Une militante Ecolo m’a un jour interpellée, à propos d’un projet immobilier contesté :

Tu dis qu’il faut défendre l’intérêt général, mais c’est quoi « l’intérêt général » ?

La question était évidemment pertinente ;

et elle rencontrait une préoccupation qui était mienne depuis longtemps.

Mais la réponse n’est pas évidente !


A la réflexion, il me semble plus facile de dire d’abord ce qu’il n’est pas.

  • L’intérêt général (que l’on peut aussi appeler l’intérêt collectif) ce n’est certainement pas la somme des intérêts particuliers ! Ceux-ci sont d’ailleurs le plus souvent inconciliables.
  • L’intérêt général ce n’est pas non plus la vision totalitaire d’un pouvoir public fort qui impose sa loi (ni même celle d’un « despote éclairé » qui sait ce qui est « bon pour le peuple »).
  • Ce n’est pas forcément, non plus, le programme d’un parti politique, aussi bien intentionné soit-il.

J’ai envie ensuite de répondre que défendre « l’intérêt général » aujourd’hui c’est, le plus fondamentalement, se soucier de l’avenir à long terme de notre planète-Terre, et ce dans l’intérêt de toute l’humanité.

Dans une perspective de long terme, l’intervention de l’autorité est donc légitime lorsqu’il s’agit de la gestion anticipée des biens collectifs de notre environnement (équilibres naturels, biodiversité, réserves d’eau potable…) dans l’objectif de préserver l’avenir des générations futures.

Cela suppose d’avoir le courage de prendre des décisions politiques impopulaires (comme par exemple celles qui visent à réduire le trafic automobile et aérien) et des mesures responsables non entachées d’électoralisme (comme celle d’investir dans les économies d’énergie des bâtiments publics).

A plus court terme, « l’intérêt général » exige également la satisfaction des besoins présents du plus grand nombre, plus particulièrement en matière de santé, de logement, de sécurité sociale et de droit à l’éducation.

Cela suppose de pouvoir y consacrer les moyens financiers nécessaires (dans cette perspective, taxer davantage les grosses fortunes est une mesure de fiscalité redistributive d’intérêt général) et aussi d’imposer certaines interdictions fermes (comme celle de fumer dans les lieux publics ou d’exploiter du travail au noir).

Sous ses aspects séduisants pour tout esprit quelque peu rebelle, le slogan bien connu de mai 68 « il est interdit d’interdire » est dangereux ; car il fait perdre le sens de l’intérêt collectif.

Mais faut-il pour autant approuver qu’un pouvoir communal à court de moyens financiers soit prêt à accepter sur son territoire un projet fiscalement intéressant mais susceptible de générer des nuisances environnementales ?

Chacun comprendra qu’assumer de telles responsabilités politiques n’est pas chose aisée. Car la défense des intérêts particuliers est présente à tous les niveaux (local, régional, fédéral et européen) et elle table sur le fait que les décideurs politiques sont très sensibles au lobbying (électoralisme oblige !).

Dans les départements de l’Urbanisme et de l’Environnement que j’ai eu à gérer, il est fréquemment fait appel à la notion d’intérêt général. La question se pose alors de savoir si celui qui s’y réfère (élu ou fonctionnaire des administrations) a toujours le recul et l’objectivité nécessaires pour arbitrer valablement.

Un éditorial récent de la « Lettre aux habitants » (le périodique édité par l’ACQU, association uccloise de comités de quartier) porte sur cette question.

Le texte insiste sur le fait que, dans une démocratie,

« les élus n’ont pas le monopole de la vision de l’intérêt général ».

Cette affirmation m’inspire le commentaire suivant :

Je puis souscrire assez largement à cette idée. En ajoutant même que certains élus (heureusement peu nombreux) abusent de leur mandat au service de leurs intérêts particuliers alors que la grande majorité des fonctionnaires de l’administration publique s’efforce par contre, de bonne foi, de servir au mieux l’intérêt commun ; sans bien sûr détenir le monopole de la vérité en la matière ; mais, au moins, les décisions qu’ils proposent au pouvoir exécutif de prendre ne sont pas infléchies par la défense de leurs intérêts particuliers. Certaines actions citoyennes peuvent aussi, bien sûr, poursuivre le même objectif désintéressé (particulièrement celles menées par des associations environnementales).

La conclusion de cet éditorial me laisse toutefois perplexe :

un recours d’habitant(s) contre une décision émanant d’un pouvoir public

« est justifié s’il est mû par la recherche de l’intérêt général ».

Or tout le problème est, justement, la difficulté de faire la part des choses dans les motivations des citoyens contestataires requérants ! Et il s’aggrave du fait que tout l’art du bon lobbyiste consiste, de nos jours, à masquer la défense d’intérêts particuliers sous le couvert d’un objectif d’intérêt général !

Entre personnes de bonne foi, le débat doit demeurer ouvert.

Car la définition de ce qui relève de l’intérêt général, comme le choix des priorités,

sont inévitablement marqués par des présupposés d’ordre idéologique.

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