L’utilisation des biocarburants comme source d’énergie alternative
pour les déplacements motorisés pose un débat d’actualité particulièrement intéressant.
Sans aller jusqu’à dire, comme certains, que les « biocarburants » sont une « arnaque écologique », je pense qu’il est essentiel d’aborder ce débat dans une optique systémique qui prenne en compte l’ensemble des impacts de cette nouvelle source d’énergie, et ce à l’échelle mondiale.


L’appellation est elle-même discutable. Il s’agit en réalité plutôt « d’agrocarburants » c’est-à-dire d’une énergie stockée sous forme de carburants liquides produits à partir de cultures industrielles.

Deux filières d’agrocarburants actuellement expérimentées

  • La production d’une huile (de colza, de maïs, de palme, de soja…) qui peut être transformée en biodiesel ;
  • La production d’éthanol par fermentation alcoolique de glucides, à partir de plantes sucrières (betteraves, canne à sucre) ou amylacées (céréales, pommes de terre).

    Le processus comporte donc deux étapes toutes deux consommatrices d’énergie : la culture, puis la production du carburant à partir de la biomasse. Le bilan du dégagement de CO2 est théoriquement nul à condition de replanter ce que l’on a brûlé (le combustible libère dans l’atmosphère la quantité de dioxyde de carbone qu’il avait absorbée par photosynthèse lors de sa croissance). Il faut cependant prendre en compte les rejets provoqués par les intrants nécessaires à la culture et l’énergie nécessaire au transport et à la transformation industrielle.

Ne pas confondre avec la biométhanisation des déchets organiques

Cette opération relativement facile produit un combustible sous la forme d’un biogaz (le méthane) exempt de particules fines et utilisable pour le chauffage et les transports en commun.

Dans le cadre d’une nouvelle politique générale des déchets décidée en 1992, la communauté urbaine de Lille nous en montre un exemple modèle, concrétisé en 2007 :

 Les déchets organiques de la métropole urbaine sont transformés en compost d’une part et en biogaz d’autre part, dans un centre périphérique de valorisation implanté sur une friche industrielle en bordure d’un canal. La part de déchets non valorisable est renvoyée vers l’incinération par la voie d’eau ; elle produit de l’électricité par cogénération.

 Un dépôt de bus a été aménagé à côté. Ils seront directement alimentés par le biogaz produit (avec une autonomie de 200 à 250 km). L’entretien des bus est assuré sur place et les eaux de toitures sont récupérées pour leur nettoyage.

 Deux années de concertation avec les habitants riverains ont été nécessaires pour apaiser les inquiétudes suscitées par un tel projet !
La décision a été prise récemment par le gouvernement bruxellois de remplacer le centre de compostage forestois (générateur de nuisances olfactives) par un centre de biométhanisation localisé sur un terrain proche racheté à l’UCB.

Les agrocarburants solution miracle ? Loin de là !

D’abord parce qu’il faut s’efforcer de considérer le bilan global du point de vue de leur impact environnemental :

 Forte consommation d’eau.

 Epandage massif d’engrais chimiques et pesticides pour la culture
(la production des engrais dégageant elle-même du N2O au puissant effet de serre !).

 Economie d’énergie inférieure à 50% par rapport aux énergies fossiles ;
mais possibilité de valoriser des sous-produits intéressante pour la première filière.

 Emissions de CO2 réduites dans les mêmes proportions ;
mais à un coût nettement plus cher que par d’autres investissements possibles.
– Bilan CO2 du biocarburant négatif en cas de défrichement !
(or, la demande croissante pousse certains pays tropicaux
comme l’Indonésie et la Malaisie à accélérer la déforestation).

Ensuite parce que de telles cultures risquent de monopoliser le sol au détriment des cultures vivrières. L’usage grandissant de l’agriculture pour la production d’énergie est une des causes de la hausse actuelle des prix alimentaires, particulièrement dommageable pour les populations les plus pauvres (et qui ne fera que s’accélérer si l’emploi des agrocarburants se généralise dans le monde).

A titre d’exemples précisons que l’alimentation complète du parc automobile belge nécessiterait de cultiver une surface plusieurs fois supérieure à la superficie totale du pays ; et qu’un plein d’agrocarburant pur demanderait 250 kg de céréales (soit une production qui permettrait de nourrir un enfant pendant un an !). Soulignons aussi qu’au Mexique, la pression sur le maïs a doublé le prix de cette céréale qui est la base de l’alimentation locale.
Il faut toutefois reconnaître l’existence d’excédents agricoles européens (notamment en betterave sucrière) qui pourraient être utilement transformés en éthanol.

La politique belge en faveur des agrocarburants

Une loi votée en 2006 autorise l’incorporation progressive de carburants verts dans les essences et le diesel. Cette loi prévoit une augmentation des accises pour financer le surcoût à la production.
Cette politique s’inscrit dans le cadre d’une obligation européenne. Il s’agit de mélanger 6% de « biocarburants » en 2010 aux carburants traditionnels (avec l’objectif d’atteindre les 10% en 2020).

Révélatrice est cependant la marche arrière récente de la Commission européenne qui juge à présent nécessaire de faire la distinction entre bons et mauvais agrocarburants !

Mais, l’essor de la production des carburants verts a été moins rapide que prévu.

Les pompes n’étaient pas encore alimentées en ces nouveaux mélanges de carburants au moment de l’entrée en vigueur de la loi en octobre 2007 ! Quelques unes le sont depuis 2008.

Pour une région comme la Wallonie, les agrocarburants présentent le double avantage d’assurer une moindre dépendance énergétique et d’offrir de nouveaux débouchés à son agriculture. C’est pourquoi leur production est clairement soutenue par le Gouvernement régional.

Du biodiesel est déjà fabriqué à Feluy et en Flandre. Trois usines de bioéthanol ont été mises en construction à Alost, Gand et dans la commune wallonne de Wanze ; cette dernière récemment inaugurée (BioWanze) est la plus grande en Belgique.

Il a été question d’implanter une importante usine d’agrocarburants à Bruxelles, le long du canal.

Ce projet a été vivement contesté par le milieu associatif. La commission de concertation a rendu un premier avis favorable à condition que soit approfondie l’analyse des risques du stockage d’un volume important de substances dangereuses ; suite au rapport du SIAMU, le projet a été abandonné. C’est heureux car il n’avait pas sa place en milieu urbain et ne participait pas à un développement durable.

Le Gouvernement fédéral vient de décider d’imposer l’incorporation de 4% d’agrocarburants dans l’essence et le diesel à partir de juillet 2009.

L’avant-projet de loi comprend parait-il des critères de « durabilité » à respecter (anticipant une prochaine directive européenne toujours en cours de discussion).

Un débat toujours d’actualité

A l’heure où j’écris le débat est loin d’être clos.

Il annonce une évolution probable rapide dans la manière d’appréhender ce sujet.

D’ores et déjà, l’emploi du mot « biocarburant » (qui parce qu’il évoque l’image positive d’une énergie renouvelable propre et inépuisable donne une image illusoire de respect de l’environnement) est pratiquement abandonné. Préférons-lui le terme plus pertinent d’agrocarburant.

Les agrocarburants demeurent considérés par l’Europe comme une solution (parmi beaucoup d’autres) au défi énergétique ; une solution qui a l’avantage d’être disponible à très court terme.

Mais la prise de conscience progresse du fait que la promotion de tels carburants s’inscrit dans le cadre d’une monoculture intensive, productiviste et spéculative, grande consommatrice d’engrais et de pesticides et pour qui l’usage des OGM va de soi.

Des chercheurs gantois ne proposent-ils pas aujourd’hui de faire croître des peupliers transgéniques pour la production d’agrocarburants de seconde génération moindres consommateurs d’énergie !

Comme les objectifs de la politique européenne et américaine en matière d’agrocarburants dépassent de loin les capacités de production de l’agriculture des pays industrialisés de l’hémisphère nord, les défenseurs des agrocarburants soulignent qu’ils offrent des perspectives intéressantes pour les agriculteurs des pays en développement.

Les chaînes de production sont pourtant de plus en plus contrôlées par de grands groupes agroalimentaires, pétroliers et automobiles ! A leur base, les paysans du « sud » n’ont guère de chance de bénéficier de ce développement. Par ailleurs le risque est grand d’une dévastation des espaces forestiers dans les pays tropicaux.

L’exemple du Brésil, champion en la matière par l’ancienneté et l’ampleur de sa production d’éthanol et son impact très positif sur l’emploi, mérite une réflexion particulière.

Son président (Lula da Silva) affirme que cette production respecte les critères environnementaux et sociaux d’un développement durable. L’extension de la culture de la canne à sucre ne s’est pas faite aux dépens de la forêt amazonienne nous dit-il ; sans reconnaître qu’elle augmente indirectement les menaces sur cette forêt en repoussant vers les marges de celle-ci les populations de paysans pauvres et les grandes exploitations d’élevage bovin extensif ! Il semble par ailleurs, d’après Greenpeace, que la culture intensive du soja pour la production d’agrocarburants et la nourriture des vaches occidentales devienne une réelle menace pour la forêt. Quant aux conditions de travail des coupeurs de canne à sucre, elles ressemblent à un semi-esclavage.

Par contre, d’autres végétaux, non alimentaires, offrent des perspectives qui semblent très intéressantes. On envisage de plus en plus l’emploi d’agrocarburants de la seconde génération.

Certaines plantes jusqu’ici peu exploitées pourraient être utilisées à la fois pour la production de carburant et la lutte contre la désertification des régions en marge des déserts. Par exemple, le « jatropha », un arbuste à fruits non comestibles très robuste dont le reboisement serait stimulé s’il devenait économiquement rentable par un usage industriel ; et celui dénommé « prurguere » que nous montra fièrement la jeune femme africaine présentée comme « énergéticienne » dans le village de tourisme solidaire de Teriya Bugu au Mali. On parle aussi du bambou, une culture réputée pour son bon rendement à l’hectare avec peu d’engrais et de pesticides.

Il est même question aujourd’hui d’agrocarburants de la troisième génération à partir de d’algues.

Il s’agit de coupler des fermentations de sucres cellulosiques produisant à la fois de l’éthanol et du CO2, puis d’utiliser ce CO2 pour stimuler la croissance de microalgues

Conclusion

Le grand capital s’est mobilisé au sein de l’industrie des agrocarburants avec une rapidité qui n’étonne que ceux qui n’ont pas perçu que l’image de ces nouveaux carburants s’inscrit dans le paradigme d’un progrès de la technologie qui permettra d’entrer dans l’ère post pétrolière sans devoir trop changer nos habitudes !

Cet engouement ignore ce que les économistes appellent les « externalités », c’est-à-dire ce qui n’entre pas dans le calcul du marché : des dommages écologiques et sociaux qui risquent d’être considérables (surtout pour les populations du « Sud »).

Le parti Ecolo s’est toujours montré extrêmement circonspect face au développement des agrocarburants. Il défend l’idée d’imposer une certification qui porte tant sur l’efficacité énergétique du carburant que sur des garanties environnementales et sociales. Une imposition certes nécessaire mais pas suffisante pour pallier les risques d’une hausse des prix alimentaires et d’un déséquilibre croissant en défaveur des petits exploitants agricoles du Sud.

Une réduction drastique de notre consommation d’énergie

(dans le chauffage, l’électroménager et les transports) demeure

une option moins coûteuse, plus solidaire, et plus efficace

du point de vue environnemental que les agrocarburants !

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