Lors d’un débat au Collège, le Bourgmestre me décoche : « ta position est idéologique ». Traduction supposée : « tu te réfères à une doctrine sans prendre en compte la réalité des faits ».

Il s’agissait de conditions à imposer à la délivrance

d’un permis de lotir pour un important projet immobilier privé…

qui s’inscrivaient dans une perspective de développement durable !

Les idéologies n’ont plus bonne presse.

Le terme est souvent connoté de manière péjorative de nos jours.


Il est vrai qu’en politique on oppose souvent idéologie et réalisme. Il est vrai aussi que le terme évoque des mots en « isme » qui nous font peur : fascisme, nationalisme, communisme, racisme, sexisme, intégrisme

Il en est pourtant d’autres qui, bien que qualifiant également des courants idéologiques, sont perçus plus positivement : pacifisme, socialisme, libéralisme, féminisme, écologie politique (que l’on pourrait qualifier d’« écologisme » !)…

Mais qu’est-ce en fait qu’une idéologie ? Et quelles sont ses fonctions ?

En sciences humaines, les définitions de « l’idéologie » sont multiples et traduisent les visions très différentes de leurs auteurs. Rien de plus idéologique que les définitions du mot « idéologie » !

Ainsi par exemple celle, très péjorative, du philosophe allemand Karl Jaspers :
« Une idéologie est un complexe d’idées ou de représentations
qui passe aux yeux du sujet pour une interprétation du monde ou de sa propre situation,

qui lui représente la vérité absolue mais sous forme d’une illusion par quoi il se justifie,

se dissimule, se dérobe d’une façon ou d’une autre, mais pour son avantage immédiat »

Le sociologue Guy Rocher propose, lui, une définition beaucoup plus neutre
qui a le mérite d’une précision rigoureuse :

« Un système d’idées et de jugements, explicite et organisé, qui sert à décrire, expliquer, interpréter ou justifier la situation d’une collectivité et qui, s’inspirant largement de valeurs, propose une orientation précise à l’action historique de cette collectivité »

Personnellement, je n’ai pas une vision manichéenne de la distinction entre science (= Vérité) et idéologie (= illusion voire manipulation). Car les yeux du scientifique sont toujours influencés par une certaine idée préalable de ce que peut être la réalité observée et les hypothèses d’explication qu’il formule guidées par des présupposés idéologiques plus ou moins conscients. Et lorsque la Science se fait « scientisme » ne devient-elle pas elle-même idéologie ?

« La représentation du monde que construit l’homme fait toujours une large part à son imagination » nous dit le biologiste François Jacob dans « Le jeu des possibles ».

Les idéologies peuvent contribuer à rendre conscients des sentiments confus, inhibés, auxquels elle fournit les mots nécessaires pour être exprimés et reconnus. En aidant les individus à s’identifier à un « nous » elles les rend capables de se mobiliser collectivement. En proposant des objectifs et des moyens d’action, elle fait lever des espérances nouvelles et dessine un avenir possible.

« Elle libère des énergies qu’elle sert en même temps à canaliser » (Rocher).

L’idéologie a donc le grand mérite de constituer un cadre de pensée cohérent qui justifie une action collective. Elle n’est pas mauvaise en soi. Tout dépend de la nature de ses objectifs et de sa capacité de prise en compte des réalités.

Il est en effet évident que certaines idéologies peuvent être trompeuses et dangereuses. Car alors que la démarche scientifique se soumet en permanence à la critique et progresse par la confrontation systématique de ses hypothèses à la réalité, la pensée idéologique résiste aux remises en question.

Elle est capable « d’insérer sans peine la réalité dans le cadre qu’elle a créé » (Jacob)

Le renouveau d’un « créationnisme » militant d’origine chrétienne ou musulmane qui espère convaincre en se parant des vertus de la science en est un bon exemple d’actualité. N’oublions pas celui plus ancien de l’idéologie du « développement » imposée par un Occident ethnocentriste comme étant la voie unique du progrès à l’échelle universelle !

Mais d’autres idéologies m’apparaissent comme très utilement motivantes.

A commencer par l’écologie politique, qui se montre à la fois capable

de nous pousser à l’action et de se remettre en question !

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