Il était tacitement entendu que, dans le Collège arc-en-ciel ucclois, nous étions 4 membres « de gauche » : l’échevine PS, les deux échevins Ecolo et le Bourgmestre FDF. Cette étiquette était-elle justifiée ? Si la « gauche » se définit plutôt pas sa sensibilité aux questions sociales, il est vrai que le clivage cité plus haut était une réalité. Mais si l’idée de « gauche » est d’abord associée à celle de « changement » (par opposition au conservatisme de « la droite »), il faut bien reconnaître que c’est dans le chef de certains des échevins libéraux que j’ai trouvé la plus grande ouverture aux idées nouvelles.

Lorsque j’abordais les notions de « droite » et de « gauche » dans mon cours de sciences sociales avec les étudiants du secondaire supérieur, j’avais l’habitude de leur demander de formuler leur proposition de définition (en les incitant à en discuter d’abord avec leurs parents). La mise en commun était toujours très intéressante par la diversité des textes proposés. Je ne pense pas que le résultat serait différent aujourd’hui.

Méfions-nous des étiquettes !

D’autant plus que cette terminologie politique est plus ambiguë qu’on ne le pense généralement.

Le clivage politique droite/gauche

Les médias utilisent les termes de « droite » et de « gauche » sans songer à les définir. Comme s’il y avait un consensus sur ce que ces étiquettes politiques signifient et sur la manière dont les partis se positionnent sur l’échelle gauche – droite. Je pense que c’est une illusion, et qu’elle peut être source de malentendus.

Mon intention n’est pas ici de disserter sur la « gauche traditionnelle » et son action historique. D’autres l’ont fait beaucoup plus savamment que je ne pourrais le faire. Mais plutôt de mener une réflexion d’ordre sémantique ancrée dans les réalités d’aujourd’hui. Elle me parait d’autant plus utile qu’en Belgique, le clivage gauche/droite entre les partis est souvent brouillé ; au niveau du discours (fréquemment entaché de langue de bois) comme de l’action politique (trop souvent en discordance avec le discours).

  • La gauche serait « progressiste ».

    Remarquons d’abord que le terme « progressiste » manque lui aussi de clarté. Toute nouveauté n’est pas progrès ; et ce qui apparaît comme un progrès aux uns peut être perçu comme une dégradation par les autres. Par ailleurs, le socialisme n’a pas le monopole du progrès.

    La « Fête du progrès » est célébrée annuellement par le parti socialiste bruxellois et cette dénomination m’apparaît comme une appropriation abusive d’une valeur positive dont le PS est loin d’avoir le monopole !

    Avant d’adopter l’étiquette PRL (Parti Réformateur Libéral), les libéraux belges se sont dénommés PLP (Parti de la Liberté et du Progrès). Etaient-ils « de gauche » pour autant ?


    Une déclaration récente faite au Soir par José Manuel Barroso (Président de la Commission européenne) n’est pas faite pour clarifier les esprits :

    « Il y a une gauche progressiste, sur les valeurs de liberté et de justice sociale,

    mais il y a aussi une gauche profondément réactionnaire, protectionniste, chauviniste…

    Il y a une droite libérale, moderne, ouverte et il y a une droite xénophobe,
    parfois même raciste, ultranationaliste, réactionnaire ».
  • La gauche milite pour le changement face à une droite conservatrice.

    La lecture du politologue français Maurice Duverger permet-elle d’avancer dans une appréhension plus claire des deux concepts ?

    « Le combat politique, écrit-il en 1964, oppose ceux qui sont à peu près satisfaits de l’ordre social existant, qui veulent le conserver, et ceux à qui cet ordre ne convient pas, qui veulent le changer.
    Les premiers constituent « la droite » ; les seconds « la gauche » au sens le plus général du terme ».


    Cette définition ancienne se justifie historiquement : la contestation d’un ordre établi fondé sur des privilèges de classe est bien de gauche. Mais, par son insistance sur les oppositions verbales « conserver » et « changer », elle prête cependant le flanc à diverses interprétations.

    Quel parti ne prône pas aujourd’hui le changement lors de ses campagnes électorales ? Sarkosy, homme de droite s’il en est, se présente comme « le Président du changement ». Et a contrario la défense des acquis sociaux par le PS devrait-elle être taxée « de droite » dans une application formaliste de cette définition ? Il est évident que non !
  • La référence aux valeurs est plus solide.

    Défense prioritaire de l’idée de solidarité à gauche et de liberté à droite ?

    Oui, certainement. Mais cela ne règle pas la question car tous les partis affichent aujourd’hui des préoccupations d’ordre social ; et, au niveau du discours, la plupart souscrivent aujourd’hui aux valeurs promues par la gauche traditionnelle d’égalité et de justice sociale.

    Personnellement, pour distinguer plus sûrement les sensibilités « de gauche » de celles « de droite », je trouve plus révélateur les prises de position sur des questions concrètes.

    Par exemple, à l’échelle de la gestion d’une commune, les élus « de gauche » se soucieront davantage de défendre les droits des locataires plutôt que ceux des propriétaires et seront plus à l’écoute des populations défavorisées que des revendications des habitants des beaux quartiers. Ils initieront des projets de construction de logements sociaux. Ils défendront les droits des fonctionnaires de l’administration. Ils prôneront le respect de clauses éthiques et environnementales dans les marchés publics. Ils favoriseront diverses formes de démocratie participative …

On peut se livrer à cet exercice d’une manière plus générale. Sont pour moi des attitudes « de gauche » :

La recherche de l’explication de la délinquance dans des causes sociales plutôt qu’individuelles

La préférence donnée à la prévention en matière de sécurité

La volonté d’un Etat régulateur de l’économie de marché

L’attachement au service public

La défense de l’emploi et des revendications salariales

La dénonciation des pratiques des multinationales et de la domination de la finance sur l’économie mondiale

L’insistance sur le rôle redistributif de la fiscalité et la revendication d’une taxation plus élevée des revenus du capital

La défense des droits des « sans papier »

La dénonciation des pratiques manipulatrices de la publicité commerciale

La volonté d’une participation démocratique citoyenne accrue …

A l’inverse, sont des réactions que je qualifie « de droite » :

L’affirmation du primat de l’inné sur l’acquis (cette survalorisation des facteurs génétiques contrastant avec une sous évaluation des facteurs environnementaux et sociaux)

Les politiques sécuritaires axées sur la répression

L’attachement prioritaire au droit de propriété et la défense de la libre entreprise ;

La foi dans les vertus de la libre concurrence comme moteur de l’économie et la dénonciation du « trop d’Etat »

La stigmatisation des chômeurs par généralisation abusive

L’acceptation d’une privatisation croissante dans les secteurs des médias et de la sécurité sociale

Le goût de l’ordre et le respect de la hiérarchie en place

L’affirmation d’une mission « civilisatrice » de l’Occident

L’exaltation du nationalisme et la stigmatisation des étrangers…

Ces énumérations ne sont, bien sûr, pas exhaustives. Elles visent simplement à donner un contenu concret à des étiquettes politiques qui sont trop souvent attribuées de manière discutable, voire arbitraire.

D’une manière générale, la psychologie sociale a mis en évidence le fait que les personnes « de gauche » ont tendance à chercher l’explication des problèmes dans des causes socio-économiques alors que celles « de droite » privilégient les explications psychologiques qui relèvent donc de la responsabilité individuelle. Deux modes de pensée qui ne sont évidemment pas innés ! Ce sont, nous dit-on, des acquisitions culturelles, qui entretiennent des discours en tant que mode de ralliement, plus ou moins conscient, entre personnes du même bord.

Les partis belges sur l’échelle gauche/droite
Il est habituel de considérer, en Belgique, que le socialisme incarne la gauche face à un libéralisme de droite. Avec, au centre, ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler « l’humanisme » du Cdh et, aux deux bouts de l’échelle, des petits partis extrémistes faciles à étiqueter par la défense de valeurs opposées (même si, trop souvent malheureusement, leurs méthodes se rejoignent).

Se pose alors la question délicate du positionnement d’Ecolo. La question de savoir où se situe Ecolo sur l’échelle droite/gauche traditionnelle gêne certains militants et l’on peut se demander si elle demeure vraiment pertinente.
La brève histoire des mouvements écologistes a transcendé, en effet, le clivage droite/gauche. Pendant longtemps ces partis, issus d’une contestation militante à composante environnementale dominante, ont refusé de prendre place sur l’échiquier politique traditionnel. Ecolo se voulait « ni-ni » : ni de gauche, ni de droite, ce que d’aucuns lui reprochaient. Mais s’il est vrai que ce parti se démarque nettement à la fois du courant de la gauche traditionnelle et du courant libéral, il est pourtant vrai également qu’il s’affirme résolument ancré dans des valeurs de gauche (solidarité, justice sociale, primat de l’intérêt collectif sur les libertés individuelles, défense des minorités, ouverture à la diversité culturelle …) avec le souci manifeste d’être toujours aux côtés des défavorisés et des opprimés. Tout son programme en témoigne, comme son action lorsqu’il participe au pouvoir.

Gérard Deprez, le chef de file du MCC, n’a-t-il pas déclaré récemment que

« Ecolo est la gauche la plus intéressante et la plus propre » ?

Reconnaissons toutefois que l’électorat d’Ecolo demeure beaucoup moins à gauche que ses militants (les préoccupations sociales sont peu présentes chez l’électeur qui ne choisit Ecolo que pour que soient défendus les espaces verts !). Et que ce parti manque d’un ancrage populaire qui lui donnerait une légitimité de gauche mieux affirmée.

Il faut aussi souligner qu’à la différence d’une certaine gauche traditionnelle, Ecolo ne s’enferre pas dans des solutions du passé. Ce parti inscrit sa politique dans le cadre d’un nouveau paradigme qui réfute la vision prométhéenne du rapport de l’homme à la nature et le « culte de la croissance économique».

La revendication d’une prise en compte des coûts externes du système économique productiviste actuel, dans le souci de transmettre un héritage viable aux générations futures, est en effet spécifique de la pensée de l’écologie politique. Aucune des autres formations politiques belges n’a réellement intégré cette préoccupation. La gauche traditionnelle ne pose que la question de la répartition des richesses ; pas celle de leur mode de production.

Une autre différence importante est le combat écologiste pour le développement de la « sphère autonome » (c’est-à-dire les activités que les individus mènent en dehors des logiques du marché et de l’Etat) et pour accroître les possibilités d’autonomie de ceux qui se trouvent le plus privés de parole et de droits. Avec des exigences de démocratie participative qui vont beaucoup plus loin que celles des socialistes.

Conclusion

Sous son apparente simplicité, la distinction entre Droite et Gauche pose problème. D’autant plus que la théorie est une chose et la mise en pratique en est une autre.

Tous les partis qui se disent de gauche ne mènent pas une action politique conforme aux valeurs qu’ils prônent. Et nous connaissons tous des personnes qui ont « le cœur à gauche et le portefeuille à droite » !

On peut cependant identifier une « culture de gauche » dans un mode de pensée partagé par des individus qui peuvent se retrouver par delà leur allégeance à des partis différents. C’est à celle-là que j’ai le sentiment d’appartenir et que je souhaite promouvoir (en essayant, dans toute situation conflictuelle, d’adopter le point de vue et le parti des dominés).

Quant à la position du parti Ecolo elle est assurément à la gauche du paysage politique belge. Mais il s’agit bien d’une gauche alternative, marquée par la lucidité d’une profonde critique de la société de consommation.

C’est l’échelle même que l’écologie politique nous conduit à remettre en question

par son apport à une redéfinition de la gauche de demain.

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