Renforcer la démocratie pour rendre la société plus écologique :
Contribution de l’histoire de l’écologie politique belge.

Cette étude constitue l’introduction historique et théorique d’un ouvrage qu’Etopia publiera en 2011.


Par maints aspects, l’émergence des mouvements et partis verts et écologistes au cours du dernier quart du XXème siècle fait penser au jaillissement des champignons qui, à la fin de l’été, naissent en quelques heures dans les sous-bois. Tout comme l’éclosion subite à plusieurs kilomètres de distance de sporophores absolument identiques et en quantité parfois considérables ne lasse pas le mycologue amateur, la naissance simultanée des mouvements et partis verts dans de nombreux pays industrialisés ravit l’observateur historique par son caractère aussi soudain qu’apparemment spontané.

A partir du début des années 1970, dans des régions et des Etats aussi éloignés que la Tasmanie, la Wallonie, la Suisse, la Flandre, l’Alsace ou l’Allemagne, sans concertation ni coordination, des petits groupes de personnes s’emparent de la couleur verte et du mot « écologie »  pour défendre une nouvelle manière de vivre en société qui respecte ce qu’ils appellent « la nature ».

Leur objectif n’est plus seulement de protéger ou de conserver certaines espèces ou milieux de vie menacés par les activités humaines, mais de réinterroger fondamentalement les fonctionnements sociaux qui produisent ces menaces.

Ces militants d’un nouveau genre ont beau s’identifier en usant du nom d’une science inventée en 1866 par le biologiste allemand Friedrich Haeckel pour désigner l’étude des interactions entre les espèces vivantes et leur milieu, leur engagement est résolument politique. Sa nouveauté réside dans leur volonté de remettre globalement en question l’idée que le progrès de la science se traduit nécessairement par un progrès humain. A l’idée que la poursuite de l’innovation technique et de la croissance de la production est toujours synonyme d’extension du bien-être, ils opposent les dommages de plus en plus visibles que cette poursuite cause à la nature et aux êtres humains.

Leur diagnostic politique peut se résumer comme suit : la domination de la science et de la technique n’est pas dissociable d’une domination de type à la fois culturelle, sociale et politique, assurée par l’Etat et par les intérêts économiques au service desquels il est placé.
Combattre ces dominations implique, dès lors, de redistribuer aussi largement que possible le pouvoir et en l’occurrence de donner aux citoyens les moyens de refuser la destruction de la nature et de leur cadre de vie, tout en leur permettant de mettre progressivement en place une nouvelle organisation sociale qui offrira les conditions de possibilité d’une vie plus juste et plus respectueuse des humains et de la nature.

L’éclosion rapide des mouvements et des partis verts et de ce qu’on appellera l’écologie politique est redevable de la montée simultanée d’un certain nombre de caractéristiques et de revendications étroitement liées : une prise de conscience des « dégâts du progrès », le rejet d’un système combinant la surexploitation des êtres humains et des ressources naturelles avec le déploiement de processus de décision centralisés et imperméables à la critique, l’émergence d’une demande de formes de décisions associant beaucoup plus étroitement l’ensemble des citoyens.

Sur cette base, on retrouve dans la plupart des partis verts qui naissent au tournant des années 70 et 80, une matrice similaire combinant presque toujours un recours à la science écologique pour dénoncer des méfaits de la croyance aveugle dans les bienfaits de la croissance et du progrès technique avec une conception de la démocratie comme un processus toujours inachevé et à approfondir dans un sens qu’on qualifiera de « radical-démocratique ».

Un peu plus de trente ans après qu’Ecolo se soit constitué comme une « structure d’intervention politique permanente  sur le mode autogestionnaire et fédéraliste » destinée à « poser la revendication écologique sur le plan politique en termes de gestion de la société », que peut-on retenir de cette alliance entre l’écologie et ce « radical-démocratisme » ?

Est-elle encore valable pour affronter les grands défis contemporains ? Faut-il encore et toujours vouloir approfondir la démocratisation pour résoudre la crise écologique ? Ou alors, tout au contraire, le temps n’est-il pas venu de renoncer à l’idée d’associer chacun aux processus de décision (ainsi qu’à leur mise en œuvre) si nous voulons réellement relever les défis écologiques les plus graves auxquels nous sommes confrontés, qu’il s’agisse par exemple du dérèglement climatique ou de la perte de la biodiversité ?

De nombreux auteurs se sont penchés sur ces questions quasiment depuis les origines des mouvements et partis verts. Mais ces dernières années, l’élargissement et l’accélération des prises de conscience quant à l’urgence d’un changement de trajectoire, ont remis au goût du jour une forme de scepticisme plus ou moins important quant à la capacité des systèmes démocratiques à réorienter très rapidement l’économie dans un sens écologique et ont rendu plus pressantes encore les questions relatives aux relations entre l’écologie et la démocratie.

L’objectif de ce livre est d’examiner en quoi l’histoire d’Ecolo peut nous aider à répondre à ces interrogations contemporaines. Il n’ambitionne pas d’écrire une histoire complète et exhaustive de tout ce qui a été débattu, entrepris, réussi ou manqué depuis l’apparition de l’écologie politique en Wallonie et à Bruxelles dans le courant des années 70. En revanche, il se propose d’étudier comment les conditions historiques de la société belge du dernier quart du XXème siècle ont contribué à former la variante wallonne et bruxelloise de cette « matrice écologie-radical-démocratie » qui a été également mise en œuvre dans d’autres pays industrialisés au cours de la même période.

Sur cette base, le livre se propose d’examiner comment Ecolo a poursuivi simultanément ces objectifs de démocratisation et d’écologisation de la société pour lesquels le « parti-mouvement » a été fondé et tenter de voir en quoi cette action a pu influer à la fois sur la politique belge et sur les propres conceptions radical-démocratiques d’Ecolo.

Mais avant cela, cette introduction historico-théorique revient, à la fois, sur les conditions d’émergence de la matrice initiale commune à presque tous les partis verts, sur ses principales caractéristiques ainsi que sur les grands axes de la discussion contemporaine relative à la « transition démocratique de l’écologie ». Il s’agit là d’une autre expression qu’on utilisera ici pour désigner la mise en œuvre de cette matrice radical-écologique.
Suivant la belle expression de Pierre Rosenvallon, l’histoire est « le laboratoire en activité de notre présent ». Autrement dit, un voyage à travers plus de trois décennies de vie de l’écologie politique belge permet de nourrir nos réponses contemporaines à la question des rapports entre l’écologie et de la démocratie.

(…)

  1. Introduction
  2. De la science à la politique
  3. De la crise de la démocratie belge à l’écologie
  4. De la politisation de la science au radical-démocratisme écologiste
  5. De la critique de la société industrielle à la critique de l’Etat
  6. De la prophétie écologiste à la longue marche dans les institutions
  7. Du déficit de démocratie au déficit de la démocratie
  8. Redéfinir l’émancipation, combattre l’impolitique
  9. Conclusion de l’introduction
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