Voilà bien un mot qui, dans l’esprit de nombreux habitants ucclois, n’a que des connotations péjoratives (et mériterait de figurer dans la liste des injures du capitaine Haddock !). Le promoteur est forcément un « bétonneur », coupable de massacrer de précieux espaces verts. Il est d’ailleurs fréquent d’entendre un demandeur de permis souligner le fait « qu’il n’est pas un promoteur » ; les riverains admettent plus aisément la demande de celui qui veut construire sa propre maison.

Mon intention n’est pas de diaboliser a priori la promotion immobilière.
Ces quelques réflexions témoignent d’une expérience hic et nunc,
à Uccle lors de la période de fièvre immobilière sans précédent qui a suivi
l’entrée en vigueur du PRAS (Plan Régional d’Affectation du Sol) en 2001.

Une expérience plutôt négative.
Aurait-elle été différente dans une autre commune et dans un autre temps ?

Un échevin de l’urbanisme rencontre beaucoup de promoteurs immobiliers. Ils viennent lui présenter des projets qui ont en commun un même objectif : la rentabilisation maxima de l’investissement qu’ils ont fait dans l’achat d’un terrain porteur ou non d’un immeuble. Ils vivent du bénéfice engendré par des opérations plus ou moins spéculatives de location, ou plus souvent de revente, des biens nouvellement construits.

J’ai constaté que, prévoyant que l’octroi du permis sera soumis à conditions, ils adoptent tous la même stratégie : demander le plus pour obtenir encore assez ! C’est un jeu dont les pouvoirs publics qui instruisent la demande ne sont pas dupes.

Beaucoup d’élus sont l’objet des sollicitations pressantes des promoteurs. Certains d’entre eux sont même impliqués dans les conseils d’administration de sociétés immobilières privées.

Nombreux sont ceux qui fréquentent, à Cannes, le « Mipim » (Marché International des Professionnels de l’IMmobilier), ce grand rendez-vous annuel du monde des affaires immobilières.

En tant qu’échevine Ecolo, j’ai vécu relativement en marge de ces pressions lobbyistes. On venait me présenter le projet avant l’introduction officielle de la demande de permis. Et on repartait déçu de n’avoir obtenu aucun engagement de ma part quant à l’issue de l’instruction !

Le temps n’est plus, dans nos pays occidentaux, où chacun finançait la construction de sa propre maison avec son épargne (moyennant des phases d’arrêts dans le processus si les liquidités venaient à manquer) sur un terrain dont il était propriétaire.

Une proportion importante et croissante des nouveaux logements résulte de l’action des promoteurs immobiliers d’une part et des pouvoirs publics d’autre part. La différence entre ces deux types d’acteurs est fondamentale : les seconds cherchent à répondre, au mieux, à un besoin social, pas à faire du bénéfice ; les premiers, par contre, visent un taux de profit du capital qu’ils ont investi le plus élevé possible.

La logique de profit de la promotion immobilière se heurte à deux obstacles spécifiques du secteur de la construction : une période de rotation du capital exceptionnellement longue (le temps de la construction, puis celui de circulation du produit devenu marchandise offerte, immobilisent l’argent pendant plus longtemps que dans les autres processus de production) ; et la nécessité de la possession préalable d’une base foncière (d’autant plus difficile à acquérir que le terrain à bâtir se fait rare).

Topalov (un économiste marxiste français contemporain) en conclut que les marges possibles de plus values sont étroites au niveau de la construction (malgré les efforts consentis pour promouvoir la préfabrication et les achats sur plan qui accélèrent le processus) ; mais que le surprofit est possible par le jeu d’un flux permanent des échanges fonciers, dont la profession de promoteur s’est fait la spécialité au sein du système capitaliste et qui est un facteur déterminant de l’augmentation des coûts des valeurs foncières.

L’exemple récent de la commune d’Uccle ne dément pas cette thèse. Des terrains agricoles plus ou moins vastes ont été acquis par de grands groupes financiers dans le sud-ouest du territoire communal ; ils ont fait l’objet de projets de lotissement dès que le statut juridique de leur affectation possible a été défini par le PRAS (Plan Régional d’Affectation du Sol) au terme d’un long conflit d’intérêts. Le plateau Engeland en est le meilleur exemple ; dans le cas du Kauwberg, par contre, la décision d’affectation en « espace vert de droit » a déjoué ces visées de forte plus value.

Je n’ai pas connaissance d’exemples ucclois de « pourrissement » d’immeubles à des fins spéculatives de libération du sol, comme on le déplore dans d’autres zones de la capitale. Mais la pratique est courante d’une valorisation des sols acquis par les promoteurs en terme d’image (« cadre de verdure », « village », « clos »… ) dans le but de justifier une augmentation du prix par la valorisation sociale donnée à leur produit !

L’importance de la marge bénéficiaire des promotions immobilières est évidemment difficile à connaître (même si quelques témoignages m’amènent à penser qu’elle peut atteindre des pourcentages très élevés du prix de revient !).

Ce qui est en tout cas certain c’est que l’espace urbain se vend au plus offrant et que la promotion immobilière excelle à créer du « foncier rare et donc cher » par la valorisation de la qualité environnementale ou culturelle du sol ; avec la volonté généralisée de densifier au maximum l’espace de terrain acquis.

Quelques promoteurs se montrent plus ouverts que d’autres aux exigences d’une bonne intégration de leur projet dans son environnement. Ils comprennent qu’ils y ont intérêt en terme d’image.

Je tiens à souligner que j’ai rencontré, en la personne d’un des promoteurs du projet Engeland-du Puits, un interlocuteur ouvert et honnête, avec qui le dialogue constructif a toujours été possible.

Quant à celui du permis de lotir Engeland-Dolez, après un premier refus de sa demande, il a remarquablement amélioré les aspects écologiques du projet grâce aux conseils judicieux d’un bureau d’étude spécialisé.

Mais trop rares sont ceux qui proposent de construire du logement moyen de qualité qui sera mis sur le marché à un prix accessible à des ménages à revenus modestes. Le haut standing rapporte bien davantage ! Et dans une commune très recherchée comme Uccle, les promoteurs peuvent compter sur une demande qui ne menace pas de fléchir.

Il existe pourtant des sociétés immobilières qui se spécialisent dans la promotion de logements moyens ; mais pour que ceux-ci soient accessibles à des ménages modestes encore faut-il qu’elles acceptent de réduire leur marge bénéficiaire à du 20%, voire même moins…

Remarquons enfin qu’en matière d’architecture, les promotions immobilières font peu d’innovation car le « classique » se vend mieux (l’architecte qu’elles engagent a peu de marge pour exprimer sa créativité ; ce n’est pas facile à vivre pour lui). Et aussi que le « clé sur porte » tant à la mode présente deux défauts majeurs : en plus d’une esthétique banalisée, ce type de projet néglige l’exigence d’une adaptation optimale de chaque logement aux réalités concrètes du terrain.

Est-ce encore vraiment de l’architecture ?

N’est-il pas possible de proposer

d’autres rêves à des coûts qui restent accessibles ?

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