de surface, d’eaux de transition, d’eaux côtières et d’eaux souterraines. Elle impose donc de prévenir toute dégradation supplémentaire, de préserver et améliorer les écosystèmes aquatiques, de promouvoir une utilisation durable et de long terme des ressources disponibles, d’augmenter la protection par des mesures spécifiques, de réduire les pollutions et l’aggravation de celles-ci, d’atténuer les effets des inondations et des sécheresses. Les États assurent la mise en place de cette directive et les sanctions éventuelles.

Cette directive, comme celles sur l’air et les sols, souligne à quel point l’exploration ou l’exploitation de gaz de schiste vient s’opposer aux législations en vigueur. Ce sont donc les risques très élevés de pollutions et l’impossibilité de retourner à la situation initiale en dépolluant qui rendent l’exploitation de gaz de schiste – très – peu recommandable d’un point de vue environnemental. Ce sera l’objet de notre troisième partie dans laquelle nous aborderons également les impacts économiques et géopolitiques.

3. Les impacts du gaz de schiste, une prise en considération nécessaire

Les impacts du gaz de schiste ne se limitent pas à l’environnement. S’il est nécessaire de bien voir l’ampleur de l’impact environnemental, il faut aussi analyser, bien que ce soit évidemment lié, les impacts économiques et géopolitiques d’une expansion de la production de gaz de schiste en Europe.

3.1. Les risques environnementaux et les risques techniques

Principale critique, les risques environnementaux, liés aux caractéristiques intrinsèques de la production de gaz de schiste, concentrent toutes les oppositions. Nous essayerons d’être synthétiques.

(1) Le charroi des camions d’eau (20 000 litres[[Selon l’auteur du film GasLand, à raison de 4 à 28 millions de litres par fracturation, multipliés par le nombre de fracturation réalisées depuis l’émergence du gaz de schiste dans les quelque 450 000 puits américains déjà réalisés, on obtient 40 000 milliards de litres d’eau claire. Ce qui fait 2 milliards de trajets de camion. Ce chiffre est surévalué car certains puits sont alimentés par canalisation, néanmoins ces derniers ne représentent qu’un faible pourcentage, les puits ne se trouvant généralement pas en ville.]]), des produits chimiques et du sable pour chaque puits ont un l’impact sur l’air et l’état des routes. Il faut ajouter le charroi du retour à savoir une partie de l’eau usée, et, logiquement, le gaz.

(2) La construction des sites de forage et des routes pour y parvenir a un impact majeur sur la consommation des terres. On parle de dizaines de kilomètres2. Selon la Texas Rail Road Commission, le seul Barnett Shale, a utilisé 13000 km² de terre sur lesquels ont été forés 15000 puits soit 1,15 puits par km². La photo aérienne suivante, issue du rapport de l’Assemblée nationale française[[http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3517.asp#P279_51645]], montre le Comté de Salle au Texas et illustre admirablement l’impact sur la consommation des terres.

(3) Les risques de manutentions erronées seront plus élevés en Europe au vu du nombre proche de zéro d’ouvriers formés qui maitrisent la technologie.

(4) Le risque de tremblements de terre n’est pas nul. En Angleterre la société Cuadrilla a déjà stoppé arrêté le forage de deux puits suite aux tremblements de terres apparus pendant le forage de ceux-ci[[http://www.upi.com/Business_News/Energy-Resources/2011/06/03/Seismic-event-halts-British-fracking/UPI-17641307097220/#ixzz1ZWlMQh7P]].

(5) Le risque sur l’eau est triple. L’utilisation de millions de litres, pour chaque puits crée ou renforce des stress hydriques. L’eau usagée dites produced water doit être stockée mais est souvent simplement rejetée dans sa rivière d’origine sans traitement c’est-à-dire salée, avec des produits chimiques et parfois des métaux lourds lorsqu’elle n’est pas réinjectée dans des nappes phréatiques salines de grande profondeur ou déversée en surface. Le troisième risque est lié à la pollution potentielle des nappes phréatiques – en cas d’accident ou de remontée « naturelle » de gaz dans une faille existante ou créée suite à la mise sous pression de la roche.

À tous ces menaces sur l’environnement et risques qui s’additionnent les uns aux autres, il faut ajouter ceux de « l’après exploitation ». Les entreprises gazières envisagent, lorsque la production du puits sera trop peu importante, de simplement reboucher le tube de forage et d’ainsi mettre fin à l’exploitation. Mais cela pose des questions sur le long terme. Que va-t-il se passer avec le gaz qui continue de remonter car toujours sous pression ? Est-ce que le « bouchon » cédera ou est-ce qu’une faille de la roche de shale, quelque part sous la terre sautera pour amener le gaz à l’air libre ou dans une nappe phréatique ? Qui va payer pour ce suivi ? Et qui va remettre les lieux en état, c’est-à-dire dans la situation qui prévalait avant l’arrivée du forage ? Les entreprises annoncent toujours qu’après l’exploitation, on ne verra plus la trace de leur passage. Dans les faits, il est difficile de les croire, notamment parce que le coût de la reconversion des sites est énorme et non budgétisé.

3.2. Les conséquences économiques et géopolitiques

Les conséquences économiques sont multiples elles aussi. Nous les regrouperons en deux points : le problème des réserves, emplois et investissement liés directement aux gaz de schiste, d’une part, et les menaces sur les autres investissements, d’autre part.

Si nous reprenons l’exemple polonais où les réserves sont passées, avec le temps et les études, de 5000 Gm³ à 2000 Gm³ puis entre 350 et 770 Gm³, on constate que la question de l’exploitabilité économique de la ressource doit être posée. D’autant que seuls 10 à 20% des ressources annoncées comme présentes peuvent, dans les conditions techniques et économiques actuelles, être effectivement remontées et, extraites. Ce degré de « récupérabilité » est, par le fait du nombre de puits que le gaz de schiste nécessite, aussi menacé par les contestations locales qui ne manqueront pas de naître partout où il y a un tant soit peu de population comme c’est le cas dans la plupart des régions où des gisements importants sont annoncés –. La banlieue parisienne étant certainement la plus emblématique.

D’autres corolaires positifs supplémentaires comme la création de milliers d’emplois ou le bas coût de l’énergie doivent être explicitement dénoncés. L’arrivée des exploitations de gaz de schiste ne crée pas des milliers d’emplois comme l’annoncent les sociétés gazières. Pire, la consommation d’eau et de terre et les pollutions potentielles risquent de détruire plus d’emplois encore dans des secteurs comme l’agriculture ou le tourisme. En ce qui concerne la diminution du prix du gaz, les sociétés gazières annoncent que la hausse de la production permettra de diminuer le coût du m³ (plus d’offre et demande similaire). Si ce scénario paraît correct, il néglige le lien, en Europe, entre le cours du pétrole et prix du gaz. Ce dernier devrait déjà diminuer si le lien était coupé. Hors c’est le prix élevé du gaz en Europe qui, à la fois, attire les sociétés gazières et leur permettraient d’exploiter de manière rentable les puits de gaz de schiste. En effet, aux États-Unis, la diminution brutale du prix du m³ de gaz suite aux exploitations non -conventionnelles a cassé la rentabilité des puits de gaz de schiste au point que nombre d’entre eux apparaissent comme non rentables[[Selon des sources gouvernementales américaines, le prix de reviens moyen d’un puits de gaz de schiste serait, aux États-Unis, de 6$/MBTU. Or, le prix du gaz sur le Henry Hub Exchange a varié en 2012 entre 1,85 et 3,62 $/MBTU. Sous cet angle, on comprend mieux la volonté des sociétés américaines, probablement étranglées financièrement, d’acquérir le droit d’exporter leur gaz dans des régions où le prix est plus élevé.]].

On le voit, le schéma économique du gaz de schiste est loin d’être pérenne. Si on ajoute les probables contraintes environnementales supplémentaires qui arriveront du cadre européen et les oppositions locales, le gaz de schiste européen a du souci à se faire.

Cela étant, d’autres raisons encore doivent être avancées pour montrer le danger énergétique du gaz de schiste. En effet, si le gaz de schiste devait se développer, il cannibaliserait une part importante des moyens qui doivent permettre la sécurité de l’approvisionnement énergétique futur. En effet, le gaz conventionnel russe – notamment – et les gazoducs « traditionnels » ont besoin de nouveaux investissements à la fois pour permettre de continuer à récupérer des milliards de m³ de gaz mais aussi pour parvenir à les amener jusqu’en Europe. Moscou a besoin des milliards européens pour investir dans la sécurité énergétique à venir des européens du continent. Ce risque financier, qui pourrait retarder des investissements, pourrait coûter cher est potentiellement très coûteux à terme aux États européens. En outre, il ne faut pas négliger l’actuelle relative « paix gazière » entre les États membres de l’Union et la Russie. Moscou, en cas de production de gaz de schiste à grande échelle en Europe, pourrait jouer le jeu de la concurrence et étouffer les exploitants européens de gaz de schiste en baissant ses prix ou en coupant le robinet, le temps de ramener l’Union et ses membres à une position plus acceptable. Cette possibilité ne peut être ignorée d’autant que l’Union ne peut envisager une indépendance énergétique basée sur son gaz de schiste ou celui que lui exporterait Oncle Sam.

Enfin, last but not least, l’Europe ne peut se permettre un énième détour dans sa route vers une plus grande autonomie énergétique. Certes le gaz est vu par de nombreux spécialistes comme le complément idéal aux énergies renouvelables. Mais soyons prudents. Orientons les investissements énergétiques futurs dans des sources énergétiques renouvelables. Le gaz de schiste, comme le gaz conventionnel, ne fait pas partie de celles-ci ; ne le laissons pas menacer les investissements de l’avenir que sont les investissements dans la réduction de la consommation d’énergie ou les énergies propres et durables. Ces dernières demandent des investissements considérables si l’on souhaite remplir nos objectifs environnementaux (pour ce qu’ils sont mais aussi pour le bien- être de la planète). Ce sont ces investissements-là qui doivent être soutenus par les politiques nationales et européennes.

4. Conclusion

Au cours de ces quelques lignes J’ai voulu tout d’abord expliquer la technique de la fracturation hydraulique pour permettre de sentir les dangers que celle-ci représente, en particulier sur le plan environnemental mais pas uniquement. Ensuite nous nous sommes penchés sur les contextes européens et les bouquets énergétiques des États. Enfin, nous avons vu les impacts environnementaux, économiques et géopolitiques du gaz de schiste.

Il nous faut maintenant revenir à la question fondamentale que doivent se poser les États membres, souverains dans leurs politiques énergétiques respectives. Les États doivent considérer leurs approvisionnements sur le long terme de manière à assurer la « sécurité énergétique ». Mais cette analyse doit se faire selon des critères objectifs, indépendants des intérêts particuliers et des lobbies. L’analyse doit donc porter sur l’ensemble des coûts de court, moyen et long termes. Les opportunités éventuelles doivent être considérées à la lumière de l’intérêt national ou européen et en comparaison avec les autre solutions possibles.

Le gaz de schiste est objectivement loin de satisfaire aux critères qu’un État doit prendre en compte pour définir son mix-énergétique. Non durable, faible économiquement à court terme et couteux à milliards à long terme, il menace à la fois l’environnement, l’équilibre géopolitique gazier entre l’Union et la Russie et la réorientation, pour le coup durable, de l’économie européenne vers les énergies vertes et renouvelables. Dans cette perspective, l’action actuelle du gouvernement polonais ressemble davantage à de l’ « activisme économique » – tout faire pourvu qu’on attire quelque milliards d’investissements étrangers, peu importe le coût pour la population, l’environnement,… – qu’à une politique étatique sensée.

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