Après chaque élection, il se trouve toujours quelqu’un pour dire que « l’électeur a toujours raison ». Cette expression me semble particulièrement malheureuse. Non, l’électeur n’a pas toujours raison ! Faut-il rappeler qu’Hitler est arrivé au pouvoir à l’issue d’élections démocratiques ?
Et aussi le nombre croissant de voix récoltées par le Vlaams Belang ?
Je préfère entendre dire qu’il faut « respecter la volonté des électeurs ».
La pratique des coalitions nécessaires pour former une majorité compromet cependant trop souvent le beau principe du respect des résultats de l’élection. _ Soit parce qu’elles sont négociées avant les élections. Le plus correct me semble être alors la transparence : lorsqu’une alliance est prévue, l’annoncer clairement aux électeurs avant la date de l’élection. Soit parce les alliances post électorales se concluent en raison de considérations plus stratégiques que programmatiques.
Dans une démocratie représentative, la question de savoir ce qui influence le plus le choix des électeurs est fondamentale. C’est une question à laquelle il est difficile de répondre tant est grand le nombre de facteurs pouvant entrer en jeu.
Du côté des électeurs, la tradition de vote familiale et l’influence des relations personnelles peuvent avoir une influence déterminante ; tout comme la situation socio-économique avec l’éventualité d’une dépendance clientéliste (même si l’on constate que le vote devient de nos jours moins tributaire de la classe sociale).
Dans le chef des candidats, leur charisme personnel, l’image des partis, le style des campagnes électorales, les programmes, les bilans de l’action politique passée ont de l’influence. Le relais médiatique joue bien sûr aussi un rôle important.
J’ai toujours été surprise par la grande dépense d’énergie des candidats (ou de ceux qu’ils engagent pour ce faire) en matière d’affiches électorales personnelles ; avec un acharnement à la mesure de leur intime conviction d’un impact déterminant de ce matraquage visuel.
A ma connaissance celui-ci n’a jamais été démontré ! L’image a certes un impact (conscient et inconscient, similaire à celui de la publicité urbaine) ; mais le passage de l’image à la mémorisation du nom est-il assuré dans l’esprit de ceux qui n’ont pas déjà une connaissance préalable du candidat ? Ce sont des noms qui figurent sur les bulletins de vote, pas des photos.
Il doit y avoir un aspect ludique dans la « guéguerre à l’affichage électoral » ; auquel s’ajoute peut-être la satisfaction d’amour propre de voir son portrait multiplié dans l’espace public !
L’impact de l’image des candidats lors de leur passage à la télévision est probablement beaucoup plus grand.
A cet égard, la psychosociologie a mis en évidence l’importance première des attitudes corporelles et des expressions du visage ; elles frappent l’électeur bien plus que le contenu du discours !
Il appartient aux politologues de mettre en évidence certaines corrélations statistiques qui permettent de dégager de prudentes conclusions relative aux rapports entre tendances du vote et facteurs sociologiques. L’analyse comparative de cartes thématiques est une méthode très intéressante pour ce type de recherche.
Il n’est pas anodin, bien évidemment, de mettre en rapport l’importante proportion de propriétaires parmi les habitants de notre commune et le succès électoral du parti libéral qui se flatte de maintenir Uccle parmi les trois communes de la région bruxelloise qui ont la fiscalité immobilière la plus basse !
Attention cependant : la mise en évidence d’une bonne corrélation entre deux faits peut conduire à une conclusion biaisée par une inversion des liens de causalité !
Il est exact que les circonscriptions électorales où domine le vote socialiste correspondent à des zones socio-économiques en difficulté. Mais, contrairement à ce qu’affirme certains porte-parole du MR, ce n’est pas la démonstration d’une mauvaise gestion par le PS : les gens précarisés ont spontanément tendance à voter à gauche et les régions riches votent plus à droite ; leur niveau de vie est un des facteurs qui influencent le choix des électeurs, leur vote en est la conséquence. La dominance PS n’est pas plus la cause des difficultés du Hainaut que la dominance libérale n’est la cause du faible taux de chômage du Brabant wallon !
Dans une perspective démocratique idéale le choix de ceux qui accèdent au pouvoir devrait être issu d’un bilan du passé et d’un débat d’idées pour le futur. En réalité, le choix des électeurs me semble être d’abord un choix de personnes ; régi par le primat de l’individuel sur le collectif. On peut le déplorer. Il est impossible de l’ignorer.
Ce qui était surtout vrai, jadis, pour la politique de proximité communale, se généralise aux élections de tous les niveaux. Le candidat doit avoir du « charisme » ; c’est beaucoup plus important que de réelles compétences ! Et le charisme cela tient à beaucoup de choses, intuitivement perçues, et qu’il n’est pas toujours possible d’expliquer. Les médias confortent cette tendance par leurs sondages relatifs à la popularité des personnalités politiques (dont les résultats sont suivis avec grand intérêt par ces dernières).
Je suis par ailleurs frappée par le nombre croissant d’électeurs qui se déclarent indécis pendant les périodes électorales. Dans un pays comme le nôtre où le vote est obligatoire (ce que je trouve justifié, parce que cette obligation est une reconnaissance de principe d’une égale prise en compte du droit de chacun à s’exprimer), le poids des indécis devient fort important.
Faut-il s’en réjouir ? Oui, s’il s’agit de citoyens qui se réservent dans l’attente d’une meilleure connaissance des candidats et de leur programme. Non, si cela témoigne d’une indifférence à la chose publique. Le « Moi, madame, je ne fais pas de politique » est dangereux parce qu’il sert toujours les intérêts des dominants.
Les campagnes électorales ne touchent le plus souvent que ceux déjà acquis à votre cause. Elles devraient cibler, en priorité, la catégorie des indécis, des non motivés ; en rappelant que voter est un acte grave (qui ne devrait jamais être un geste machinal).
Avant de se demander pour qui voter, il est important que les jeunes comprennent pourquoi voter.
Une éducation à la citoyenneté responsable me paraît indispensable au niveau de l’école secondaire.
Le fait d’enseigner les sciences sociales m’en a donné une occasion privilégiée. Mais ce cours est malheureusement optionnel ; des heures d’ « éducation civique » (peu importe le nom que l’on donne à la chose) devraient être insérées obligatoirement dans les programmes scolaires via des cours de tronc commun.
A l’initiative du Ministre de l’Education de la Communauté française,
un ouvrage de grande qualité vient de sortir,
destiné à être distribué dans toutes les écoles de la Communauté,
dont le titre évoque très explicitement cet objectif d’éducation civique :
« Etre et devenir citoyen »