Le 10 novembre 2011, l’UNESCO a approuvé la Déclaration universelle des archives[[http://www.archivistes.org/L-UNESCO-approuve-officiellement
]]. Présenté comme un acte majeur pour la transparence démocratique et administrative ainsi que pour la préservation de la mémoire sociale collective, cet événement n’a guère retenu l’attention des médias. Or, il revêt une importance cruciale par sa volonté de donner aux archives une place nouvelle dans notre vie démocratique.
L’initiative fut tout d’abord québécoise. C’est en 2006, qu’une association de près de mille archivistes a jugé nécessaire de rédiger une première déclaration pour souligner l’importance de ce patrimoine. Un an plus tard, le Conseil International des Archives s’en empara pour lui donner une portée internationale. Il fallut encore attendre quatre ans pour voir l’UNESCO s’accorder sur ce texte.
Pourquoi cette organisation internationale, qui vise à promouvoir le dialogue interculturel, le développement durable et le respect des droits de l’homme, s’y intéresse-t-elle soudain ?
Cette déclaration commence par définir les archives comme un témoignage, une source d’information fiable. Elle insiste également sur leur caractère unique. Elles sont en effet irremplaçables et les données qu’elles renferment sont extrêmement diversifiées et touchent à l’ensemble des domaines de l’activité humaine. Elles sont aussi le reflet des différentes évolutions de nos sociétés. Transmises de générations en générations, elles sont préservées pour ensuite être rendues accessibles et valorisées auprès d’un large public.
Outre ces considérations assez générales, la déclaration pointe trois enjeux essentiels : la mémoire collective, la transparence démocratique et l’imaginaire collectif. De quoi s’agit-il et comment s’articulent-ils ?
L’imaginaire collectif est essentiel pour la représentation qu’une population se fait de son histoire. Il est néanmoins mouvant, subjectif, en perpétuelle métamorphose. Il est également constitutif de la mémoire collective.
Les archives, elles, sont le témoin figé d’une production effectuée par une personne ou une institution précise à un moment donné de l’histoire. Une fois collectée, inventoriée, traitée – archivée en somme – elles suivront un autre destin que celui de l’imaginaire collectif : elles seront mises en latence, tout en restant présentes, grâce au travail de préservation effectué par les archivistes.
Tout comme le travail de l’historien, la mémoire collective se constitue par un aller-retour entre le souvenir du passé, le présent et leurs perceptions réciproques. Alors que la mémoire et le travail historique sont évolutifs, les archives restent identiques à elles-mêmes, pour autant qu’elles ne soient pas l’objet d’une volonté politique de destruction et/ou de modification.
La mémoire collective, est diversifiée, malléable, sélective, imprévisible. Les citoyens ont des souvenirs, mais évidemment, ils sont partiels. Comment éviter qu’ils ne soient influencés par ce que la société juge nécessaire ? Comment éviter que les citoyens ne soient que les produits d’une mémoire sélective forgée par leur propre société ?
C’est là que les archives revêtent un rôle crucial, pour autant que l’indépendance du travail d’archivage soit garantie. La mémoire, collective ou individuelle, peut nous jouer des tours et la fixation historique n’est que toute relative. Par contre, les témoignages contenus dans toutes ces sources sont des repères, des balises fiables. Ils sont donc essentiels, ce sont des référents. Ils confrontent la mémoire collective. Il est également intéressant de souligner que ces tours, ces souvenirs laisseront des traces, qui seront-elles-mêmes archivées et ainsi de suite…
Les archives et les institutions publiques ou privées qui les accueillent ont donc un double rôle : celui de référent, de balise, et de perturbateur de la représentation démocratique inscrite dans l’imaginaire. Loin d’un conservatisme primaire, elles représentent une opportunité multidisciplinaire. Et leur travail de collecte exerce une action prophylactique. Elles permettent le recul critique et la pluralité des études mémorielles, empêchant l’établissement du monopole d’un discours, d’une pensée unique.
Ce travail fournit par ces institutions porte également sur les archives électroniques. Comme le souligne Martine de Boisdeffre[[Martine de Boisdeffre est la directrice des Archives de France. Entretien dans la Revue Débat, « Les archives à l’ère numérique », n° 158, janvier – février 2010, pp. 61 – 69
]], depuis la fin des années 1990, elles se développent de façon exponentielle. Les archives étant le reflet des évolutions de la société, la compilation et le traitement doivent également être assurés pour ce type de documents. La valeur juridique ne change pas avec le support, qu’il soit audio visuel, papier ou dématérialisé la portée reste la même. Par contre, l’intervention archivistique est différente.
La grande nouveauté réside dans l’interaction entre la personne qui les produit, le service informatique qui les conditionne et l’archiviste qui les traite. Sans ce triangle d’acteurs, aucune sauvegarde n’est possible. Il est absolument nécessaire de prévoir les modes de conservation et les supports de lecture. Le numérique pose donc de nouvelles questions : Sur quel support sauvegarder ce patrimoine ?
Pourrons-nous ouvrir tel document dans 10 ans ? Ce changement induit un travail en amont, à la source de la production. Pour la première fois, les archivistes doivent prévoir et pas seulement recueillir. Assurer la pérennité des fonds dont ils ont la charge a toujours fait partie de leurs tâches. Par contre, influencer les modes de production est une nouveauté. Évidemment, le but reste la conservation, mais cette nécessité peut poser des questions de déontologie. L’archiviste ne va-t-il pas influencer les archives qu’il va lui même préserver ?
Cette question se pose également au niveau de l’accessibilité. La numérisation, l’ouverture au plus grand nombre grâce à l’informatique nécessite une adaptation constante aux nouvelles technologies. Autrefois, les données et le support ne faisait qu’un. Aujourd’hui, pour valoriser ce patrimoine de façon pérenne, il faut régulièrement le changer de support. L’évolution croissante vers une administration électronique modifie considérablement l’organisation des archives.
Elle participe également à la modernisation de l’État et espérons-le, le rende plus transparent. Évidemment, cette profusion exponentielle des données électroniques induit de nouveaux coûts, mais les financements publiques ne suivent pas. Il faut le dénoncer et continuer à réfléchir aux solutions à mettre en place pour continuer à garantir les différentes fonctions des archives.
Enfin, la légitimité des régimes démocratiques ne repose pas seulement sur le suffrage universel et sur des institutions représentatives. Elle procède aussi de la qualité de la gouvernance publique. Celle-ci est garantie à la fois par la bonne utilisation des deniers publics, l’éthique des mandataires et gestionnaires publics, la participation des citoyens à la vie publique et la transparence des actes politiques.
La conservation des archives produites par le monde politique – qui trop souvent partent au pilon – est donc d’une importance capitale pour le fonctionnement et la crédibilité de notre démocratie. Elle garantit l’accessibilité de documents pouvant avoir force de preuve juridique et elle constitue un service de mémoire rendu à la société. A cet égard, les archives publiques ne peuvent-elles pas être quasiment considérées comme des biens communs ?
Même si la loi de 1955 sur le traitement des archives ne l’impose pas, il faut dès lors souhaiter que les cabinets du gouvernement Leterme versent toutes leurs archives aux Archives Générales du Royaume. Jusqu’à présent, ces versements ont été rares, sauf de la part des écologistes. A défaut d’une attitude plus volontariste en matière archivistique de la part des partis traditionnels, une modification de la loi de 1995, dans le sens d’une obligation légale de dépôt, devrait être envisagée. A cet égard, il faut rappeler que les Déclarations de politiques régionales et communautaires de 2009 reprennent la notion de « patrimoine culturel » et engagent les Gouvernements à poursuivre la récolte et la conservation des archives publiques des administrations et des organismes d’intérêt public relevant de leurs compétences.