Le 16 février, dans son discours sur l’énergie
au Maryland, le Président américain Obama donnait
le ton : le futur possible est «celui dans lequel
nos voitures hybrides, nos foyers et nos bureaux,
énergétiquement efficaces, seront alimentés par
de l’électricité renouvelable» et «où nous exporterons
une technologie énergétique domestique au
lieu d’importer du pétrole étranger». Et pour en
arriver là, dit-il, nous devons en faire davantage :
Nous devrons investir de manière soutenue
dans les biocarburants de deuxième génération
et les technologies du charbon propre, et augmenter
en même temps la capacité des énergies
renouvelables comme le vent et le solaire. Et
nous devrons également construire une nouvelle
génération de centrales nucléaires propres
et sûres en Amérique.
Efficacité, énergie renouvelable et énergie
nucléaire. Le 9 juin 2009, en accord avec son
homologue américain, le président français
Sarkozy déclarait : «Nous allons prendre dans les
énergies renouvelables un virage aussi important
que le général de Gaulle pour le nucléaire dans les
années 1960. Ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est l’un
et l’autre». Sarkozy déclara que pour tout euro
dépensé dans le nucléaire, un même euro serait
dépensé dans les énergies renouvelables. Il clarifia
également l’agenda politique sur la question.
La parité de l’investissement doit «préserver un
consensus sur le nucléaire et arriver à le faire tolérer
par ceux qui y sont opposés». La Commission
française de l’énergie atomique, connue sous ce
nom depuis 65 ans, a été rebaptisée Commissariat
à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives.
L’énergie nucléaire comme «technologie transitoire
» ? La coalition conservatrice du gouvernement
allemand a décidé de prolonger la durée d’exploitation
de ses 17 centrales nucléaires en moyenne
douze années au-delà des limites définies par la
précédente législation d’abandon du nucléaire.
Selon l’accord de coalition passé entre les deux partis
gouvernementaux, «la part du lion» des profits
additionnels de l’entreprise publique provenant de
la prolongation de la durée de vie des centrales, sera
taxée par le gouvernement et réinvestie dans les
énergies renouvelables et en particulier l’efficacité
énergétique. La prohibition explicite de toute nouvelle
construction nucléaire est restée intacte dans
la nouvelle loi. Le gouvernement de la chancelière
Angela Merkel et son propre parti étaient divisés
sur la question de la mise en oeuvre de l’accord. Le
ministre de l’Environnement Norbert Röttgen avait
déclaré que le défi était de «passer complètement
aux énergies renouvelables» et insisté sur le fait qu’il
ne connait «personne dans la coalition qui dit que le
nucléaire est notre technologie du futur». Röttgen
souhaitait que la sortie du nucléaire soit effective
en 2030 – huit ans plus tard que prévu par le calendrier
de la législation actuelle, quand les réacteurs
seront âgés d’environ quarante ans et que les énergies
renouvelables couvriront 40% de la demande
électrique, contre 16% à l’heure actuelle. Le ministre
allemand fait remarquer «que les concepts d’une
grande quantité d’électricité nucléaire avec une
grande quantité d’électricité verte ne sont économiquement
pas compatibles».
Compatibles ou non? Quand il s’agit d’analyser
les aspects potentiellement complémentaires ou
contradictoires des systèmes énergétiques basés
soit sur le nucléaire soit sur l’efficacité énergétique
+ renouvelables, l’Allemagne est vraisemblable
ment le cas le plus intéressant. La Fédération
allemande des entreprises communales (VKU)
– une puissante association de 1.350 compagnies
couvrant la moitié des consommateurs du pays
dans les secteurs de l’électricité et du chauffage –
est préoccupée par les conséquences d’un retard
dans le calendrier d’abandon du nucléaire. Hans-
Joachim Reck, son directeur exécutif, a déclaré à
la presse :
Les répercussions négatives sur la concurrence
et la conversion du système énergétique
vers la décentralisation et les énergies renouvelables
sont complètement occultées. […] il
est contre-productif de décourager les entreprises
publiques municipales d’investir dans
la production énergétique efficace et tournée
vers le futur.
La VKU ajouta que les investissements municipaux
en faveur de centrales électriques en
Allemagne, de l’ordre de 6,5 milliards d’euros,
devraient être maintenant réévalués et que même la
viabilité des projets déjà mis oeuvre était menacée.
Un grand nombre de questions systémiques
liées à la compatibilité ou l’incompatibilité d’une
approche nucléaire centralisée avec une stratégie
efficacité énergétique + renouvelables décentralisée,
n’ont pas encore été examinées en profondeur.
Quelles conséquences sur le développement du
réseau électrique et comment les choix de ses
caractéristiques influenceront-ils les stratégies d’investissements
dans la production électrique ? Dans
quelle mesure la taille unitaire des centrales serat-
elle coresponsable de surcapacités structurelles
et donc d’un manque d’incitation à l’efficacité ?
Comment les subventions/subsides gouvernementaux
stimuleront-ils la prise de décision à long
terme ? Les grandes centrales électriques utilisant
des énergies renouvelables reproduiront-elles les
mêmes effets systémiques que les grandes centrales
à charbon ou nucléaires ?
Ce document fait le point sur la situation et
soulève les questions qu’il est urgent d’aborder.
Pour être satisfaisante, une politique énergétique
doit répondre aux besoins de la population en
services énergétiques d’une façon beaucoup plus
efficace que par le passé, compte tenu qu’une
compétition accrue pour des combustibles fossiles
finalement limités, ne peut qu’entraîner une
hausse des prix de l’énergie pour tous. Les politiques
énergétiques ont trop longtemps eu pour
objectif «la sécurité de l’approvisionnement» en
pétrole, en gaz et kilowattheures plutôt que l’accès
général à des services abordables, fiables et
durables comme la cuisson des aliments, la chaleur
et le froid ; la lumière ; la communication ; la
mobilité ; et la force motrice.
L’issue est connue de tous. Même pour des
pays industrialisés aux programmes nucléaires
bien établis, comme les États-Unis, la France
et le Royaume-Uni, la précarité énergétique est
devenue un problème préoccupant qui s’accentue
rapidement. Un nouveau sigle anglais, EWD
(Excess Winter Deaths) fait référence à la surmortalité
hivernale. Un projet européen a révélé
que le nombre de gens qui mourraient durant
l’hiver parce qu’ils n’avaient pas les moyens de
chauffer leurs foyers de manière appropriée, était
devenu très important statistiquement. Le taux
d’EWD varie de 10% à Paris à 30% à Glasgow.
Au Royaume-Uni, on estime que la surmortalité
hivernale due à la précarité énergétique touche
40.000 personnes (nouveaux chiffres pour 2009).
Dans la France nucléaire, près de huit millions de
ménages, environ 28% de l’ensemble, consacrent
plus de 10% de leur budget à l’énergie (y compris
le transport). Depuis 2005, environ trois millions
de familles françaises bénéficient du Tarif de
première nécessité (TPN), une autre invention
récente octroyant des réductions subventionnées
aux familles à bas revenus.
Il est clair que dans les pays qui ont opté
pour l’énergie nucléaire, celle-ci n’a pas permis
un accès généralisé et juste aux services énergétiques.
Mais une stratégie nucléaire est-elle
réellement en contradiction avec le développement
dans le futur d’un service d’énergétique
propre basé sur l’efficacité + les renouvelables ?
Il semble très clairement que cela soit le cas.
Comme le précise le commentaire du Time
magazine sur la décision du président Obama
sur les garanties d’emprunt au nucléaire : «La
générosité extravagante du gouvernement
pourrait favoriser une sorte de renaissance
nucléaire – mais elle pourrait également contribuer
à tuer dans l’oeuf des solutions meilleures
ou même les empêcher de voir jamais le jour».