Soyons clairs : la Chine n’est plus la belle endormie décrite dans les années 70, repliée sur elle-même et sur son pré-carré immédiat, Vietnam et Corée du Nord. Elle n’est pas non plus l’ogre qui mange nos industries et nos emplois et expliquerait de facto la désindustrialisation, la croissance molle, la montée du chômage et des inégalités en Europe. Enfin, elle n’est pas cet eldorado capitaliste ouvert à qui veut gagner des milliards.

La Chine est une multitude de réalités : puissance industrielle formidable ; dictature politique impitoyable avec ses opposants et ses minorités ; culture millénaire ; oppression sociale ; membre très influent des Nations unies (pratiquant l’obstruction au Conseil de sécurité dès lors qu’il s’agit d’ingérence démocratique au Soudan, en Iran ou en Syrie, et dans les négociations internationales dès lors qu’il s’agit d’édicter des normes internationales contraignantes, en matière de climat ou de droits sociaux) ; propriétaire de millions d’hectares de terres agricoles, notamment en Asie et en Afrique… La Chine est aussi ce pays où émerge une classe moyenne de plusieurs centaines de millions de personnes quand plusieurs autres centaines de millions continuent de vivre en dessous du seuil de pauvreté, et où surgissent de plus en plus fréquemment revendications démocratiques et rebellions sociales. C’est enfin ce pays qui a fait de l’économie verte une priorité en ayant déjà acquis le statut de leader mondial des énergies renouvelables tout en étant le premier émetteur mondial de CO2, aussi parce qu’elle produit une bonne partie des produits manufacturés que nous consommons !

Les dirigeants européens dénoncent régulièrement –et à juste titre- les violations des droits de l’homme, de même que le dumping social, environnemental, fiscal et monétaire et le pillage intellectuel dont la Chine use pour doper son économie. Mais ils fantasment sur un marché et une économie en pleine expansion, envient ses réserves financières de plusieurs milliers de milliards de dollars, et se plient en quatre, se concurrençant les uns les autres pour obtenir tel ou tel contrat, même s’il est accompagné d’importants transferts de technologie.

Nous-mêmes sommes donc devenus schizophrènes, pris entre nos besoins et nos pulsions de consommateurs, nos revendications et nos droits de travailleurs, nos convictions et nos devoirs de citoyens, notre appétit individualiste et notre soif de collectif. Nous sommes soumis à des injonctions contradictoires, culpabilisés de ne pas consommer assez pour sortir de la crise, de trop et mal consommer et de participer ainsi à la destruction de la planète et, dorénavant, de consommer des produits fabriqués en Chine (et non pas en Europe), mettant en péril nos industries et nos emplois !

Avec la crise qui s’approfondit et la contestation croissante de la mondialisation qui l’accompagne, la Chine est plus que jamais au centre de tous les débats économiques et politiques.

Au printemps 2012, le Parlement européen se saisira de cette question à travers un rapport parlementaire sur « Chine et l’Union européenne; un échange inégal ?». Précédé par différentes opinions sur l’impact des déséquilibres commerciaux en matière de politiques d’emploi, de développement, d’industrie et de marché intérieur, ce rapport est d’ores et déjà l’objet d’échanges et de débats qui font écho aux nouveaux défis que pose la relation avec la Chine aux sociétés, aux Etats membres et aux institutions européennes.

Cette question doit nous interpeller en tant qu’écologistes. Avons-nous une idée, une perception différente de la Chine ? Le travail et les idées que nous défendons dans les différents domaines de la politique européenne prennent-ils une dimension différente lorsqu’il s’agit de la Chine ? Trop souvent, nous n’avons pas de réflexion articulée et cohérente sur ce sujet. Il est temps de mettre la Chine dans notre radar écologiste et de développer une vraie position cohérente et constructive sur cette question, au niveau européen et au niveau national.

Je crois qu’il faut partir d’un constat très simple : le choc avec la Chine est d’abord un choc de modèles. De modèle économique, de modèle social, de modèle démographique et de modèle démocratique. Et ce sont ces différences fondamentales entre nos deux modèles qui causent ces déséquilibres qui inquiètent tant.

D’où un premier élément de réponse. Si l’Europe veut avoir un partenariat constructif et ferme avec la Chine, elle doit prendre conscience que le premier défi posé par la Chine est au moins autant industriel et politique que commercial : seule une politique industrielle commune européenne, fondée sur une vision partagée de l’économie européenne au 21e siècle et se substituant –ou complétant- les 27 politiques industrielles actuelles, peut offrir des réponses au défi chinois. Il est vain et illusoire de s’imaginer pouvoir traiter directement avec la Chine sur un pied d’égalité comme en rêvaient Berlusconi et Sarkozy et comme se l’imaginent encore Angela Merkel et le patronat allemand. L’Europe doit être capable de parler d’une seule voix à la Chine.

Dès lors, il deviendra possible d’une part de défendre plus vigoureusement encore nos priorités sociales et environnementales dans les processus de production et d’autre part d’être crédibles sur le plan des droits de l’homme avec Pékin – au lieu de ranger bien vite les drapeaux dès que se profile l’occasion des contrats.

Economiquement, l’Europe reste le premier marché mondial et le premier partenaire commercial de la Chine. Elle est donc le lieu où peuvent se décider et s’imposer des normes pour l’ensemble des marchés mondiaux. Développer ces normes en partenariat avec la Chine, en particulier en matière d’économie verte est bien plus urgent et utile que d’ériger d’illusoires lignes Maginot protectionnistes.

Trois enjeux majeurs à la relation Chine / UE

1. Parler d’une seule voix

Je pense que l’absence persistante de politique  industrielle  commune en Europe est dramatique dans la mesure où cela nous empêche de voir où sont nos objectifs, quels sont nos besoins et donc quelle devrait être notre stratégie d’insertion dans le système mondial en pleine recomposition.

Nous avons clairement cédé à la tentation du cavalier seul et des relations plurilatérales au lieu d’avoir une relation bilatérale EU- Chine menée de façon coordonnée. C’est l’un des enjeux majeurs du débat et un des éléments fondamentaux que les écologistes, qui sont la famille la plus fédéraliste, se doivent de défendre.

2. Une stratégie industrielle concertée

Deuxièmement, nous devons reconnaître que la politique industrielle en Europe peine à voir le jour. En matière d’économie verte, d’investissements ou d’innovation, de technologies avancées, l’absence de prise de décisions communes au niveau européen, renforce évidemment la tentation pluri-bilatérale et surtout les déséquilibres économiques et commerciaux entre Chine et UE.

3. Sortir du fantasme de l’impuissance.

La logique néolibérale nous propose de concurrencer la Chine sur les bas-coûts de production, notamment les coûts salariaux. C’est absurde. Mais la logique souverainiste nous propose l’illusion d’une protection douanière pour rétablir la compétitivité européenne. Il y a beaucoup à perdre à la fermeture brutale et inconsidérée des frontières. Avant d’acheter français ou européen, il faudrait être capable de produire français ou européen. L’enjeu fondamental est de savoir si l’Europe est capable de placer son économie sur les besoins et les enjeux du 21e siècle et d’ouvrir un dialogue sur le thème du partenariat et de l’intérêt commun eurasiatique et non sur une logique de confrontation.

Les choix stratégiques à faire pour l’Europe sont donc à la fois offensifs et défensifs

Défensif : conditionner nos échanges au respect de notre modèle social et environnemental

1. Respect des normes du marché intérieur

l’Europe a toute légitimité à s’assurer que tout ce qui rentre sur son marché respecte et correspond aux normes en vigueur dans son marché intérieur. Mieux elle ferait ainsi de ces normes et de leur rehaussement des leviers de négociations particulièrement efficaces dans ses rapports avec le reste du monde.

2. Respect des normes internationales (sociales, climatiques, droits humains)

Si l’UE maintient sa détermination à négocier des normes contraignantes sur ces sujets au niveau multilatéral, mais qu’elle y rencontre l’opposition de pays comme la Chine qui y voient une ingérence insupportable, alors je considère que l’Union a vocation à édicter ces normes de protection sur son territoire et donc à ses frontières : il s’agirait de protéger le climat ou les travailleurs européens et chinois en refusant par exemple d’importer des marchandises issus de pays qui ne reconnaissent pas la liberté syndicale.

3. Consommer et produire localement 

Une politique industrielle commune devrait miser sur les PME, en lien avec les besoins locaux en matière d’alimentation, de transport ou d’énergie, et utiliser les instruments tels que les marchés publics au service de cette économie locale.

Offensif : donner du sens à la politique d’engagement constructif

C’est dans le dialogue et la confrontation des modèles que nous pourrons prendre conscience, à Bruxelles et à Pékin, des formidables potentiels de partenariat entre la Chine et l’Union européenne. Nous partageons quelques données communes qui doivent nous inciter à développer des politiques communes. Par exemple, Europe et Chine sont des continents relativement pauvres en ressources : il serait intéressant de développer des stratégies communes dans ces domaines (efficacité énergétique, sobriété en matières premières etc.). Ce qui suppose aussi des partenariats en matière de recherche, d’industrie, d’innovation technologique.

De toute évidence, le statu quo est suicidaire, à moins de considérer que l’Europe peut se réduire à une économie de services. Ce n’est pas notre avis. La priorité est de développer une politique industrielle et une politique commerciale européennes respectueuses et conformes à nos valeurs et à nos engagements sur la scène internationale.

Construisons les partenariats du futur qui feront que l’Europe comme la Chine seront des économies fortes au 21e siècle car elles auront fait le choix de l’économie verte, au service des citoyens et non des marchés.

Share This