Premier émetteur mondial de gaz à effets de serre, premier consommateur mondial d’énergie, deuxième économie mondiale…, les chiffres pour qualifier la Chine donnent des vertiges. La tête tourne lorsqu’on ajoute à ceux-ci que la Chine est le plus grand partenaire commercial de l’UE mais aussi un partenaire de paix. Un partenaire donc.
Pour comprendre les défis du changement climatique et énergétique en Chine, puis tenter des esquisses de solutions, on ne peut faire l’économie des chiffres.
Le rapport 2011 de l’Agence Internationale de l’énergie (‘World Energy Outlook’, 2011) regorge d’informations essentielles pour bien saisir le défi chinois. Forte de 1,3 milliards d’habitants en 2009, la Chine affichait une demande énergétique de 2.130 milliards de tonne équivalent-pétrole, alors que 8 ans plus tôt, elle atteignait les 870 milliards : cette augmentation, minime en termes relatifs (5%) inquiète de par l’ampleur des chiffres absolus[[http://www.iea.org/textbase/nppdf/free/2010/belgium2009.pdf
]]. A titre de comparaison, la demande énergétique belge était de 40 milliards en 2007.
La croissance chinoise présente un paradoxe énergétique : d’un côté la Chine se rue sur les ressources traditionnelles (pétrole, gaz, charbon, nucléaire) pour nourrir sa croissance et de l’autre, elle investit massivement – pour assurer sa croissance à venir- dans les éléments d’une révolution verte, à savoir les énergies renouvelables et les gains en efficacité énergétique. Un nouveau type de yin et de yang.
Le yin ou la course effrénée aux énergies traditionnelles
Aujourd’hui, 66% des besoins en énergie sont couverts par le charbon, dont la Chine est devenu un importateur net depuis 2009 et restera le premier consommateur mondial jusqu’en… 2035. La demande chinoise en gaz naturel est également en constante progression: l’Agence Internationale de L’Energie prévoit qu’elle passe de 85bcm en 2010 à plus de 600 bcm en 2035!
Forte d’une armada d’entreprises d’états, de banques invitées à prêter à taux réduit, de régulateurs aliénés au gouvernement central, la Chine a entrepris un virage historique dans la production d’énergie tous azimuts : investissements dans des pipelines pour relier l’Asie Centrale et importer du gaz turkmène (au nez des russes encore médusés de cette audace), investissements pétroliers en Afrique, construction forcenée de centrales nucléaires, exploration de pétrole off-shore…, la liste est longue.
Profitant de la crise économique et financière et de la chute subséquente du prix du baril, la Chine a acquis en un temps record des matières premières et des avoirs dans des sites majeurs de productions de pétrole (Arabie Saoudite, Russie, Brésil : 3 accords scellés en 2010[[China’s energy security: Prospects, challenges and opportunities. Dr Zhang Jian (Chief Economist, World Bank); The Brookings Institution – Center for Northeast Asian and Policy Studies.
]]).
Cet appétit pour les ressources fossiles en dehors de son territoire n’est pas sans conséquence au niveau géopolitique : les délicats équilibres construits depuis des décennies doivent être repensés, les alliances refondées avec l’inclusion de la Chine comme nouvel acteur.
L’Arctique et la Mer de Chine sont désormais les nouveaux champs de bataille pour ce pays soucieux de préserver un droit d’accès sur les ressources naturelles, ce qui n’est pas sans susciter des tensions notamment du côté des Etats-Unis, jaloux de leurs zones d’influences.
A cet égard, la politique chinoise de sécurité énergétique devient un réel enjeu de sécurité au sens premier du terme, comme le démontre le soudain intérêt de l’OTAN ou de puissants Think-Tanks américains, spécialisés dans les questions de défense.
Autre conséquence de cette course effrénée aux énergies traditionnelles : le coût environnemental. A force de construire des centrales nucléaires avides en eau ou des barrages hydro-électriques pour lesquels des cours d’eau ont dû être déroutés, la terre chinoise se vide de précieuse ressources hydrauliques sous-terraines.
Chaque année, environ 2 millions d’hectares de terre arable sont abandonnés par les fermiers chinois puisque devenues trop arides pour y cultiver quoi que ce soit. Les rivières débordent de leurs lits forcés créant ainsi des inondations massives, les métaux lourds envahissent les légumes du quotidien, l’air déborde de particules en tous genres. L’écosystème chinois sature.
Le yang ou la Chine comme nouveau green leader
L’énergie renouvelable n’est pas en reste de cette croissance faramineuse : la Chine se place désormais dans le peloton mondial de tête pour la production d’éoliennes et de cellules photovoltaïques. Sa capacité à équiper ses villes en énergies renouvelables est également saisissante : aidées par le soutien de la Banque Chinoise au Développement, les entreprises chinoises du secteur solaire ont bénéficié (au cours des 5 dernières années) d’un coup de pouce de 30 milliards de dollars sous forme de prêt à taux réduits, permettant ainsi une diminution notoire des coûts de production[[Provoquant au passage l’indignation des sénateurs américains dans une lettre adressée au Président Obama en août 2011; The Guardian, 12 Septembre 2011: How China dominates solar power
]] et une diffusion large de ces technologies sur le territoire domestique, notamment.
Les plans affichés par le gouvernement pour les cinq années à venir (12e plan quinquennal publié en mars 2011 lors de la réunion de Congrès du Parti Communiste) sont à la hauteur des ambitions chinoises : d’ici 2015, la Chine entend se doter de 500.000 véhicules électriques ou hybrides, puis atteindre 5 millions d’ici 2020 !
Intégration des énergies renouvelables ou véhicules électriques sont autant de challenges qui ont poussé la Chine à lancer un travail de fond sur les réseaux électriques.
Deux entreprises d’Etat se partagent cette tâche : State Grid Corporation of China et Southern Grid. Toutes deux ont pour mission de renforcer les réseaux électriques, assurer l’intégration des énergies renouvelables aux réseaux et moderniser le système de sorte à permettre la pénétration des véhicules électriques.
Ces tâches, bien connues des opérateurs européens, ont généré des investissements massifs dans les réseaux chinois mais ont aussi donné le ‘top départ’ d’une course aux standards.
Standards pour les stations de chargement des véhicules électriques, standards pour les compteurs intelligents, standards domotiques, standards pour les technologies des bâtiments à basse consommation d’énergie, standards pour les véhicules électriques eux-mêmes, etc. : la Chine frappe désormais tous azimuts et dépose dans les foras internationaux de standardisation des propositions pour tous les secteurs de sorte à ce que les standards chinois deviennent les standards mondiaux. Cette réactivité et cette aptitude à utiliser les instances internationales n’ont été –hélas – que peu anticipées, que ce soit par les européens ou les américains.
Même du côté des fermes éoliennes où il était connu que les technologies chinoises ne faisaient pas long feu, on sent désormais une évolution dans le chef des ingénieurs chinois qui se forment de plus en plus aux techniques de maintenance européenne, permettant ainsi d’enrichir leur pays d’une compétence additionnelle, celle d’allonger la durée de vie du matériel.
La soif consommatrice chinoise : une opportunité pour une Europe verte?
La Chine se révèle donc un partenaire pour le moins ambivalent et vis-à-vis duquel il est difficile de se positionner en pure opposition ou simple partenariat. C’est là tout l’art du yin et du yang.
Positionner l’Europe comme partenaire crédible
Face à cette soif d’énergie, soif d’électricité, soif d’air pur, soif d’eau potable…, comment les pays occidentaux peuvent-ils devenir partenaires de cette révolution copernicienne?
Côté efficacité énergétique, la Chine accuse un retard considérable : elle affiche certes des ambitions intéressantes mais non suffisantes. Le 12e plan quinquennal prévoit que d’ici 2015, l’intensité énergétique par point de GDP ne dépasse pas 16%[[Valeur à comparer avec celle ‘business as usual’: 18%; également à comparer avec l’objectif plus ambitieux du précédent plan quinquennal à savoir 20%
]], ce qui est une ambition plus que modeste si l’on prend en considération que la seule transition vers une économie de services suffira à atteindre cet objectif.
Canaliser la demande énergétique chinoise passera nécessairement par un effort considérable dans deux secteurs principaux : l’industrie et le bâtiment. Sur chacun de ces points, l’Europe a une carte à jouer.
L’industrie tout d’abord : actuellement les process industriels souffrent d’une certaine ignorance des méthodes de production peu énergivores, alors que nombreuses sont les industries en Chine à forte consommation énergétique[[Les industries à forte consommation comprennent notamment les industries du raffinage de pétrole, de la cokéfaction et du traitement des combustibles nucléaires, la fabrication de produits minéraux non-métalliques, la métallurgie (des métaux ferreux et non-ferreux), ainsi que la production et l’approvisionnement en électricité et en chauffage
]]. Pourtant, dès 1998, la Chine a vu fleurir en son sein l’industrie de la conservation d’énergie avec trois entreprises de services énergétiques, aussi appelés ESCO[[ESCO: Energy Saving COmpany
]]. En 2006, près de 100 ESCOs finançaient plus de 400 projets de conservation d’énergie dans 16 provinces, soit des investissements totalisant 280 millions de dollars. Cette politique s’est avérée porteuse puisque entre 2006 et 2010, la consommation des industries a baissé de 400 millions de tonnes de charbon standards[[Environ 60% du volume global des économies d’énergie à l’échelle nationale
]].
Mais bien n’est pas assez : la Chine nous envie notre norme européenne de management de l’énergie dans les systèmes[[Norme CEN/CENELEC EN 16001:2009 (E): Systèmes de management de l’énergie – Exigences et recommandations de mise en œuvre. Ce texte s’impose déjà en Europe comme un véritable outil pour développer une gestion méthodique de l’énergie, améliorer son efficacité énergétique et accompagner les organisations dans leurs démarches de maîtrise et de réduction des ressources énergétiques.
]]. Si SASAC[[State Asset Supervision Authority of Companies
]], l’instance responsable de la supervision des entreprises d’Etat (qui représentent la bagatelle de 60% de l’activité industrielle en Chine), venait à adopter notre méthodologie, alors non seulement les effets seraient considérables mais en plus cela créerait de véritables opportunités pour des collaborations privées sino-européennes.
Le secteur du bâtiment est un secteur d’avenir en Chine, et c’est peu de le dire : d’après le 12e plan quinquennal, le taux d’urbanisation doit dépasser les 51% d’ici 2015 !
45 milliards de m² sont construits chaque année. Alors que le taux d’urbanisation est actuellement de 46%, il doit atteindre 65% en 2035[[World Energy Outlook 2011, IEA
]]. Actuellement, le secteur résidentiel compte pour 30% de la demande énergétique chinoise totale. Pour parer aux challenges de cette urbanisation à tout-va, la Chine a décidé de créer de nouvelles zones urbaines dites ‘eco-zones’.
Fort de sa capacité régulatrice ‘top-down’, le gouvernement central a instruit les provinces de construire des pôles éco-efficaces comme celui de Tianjin ou Shenyang.
L’Union européenne s’est dotée au cours des dernières années d’une solide législation en matière de performance énergétique des bâtiments mais aussi de solutions intégrées au niveau local, permettant d’inclure dans une même planification urbaine des outils de gestion des déchets, d’intégration des énergies renouvelables, gestion des réseaux intelligents, mobilité douce, etc…
Il est urgent que l’Europe se positionne auprès de la Chine comme leader de la planification urbaine durable et que non seulement nos technologies innovantes mais également notre savoir-faire puisse abreuver les besoins chinois.
Repenser notre développement ‘vert’
Vient maintenant l’épineuse question de la compétitivité européenne face aux technologies vertes chinoises : allons-nous être débordés? La question devrait être différente, à savoir : allons-nous rebondir?
Parce qu’en effet, ce n’est pas dans le chef de la Chine qu’il convient de chercher une réponse à des inquiétudes européennes, mais bien dans le nôtre.
Il est évident que la consommation énergétique chinoise galopante va appauvrir plus vite que prévu la planète de ses ressources en énergie fossile. Partant, la solution viendra de l’Europe et de sa capacité à créer en son sein des solutions innovantes de consommation, des solutions innovantes de production d’énergie et des solutions innovantes de société plus respectueuse des ressources.
A titre d’exemple, les systèmes de coordination entre gestionnaires de réseaux de transport d’électricité sont des plus novateurs et permettent de faire face à l’intégration massive d’énergies renouvelables dans le réseau.
Mais l’Europe doit veiller à ne pas se reposer sur ses lauriers : il est important et urgent qu’elle investisse de nouveaux moyens dans la recherche pour accélérer le développement des technologies vertes. Il est également essentiel qu’elle se dote d’une politique industrielle qui réponde aux nouveaux enjeux de notre société, à savoir les enjeux climatiques et environnementaux.
Si la course enclenchée par la Chine peut nous servir de piqûre de rappel, alors c’est un bien et nous aurons su capitaliser sur ce qui se présentait initialement comme un risque. Seule une Europe plus forte et plus unie sera capable de relever ses défis et c’est vers quoi nous devons tendre.