Roel Jacobs, Vincent Laborderie, Nicolas Parent, Luk Ryckaert,
Dave Sinardet, Luc Van Coppenolle, Gilles Vanden Burre,
Philippe Van Parijs, Paul Vaute, Editions Mols 2012


Le débat institutionnel belge à l’heure actuel porte sur l’échéance que représente 2014 et, avec la victoire annoncée de la N-VA, l’idée qu’il pourrait s’agir des dernières élections pour la Belgique. Or, et c’est ce que tente de souligner l’ouvrage, les difficultés d’une séparation éventuelle sont telles qu’elle en apparaît quasi impossible. Ainsi, en droit, les modalités de séparation des États sont tellement particulières, et les exemples positifs peu nombreux, qu’ils ne peuvent servir d’exemple pour un scénario de scission belge. Le cas tchécoslovaque, pour ne citer que celui régulièrement mis en avant, a été si peu démocratique qu’il serait difficile d’y trouver une source d’inspiration. De même, une séparation unilatérale de la part de la Flandre est illusoire : les obstacles qui se dresseraient devant une Flandre ayant choisi cette voie, comme une reconnaissance internationale suite à cet unilatéralisme, font peser de larges doutes quant à la pertinence d’un tel procédé. Enfin, dans le cadre de la situation particulière qui prévaut en Belgique, les questions telles que celle des frontières, de la dette publique et du sort de Bruxelles représenteraient un degré tel de négociations, et donc de temps donné pour dégager un hypothétique accord, que la fragilité dont les entités témoigneraient vis-à-vis de l’international, et donc des investisseurs et des spéculateurs, obligent à mettre de côté le scénario d’un plan post-Belgique.

Dès lors, comment analyser ce plan B ? Il est tout d’abord nécessaire de garder à l’esprit que ce plan ne date pas de 2010 ni même de 2007. Sa première apparition se fait en 1997, dans le manifeste « Choisir l’Avenir » écrit par plusieurs universitaires. L’idée principale est celle de l’union de francophones à réaliser en cas d’indépendance de la Flandre. Un espace commun entre la Wallonie et la région de Bruxelles-Capitale serait à mettre en place, matérialisé par un lien territorial entre ces deux entités, lien territorial aujourd’hui absent. Or, plusieurs critiques existent à l’encontre de ce projet : déjà, plusieurs sondages ont démontré que cette envie d’union entre Bruxelles et la Wallonie n’était pas partagée par une majorité de bruxellois. Ensuite, cette question de la mise en place d’un lien territorial entre les deux entités relève plus de la psychologie que d’un fondement juridique ; de nombreux États ont ainsi des enclaves, souvent éloignées du territoire principal sans que la survie de ces entités ne soit menacée[[Par exemple, l’enclave de Kaliningrad, à plusieurs centaine de kilomètres de la Russie.]] . Enfin, dans le cas présent, la liberté de mouvement à l’entrée et la sortie de Bruxelles n’est guère menacée, tant de par la faible distance existant entre Bruxelles et la Wallonie que du risque que prendrait la Flandre en restreignant la liberté de mouvement dans une Europe basant ses principes sur les libertés de circulation. L’interdépendance économique très forte en Belgique entre les différentes régions pèse également sur l’idée d’une séparation indolore, ou « de velours » : un tel signe de rupture de confiance entre entités entremêlées ne serait que désastreuse pour des acteurs et investisseurs économiques cherchant avant tout la stabilité et la confiance dans les marchés.

La Belgique est donc quasi inséparable, les obstacles étant trop grands. Il est donc plus intéressant de s’interroger sur le champ des possibles qu’il reste à approfondir, à savoir les formes que pourraient prendre le fédéralisme voire le confédéralisme belge.

Une remarque à formuler d’entrée, et rapportée par une enquête menée en 2007 par le journal français Libération, est que le gouffre en Belgique aujourd’hui se réalise, non pas entre le Nord et le Sud, mais entre la population et la classe politique. Une des conclusions en est que l’absence de d’adhésion populaire devrait constituer en soi un obstacle suffisant à tout processus visant au démantèlement de l’État belge. De plus, comme démontré plus haut, le séparatisme semble impossible. Le confédéralisme est, dès lors, avancé comme étant l’étape restante vers laquelle le pays se dirigerait en 2014. Mais cette conception confédérale s’oppose également à un déni dans la réalité : au sens strict, le confédéralisme est une association d’États indépendants transférant à des organes communs l’exercice de certaines compétences. L’idée confédérale se heurte donc à une impasse. Celle-ci est cependant contournée par les promoteurs d’une idée fédérale belge où l’essentiel des compétences fédérales seraient réduites au minimum, laissant la « Maison Belgique » à l’état de coquille vide. L’article 35 de la Constitution, qui transfère les compétences résiduaires vers les entités fédérées, mais qui reste inappliqué à l’heure actuelle, est ainsi régulièrement mis en avant comme étant le meilleur moyen de parvenir à cette Belgique « light ». Mais d’autres scénarios existent également, dont celui se calquant sur le système en place au sein de la fédération helvétique.

Tous ces scénarios se heurtent à un obstacle de taille : le sort de Bruxelles. Toute idée d’une région bruxelloise insérée dans une Flandre indépendante ou laissée aux francophones se heurte à une impraticabilité certaine. De même, il est illusoire de voir Bruxelles évoluer vers un « district européen » et vers un condominium flamando-wallon qui ferait de Bruxelles, en cas d’indépendance des deux régions, un territoire administré par deux puissances étrangères. Pour Philippe Van Parijs, seul le projet d’une région bruxelloise pleinement autonome et égalitaire quant aux autres régions constitue la seule issue praticable, dans le scénario à venir de la prochaine réforme de l’État.

De même, dans cette optique de nouvelle réforme institutionnelle, l’idée de la circonscription fédérale reste importante. Cette idée, plus ancienne que l’on ne s’imagine, et bien qu’incertaine au niveau de sa faisabilité, réalise pourtant une fusion entre lutte contre la polarisation communautaire et renforcement de la légitimité démocratique.

La prochaine réforme de l’État verra, au final, se poser deux questions : la première concernant l’avenir d’un système institutionnel dual, qui voit coexister les niveaux régionaux et communautaires et qui voit s’opposer Flandre et espace francophone. La seconde sur le sort qui sera réservé à Bruxelles. Il ne s’agit plus maintenant de se demander quand aura lieu cette discussion mais plutôt quelle direction elle engagera. Or, le climat actuel crée le sentiment de l’évaporation programmée de la Belgique, évaporation initiée par l’envie flamande de plus d’autonomie. Ce sentiment est critiquable pour plusieurs raisons : il repose sur une perception francophone tronquée d’une pseudo aspiration indépendantiste du « peuple flamand » ; sur l’idée que la séparation du pays est inéluctable et réalisable ; sur le sentiment que toute nouvelle réforme de l’État ne peut qu’y contribuer. Or, comme démontré plus haut, aucune de ces trois idées ne collent à la réalité. Il est ainsi possible de réformer à nouveau l’État belge pour le rendre plus cohérent, notamment sur la mise en place d’une Belgique à 4 régions ou d’une simplification dans le nombre des niveaux fédérés existants. Il est également possible d’enclencher des mécanismes permettant la consultation de la population, comblant le vide existant aujourd’hui, et de plus en plus grand, entre représentants et représentés. Il est concevable, enfin, de réfléchir à de nouveaux mécanismes fédéraux assurant à la Belgique de se doter d’institutions à la fois autonomes, solidaires et complémentaires. Certaines solutions peuvent paraître radicales. Mais elles le sont beaucoup moins qu’un nouveau blocage que personne ne supporterait, ou qu’une scission du pays dont personne ne veut. C’est ce que souligne Vincent Laborderie en affirmant qu’il ne s’agit, en fait, que de sortir des carcans intellectuels et mentaux que l’on s’impose.

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