Ce mot méritait-il d’être retenu comme objet d’un commentaire particulier ? Initialement je ne l’avais pas prévu : « Mobilité » me semblait une entrée adéquate pour l’évocation, entre autres problèmes, d’une politique relative à l’automobile ; à laquelle s’ajoutaient les chapitres « Journée en ville sans voiture » et « Stationnement ».

En cette saison automnale où les médias nous assaillent d’informations enthousiastes sur le grand prix de Francorchamps et le salon de l’auto de Francfort, et dans le contexte de la véritable inflation concurrentielle de la publicité « environnementale » à laquelle se livrent aujourd’hui les différentes marques automobiles, j’ai senti cependant le besoin d’ouvrir cette entrée supplémentaire.

L’automobile « vache sacrée » de la civilisation occidentale

Que les choses soient claires : je possède une voiture ; et je n’envisage pas de pouvoir m’en passer à l’avenir. Mais :

Je n’ai jamais cherché à affirmer un statut social par le choix de mon véhicule ;

Je prends les transports en commun pour me rendre en centre-ville ;

L’envie ne m’est jamais venue de visiter le salon de l’auto ;

Je roule lentement en ville et résiste à la tentation de dépasser les limitations de vitesse sur route ;

Je déplore le succès populaire des courses automobiles et des rallyes du style Paris-Dakar ;

Je regrette l’importance que les politiques accordent au circuit de Francorchamps en termes d’image ;

Je peste contre l’invasion des véhicules 4×4 en milieu urbain ;

Je plaide pour un meilleur partage de l’espace public au bénéfice des modes de déplacement doux ;

Je défends l’idée des zones commerciales piétonnières ;
Je critique les publicités sexistes qu’affectionnent toujours de nombreuses marques ;

Je m’étonne de la résignation généralisée face aux ravages des accidents de la circulation,

un fait de société accepté comme l’inévitable rançon du progrès ;

Je trouve la justice pénale trop laxiste vis-à-vis de l’ivresse au volant …

Bref, je fais partie de ceux qui partagent l’opinion du sociologue belge Claude Javeau qui parle d’un « fétichisme de la bagnole ».

Il est difficile en effet de ne pas reconnaître qu’il y a une grande part d’irrationalité dans notre relation à l’automobile. Celle-ci est un des objets les plus adulés de notre civilisation ; un objet de désir et de rêve, à grande valeur symbolique et qui plonge ses racines dans notre inconscient. Pensons notamment à l’analogie entre la hiérarchie du standing social et celle des voitures !

En son nom, nous tolérons en effet quantité d’effets pervers : accidents souvent graves, pollutions atmosphérique et sonore, gaspillage d’énergie et de matières premières, embouteillages et obstacles à la circulation des transports en commun, envahissement des espaces piétons, dégradation des paysages ruraux et urbains, dépenses qui grèvent les budgets familiaux et collectifs …

Et pourtant ce fléau est devenu un bien précieux, indispensable aux yeux de beaucoup ! Ne sont-ils pas nombreux ceux qui souscrivent encore aujourd’hui au slogan « ma voiture c’est ma liberté » ?

Ce moyen de locomotion devenu bien de consommation très largement popularisé a généré une industrie qui demeure l’un des moteurs de l’économie ; mais l’importance de l’automobile dans nos sociétés transcende largement ce rôle économique.

La publicité joue habilement sur cette fascination collective. Aux thèmes classiques sont venus s’ajouter aujourd’hui des arguments de vente de type environnemental.
Après la valorisation de la ligne et de la puissance, la tendance est aujourd’hui à la réduction du dégagement de CO2. Les voitures hybrides (électricité-essence ou diesel) deviennent moins rares sur le marché (sans que soit précisée l’origine de l’énergie électrique utilisée !).

Lors d’une interview récente à la RTBF du président de la FEBIAC, Pierre-Alain Desmet, ancien cadre d’une multinationale automobile, j’ai été frappée par la fascination pour l’automobile que révélait son témoignage. Son discours, engagé dans des préoccupations environnementales sympathiques et apparemment responsables, s’inscrivait totalement dans la recherche d’une stratégie de « l’efficience technologique » permettant de ne pas remettre en question le système socio-économique en place ; il ne récupérait dans le nouveau paradigme que les changements qui pouvaient être intégrés dans l’ancien. Et il ne semblait pas en avoir conscience !

L’impasse d’un emploi abusif de la voiture particulière

Cet abus se traduit par l’usage de la voiture pour des déplacements de très courte distance ou pour des trajets qu’il serait aisé de faire en transports en commun ; et aussi par le peu de succès du covoiturage.

Il génère une pollution aux conséquences déjà très inquiétantes, pour la santé publique comme pour l’évolution future du climat. Et, à plus ou moins court terme, il conduit progressivement à l’immobilité (la vitesse moyenne en ville est déjà devenue inférieure à 10km/h !).

Notre commune d’Uccle témoigne d’ores et déjà d’une saturation chronique de ses grands axes et principaux carrefours, et ce même en dehors des heures de pointe.

L’engorgement croissant du ring bruxellois alimente aujourd’hui la controverse.

L’idée d’une traversée autoroutière à travers Uccle et la forêt de Soignes réalimente les rêves de certains (cette fois sous la forme d’un tunnel dont le coût serait exorbitant). On continue à s’obstiner dans la recherche d’une solution par une augmentation de la capacité du réseau routier plutôt que de tout faire pour réduire le trafic automobile (ou à tout le moins stopper sa croissance). Une attitude paradoxale dans le cadre des efforts nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique ; et qui défie toute logique car elle ne peut que favoriser la poursuite de la croissance du trafic qui est la cause du problème.

Sans même envisager les nuisances de la circulation routière des points de vue de la santé et du climat, il est irréaliste d’espérer pouvoir absorber sans limite une augmentation du trafic routier induite par la croissance d’une industrie qui bénéficie de l’augmentation du niveau de vie et compte sur le poids qu’elle représente en terme d’emplois pour conserver le soutien inconditionnel du pouvoir politique.

Une image biomimétique est parlante à cet égard : celle de la physiologie des insectes. L’oxygène dont leurs cellules ont besoin est amené par un système de trachées, ouvertes vers l’extérieur par des petits trous disposés le long de l’abdomen (les ostioles). Si le diamètre des ostioles augmente, le réseau des trachées doit s’agrandir en conséquence ; mais il est évident qu’apparaît ici un facteur limitatif : car l’augmentation des trachées ne peut aboutir à ne plus laisser aucune place pour les organes internes de l’insecte ! Leur taille ne peut donc qu’être modeste.

De même, dans les villes, le réseau des voiries ne peut s’élargir sans limite aux dépens du bâti. Il faut donc impérativement réguler le débit de la circulation : cela peut se faire par une réduction des entrées (les ostioles) et par une « masse critique » de bureaux (les principaux organes consommateurs) à ne pas dépasser ; mais aussi par un transfert modal généralisé vers les transports en commun (qui sont une façon de concentrer les déplacements à la manière dont les vertébrés concentrent l’oxygène dans les globules rouges du sang !).

C’est dans les transports en commun, et non dans le transport routier,

qu’il faut envisager de nouveaux investissements d’infrastructure

si l’on ne veut pas aboutir, dans un avenir proche, à une inévitable paralysie de la circulation urbaine et périurbaine (voire même autoroutière).

Je m’étonne que cela n’apparaisse pas aujourd’hui à tous comme une évidence !

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