Les problèmes de mobilité sont devenus une des préoccupations citoyennes prioritaires.
J’ai abordé ce thème via un grand nombre d’entrées de cet abécédaire,
avec l’objectif d’une complémentarité entre ces différentes réflexions.
Perceptions uccloises des problèmes de mobilité
A l’occasion des enquêtes d’urbanisme et des réunions publiques sur le thème de la mobilité, j’ai entendu, de manière récurrente, s’exprimer deux grands rêves : la réduction des embouteillages et la possibilité de garer sa voiture le plus près possible de son lieu de destination.
L’illusion persiste qu’un élargissement des voies routières et plus de fluidité sont la solution. L’usage de la voiture particulière n’est pas remis en question. Et les navetteurs ont bon dos, accusés d’être les seuls responsables de la congestion du trafic ucclois !
Chaque projet d’urbanisme est d’abord perçu comme inacceptable parce que facteur aggravant des problèmes de stationnement et source de trafic supplémentaire dans le quartier. La plupart des gens s’expriment en tant qu’automobilistes plutôt qu’en tant que piétons. Leur perception des modes de transport alternatifs à l’automobile est négative (les transports en commun sont « insuffisants », le vélo est « dangereux »).
Par contre, une minorité de citoyens, compétents et actifs, dont le chef de file est l’ACQU (Association de comités de quartier ucclois), milite au contraire pour le développement d’une mobilité douce.
Ils ont produit une étude de qualité à l’occasion de l’élaboration du PCM ; et continuent aujourd’hui de mener une action de sensibilisation utile, par leurs écrits et l’organisation de débats.
Ce rêve d’un espace public libéré d’une présence trop envahissante de l’automobile est aussi le mien. J’ai toujours défendu l’idée, chère à Ecolo, qu’il fallait adapter l’automobile à la ville et pas la ville à l’automobile. Mais le groupe des élus est traversé par le même clivage que celui des citoyens.
Avec, du côté des libéraux, un attachement viscéral au respect des droits du « citoyen automobiliste-électeur » (les crispations du MR local sur les dossiers délicats de la fermeture du Bois de la Cambre et de la rue Xavier De Bue en sont les deux exemples les plus frappants).
Des divergences d’opinion fondamentales divisent donc la communauté uccloise en matière de mobilité. Cela rend difficile la mise en pratique d’une politique efficace car le dialogue entre les deux tendances est quasi impossible. La seule chose sur laquelle tout le monde s’accorde, c’est le souhait d’un trafic le plus modéré possible dans sa rue !
L’étape importante du Plan Communal de Mobilité
Le Plan Communal de Mobilité que le Collège arc-en-ciel a cependant réussi à faire adopter en fin de législature (et dont il est question plus précisément dans le commentaire du mot planification) est un compromis, décevant aux yeux de certains mais qui a au moins le mérite d’exister. Pour la première fois, à Uccle, les questions de mobilité ont été étudiées de manière systémique, à l’échelle de l’ensemble du territoire communal et de tous les modes de déplacement.
Ce PCM n’a toutefois pas mis un terme aux conflits entre habitants lorsque les sens uniques décidés entraînent un déversement du trafic au profit des uns mais aux dépens des autres !
Mais il souligne très justement « qu’il ne faut pas sous estimer l’importance des déplacements des résidents ucclois dans le trafic à Uccle ». Avenue Brugmann, par exemple, les carrefours square des Héros et Marlow sont embouteillés à toute heure du jour. Reconnaissons qu’un usage abusif de la voiture particulière est fait, notamment, pour de petits déplacements (30% des déplacements en région bruxelloise sont des trajets de moins de 5km). Je ne suis pas loin de penser que la congestion croissante du trafic aura un effet dissuasif positif à cet égard !
Le PCM encourage le système du car-sharing ou « voitures partagées » (un nouveau système de voitures de location plus souple et moins cher, géré par la société Cambio, implantée à l’échelle européenne). C’est un mode intéressant de découplage de la possession et de l’usage de l’automobile.
5 stations sont prévues (Bascule, Vanderkindere, Coghen, Uccle-centre, Saint Job) en fonction des critères du choix des localisations suivants : exigence d’une demande et d’un contrôle social : forte densité, noyau commercial, proximité d’un important nœud de transports en commun et d’une autre station. Les emplacements de parking nécessaires seront mis gratuitement à disposition par la Commune ; l’investissement est pris en charge par la Région et les frais d’entretien par la STIB !
La question demeure de savoir dans quelle mesure ce plan pourra être rapidement mis en application par la majorité suivante.
Le double problème de la mobilité urbaine : congestion et pollution
Les deux sont étroitement liés car la première aggrave la seconde. Et celle-ci pose de sérieux problèmes de santé publique.
On parle surtout de la pollution gazeuse (CO2, N2O, O3) génératrice d’une augmentation de l’effet de serre et des pics d’ozone, pour laquelle des seuils à ne pas dépasser sont imposés aux constructeurs. Plus récent est le souci de réduire l’émission, par les moteurs diesel, des fines particules dont l’inhalation peut provoquer des maladies respiratoires et cardio-vasculaires. Une législation européenne est à l’étude ; il est question d’imposer le filtre à particules à tous les modèles de véhicules.
L’éventualité de l’instauration d’un péage urbain à Bruxelles est dans l’air. L’idée s’inscrit dans le principe du « pollueur-payeur » et a déjà fait l’objet de plusieurs études. Il ressort de l’expérience de plusieurs villes européennes (Londres, Stockholm, Rome, Milan …) un bilan plutôt positif : augmentation de la fréquentation des transports en commun et réduction sensible de la pollution.
Mais ce projet suscite des vives oppositions.
Les détracteurs de l’idée soulignent la nécessité d’investissements considérables (techniques et humains) qui ne peuvent être amortis qu’à long terme. Tout dépendra des choix techniques qui seront faits et du montant de péage qui sera demandé ; et n’oublions pas que les problèmes de santé publique coûtent eux aussi très cher à la collectivité (la croissance des asthmatiques est inquiétante dans le centre ville). A Londres, le système s’autofinance et dégage des bénéfices.
Certains craignent une délocalisation des entreprises bruxelloises et une perturbation du marché de l’emploi parce que les limites de la région de Bruxelles-Capitale ne correspondent pas à son hinterland économique. Un périmètre bien choisi pourrait n’englober que très peu de grandes entreprises ; et ne sous-estimons pas le capital nouveau d’emplois et de rentrées fiscales lié à l’amélioration de la qualité de vie dans la ville.
On reproche également le principe socialement critiquable d’une pénalisation des plus petits revenus : le péage constituerait une injustice sociale et avaliserait le principe contestable que la richesse donne un droit de polluer ! Un argument qui doit être nuancé : les bénéfices du péage pourraient financer une amélioration des transports en commun au bénéfice des plus pauvres ; et ce sont surtout les classes aisées qui vivent en périphérie. L’instauration d’un péage aux entrées de Bruxelles permettrait d’ailleurs de compenser quelque peu une autre injustice sociale : le fait que les Bruxellois (en moyenne plus pauvres) supportent seuls des coûts rendus nécessaires par l’arrivée massive de navetteurs en voiture.
Le Gouvernement bruxellois actuel est profondément divisé sur cette question.
C’est pourquoi, personnellement, je souscris à l’opinion de la Ministre Ecolo de l’Environnement Evelyne Huytebroeck qui, en reconnaissant que le monde politique bruxellois est loin d’être mûr pour une telle décision, propose de faire un essai de péage limité à l’entrée dans le Pentagone.
Contre « l’autosolisme » (que ce néologisme est donc laid !) les pouvoirs publics peuvent aussi encourager le covoiturage : il devrait toujours être prévu dans les plans de déplacement d’entreprise (qui sont légalement imposés).
Plus originale est l’initiative d’une conseillère communale Ecolo à Watermael-Boitsfort : les « VAP » ou « voitures à partager » dans le cadre de l’appel à des projets de mobilité lancé par la région en 2002 : il s’agit d’une formule institutionnalisée d’auto-stop avec inscription à la commune ou dans les commerces des automobilistes volontaires qui se voient décerner une carte affichée sur leur pare-brise. L’expérience a eu du succès : le logo VAP affiché par les demandeurs et les conducteurs inspire confiance ; et le système repose sur la gratuité (à part une mini cotisation de 5 €). Plusieurs autres communes participent aujourd’hui à ce service d’auto-stop de proximité qui a été primé par la Fondation pour les Générations Futures en 2008.
Un problème plus général
Il est bien évident que le problème de la mobilité n’est pas spécifique aux territoires urbains !
Quelques exemples de faits concrets qui méritent réflexion :
Plus de la moitié des 200.000 navetteurs se rendent à Bruxelles en voiture.
Le parc automobile belge est en croissance continue (il atteint près d’une voiture par habitant).
Leurs déclarations médiatiques sur leur volonté de lutter contre le réchauffement climatique n’empêchent pas les dirigeants des partis traditionnels de plastronner au Salon de l’Auto et de se réjouir publiquement de la bonne santé économique du secteur !
En Belgique, plus d’un véhicule sur cinq est immatriculé au nom d’une société ;
or cet avantage en nature est une incitation à se déplacer en automobile particulière et les voitures de fonction sont toujours des grosses cylindrées !
Un Américain moyen consacre chaque année environ 1500 heures à son véhicule, soit 4 heures par jour (si l’on tient compte du temps qu’il passe dedans mais aussi de tout ce qu’il lui coûte !)
L’objectif proposée par la commission européenne d’une limitation du rejet des véhicules neufs à 120g CO2 / km n’a pas passé la rampe du Parlement (125 g seulement et un report en 2015 !).
Voyager en avion est souvent moins cher que le train (pourtant beaucoup moins polluant) ; parce que le kérosène n’est pas taxé au même titre que l’essence ou le diesel.
Le transport ne pèse plus guère dans les prix du commerce international ; or ses coûts secondaires sont énormes en infrastructures, en consommation d’énergie et en impact sur l’Environnement.
Vers une nouvelle culture de la mobilité ?
Un processus positif de contagion culturelle est manifestement en route en matière de mobilité. Il se manifeste plus particulièrement dans quatre domaines.
- L’application du principe du « pollueur payeur » par la fiscalité verte.
L’idée d’une taxation en fonction du nombre de kilomètres parcourus plutôt que de la cylindrée du moteur est une première piste à retenir. Une autre est évidemment la prise en compte de l’importance et du type des rejets polluants.
Dans le cadre du réchauffement du climat, la réflexion s’est d’abord polarisée sur le seul indicateur du rejet de CO2. En matière de marketing environnemental l’exemple du label « éco » de Renault témoigne d’une évolution intéressante. Pour le mériter, une voiture doit respecter trois critères : être fabriquée dans une usine répondant à la norme ISO 1400 (limitant les rejets de CO2 , la consommation d’eau et d’énergie grise); consommer peu (libérer moins de 140 g de CO2 par km ; utiliser au moins 5% de plastique recyclé. Mais le rejet des particules fines et de l’oxyde d’azote (essentiellement produits par les moteurs diesel) n’est pas pris en considération !
Ecolo plaide pour que se généralise l’adoption d’un outil fiscal qui combine tous les polluants : l’indice « écoscore ».
Il vise à mesurer l’impact écologique global du véhicule : sur l’effet de serre, sur la santé et les écosystèmes, sur les nuisances sonores. Le calcul prend en compte toutes les émissions générées par le déplacement et aussi celles liées à la production et la distribution du carburant. Une réforme fiscale en ce sens est en cours en Flandre et en Région bruxelloise. - La prise de conscience accrue que, dans une perspective de développement durable, les transports en commun sont la solution d’avenir.
Priorité doit être donnée aux investissements qui en améliorent les réseaux et la fiabilité. Et tous les moyens devraient être mis en œuvre pour inciter les habitants à les utiliser.
Notamment l’octroi de la carte hypermobile proposée par Ecolo à la place des voitures de société.
Parmi eux, le train, qui est incontestablement le moyen de transport le moins polluant, devrait s’imposer face à la concurrence de l’avion. Il dégage 4 fois moins de CO2 que l’avion et n’est pas forcément moins rapide.
Il est vrai que l’aviation n’est responsable que d’une petite proportion des émissions de gaz à effet de serre ; mais son impact est multiplié par le fait que le dégagement se fait en altitude ! Il est possible de ne pas choisir l’avion pour de courtes distances, comme de limiter l’utilisation des jets privés (en forte croissance). Ce qui n’empêche pas que soit poursuivie la recherche en matière d’avions moins pollueurs. Il est parait-il question de la mise au point d’un kérosène à base de maïs, capable de résister sans geler à de basses températures ; mais cela nous renvoie au débat sur l’impact environnemental réel des (bio)agrocarburants.
Avec leurs prix réduits, les compagnies « law cost » posent problème parce qu’elles incitent au choix préférentiel de l’avion. Mais dit-on, « comme leurs avions volent toujours à plein ils consomment moins par voyageur »… Cela ne me convainc pas : la plupart des avions ne sont-ils pas complets de nos jours ? Par ailleurs les conditions de travail qu’elles imposent à leurs employés ne sont pas acceptables. - La multiplication des plans de mobilité scolaire
Le problème de la mobilité scolaire devrait devenir une priorité politique. Parce qu’elle est une cause importante de l’engorgement de la circulation aux heures de pointe et parce que les jeunes aspirent à plus d’autonomie en matière de déplacements.
Dans l’attente d’une loi qui impose aux écoles la réalisation d’un plan de mobilité (comme c’est déjà le cas pour les grandes entreprises et administrations publiques), les initiatives de covoiturage et de ramassage scolaire devraient être encouragées par les pouvoirs locaux.
Les expériences de ramassage scolaire à vélo que nous avons initiées à Uccle dans deux écoles communales lors de la précédente législature n’ont pas attiré la grande foule ; c’est le moins que l’on puisse dire… Mais il est permis d’espérer que l’exemple des valeureux jeunes cyclistes sera contagieux !
Une école uccloise a d’ores et mis en œuvre son plan de mobilité (l’école Decroly), à l’initiative dynamique de quelques parents. A l’occasion d’une demande de permis d’urbanisme, j’ai tenté de sensibiliser au problème les représentants du Lycée français… sans rencontrer beaucoup d’échos ! - Une meilleure articulation des politiques d’aménagement du territoire et du transport
Dans une société où la possibilité de se déplacer est devenu un droit légitimement revendiqué par tous, on ne pense pas assez à réduire les besoins de déplacement. Maîtriser la demande de mobilité est possible grâce à une politique réfléchie d’aménagement du territoire. Il est indispensable dans cet objectif de renforcer la mixité des fonctions urbaines.
Pensons aussi à privilégier la consommation de produits locaux par rapport à ceux qui pèsent lourdement sur les émissions de CO2 liées au transport. .
La résistance qui s’amorce face à la tentation d’acheter des produits alimentaires venus de loin (tels que les fruits et légumes de contre-saison et les viandes de crocodile et d’autruche importées en Europe) est un exemple à suivre. Les fleurs coupées importées des pays africains comme le Kenya nous pose un problème de choix éthique plus difficile car ce commerce, qui est souvent une importante source de revenus pour la population féminine, dégage moins de CO2 que les serres chauffées des Pays Bas (malgré le transport quotidien des fleurs en avion) !
Je ne crois pas utopique d’espérer que nos choix en matière de déplacement
prennent progressivement en compte, à l’avenir,
leur « coût vérité » pour la collectivité.