Tout va très bien Madame la Marquise ?

Depuis que le changement climatique est reconnu comme un enjeu majeur de notre siècle, le monde de l’entreprise a résolument changé d’attitude face à ce défi mais aussi de manière générale dans la prise en compte de ses impacts environnementaux. On peut s’en réjouir mais restons conscients que tout reste à faire.

Deux recherches académiques récentes ont enrichi notre réflexion ; celle de Tim Jackson est évidemment l’une d’elles.

Les limites planétaires

Tout d‘abord, le Stockhom Resilience Centre, a quantifié des «limites planétaires» visant à empêcher l’activité humaine de provoquer des changements environnementaux irréversibles[[«A safe operating space for humanity» Johan Rockström, Nature 461, 472-475, 24 septembre 2009.

]]. Ces limites sont des niveaux-seuils appliqués à l’activité de certains sous-systèmes et processus biophysiques définis par la valeur critique de certaines variables de contrôle telle que, par exemple, la concentration de CO2. Ces limites peuvent s’appliquer sur 9 sous-systèmes et décrivent le « terrain de jeu » dans lequel l’humanité reste en sécurité par rapport à l’équilibre du système Terre. Si elles sont dépassées, les conséquences pourraient être catastrophiques pour l’Humanité, d’autant plus que des changements dans un sous-système peuvent augmenter le risque de se rapprocher d’autres limites pour d’autres sous-systèmes.

Certaines limites sont peut-être déjà sur le point d’êtres atteintes dans certains domaines tels que la consommation d’eau douce, les changements d’exploitation des sols, l’acidification des océans et l’interférence dans les cycles globaux du phosphore.

Plus grave, pas moins de trois processus ont d’ores et déjà dépassé le seuil d’alerte: le changement climatique, le taux de diminution de la biodiversité et l’interférence humaine avec les cycles de l’azote. Ces « limites planétaires » sont liées les unes aux autres, ce qui signifie que la transgression de l’une seule d’entre elles implique des risques pour les autres sous-systèmes et processus évoqués ci-dessus.

Figure 1 : Les 9 limites planétaires (source SRI)

L’indice carbone de la production au niveau macro-économique

La seconde recherche, menée par le Professeur Tim Jackson (Université de Surrey et Commissaire à l’économie de la Commission développement durable du Gouvernement britannique)[[Prospérité sans croissance (Editions De Boeck et Etopia, mai 2010)

]] et présentée dans son ouvrage Prospérité sans croissance, conclut à une obligation de diminuer d’un facteur 21 l’intensité carbone de la production mondiale si l’on souhaite atteindre les objectifs du GIEC à horizon 2050.

Autant dire que ces objectifs sont totalement irréalisables avec le modèle économique actuel. Se posent alors les questions d’abandon de la croissance et en filigrane la réflexion autour de la décroissance, le développement d’une économie d’adaptation aux changements climatiques, et du visage que prendront cette nouvelle économie et ces nouvelles entreprises.

Au delà de l’enjeu climatique, l’exercice réalisé pour le carbone devrait pouvoir être également fait pour les deux autres limites planétaires dépassées : la biodiversité et le cycle de l’azote et du phosphore, comme le propose Tim Jackson dans son livre.

Mais, au fait, comment sont calculés au niveau international les seuils et normes ?

Il existe une série de protocoles ou conventions internationales visant à fixer des plafonds d’émissions de substances polluantes dans l’environnement. En matière de biodiversité, citons par exemple le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques. Citons aussi le Protocole de Gotebörg (1999), dit «multi polluants, multi effets», qui prévoit des plafonds d’émissions pour le dioxyde de souffre (SO2), les oxydes d’azote (NOx), les composants organiques volatils (COV) et l’ammoniaque (NH3). Il vise donc à lutter à la fois contre l’acidification des eaux et des sols, l’eutrophisation et la pollution photochimique. En Europe, il a été traduit dans la Directive fixant des plafonds d’émission nationaux pour certains polluants atmosphériques (2001/81/EC). Et enfin bien sûr le Protocole de Kyoto, qui a entériné le constat scientifique de cause à effet ‘CO2/ réchauffement climatique’ et l’a consacré en un traité attribuant des quotas aux signataires (Convention Cadre des NU entrée en vigueur le 16 février 2005).

Mais comment sont fixés les plafonds d’émissions dans ces protocoles ? Les objectifs de réduction sont-ils suffisants pour rester dans les « limites planétaires » ? Dans la grande majorité des cas, la réponse est « on ne sait pas ». En effet, non seulement les décisions sont le fruit de négociations longues et ardues en raison du nombre et des intérêts divergents des États autour de la table, mais elles sont également l’objet de lobbying de la part des différents secteurs économiques. De plus, il est rare que les quantités d’émissions soient connues avec précision au moment de la prise de l’engagement, puisqu’aucune réglementation n’oblige précédemment les États ou les entreprises à effectuer des mesures ou à calculer leurs émissions. Enfin, des facteurs qui sont en général pris en compte pour fixer ces objectifs sont les potentiels de réduction (sur base entre autres des technologies disponibles), la prévision de croissance du secteur concerné et la rentabilité.

Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable

Du côté du monde belge de l’entreprise, il est intéressant de mettre en évidence l’étude du bureau d’étude Mc Kinsey « Pathways to world-class energy efficiency in Belgium » réalisée en 2009 pour et en partenariat avec la Fédération des Entreprises Belges. Cette étude, s’appuyant sur la rationalisation actuelle des ressources énergétiques, propose une série de mesures sectorielles (secteurs des transports routiers, industriel et du bâtiment) visant une optimalisation de notre efficience énergétique. Des pistes concrètes reposant sur des investissements à court terme sont proposées aux acteurs politiques et économiques afin de garantir une transition énergétique dite efficiente. Elle permettrait, à long terme, la réalisation d’économies significatives, de diminuer notre contribution aux émissions de gaz à effet de serre, notre vulnérabilité aux fluctuations des prix de l’énergie et aux implications géopolitiques de ces phénomènes. Si les recommandations de cette étude permettent de favoriser une réelle démarche positive du secteur économique, il semble important de rappeler, qu’en termes de limitation des émissions de gaz à effets de serre, les mesures proposées permettent à peine de contrebalancer leur future croissance, estimée selon le scénario Business As Usual (BAU) de 2030. L’annonce d’une diminution de 23% des émissions de gaz à effet de serre étant à mettre directement en rapport avec les perspectives de 2030 (BAU).

On est donc très loin du facteur 21 de Tim Jackson …

Force est de constater que cette étude repose donc essentiellement sur une approche financière et économique des enjeux énergétiques. Établir des efforts sur la base du modèle économique actuel est insuffisant pour permettre à notre société de faire face, à long terme, aux enjeux mondiaux. Dès lors, ouvrir cette étude à une réflexion sur les possibilités et l’importance d’un effort plus adéquat semble une approche complémentaire et surtout plus ambitieuse. Nous proposons donc que les enjeux définis par Tim Jackson et le Stockhom Resilience Centre soient intégrés pour compléter l’étude de Mc Kinsey afin de produire un plan d’actions dont les effets macroéconomiques seraient plus profitables et pérennes pour l’avenir de notre civilisation.

En Belgique francophone, il est heureux d’observer que la Région wallonne soutient des projets d’éco-zonings, la création d’un label entreprise éco-systémique, une étude de métabolisme territorial et que la Région bruxelloise (au travers de la SDRB) se lance dans des projets d’écologie industrielle. Si la volonté est réellement de réintégrer l’activité économique au cœur de la biosphère, d’empêcher que les limites planétaires ne soient dépassées, et finalement de mettre la durabilité au cœur même de l’ADN économique, nous proposons d’entamer alors une réflexion sur les seuils à ne pas dépasser au niveau micro-économique.

En effet, imaginons qu’une entreprise du secteur agro-alimentaire possède 20 % des parts du marché belge, lui-même représentant 5 % du marché mondial et que ce marché mondial ne puisse dépasser un seuil de 1 million de tonnes de CO2 par an au regard d’une baisse mondiale de l’intensité carbone (cfr ci-dessus), alors cela reviendrait à dire que le seuil de l’entreprise est de 0,2 x 0,5 x 1 millions de tonnes = 100.000 tonnes de CO2/an. Partant de là, on pourrait identifier une feuille de route d’amélioration continue ‘micro’ pour l’entreprise au regard de jalons ‘macro’ pour l’économie mondiale. Mais cette vue n’est-elle pas trop simpliste ?

En matière d’accord de branche et de quota de CO2 justement, ceux-ci ont été calculés dans le Plan d’allocation par une approche bottom-up où les demandes des entreprises sont agrégées en un total sectoriel. On applique à cela les mesures jugées rentables par les entreprises afin de créer un effet d’entrainement de leur part. Cette approche rappelle celle de l’étude de McKinsey ou plus généralement les méthodes classiques de fixation de seuils et normes (cfr ci-dessus) qui regardent quels sont les investissements rentables en terme d’efficacité énergétique, c’est-à-dire sans changements de comportement, ni de niveau de confort et de croissance… mais qui correspondent juste à la mise en œuvre des technologies rentables.  Bref, le minimum facile à faire. 

Dans d’autres matières, il en va un peu de même. Par exemple, le Plan Politique intégrée de produit du fédéral prévoit de fixer des seuils de performance aux produits basés sur les performances des entreprises actuellement leaders sur les marchés concernés. On reste donc encore dans la logique d’un benchmark de performances qui sert de base à de l’amélioration continue.

Des seuils de durabilité macro aux seuils micro pour entreprises

Il est temps d’arrêter de se voiler la face et de rentrer dans l’urgence si bien démontrée par Tim Jackson. Pour cela, partant des constats énoncés par « Prospérité sans croissance »  et de la définition des limites planétaires proposées par le Stockholm Resilience Centre, il serait pertinent de réaliser un travail de recherche de définition de différents seuils de performance (ex : CO2 et biodiversité) à l’échelle des entreprises dans un ou plusieurs secteurs donnés (ex : sous-secteur de l’agro-alimentaire) sur nos territoires.

Nous faisons l’hypothèse d’arriver à des seuils plus contraignants que ceux exprimés par les méthodologies bottom-up et de benchmarking actuelles. Cela permettra aux politiques d’avoir en plus d’un fondement scientifique pour les seuils « ‘macro »’, une base solide pour la détermination de seuils « ‘micro »’ pour entreprises.

En attendant ce jour …

Au delà de ces perspectives de recherche, il est nécessaire d’entrer dès aujourd’hui dans une démarche « ‘solutions-minded »’, concrète et pragmatique. À notre sens, il est important de cibler les priorités selon qu’on se situe dans la création d’entreprises durables (l’entreprenariat), le soutien aux filières vertes émergentes (l’animation économique), la transition écologique des secteurs traditionnels ou encore le travail sur les territoires économiques.

Faciliter l’émergence de l’entreprenariat durable

Pour la première fois, la Région wallonne au travers de l’Agence de Stimulation Economique va lancer des actions spécifiquement ciblées sur ce créneau, reconnaissant indirectement ce que notre asbl promeut depuis 12 ans déjà.

Trois publics sont à notre sens prioritaires :

 l’école car les jeunes seront de futurs consommateurs ou entrepreneurs. Le développement durable devrait être une matière transversale enseignée dès l’école primaire et à l’école normale, et non en cours à option.

 l’entreprise : les cadres et managers de PMEs et grandes entreprises sont intéressés par des outils et solutions concrets. Les demandeurs d’emploi et les travailleurs intéressés par l’auto-création d’emploi devraient eux avoir accès à des formations gratuites à l’entreprenariat durable.

 les décideurs au sens large, dont les futurs cadres politiques. Il s’agit ici de démultiplier les formations en développement durable dans les hautes écoles et universités. De nouveau, le développement durable ne peut plus être un cours à option.

Tous doivent être conscientisés aux limites planétaires mais surtout aux solutions à mettre en œuvre (écoconception, économie de circularité, écologie industrielle…), car les constats que la planète est en danger sont globalement maintenant acceptés par tous mais les solutions concrètes sont beaucoup moins évidentes pour ces publics cibles.

En matière d’accompagnement d’entrepreneurs durables (PMEs, TPEs et indépendants qui constituent 86 % du terreau économique), rappelons que ceux-ci n’ont ni budget ni temps à consacrer à la durabilité de leur activité. Sans le soutien des pouvoirs publics, il est impossible de les toucher. Il est donc nécessaire de créer des outils simples d’aide à la durabilisation de leurs activités et de les disséminer via des structures d’aide à la création d’entreprises (centre d’entreprises, couveuses, coopératives d’activités, guichet d’économie locale, chambres de commerce, etc).

Développer l’animation économique verte

« ‘L’écologie, avenir de l’économie »’. C’est en partie exact au vu des taux de croissance du secteur de l’environnement et de l’énergie. Encore faut-il cibler les sous-secteurs à soutenir, les métiers à créer ou reconvertir et les nouveaux outils publics nécessaires.

Les études disponibles actuellement permettent globalement de répondre à ces questions pour la Région de Bruxelles-Capitale, un peu moins pour la Région wallonne où malgré le 6ème pôle de compétitivité, l’Alliance-Emploi Environnement en construction durable et le soutien aux filières solaires et éoliennes, il n’est pas toujours clair de savoir exactement parmi les dizaines de sous-secteurs potentiels, lesquels sont véritablement soutenus par le Gouvernement.

Assurer la transition écologique des secteurs traditionnels

L’action doit se décliner selon la taille des entreprises et leur secteur.

Multinationales : elles ont déjà des équipes ‘développement durable’ très qualifiées en leur sein.

Grandes entreprises : elles n’ont peut-être pas l’expertise mais elles savent qu’elles doivent mettre le développement durable à leur agenda et elles ont des budgets à y consacrer. Elles font donc appel aux bureaux d’études.

Pour ces deux types d’entreprises, les pouvoirs publics, au-delà des outils normatifs et volontaires existants, doivent fixer des seuils micro plus contraignants (cfr ci-dessus).

PMEs : c’est une des cibles des labels du type ‘Entreprise éco-dynamique’ de la Région bruxelloise, souvent première étape de la durabilisation, qu’il faut à notre avis sectorialiser (ex : secteur agroalimentaire, tertiaire, événementiel) et pérenniser sans que cela n’engendre de coûts (temps) de gestion supplémentaires. Là, les pouvoirs publics doivent intervenir.

Les territoires économiques

Durabiliser les entreprises est une chose, encore faut-il concevoir une économie territoriale durable d’une part, et éviter les effets rebonds d’autre part.

Rêvons d’une économie locale résiliente, dont une grande majorité des flux économiques (flux de matières et d’énergie des entreprises) sont inclus dans un métabolisme économique territorial durable. Pour cela, il sera nécessaire de mettre en réseau tous ces acteurs économiques, de promouvoir et démultiplier les niches de marché durables (ex : le développement des circuits courts dans la production agroalimentaire), en identifiant des indicateurs de durabilité pertinents et en créant un liant financier tel qu’une monnaie complémentaire vertueuse à échelle locale. Chantier passionnant à mettre en œuvre au niveau local pour des élus inspirés.

Mais, dans ce beau schéma, un agent économique reste malgré tout imprévisible : l’homme. Jouera-t-il le jeu de cet espace économique durable ? Pour cela, il est nécessaire de recadrer l’homo economicus à l’intérieur des limites de la planète et de repenser les conditions de développement personnel et en fin de compte le sens de notre vie sur la Terre, non pas à l’aune d’un niveau de consommation matériel mais en relation avec la qualité des liens tissés entre ses communautés et la nature. Actuellement, dans les travaux participatifs du type défi énergie, quartier durable, agenda 21, etc, des expertises venues du monde du développement personnel (sociocratie, holocratie, neuromanagement,…) arrivent en appui pour créer des conditions favorables à la transition écologique des individus. Il s’agit en quelque sorte de recentrer les individus sur leurs valeurs non pas le temps d’un séminaire mais chaque heure, chaque seconde qu’ils passeront sur cette terre. C’est favoriser l’insurrection des consciences (comme le dit Pierre Rabhi) mais surtout la rendre pérenne et la fixer sur notre ADN. Un vaste champ à investiguer donc…

L’adaptation à reculons …

Mais on sait aujourd’hui que ces politiques d’atténuation dans la sphère économique resteront quoi qu’il arrive insuffisantes et que la prise en compte des impacts potentiels du changement climatique est obligatoire. La nécessité de contenir le réchauffement climatique à une augmentation de 2° C en 2100 (par rapport à l’ère préindustrielle) est désormais communément admise. Les réponses à ce challenge se sont dans un premier temps davantage focalisées sur la réduction des gaz à effet de serre dans l’atmosphère (l’atténuation) que sur la réduction de la vulnérabilité des sociétés et des écosystèmes face au changement climatique (l’adaptation).

Aujourd’hui, malgré la mise en place d’actions fortes visant à atténuer le changement climatique, celui-ci est perçu comme inévitable ; c’est aussi une conclusion qui découle de la lecture du livre de Tim Jackson (qui va même plus loin en parlant de conflits géopolitiques potentiels). L’adaptation prendra donc une importance croissante dans les politiques internationales et nationales, ainsi que dans les initiatives locales.

L’adaptation au réchauffement climatique : exemple de l’approche britannique

Le Royaume Uni reste actuellement le premier pays à avoir intégré des objectifs de réduction de gaz à effet de serre dans sa législation nationale par le biais du Climate Change Act de 2008. Les objectifs établis sont de réduire les émissions de 34% pour 2020 et de 80% pour 2050 par rapport au taux de 1990. Moins connu outre-Manche est le fait que ce même Climate Change Act contient dans ses dispositions clés une demande de considérer l’adaptation au changement climatique. Il stipule, entre autre, qu’au niveau national, une analyse de risque lié au changement climatique soit effectuée tous les 5 ans. Par conséquent, un programme national d’adaptation doit être mis en place. Le Climate Change Act donne également le droit au gouvernement d’exiger, des agences gouvernementales et agences avec une fonction d’intérêt public[[Transport, Energie, Eau et Parc nNationaux.

]], un rapport sur :

 L’analyse des impacts présents et futurs du changement climatique sur leur travail ;

 La mise en place d’un plan d’action pour s’adapter à ces risques.

Le gouvernement se doit lui, de produire, des documents de conseils[[Document de Conseil – http://www.defra.gov.uk/environment/climate/documents/statutory-guidance.pdf

]] sur la manière d’effectuer le travail mentionné ci-dessus. Par ailleurs, tout ce travail est suivi par le Sous-Comité d’Adaptation[[Sous comité du Comité Indépendant sur le changement climatique crée par le Climate Change Act.

]] au changement climatique.

Pourquoi un tel effort sur l’adaptation ? Tout simplement parce que les émissions de GES passées et présentes nous engagent inéluctablement à un certain niveau de changement climatique. C’est la physique de notre système climatique qui veut cela et ce même si nous passions à zéro émissions demain. Certains effets du changement climatiques sous nos latitudes sont déjà bien documentés : par exemple, au Royaume Uni, l’augmentation de la fréquence d’inondations a eu pour résultat que le coût pour les assurances à triplé en 10 ans et atteint £1.3 milliard de livres. Il est donc crucial de se préparer à répondre à ces nouveaux défis.

Pour soutenir tout ce travail d’adaptation, un apport scientifique rigoureux et intensif a été établi avec de nombreuses institutions de recherche afin de produire les UK Climate Projections[[UKCP09 – http://ukclimateprojections.defra.gov.uk/content/view/12/689/

]]. Ces projections climatiques offrents des probabilités d’impact sur tout le territoire britannique avec la possibilité de « zoomer » jusqu’à des carrés de 25km2. En parallèle, le gouvernement britannique soutient financièrement le UK Climate Impact Programme[[UKCIP – http://www.ukcip.org.uk/

]], organisation qui offre des outils et des conseils en adaptation. C’est l’organisme de référence sur toutes ces questions.

Les Anglais nous montrent la voie vers une économie d’adaptation

Il est important de souligner que l’adaptation reste un secteur relativement nouveau pour les entreprises et organisation gouvernementales. Toutefois, depuis 2009, l’effort de sensibilisation a fortement augmenté et l’obligation de rendre compte des progrès sur ce sujet à commencé en 2010 – en tout cas pour les autorités locales.

Le Climate Change Act et l’obligation de rendre compte au gouvernement est un levier majeur pour les fonctionnaires chargés de faire progresser l’agenda sur les questions de changement climatique au sein de l’administration. Ainsi, la plupart des autorités locales ont créé des unités de changement climatique.

L’adaptation au changement climatique au Royaume Uni bénéficie du fait qu’une grande culture de l’analyse et management de risques existe déjà. L’adaptation est, en effet, en parfaite cohérence avec les concepts de Business Resilience et Business Continuity. Le changement climatique est donc un nouveau facteur à prendre en compte dans une logique déjà existante. Le développement d’une stratégie d’adaptation va donc commencer par analyser tous les services rendus par l’autorité locale et l’impact du changement climatique sur ces services. Ceci permettra de définir les zones prioritaires d’action.

Adaptation et opportunités

Dans le cadre de cette analyse d’impact, les britanniques incluent tout naturellement, non seulement les risques mais aussi les opportunités. Ce faisant, ils outrepassent un tabou qui est de voir des côtés positifs au changement climatique. Soyons clair, les Britanniques sont les premiers à reconnaitre le danger que pose le changement climatique. Au niveau macro, ils sont bien conscients que c’est l’un des plus grands défis de l’humanité. Pour preuve, il n’y a dans le monde pas encore d’équivalent à leur Cimate Change Act.

Ce qu’ils osent dire, c’est qu’au niveau meso et micro, être conscient des risques locaux et la mise en place de mesures d’adaptation qui en découlent, peut être une source d’opportunités. Par exemple, la prise en compte de l’augmentation de la température en été va demander que les immeubles améliorent leur capacité de refroidissement. C’est donc l’occasion de renforcer le déploiement de nouvelles technologies telle que le refroidissement passif.

L’adaptation offre donc plusieurs leviers de changement positifs :

 En passant par l’analyse de risque, on va sur le terrain et cela rend le changement climatique très concret. En Belgique, les ouvriers de la SNCB, par exemple, connaissent très bien les impacts de longues vagues de chaleur sur les aiguillages des rails.

 Prévoir sur le long-terme (car le changement est graduel) devient une obligation et du bon sens économique.

 La responsabilisation pour assurer notre futur redescend au niveau de chaque acteur plutôt que de rester au niveau des politiques.

L’opportunité se trouve donc peut-être dans le fait que la notion d’adaptation amène un véritable changement. C’est donc une notion dynamique, bien plus que la notion de réduction d’émissions, souvent comparée à un frein au développement, voire un retour en arrière. En d’autres termes, l’adaptation demande que l’on s’imagine un monde qui ne fonctionne plus comme maintenant et qui demande de nouvelles solutions. Par exemple, le nucléaire est vendu comme une solution au changement climatique pour des raisons d’émission de CO2. Or, dans nos régions, l’augmentation de température (surtout l’été) va graduellement poser un problème au niveau du refroidissement des centrales.

Le besoin d’adaptation, bien que consternant d’une part puisque nous n’avons pas évité le danger, offre donc l’opportunité de mettre en place une dynamique positive. Les nouvelles contraintes poussent à la recherche de solutions créatives. Il permet de renouer avec la capacité de l’homme à s’imaginer des futurs différents et de les réaliser. C’est donc, au delà de solutions techniques, un changement en profondeur de notre système qui sera nécessaire.

L’adaptation en Région wallonne

La Région wallonne a également engagé la réflexion autour de l’adaptation de son territoire au changement climatique. Ainsi une première stratégie d’adaptation est attendue courant d’année, focalisée autour des vulnérabilités actuelles et futures au changement climatique de différents secteurs clés du territoire: l’agriculture, l’aménagement du territoire, la biodiversité, la forêt… Cette première démarche, visant à préciser les possibles conséquences environnementales, économiques et sociales d’un changement climatique sur la Région, devrait permettre d’appréhender précisément l’étendue des mesures à mettre en œuvre dès aujourd’hui pour mettre la Région sur la voie de l’adaptation.

Ce travail devra à terme, à l’image de certaines initiatives déjà en cours en Europe du Nord, pouvoir se décliner à l’échelle de secteurs économiques plus sensibles à ces variations climatiques : Quelle stratégie d’adaptation pour le secteur touristique ? Comment appréhender les vulnérabilités futures au réchauffement climatique dans le développement du rail ? Le secteur des assurances est-il prêt à financer les conséquences sanitaires d’une augmentation des températures de 2°C ? Autant de questions que le secteur privé se doit également d’appréhender…

Conclusions

À la lecture du livre de Tim Jackson, la nécessité d’adaptation semble inéluctable, certes. Mais la définition de seuils au niveau micro semble, elle aussi, comme allant de soi, ; même si l’exercice intellectuel et de recherche ne sera pas chose aisée. En attendant, les pistes d’actions à mettre en œuvre par les pouvoirs publics, le monde de l’entreprise et la société civile sont multiples. Ce n’est qu’en multipliant aujourd’hui les niches de transition que nous pourrons faciliter le basculement vers une société durable, dans laquelle l’économie est au service de l’homme, à l’intérieur des limites des écosystèmes.

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