La thématique de l’économie verte a tenu le haut du pavé au sommet de la Terre, Rio +20. Mais quel en est le contenu politique ? La controverse n’est pas prête de s’achever. Cet article qui a été écrit avant la tenue de la Conférence en dresse les potentialités et les limites.
« La Conférence des Nations-Unies sur l’économie et le développement (CNUED) doit être le commencement d’un modèle économique basé sur la croissance sous les principes d’un développement durable, dans lequel la protection de l’environnement et la gestion rationnelle des ressources naturelles sont d’une importance capitale. » Cette citation est extraite de la Résolution 44/228 de l’Assemblée Générale des Nations-Unies du 22 décembre 1989, qui est considérée comme le fondement du premier sommet de Rio en 1992. Vingt ans plus tard, le chemin vers une « économie verte dans le contexte d’un développement durable et d’une réduction de la pauvreté » devait être une nouvelle fois emprunté lors de la Conférence des Nations-Unies sur le développement durable (CNUDD) du 20 au 22 juin 2012.
La refondation de l’architecture institutionnelle des Nations Unies pour le développement durable et l’environnement devait être la principale préoccupation des délégations des gouvernements, qui devaient aussi redonner un élan au « développement durable » tout en se mettant d’accord sur la situation environnementale et sociale actuelle. Néanmoins, on pouvait déjà entrevoir que ce sommet Rio+20 ne bénéficierait pas du rayonnement et du dynamisme qu’avait eu celui de 1992. Les processus de préparation se sont en effet déroulés de manière franchement molle sans mobilisation exceptionnelle de la société civile. Cette dernière a certes accompagné le processus mais a constaté à raison que le contexte d’une conférence des Nations Unies et d’affrontement politique et économique ne permettait pas une réelle discussion de fond sur un nouveau paradigme économique et social de nature à répondre aux crises que nous connaissons (financière et économique, climatique, alimentaire, sociale).
La critique de la croissance et les appels pour un autre paradigme économique, le souhait d’un nouveau modèle de prospérité ainsi que celui d’autres modes de vie sont autant de thématiques qui ne sont plus seulement développées à certains milieux sociaux et aux cercles universitaires. De nouvelles recherches ont été lancées afin de poursuivre les analyses et les conceptualisations commencées durant les années 1970 et 1980 sur les limites de la croissance et sur la décroissance. Elles cherchent à découvrir des alternatives sociales et économiques aux marchés et au capitalisme financier actuellement en place. Les nouvelles et anciennes propositions comme celle de « la prospérité sans croissance » ou celle d’en finir avec « le mythe de la croissance sans fin » sont à nouveaux discutées largement. De plus, ces discours dépassent les frontières des pays industrialisés. Le concept du « Buen Vivir », originaire d’Amérique Latine, les recherches sur les mouvements sociaux ou les publications d’économie critique sont de plus en plus débattus dans les pays émergents et en développement, ce qui indique que la critique fondamentale du productivisme et du modèle consumériste s’étend, et que la conjoncture est mûre pour leur approfondissement.
C’est au cœur de ces discussions fondamentales que se déploie, depuis quelques temps, le débat sur l’économie verte. Il est repris par les organisations régionales et internationales comme l’Union Européenne, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), et plusieurs organisation du système de l’ONU, pour apporter des réponses aux défis du changement climatique, de l’épuisement des ressources naturelles, et même des crises alimentaires. Les propositions du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE) et de l’OCDE sont interprétées comme des signaux pour Rio+20. Elles seront analysées plus bas.
La conférence Rio+20 de juin 2012 devait constituer l’espace scénique pour ces créations conceptuelles, dont beaucoup craignent qu’elle ne devienne le lieu d’une subversion du mot clé « développement durable » hérité de 1992. Une nouvelle « feuille de route verte » (Green Economy Roadmap) devait surgir des négociations de Rio+20 – tel sont l’objectif et les vœux de l’Union Européenne.
Des controverses hautement politiques subsistent à propos de ce que l’économie verte est et doit être, et aussi à propos des indicateurs et instruments à partir desquels elle devrait être érigée – comme elles existent depuis le sommet de 1992 sur les trois dimensions du développement durable (NdT : équité sociale, efficacité économique, prudence écologique).
Le PNUE joue un rôle clé dans la conceptualisation de ce qu’est l’économie verte. Avec le « Global Green New Deal », il appelle depuis 2008 à la création de programmes nationaux d’investissements, pour impulser une transition économique visant une réduction mondiale des émissions de carbone. Par ailleurs, il mène depuis des années un débat concernant la protection des écosystèmes par les instruments du marché. Les cas de la protection des forêts et de la biodiversité illustrent cette vision : le PNUE veut protéger les écosystèmes tout en préservant les « services écosystémiques » qu’elle offre à l’humanité et aux populations locales (en intégrant sa valeur dans le calcul du Produit National Brut (PIB)). Le PNUE veut donner aux écosystèmes une valeur marchande pour favoriser les investissements : « A green economy regognizes the value of, and invests in, natural capital ».
L’OCDE, qui regroupe les pays industrialisés, discute depuis 2009 une stratégie de croissance dans le cadre d’une économie verte. En résumé, les conditions initiales de négociations ne sont pas mauvaises, et peuvent permettre aux états membres de l’ONU de fixer des priorités pour une économie verte. Et il est plus que temps de se pencher politiquement et publiquement sur ces orientations.
Une économie verte « à la PNUE »
Depuis 2008, le PNUE propose la principale initiative pour enclencher une transition vers une économie verte, sous le titre « Green Economy Initiative ». A côté des travaux d’évaluation économique des écosystèmes et de la biodiversité (TEEB-Studie) menées par Pavan Sukhdev, a été présenté un volumineux rapport en février 2011 qui est la pièce maîtresse de cette initiative : « Towards a Green Economy – Pathways to Sustainable Development and Poverty Eradication ». Ce document est clairement l’un des apports essentiels à la conférence Rio+20, et ses retombées étaient visibles dans le communiqué de préparation du Secrétariat Général. Il regroupe des analyses et des recommandations pour le développement durable et l’économie verte. Le rapport table grandement sur le fait que les investissements verts, bien plus que les investissements « classiques », promettent des effets vertueux sur l’emploi, l’efficacité énergétique, les émissions de gaz et finalement l’environnement en général.
Le PNUE cible des objectifs pour des investissements dans dix secteurs clés (dont l’énergie, l’agriculture, l’urbanisme, la gestion de l’eau, du bois, et la protection des écosystèmes), qui permettraient une mise en place rapide et effective d’un développement vert et social – le tout appuyé par des faits précis et des démonstrations économiques.
Ces investissements pourraient être financés avec 2% de la richesse mondiale produite par an (environ 1 300 milliards de dollars ou 1000 milliards d’euros). Le prix pour une impulsion efficace d’une transition vers une économie mondiale sans CO², gérant de manière optimale ses ressources. Le principal secteur bénéficiaire serait celui de l’énergie avec environ 360 milliards de dollars, centrés sur les énergies renouvelables et une production énergétique écologique favorisant la réduction de la pauvreté. Suit le secteur des transports et de la construction (respectivement 190 et 134 milliards de dollar), puis celui de la pêche et de l’agriculture (110 et 108 milliards). Ces investissements devraient davantage favoriser la création d’emplois, que les investissements classiques – c’est du moins le pronostic du PNUE.
Ces investissements devraient être promus à l’intérieur d’un paquet comprenant une série d’indicateurs, d’instrument et de cadres politiques. On retrouve ici, de manière générale et condensée, sans aucun rapport avec les Etats, les instruments que l’on retrouve depuis 40 ans sous les labels de la modernisation écologique et de l’économie de marché. Tout ce « Policy Mix » d’interdictions, de standards socio-économiques et d’instruments économiques comme l’impôt, les taxes et les contrats négociables se retrouvent appliqués à chaque secteur. Ce sont les gouvernements qui sont chargés d’établir les conditions générales de cadre (enabling conditions) et de montrer l’exemple dans les commandes publiques en prenant en considération, en tant qu’investisseur, la durabilité des produits achetés.
Le PNUE met l’accent sur la suppression des subventions écologiques et sociales, nuisant à une utilisation optimale des ressources naturelles et à la mobilisation de moyens financiers en vue d’un développement écologique et social. L’ensemble des subventions mondiales annuelles pour les matières fossiles atteignent 600 milliards de dollars. Dans le secteur de la pêche, elles sont de 27 milliards de dollars – une grande partie étant destinée à la pêche intensive. Les subventionnements de l’eau, de l’énergie ou de la pêche ne profitent, d’après le PNUE, ni aux pauvres ni aux très pauvres. Si la suppression des subventions devait quand même entraîner des disparités sociales, le PNUE plaide pour des indemnisations pour les groupes de populations touchées (ce qui implique cependant l’existence d’institutions étatiques capables de les organiser).
Le PNUE définit l’économie verte comme une économie amenant à une amélioration du bien-être de l’humanité et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux ainsi que l’épuisement des ressources. Le découplage de la consommation de matières premières et de la croissance économique est explicitement énoncé comme un objectif à atteindre (sans égard pour la question de savoir si cela est purement et simplement possible).
« Dans une économie écologique de marché, il ne s’agit pas de freiner la croissance et la prospérité, mais de réexaminer ce que signifie réellement le bien-être », comme que le fait, au PNUE, Pavan Sukhdev, coordinateur de la « Green Economy Initiative » et détaché pour cette tâche de la Deutsche Bank. Dans l’économie de marché écologique « à la PNUE » se retrouve des recommandations et des incitations à investir dans ce qu’on appelle les services écosystémiques. Ces derniers sont, d’après la vision du PNUE, largement sous-évalués : « Ces services éco-systémiques sont très souvent des services publics et des biens communs que leur invisibilité économique a contribué à sous-estimer et à mal gérer, jusqu’à leur perte. » Ce « capital naturel » est considéré comme le levier de l’économie verte. REDD (Reducing Emissions from Deforestation and Degradation), qui est depuis les négociations sur le climat à Bali (2007) un instrument très discuté visant la protection des forêts, constitue une occasion unique de transformer une utilisation non-durable des forêts (déforestations dues au commerce du bois et à l’élevage) en une utilisation verte, en rémunérant les forestiers et les paysans pour leurs services écologiques.
Le rapport met en exergue les effets positifs sur la croissance, l’emploi et l’environnement des investissements verts dans les secteurs clés et les services écosystémiques. Le PNUE veut surtout combattre le préjugé voire le mythe présent dans les gouvernements du sud de la planète selon lequel les investissements environnementaux se feraient sur le dos de la croissance économique et selon lequel l’écologie et l’économie serait en contradiction. L’économie verte ne serait pas un luxe que seul les pays industrialisés pourraient se permettre mais un moteur de croissance, plus efficace dans la lutte contre la pauvreté que les investissements « bruns » et « business as usual ».
Un concept à portée limitée
Ce qui est ici proposé et envisagé n’est pas un nouveau paradigme économique qui se demande à quoi devrait ressembler l’économie pour s’intégrer à un écosystème limité, et contribuer au bien-être tout en réduisant la pauvreté. Il n’est pas question d’interroger fondamentalement l’impératif -récurrent- de la croissance. Au contraire, les investissements sont explicitement considérés comme des facteurs de croissance. « Avec l’aide des technologies environnementales et une gestion efficace des ressources, le capitalisme peut s’assurer un avenir viable. » Le concept d’une «économie verte ‘à la PNUE’ » ne contient rien qui soit de nature à révolutionner l’économie mondiale, ni de concept général capable de transformer les paramètres macroéconomiques fondamentaux (politiques monétaire, budgétaire et commerciale) dans un sens éco-social. Au contraire, le PNUE ne fait preuve d’aucun courage quand apparaît la question des sources de financement capables de fonder une économie verte. Le PNUE aurait pourtant pu saisir une belle occasion de promouvoir son plaidoyer en faveur d’une synergie entre économie et écologie. Par exemple, le transport aérien, maritime et leurs redevances, d’une part, peuvent adopter une orientation écologique, et d’autre part, contribuer à un fond qui pourrait être destiné à des projets écologiques d’habitation ou de développement dans les pays du Sud.
Les principaux défauts des rapports soumis sont les suivants :
Le PNUE ne fonde pas sa définition sur des principes de droit international, de droits ou de normes (droits de l’homme généraux, le droit à l’eau, le droit à l’alimentation, le droit de l’environnement) que devraient respecter une économie verte. Le seul renvoi aux trois dimensions du développement durable n’y suffisent pas. Depuis le sommet de Rio de 1992, des progrès résultant d’un travail de relecture et de codification ont été pourtant faits concernant la codification des droits de l’homme liés à l’environnement et à l’équité sociale. La dimension sociale est exclusivement considérée dans le contexte du marché de l’emploi et de la réduction de la pauvreté. Les droits sociaux et politiques englobent plus que cela. Une prise en compte des différences de genre est totalement absente.
Le rapport du PNUE ne se soucie pas d’ajouter à sa définition de l’économie verte une exclusion progressive des activités non-durables, polluantes et dangereuses à l’aide de priorités claires. C’est ainsi que l’économie verte est « verte » malgré le nucléaire civil, les sables bitumineux, les organismes génétiquement modifiés, ou les monocultures. Le PNUE s’en tient au mythe de la stratégie « Win-Win » et évite une transition politique clairement favorable à la protection de l’environnement et à une exploitation des ressources naturelles. Aucun secteur d’investissement n’est ciblé comme devant être arrêté. Ainsi comprise, l’économie verte est davantage un additif stratégique qu’une approche fondamentale de l’économie.
Les contradictions entre le libre échangisme et une transformation écologique ne sont que survolées. La question de savoir comment le système financier international peut être radicalement reformulé, en vue d’un développement vert, durable et social, n’est pas envisagée comme un horizon, ni pensé dans cette perspective.
Le PNUE présente les instruments de régulation basé sur le marché comme une panacée, à l’instar du commerce des émissions de carbone ou du programme REDD+. Ceux-ci sont pourtant depuis longtemps la cible des critiques en ce qui concerne leurs impacts sociaux et écologiques, et fondamentalement en ce qui concerne leur mise en pratique (comme une réforme de fond du marché des émissions de carbone). La critique la plus vive concerne la marchandisation des ressources naturelles, qui les rend attirante pour les entreprises et les abandonne à la marchandisation. Dans la mesure où elle instaure une nouvelle étape de privatisation et de commercialisation, la «valorisation » des services environnementaux comme le PNUE les appelle ont été violemment critiqués par certains gouvernements comme le gouvernement bolivien et des organisations de la société civile. Au lieu de gérer en commun ces ressources avec les populations et les protéger contre la commercialisation, la nature serait transformée en marchandise ce qui peut mener parfois au déplacement de populations. Les controverses relatives à ce concept entre les groupes de défense des populations locales, les organisations non-gouvernementales (ONG) et les administrations particulières ne sont pas prêtes de s’éteindre.
Le PNUE oriente son programme d’investissement quasi-exclusivement vers les pays du Sud. Son champ d’action en est logiquement déduit. Convaincre du bien fondé, d’un point de vue économique, des investissements verts pour favoriser le développement est certes une stratégie adéquate. Cependant, de toute évidence, les pays industrialisés considèrent que le projet d’une économie verte du PNUE ne s’adresse pas directement à eux, mais aux programmes environnementaux et de développement des pays du Sud (avec toutes les opportunités d’investissement qu’ils induisent). Ainsi l’image du PNUE se cimente comme celui d’un acteur tourné exclusivement vers les problèmes environnementaux des pays du Sud, plutôt que celui d’un prescripteur de priorités (de normes et de principes) pour les pays industrialisés.
Le concept d’économie verte du PNUE est étroitement limité. Il s’agit d’un programme d’investissement (incluant d’utiles recommandations pour les cadres de gouvernance) qui est destiné à peindre de touches de vert le PIB mondial, à réduire légèrement les émissions de carbone et l’exploitation des ressources naturelles. Malgré ses lacunes, cette initiative peut certainement être encouragée. Pour le PNUE, qui n’est qu’un programme des Nations-Unies et non pas l’une de ses organisations autonome, ces propositions sont audacieuses et de grande portée. Simultanément, le PNUE est la seule organisation du système de l’ONU qui ait proposé et pensé un projet construit autour de priorités économiques. Il pourrait bien constituer, s’il reçoit l’attention des Etats participants, l’un des principaux documents propositionnels des négociations de Rio+20.
‘Economie verte = croissance verte’ : le débat à l’OCDE
Lors de la réunion du conseil de l’OCDE de juin 2009, mandat a été donné par 34 ministres de réfléchir aux conditions d’une stratégie pour une croissance verte. En mai 2011, l’organisation en expose le concept. Il s’agit là aussi de l’une des contributions majeures aux discussions de Rio+20. Le point de départ de ces réflexions est constitué par le risque du changement climatique et par l’inquiétude quant aux réductions drastiques des ressources naturelles et des matières premières, la perte de la biodiversité, la surpêche, la raréfaction de l’eau et des sols. « Nous avons besoin d’une croissance verte, parce que les risques qui menacent le développement augmentent quand la croissance économique continue de se nourrir du capital naturel », est-il dit dans le rapport. De nouvelles sources de croissance doivent être viabilisée à travers l’augmentation de la productivité (efficacité énergétique et dans l’utilisation des ressources), les innovations (nouvelles formes d’évaluation pour affronter les problèmes environnementaux), et de nouveaux marchés (favoriser la demande en technologie, produit et service écologiques). La stratégie pour une croissance verte doit fonctionner comme une lentille optique, « à travers laquelle la croissance doit être regardée » et elle doit empêcher « que les seuils critiques environnementaux soient dépassés aux niveaux locaux, régionaux et globaux ». Les innovations permettent de toujours faire reculer ces seuils, et contribuent même à « découpler la croissance économique et l’utilisation du capital naturel ». Les investissements destinés à optimiser l’utilisation du capital naturel sont considérés comme essentiels pour sécuriser les apports en matières premières et en ressources à l’économie. L’internationalisation des coûts environnementaux incite à l’innovation (en fixant le prix du carbone à un haut niveau), tout comme la réduction des subventions aux activités néfastes à l’environnement. L’expansion des énergies renouvelables et des nouvelles technologies environnementales permettra la création de millions de nouveaux emplois ; dans le domaine de la production et de la distribution des énergies renouvelables, l’OCDE prévoit que « d’ici à 2012, jusqu’à 20 millions de nouveaux emplois pourraient être crées ».
Il est remarquable de constater que dans cet appel pour une croissance compatible avec l’environnement, et en particulier en ce qui concerne l’appel à une internalisation des coûts environnementaux, il est observé que les instruments basés sur le marché « ne sont pas la meilleur solution dans toutes les situations », et que « dans bien des cas un règlement bien conçu est un instrument mieux approprié ». Le bon vieux principe ordo-libéral affirmant l’importance d’un cadre général stable garantissant la confiance, la sécurité et la prévisibilité se trouve confirmé, sans surprise, dans la stratégie de l’OCDE.
Si, comme prévu, cette stratégie devait trouver sa place dans les rapports nationaux de l’OCDE et donner plus de précision à d’autres études sectorielles, cela constituerait un petit progrès par rapport à la stratégie de la « croissance par-dessus-tout ». L’inquiétude concernant l’épuisement de facteurs importants de production constitue une véritable menace économique. Elle apparaît surmontable.
Conformément à la stratégie de l’OCDE, le « MacKinsey Global Institue » a publié un document consacré à la révolution des ressources naturelles. Ce rapport met en garde contre les conséquences de l’épuisements des ressources sur une augmentation dramatique de la volatilité des prix et à une réduction importante de certains facteurs de production. La réponse exclusive est toujours la même : productivité, efficience, innovation et investissement en milliards avant tout dans le « système de ressources » pour assurer la demande future de ressources. Aux grands « défis » (hausse des coûts pour l’énergie et les matières premières) correspondent des « opportunités » économiques qui doivent faire saliver.
Comme dans la stratégie du PNUE, les technologies et les choix d’innovations restent au premier plan de l’OCDE. L’espoir réside dans le découplage absolu ; il fait partie de la profession de foi, alors que la plupart des recherches montrent clairement qu’un découplage entre le PIB et l’utilisation des ressources n’a pas été constaté. Si le découplage est absolument nécessaire, « la réduction absolue de la consommation de ressources est une urgence. La question est : comment l’atteindre ? Quel niveau de découplage peut-il être est réalisable technologiquement et économiquement ? ». Il est donc juste de considérer la révolution de l’efficience comme un champ d’activité économique et d’en faire la promotion.
Premièrement, malgré le fait qu’elle soit présentée comme une panacée, il est maintenant clair que nous ne pouvons pas, sans nous autolimiter (et aussi efficient que nous soyons) soutenir nos économies et nos modes de vie à l’intérieur des limites écologiques. Deuxièmement, la révolution de l’efficience est décrite comme quelque chose ne produisant que des effets « win-win », sans conséquences sociales négatives. Depuis que les cultures de masse de biocarburant remplacent les cultures alimentaires, il est clair que les prétendus investissements verts ont besoin d’une évaluation sociale et technique crédible, sous contrôle démocratique et avec la participation de la population. L’économie verte exige une boussole sociale pour les opérations de redistribution au bénéfice de la population en générale, et en particulier celui du cinquième le plus défavorisé. Dans les pays les plus pauvres, l’aide doit être plus élevée et sous contrôle démocratique et participatif. Aucune des conceptions, ni celle du PNUE ni celle de l’OCDE ne propose ce contrôle et cette redistribution de manière approprié.
L’économie verte dans la négociation de Rio+20
Le PNUE et l’OCDE ont élaboré leurs concepts d’économie verte pour servir de base propositionnelle lors des négociations de Rio+20. Ces approches, recommandations et propositions trouveront-elles un écho lors du sommet ? Comment seront-elles considérées et évaluées ?
Prolégomènes : Si les Etats membres de l’ONU pouvaient se mettre d’accord sur une feuille de route, avec des objectifs et un calendrier en vue d’un développement vert, respectueux du climat et de l’environnement, cet exemple pourrait devenir un pas en avant vers la « décarbonisation de l’économie mondiale ». Pour les Nations Unies, qui disposent d’une grande force normative dans le domaine du développement durable, ce serait une victoire significative. De véritables réformes institutionnelles se réaliseraient si elles visaient le renforcement de l’architecture des Nations-Unies pour l’environnement. Un consensus pour une mise à niveau du PNUE est à même d’apparaitre. En revanche, le processus de préparation du sommet de Rio+20 ne laisse entrevoir qu’un faible espoir pour des accords ou des mesures concrètes.
Parmi les négociateurs un scepticisme à l’égard du concept d’économie verte se laisse observer, en particulier parmi ceux des pays émergents. L’économie verte n’est-elle pas un obstacle à la croissance et à l’élimination de la pauvreté ? La croissance verte n’est-elle pas plus lente que la « normale » ? N’est-ce pas là encore une invention des pays industrialisés pour ouvrir de nouveaux marchés mondiaux ? Un protectionnisme vert est-il à redouter ? Qui sont les gagnants et les perdants d’une économie verte ? Toutes ces questions ont été posées dans le rapport invitant à la seconde réunion de préparation du sommet de Rio+20 en mars 2011, et se retrouvent dans le premier projet de document final rédigé en janvier 2012, et risquent, dans le même temps, de ralentir les préparations régionales et globales. Surtout, comment faire en sorte qu’une feuille route pour une économie verte, appuyée par les représentants de l’UE, ne se résume pas à une vaine conjuration ? Ni un consensus ni une définition commune de ce qu’une économie verte serait et devrait être, ne se laisse entrevoir.
Martin Khor, directeur du groupe « Centre Sud », qui représente une cinquantaine de pays émergents et en développement à Genève, a dès le mois de mars 2011 fait connaître ses vues sur le concept d’économie verte. Sa critique est également présente dans l’ébauche du document final du sommet de Rio+20.
La critique de Khor comprend de nombreuses bonnes et importantes suggestions en faveur du développement durable, notamment lorsqu’il aborde la dimension sociale d’une approche des droits de l’homme basée sur le développement et la réduction de la pauvreté, et fondée sur une stratégie économique. Le « Centre Sud » n’a, malheureusement, pas encore produit de rapport détaillé sur le rapport du PNUE concernant l’économie verte. Au moment de la publication de l’avis en question, le rapport du PNUE était pourtant bien connu, ainsi que la stratégie de la « croissance verte » de l’OCDE, qu’il ne couvre pas non plus.
La critique que Martin Khor porte est dépassée en plusieurs points, et s’oriente encore vers un questionnement sur les rapports de forces entre le politique et l’économie qui avait été largement abordé au sommet de la Terre de 1992. Au lieu de définir de manière cohérente une économie verte ayant un potentiel pour un développement écologique et juste, il s’étend sur une exposition des vieux schémas du conflit Nord/Sud. L’économie verte est critiquée pour être une couverture protectionniste au service des intérêts du Nord. Khor souligne à juste titre que l’économie verte ne doit pas être un ensemble de mesures produisant des distorsions de concurrence et des nouvelles barrières à l’importation à l’encontre des produits provenant de pays en développement. Il est juste d’identifier les accords bi- et multilatéraux dans ce domaine. Cependant, il n’y a pas que les pays industrialisés qui veulent vendre leurs technologies au monde entier (sinon y porter leurs investissements). Les fabricants chinois de panneaux solaires sont les leaders du marché mondial.
S’il est vrai que les pays industrialisés du Nord portent une large responsabilité quant à la pollution, à la perte de biodiversité et au changement climatique, devant conduire dans l’immédiat à des échanges et à des compensations, il est irresponsable, compte tenu du dynamisme économique du Sud, de protéger les gouvernements et de rejeter toute responsabilité, dès lors que les ressources nécessaires aux générations actuelles et futures ne sont pas assurées.
Le PNUE a ciblé dans son rapport des secteurs à haut potentiel pour l’économie verte. A aucun moment ce programme d’investissement ne semble pouvoir réaliser un consensus avec les pays émergents. Il aurait été souhaitable que le « South Centre » critique de manière constructive les lacunes de la proposition du PNUE, et favorise la formation des conditions d’acceptation d’un développement vert, sans émission de carbone et gérant sainement les ressources naturelles.
Remarques conclusives
Le document de préparation de Rio+20 reprend la définition du développement durable qui avait émergée de l’Agenda 21 et de la conférence du sommet de Rio de 1992 – et l’élargit. Il est juste de mettre l’accent sur l’équilibre des générations, et sur les dimensions sociales du développement. Le discours de Rio+20, ainsi que les réflexions et les recommandations pour une économie verte émanant du PNUE et de l’OCDE, sont mis en relation avec les crises climatique, alimentaire et celle des ressources naturelles. Rio+20 pourrait être une grande chance de fixer des priorités et de proposer des solutions. Des propositions sont posées en vrac sur la table. Celui qui veut empêcher la surpêche doit en limiter les quotas. Celui qui veut remédier au changement climatique doit réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Celui qui veut nourrir l’humanité trouvera dans l’Evaluation internationale des sciences et technologies agricoles pour le développement (IAASTD) une aide pour concevoir une agriculture sociale et écologique. Celui qui veut arrêter la déforestation doit adopter une législation appropriée et s’attaquer avant tout à l’exploitation illégale du bois.
Les mesures politiques amenées en réponse aux défis à relever sont modestes. Plusieurs politiques nationales minimales déjà enclenchées se poursuivront dans le domaine des énergies renouvelables, en Chine ou en Europe, car elles se retrouvent en filigrane dans les textes de préparation de la conférence de Rio+20. Heureusement qu’il existe, un peu partout dans le monde, des pionniers du durable.
Rio+20 ne doit pas être la répétition des sommets mondiaux précédents, mais un véritable point de départ pour un monde social, juste, sans émission de carbone et assurant une gestion saine de ses ressources naturelles. Une volonté politique ambitieuse ne se trouve ni au Nord, ni plus au Sud. Les approches du « Business as usual » et d’un développement exploitant les ressources naturelles continuent de dominer. Rio+20 ne connaîtra pas de grand remous, quand même la proposition « verte », limitée, du PNUE n’a qu’une chance minime de s’élever en programme d’action ou en feuille de route pour une économie verte.
Toutefois, aussi longtemps qu’il y aura des acteurs politiques dans le monde qui ne feront pas que discuter, mais agiront, vivront, et produiront par delà les errements politiques, sociaux, économiques et écologiques, il y aura quelque chose à défendre. Cela donne de l’espoir.
Une évaluation du premier sommet de Rio par l’auteure : Barbara Unmüssig, « Entre espoir et désillusion. La conférence des Nations-Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) : une estimation », Nations-Unies, 40. Jg., 4/1992, S117-122.
Voir : Document de l’ONU, A/RES/64/236 v. 24.12.2009.
Tim Jackson, Wohlstand ohne Wachstum – Leben und Wirtschaften in einer endlichten Welt, Heinrich-Böll-Stiftung, Munich, 2011 [NdT : La prospérité sans la croissance. La transition vers une économie durable, Etopia, édition De Boeck, avril 2010.]
Thomas Fatheuer, Buen Vivir – Recht auf gutes Leben, Schriftenreihe Ökologie der Heinrich-Böll-Stiftung, Band 17, Berlin 2011.
Par exemple, Chandran Nair, Consumptionomics. Asia’s Role in Reshaping Capitalism and Saving the Planet, Oxford 2011.
Voir : The Economics of Ecosystems and Biodiversity (TEEB), Mainstreaming the Economics of Nature : A synthesis of the Approach, Conclusions and Recommandations of the TEEB, 2011.
PNUE, Towards a Green Economy. Pathways to Sustainable Development and Poverty Eradication, Nairobi, 2011.
Voir : HYPERLINK «http://www.unep.org/greeneconomy/»www.unep.org/greeneconomy/
Voir : HYPERLINK «http://www.earthscan.co.uk/?tabid=102480»www.earthscan.co.uk/?tabid=102480
PNUE, Deutschsprachige Presseerklärung anlässlich der Präsentation des ‘Green Economy Report’, 21.02.2012, HYPERLINK «http://www.unep.org/greeneconomy/Portals/88/documents/ger/GER_press_de.Pdf»www.unep.org/greeneconomy/Portals/88/documents/ger/GER_press_de.Pdf
PNUE, Towards a Green Economy, Ibid, (Anm. 7), S. 22.
REDD+ and a Green Economy: Opportunities for Mutually Supportive Relationship, UN-REDD Programme, Policy Brief, Issue n° 01, 2011.
Voir Jackson, Ibid.
Nils Simon, Susanne Dröge, Green Economy : Vision mit begrenzter Reichweite, SWP-Aktuell 19, mars 2011.
Christa Wichterich, The Future We Want. Eine Feminitische Perspektive, Heinrich-Böll-Stiftung, Berlin, 2012.
Thomas Fatheuer, Dollars, Hoffnungen, und Kontroverse. REDD in Amazonien, Blog ‘Klima der Gerechtigkeit ‘, 8.11.2010, en ligne : HYPERLINK «http://www.klima-der-gerechtigkeit.boellblog.org/»www.klima-der-gerechtigkeit.boellblog.org/; et, Die Waldfrage in Durban. Hoffnung, Furcht und kleine Schritte, 16.12.2011.
La Conférence des Nations-Unis pour le Commerce et le Développement en présenté la substance récemment : The Road to Rio+20. For a Development-led Green Economy, New-York et Genève, 2011. Du côté de l’UNESCO : From Green Economy to Green Societies. UNESCO Commitment to Sustainable Development, Paris, 2011.
OCDE, Vers une croissance verte, mai 2011 : HYPERLINK «http://www.oecd.org/dataoecd/37/49/48224700.pdf»www.oecd.org/dataoecd/37/49/48224700.pdf.
OCDE, Vers une croissance verte, p. 4.
OCDE, Vers une croissance verte, p. 8.
OCDE, Vers une croissance verte, p. 12.
OCDE, Vers une croissance verte, p. 19.
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Daniel Mittler, Vorwärtz zur Green Economy ?, Rundbrief Forum & Entwicklung, 3/2011.
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Tim Jackson, Ibid, p. 88.
WBGU, Welt im Wandel, Gesellschaftvertrag für Grosse Transformation, Hauptgutachten, Berlin 2011.
Voir la contribution de Steffen Bauer, Nations-Unies, 1/2012, p. 10-15.
Document de l’ONU. A/CONF.216/PC/7 v.22.12.2010.
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Martin Khor, Risks and Uses of the Green Economy Concept in the Context of Sustainable Development, Poverty and Equity, Centre Sud, Research Paper 40, Genève, Juillet 2011.
Voir : HYPERLINK «http://www.weltagrarbericht.de/»www.weltagrarbericht.de/