« Le présent isolé du passé est inintelligible »[[François PERIN, La démocratie enrayée, Essai sur le régime parlementaire belge de 1918 à 1958, Institut Belge de Science Politique, Bruxelles, 1960, p. 12.

]]

Pour l’avenir de la Wallonie, les réformes en matière de gouvernance sont tout aussi importantes que tout ce qui doit être entrepris par ailleurs pour changer et réguler l’économie. Le décumul des fonctions de parlementaire et de bourgmestre ou d’échevin, la création d’une circonscription unique pour l’ensemble de la Wallonie, la réduction drastique du poids des provinces et la réforme des intercommunales, la dépolitisation des nominations publiques, la lutte contre le clientélisme sous toutes ses formes, la mise en place d’une administration wallonne impartiale et performante constituent autant de réformes essentielles. Elles doivent aider les Wallons à réaliser « le projet d’une société capable d’apprendre et d’agir sur elle-même, par le biais de la volonté et de la conscience politiques »[[Jürgen HABERMAS, L’intégration réupublicaine, Fayard, 1998, p. 116.

]], selon la formule d’Habermas. Sans ces réformes, les appels plus ou moins pressants à une mobilisation des Wallons dans la relance de leur économie, risquent de tomber complètement à plat. Mais ces réformes, à leur tour, n’ont de chance d’aboutir sans une lecture au moins partiellement partagée des origines historiques  des problèmes de gouvernance. Dans ce but, le présent texte se propose de poser quelques jalons pour une critique de l’économisme impensé qui continue de dominer le discours politique en Wallonie. En 2010 comme en 1960, il s’agit de ne pas seulement penser la société à partir de l’économie, mais de ré-encastrer celle-ci dans une culture, des institutions et une citoyenneté. Si en 1960 la classe ouvrière wallonne se mobilisait pour le fédéralisme et la reconversion de son économie, en 2010, les institutions que cette lutte a produites ne peuvent se contenter d’appeler les Wallons à saisir les opportunités du capitalisme cognitif et à mettre « un peu d’identité » dans le moteur du dynamisme wallon. L’heure est à la redéfinition d’un projet collectif qui fait le lien entre l’économie, l’écologie, le social, la culture et le politique et qui ne se contente plus de rejeter à l’extérieur de la Wallonie, toute la responsabilité des difficultés.

Avertissement

Ce texte n’a été discuté par aucune instance politique de quelque nature que ce soit. Selon la formule consacrée, il s’agit d’une contribution au débat. J’espère que le lecteur critique pardonnera tant le caractère sommaire des synthèses qui l’émaillent, que la prétention assurément excessive dont je fais preuve en m’aventurant sur des thèmes aussi larges.

L’idée m’en est venue durant la campagne pour les élections régionales du 7 juin 2009, lorsqu’à plusieurs reprises a été exprimée l’opinion selon laquelle les questions de gouvernance ne constituaient pas une priorité politique aussi importante que la lutte contre un libéralisme accusé d’être le seul responsable de la crise économique. L’enjeu de ce débat n’était évidemment pas que théorique. Pour les tenants de cette thèse, il s’agissait généralement de se prémunir contre le risque de voir naître au lendemain des élections une alliance excluant un Parti socialiste alors perçu comme très fragilisé par l’emballement médiatique autour d’un certain nombre d’affaires impliquant plusieurs de ces mandataires.

Entre-temps, on sait ce qu’il en est advenu. Les électeurs wallons et bruxellois ont fait leur choix. Sur cette base, les partis qui composent l’actuelle coalition wallonne ont fait le leur, même si, comme souvent dans un régime de coalitions, certains électeurs n’ont pas manqué de faire savoir qu’ils se sentaient trahis. L’Olivier a rédigé un programme très ambitieux pour « faire face avec rigueur et vigueur à la crise et, parallèlement, (…) faire émerger, en Wallonie et à Bruxelles, une société fondée sur un nouveau modèle dynamique et mobilisateur de développement durable, humain et solidaire ». Dans ce but, le gouvernement wallon a dit vouloir lancer « une dynamique forte de mobilisation collective qui rassemble les énergies de l’ensemble des citoyens et des acteurs socio-économiques, éducatifs et associatifs ».

Cela veut-il dire que le débat sur l’importance relative des enjeux de gouvernance et des facteurs de nature socio-économiques ait été définitivement tranché ? Non, que du contraire. La question reste totalement ouverte, même si dans une certaine mesure l’accord de gouvernement wallon y a au moins en partie répondu, en consacrant un important chapitre aux réformes en matière de gouvernance. Leur nécessité semble donc faire désormais l’objet d’un large consensus. Reste à voir si les intentions partagées seront traduites par des actes et, ensuite, si les comportements politiques en général en seront modifiés.

Ce que je voudrais essayer d’étayer ici, c’est ma conviction que ces réformes n’ont une chance de réellement aboutir que si elles sont remises en perspective ; qu’elles n’ont de sens que par rapport à une société et des institutions déterminées ; que loin d’être secondaires, les enjeux de gouvernance renvoient à une histoire aussi riche que complexe, qui est à la fois celle de la démocratie, de la Belgique, de la société industrielle, de la Wallonie, de ses acteurs sociaux ; qu’elles sont donc essentielles pour reconstruire un projet de gauche capable de s’intégrer dans le cadre changé d’une société qui doit redéfinir sa prospérité[[Voir Tim JACKSON, Prospérité sans croissance, La Transition vers une économie durable, Etopia/De Boeck, Bruxelles, 2010.

]], si elle veut à la fois respecter les limites écologiques et permettre à chacun de s’épanouir.

Faire l’impasse sur cette histoire nous condamne à ne rien comprendre au présent, à ne pas réunir les conditions de possibilité de la « dynamique sociale » préconisée par le gouvernement wallon. Autrement dit, ignorer les origines historiques, sociales et institutionnelles des problèmes de gouvernance, nous forcerait à vivre sous la dictature de la répétition, sans espoir de voir émerger la dynamique collective dont nous avons besoin comme de pain, du moins autant que des milliards d’euros qu’il faudra investir dans la reconversion complète (c’est-à-dire écologique) de l’économie wallonne.

Et quand je dis « nous », je me situe comme un habitant de Bruxelles né à Eupen en Communauté germanophone, travaillant à Namur et à Bruxelles et « viscéralement attaché » au développement de la Wallonie. Je dis « développement» mais je pourrais tout aussi bien employer le mot « émancipation », voire « autonomie », au sens où l’autonomie, d’un point de vue écologiste, est le contraire de l’isolement et se définit par la reconnaissance et l’amplification de ses liens de réciprocité avec ses voisins. 

A l’inverse, minimiser l’importance des enjeux de gouvernance et des institutions qui les produisent, au motif qu’elles seraient coupées de la « vraie » vie et des « vrais » enjeux des « vrais » gens, c’est succomber à une forme d’hétéronomie (voire d’aliénation, au sens quasiment clinique du terme) qui incline à débattre de la politique en ignorant tout ou à peu prés du cadre réel dans lequel elle se déploie.

A titre d’exemples de cette « hétéronomie » ou de cette « aliénation », je prendrais les discussions sur les positions à adopter en matière de sécurité sociale ou de fiscalité qui font plus ou moins carrément abstraction de tout ce que pense, débat, décide à ce sujet quelque 60 % de la population d’un pays à laquelle on se dit par ailleurs « tellement attaché » – avec l’emphase de mise – et dont on commence en général par ignorer la langue.

Au moment où la Belgique est confrontée à une des crises institutionnelles les plus importantes de son histoire, je continue, comme nombre de mes amis flamands, de trouver tout à fait fascinant que la persistance d’un taux de chômage autour de 20% dans la plupart des villes wallonnes comme à Bruxelles suscite moins d’émotion dans les médias francophones que la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Halle-Vilvorde. Car du côté francophone, il faudra aussi finir par se rendre compte que la configuration institutionnelle actuelle n’a pas encore permis de répondre à cette urgence sociale et démocratique de manière réellement crédible.

Il est vrai que le fédéralisme belge a évolué dans le sens d’un cloisonnement des espaces publics. Il a d’ailleurs importé cette méthode du cloisonnement dans les régions, ce qui a pour résultat d’occulter les interdépendances qui continuent de le déterminer tandis que les derniers conflits hérités de l’ancien cadre institutionnel n’en finissent pas d’occuper l’avant-scène.

Tant que nos débats politiques seront marqués du sceau de cette hétéronomie et qu’ils seront dominés par l’ignorance des rapports de forces (notamment démographiques et économiques entre régions), par l’oubli des interdépendances positives et de leurs origines historiques, nous risquons, tout en vivant effectivement en Wallonie et à Bruxelles, de continuer de faire de la politique à «Coucouville-les-Nuées», comme aurait dit Aristophane.

Gouvernance, lien social et citoyenneté : une perspective historique

La Déclaration de Politique Régionale wallonne conclue en juillet 2009[[« Une nouvelle phase de réformes, visant à renforcer tant l’éthique que l’efficacité des outils publics et de renforcer la confiance entre l’Etat, ses mandataires et les citoyens », Déclaration de politique régionale wallonne 2009-2014

]] justifie les réformes en matière de gouvernance par deux grands types de raisons : une raison d’efficacité de l’action publique (une bonne gouvernance est censée garantir une réelle effectivité des politiques publiques, c’est-à-dire d’accomplissement des objectifs fixés) et par ailleurs, une raison de légitimité. La bonne gouvernance doit notamment renforcer la confiance des citoyens envers leurs représentants politiques à un moment où une mobilisation collective est indispensable pour assurer la dynamique dont la Wallonie a besoin. Bonne gouvernance, confiance des citoyens et mobilisation sociale paraissent ainsi indissolublement liées : il ne faut pas attendre que les Wallons s’engagent dans la réalisation d’un projet collectif de développement régional si l’utilisation des deniers publics n’est pas irréprochable. Ou encore, les représentants politiques ne peuvent simultanément se montrer égoïstes et inviter les citoyens à s’engager pour le collectif, surtout en période de crise.

Mais de quel « collectif » s’agit-il ? Qui doit se mobiliser ? Quels exemples illustres les Wallons sont-ils appelés à imiter pour être de bons acteurs économiques ? Curieusement, les appels à l’histoire semblent amnésiques par rapport à l’histoire récente de la Wallonie. Or depuis au moins cinquante ans celle-ci a été marquée par des luttes et des mobilisations sociales autour de la reconversion de l’économie. Quels ont été leurs résultats et quels liens entretiennent-elles avec les actuels problèmes de mal-gouvernance que veut combattre la Déclaration de Politique Régionale ?

Gouvernance, confiance et participation

L’insistance sur le thème de la gouvernance illustre, comme le dit Moreau-Defarges[[Philippe MOREAU-DEFARGES, La Gouvernance, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, Paris, 2008.

]], l’émergence d’une conception plus « horizontale » du pouvoir et de son exercice, couplée à un renforcement des exigences d’honnêteté posées aux responsables politiques. « Dans un monde pauvre, le politique (l’empereur, le roi) tient et distribue la richesse. Dans des sociétés d’abondance, la richesse étant produite par de multiples sources, le politique est le garant de valeurs, de règles : transparence, honnêteté, équité… ». Autrement dit, dans une société pré-moderne, les gens n’attendent pas de ceux qui détiennent le pouvoir une utilisation honnête des deniers publics (ne fut-ce que parce que la définition du public n’a rien de commun avec celle que nous connaissons aujourd’hui). En revanche, dans les sociétés modernes, il devient de plus en plus intolérable pour le citoyen-contribuable que les politiques confondent leurs propres comptes en banques avec ceux de la collectivité.

La volonté d’améliorer la gouvernance caractériserait dès lors une société où la relation entre les politiques et les citoyens est de moins en moins verticale. Mais cet égalitarisme formel aurait aussi pour corollaire une attente d’implication plus forte des citoyens dans la vie collective et en particulier dans la vie économique. Comme l’explique John Pitseys[[John PITSEYS, voir p. 53

]],« la gouvernance désigne donc une technique de gestion sociale reposant sur la création d’une relation de confiance entre les différents partenaires du processus de décision politique. Cette relation de confiance doit faciliter la coopération entre les acteurs, simplifier leurs transactions, et rendre plus disponibles l’accès aux connaissances et expériences des autres acteurs. Elle permet dès lors de produire une norme plus efficace, mais aussi plus effective puisque les acteurs y consentiraient plus facilement ».

Appels à la mobilisation collective et recours à l’histoire

Ce consentement et cette implication des Wallons seraient donc essentiels pour garantir la mobilisation des Wallons dans le redressement de leur économie. Or l’histoire nous apprend que de tels appels ont été nombreux dans l’histoire récente de la Wallonie. Depuis la mise en place des institutions régionales dans les années ’70[[Marnix BEYEN & Philippe DESTATTE, Nouvelle Histoire de Belgique, 1970-2000, Un autre pays, Le Cri Histoire, Bruxelles, 2009.

]], plusieurs gouvernements en ont lancé. En 2010, ceux-ci apparaissent à la fois aussi pressants que coupés du passé historico-social sur fond duquel ils viennent résonner. Certes, on doit se féliciter de voir que se multiplient les invocations du génie entrepreneurial (à la fois inventif et créatif) wallon pour inspirer la création d’entreprises capables de « saisir les opportunités » qu’offre l’économie actuelle[[Pour télécharger le rapport de la Commission Zénobe, voir le site de Jean-Claude Marcourt, http://marcourt.wallonie.be/apps/spip2_wolwin/spip.php?article981. Voir aussi la référence à l’histoire industrielle telle qu’elle évoquée par Jean-Yves HUWART, Wallonie 2.0, Nous étions une puissance économique. Nous pouvons le redevenir ! Le Cri, Bruxelles, 2009.

]]. Mais on ne peut se défaire de l’impression d’une démarche qui s’arrête aux portes de la mémoire des conflits qui ont marqué l’histoire de la Wallonie, au moins depuis la révolution industrielle. La Commission Zénobe créée sous la législature précédente à l’initiative de Jean-Claude Marcourt a ainsi identifié des pistes plus qu’intéressantes « pour une dynamisation durable de la Wallonie ». En prônant une culture de l’ouverture au monde, du développement durable et du changement de valeurs et de mode de vie qu’il implique, la commission invite les Wallons à se réapproprier leur histoire. Celle-ci, dit la Commission Zénobe, se caractérise « par les échanges et le métissage, par une capacité démontrée à l’adaptation et au changement ainsi que par l’inventivité » mais aussi « par de grands traumas qui expliquent pour partie nos difficultés récentes ». Visiblement inspirée par les travaux de cette commission, la Déclaration de Politique Régionale (DPR) a proposé de permettre aux Wallons  « la réappropriation de leur identité commune, ouverte sur le monde ». Car, dit encore la DPR, « ce n’est pas la taille du pays ou de la région qui détermine sa capacité à jouer un rôle dans un monde globalisé mais la cohérence du projet qui réunit les citoyens sur un socle de valeurs communes et de convictions partagées ». Concrètement, le gouvernement annonce qu’il « soutiendra la production d’outils pédagogiques permettant aux jeunes et moins jeunes de mieux comprendre la Wallonie, leur Région, tant à travers son passé que son projet, ses valeurs et ses atouts ».

Une histoire lisse ou vivante ?

Le nouveau gouvernement régional manifeste donc une volonté de soutenir la mobilisation de la société wallonne en contournant d’une certaine manière la compétence de la Communauté française en matière de programmes scolaires. Mais quel sera le contenu des « outils pédagogiques » et quelle vision de l’histoire wallonne y sera proposée. Une histoire « monumentale » faisant le récit des «grandes réalisations wallonnes », mais évacuant les conflits, les tensions, les échecs ? Une histoire « antiquaire » assurant une forme de respect sacré du passé et refusant toute « utilisation » politique ou encore une histoire « critique », proposant une compréhension du passé, à la fois lucide et engagée, ancrée dans un collectif en construction ? Le débat sur le type d’histoire que nous voulons mobiliser est essentiel, mais aujourd’hui, il faut d’abord commencer par combattre l’organisation de l’amnésie collective à propos de l’histoire wallonne[[Cette organisation quasiment volontaire de l’ignorance de l’histoire de la Wallonie peut être rapportée à ce que l’écrivain Marc Quaghebeur a désigné sous le terme de « déshistoire » à savoir la construction dans la littérature francophone belge d’une identité en creux, sans lien quelconque avec un passé concret, historiquement et géographiquement situé. Voir Marc QUAGHEBEUR , Balises pour l’histoire des lettres belges Bruxelles, Labor (Espace Nord), 2008.

]]. Invité en août 2009, aux Rencontres Ecologiques d’Eté, le président du Mouvement pour le Manifeste Wallon, le dramaturge Jean Louvet, a raconté qu’ayant été invité à prendre la parole devant une assemblée d’étudiants de l’Université de Liège, il avait constaté qu’aucun d’entre eux n’avait jamais entendu parler d’André Renard et encore moins du rôle qu’il avait pu jouer dans l’histoire contemporaine… [[Le même résultat est invariablement atteint dans les formations historiques données par Etopia. Du reste, la même méconnaissance se retrouve au niveau de l’histoire de Belgique, si on fait abstraction de la généalogie de la famille royale. Très rares sont les participants qui connaissent par exemple le sens originel de la devise nationale belge « l’Union fait la force ».

]] Le même constat aurait-il été fait à propos de Théo Lefèvre ou de Paul-Henri Spaak ? C’est possible mais pas certain. Il faut certes interroger la place et les contenus de l’histoire contemporaine de la Belgique dans les programmes de cours d’histoire donnés aujourd’hui dans les écoles francophones. Mais il faut surtout se demander quel rapport « vivant » les Wallons entretiennent aujourd’hui avec leur propre histoire politique et sociale. A lire les appels aux consensus et à la mobilisation lancés depuis tant d’années, on ne sent pas vraiment de désir franc d’affronter les « traumas » évoqués par la Commission Zénobe, ne fût-ce que pour tenter de les surmonter. Comme si une société, et en tout cas ses dirigeants politiques, avaient peur de la mémoire conflictuelle que peut encore mobiliser aujourd’hui certaines parties de l’histoire wallonne. Ou alors, de manière certes moins exaltante, comme si les Wallons (et leurs représentants) s’en moquaient éperdument et préféraient s’endormir dans l’utopie lisse d’une société réconciliée avec elle-même, sans conflits, sans acteurs sociaux organisés collectivement, où les individus, en bons agents économiques capables de « saisir des opportunités » cherchent tout au plus à maximiser leurs profits et éventuellement, par le biais d’une main invisible – par ailleurs de plus en plus fantomatique -, les profits collectifs.

Pour une histoire écologique de la société industrielle en Wallonie

Car, insistons-y, les appels à la mobilisation générale, tout comme les réformes de la gouvernance wallonne ne pourront être éventuellement efficaces que si nous comprenons qu’ils s’inscrivent dans une société qui a été produite par une histoire déterminée, sans la connaissance minimale de laquelle, le présent, comme l’a écrit François Perin, est proprement incompréhensible. D’un point de vue écologiste, on ne peut en l’occurrence comprendre la situation de la Wallonie en faisant abstraction de l’empreinte durable que la société industrielle y a laissée. Une telle histoire « écologique » de la société industrielle en Wallonie reste sans doute encore à produire[[Selon Alain Lipietz, appliquée aux sociétés humaines, l’écologie devient politique (de manière comparable à l’économie politique). Elle étudie alors les interactions entre les sociétés, les individus et leur environnement pris au sens large et elle doit être distinguée de l’écologisme qui est en quelque sorte l’ « idéologie verte », à savoir l’ensemble des valeurs et des mouvements sociaux pour lesquels les écologistes s’engagent. Voir Alain LIPIETZ, Qu’est-ce que l’écologie politique ?, La Découverte, 2003.

]], même si certains de ses pans en ont déjà été écrits[[Voir notamment HASQUIN Hervé, dir., La Wallonie, el pays et les hommes, Histoire – économies – sociétés, t.2, De 1830 à nos jours, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1980.

]]. Elle pourrait raconter l’évolution de l’interaction entre une société, ses groupes sociaux, ses techniques et son environnement (compris au sens large de son environnement naturel et spatial). Sans prétendre aucunement vouloir écrire l’histoire à la place de ceux dont c’est la profession, le récit pourrait décrire comment en deux siècles a émergé une société marquée par la surexploitation de sa classe ouvrière comme de ses ressources naturelles (de sa forêt, de son charbon[[Voir par exemple l’étude de Paul-Marie BOULANGER, « Chronique d’une mort économique annoncée : l’évolution des activités et des structures industrielles du Borinage, A.D.R.AS.S., Mars 1999. L’auteur y réunit des matériaux pour tenter de comprendre pourquoi l’exploitation du charbon dans cette région n’a donné lieu à aucune diversification, pas même sidérurgique. Entre 1829 et 1961, entre 480 et 500 millions de tonnes de charbon en ont été extraites dans des conditions socialement épouvantables. E, 1954, il y restait des réserves exploitables estimées à quelque 800 millions de tonnes. Si le mouvement ouvrier y a joué un rôle central dans la conquête du suffrage universel et dans le développement d’un monde coopératif d’une richesse exceptionnelle, en revanche aucune activité industrielle de rechange n’a été développée. Paul-Marie Boulanger conclut son analyse en citant ce que Mumford écrivait en 1950 à propos du capitalisme carbonifère dans son « Technique et civilisation » (Editions du Seuil, Paris, 1950). « L’humanité se conduisit comme un héritier pris de boisson. Et les dommages pour la civilisation engendrés par la supériorité des nouvelles habitudes d’exploitation destructrice et désordonnée subsistèrent, que la source d’énergie disparût ou non. Les résultats du « capitalisme carbonifère » : morale diminuée – désir d’obtenir quelque chose pour rien – mépris de l’équilibre entre la consommation et la production – habitude de saccager, comme si les débris faisaient partie d’un environnement humain normal – ces résultats sont de toute évidence funestes ». Par ailleurs, dans le même ordre d’idées, il faudrait aussi sans doute relire le fameux texte d’Ivan ILLICH, « Energie et équité » qui fait le lien entre l’exploitation des hommes et l’exploitation des ressources non-renouvelables : « Plus que la soif de carburant, c’est l’abondance d’énergie qui mené a l’exploitation ».

]]) et par la destruction systématique de ses paysages, tout en développant un type spécifique de technique, de culture, d’institutions et de socialité venant à la fois reprendre et transformer celles héritées de la période pré-industrielle. On y verrait se succéder une démocratie libérale très en avance sur son temps, mais excluant les vrais producteurs de sa richesse, l’organisation de ces mêmes producteurs pour leur émancipation par la conquête du suffrage universel et par la mise en œuvre pratique de leur solidarité quotidienne, la bureaucratisation et l’enlisement d’une partie des mouvements ouvriers dans des pratiques bureaucratiques et clientélistes, le refus d’une variante particulièrement rapace de capitalisme d’assumer la plupart de ses responsabilités, la désorientation, le conservatisme voire l’aveuglement des élites, les multiples cloisonnements internes d’une société, les traces de la technique sur les hommes comme sur la nature… Ce pourrait être aussi et surtout le récit d’une course-poursuite en apparence interminable entre le passé et l’avenir, où ce qui paraissait porter l’avenir devient parfois trop vite dépassé, comme la reconversion toujours à commencer et à recommencer d’une économie tardant à se réconcilier avec ses générations futures. Ce serait aussi le récit d’un processus d’autonomisation, de recherche de cohérence et de cohésion autour d’une culture à laquelle on ne reconnaitrait que trop lentement la place centrale qui lui revient dans le projet collectif… 

L’hiver 60 et la critique d’une politique de très court terme

Mais pour ce qui concerne le présent exposé, on se contentera de revenir sur des événements dont ce sera le cinquantième anniversaire à la fin de 2010. Ceux-ci, bien qu’ayant marqué une inflexion majeure dans l’histoire de la Wallonie et, au-delà, dans celle de la Belgique, semblent être largement tombés dans l’oubli, tout comme la figure d’André Renard, qui y joua un rôle central[[Tout comme le nom d’André Renard est largement étranger aux générations nées à partir des années ’60, on constate auprès des mêmes publics évoqués plus haut que cette dernière année est généralement associée au seul souvenir de l’indépendance du Congo, qui semble avoir davantage retenu l’attention des enseignants en histoire que le mouvement social de l’hiver ’60-61. 

]]. Ce qu’on a appelé « les événements de l’hiver ‘60 », leur signification dans le contexte de l’Etat belge de l’époque, leurs conséquences et leurs prolongements politiques à long terme, permettent pourtant de saisir aujourd’hui un pan central de l’histoire de la Wallonie et de problématiser le lien entre les thématiques de la gouvernance et du lien social. Il ne s’agit évidemment pas de dire que les problèmes actuels de gouvernance sont le résultat des grandes grèves, mais, au contraire, de suggérer – au risque de l’anachronisme – que le mouvement social qui s’y est manifesté a tenté de s’opposer en quelque sorte à la « mauvaise gouvernance » de l’époque, qu’elle soit le fait des responsables politiques ou économiques. Il s’agit aussi de voir que la réponse proposée par le mouvement ouvrier wallon à cette « mal-gouvernance » a connu une histoire qu’il importe de connaître un minimum pour comprendre que la reconversion de l’économie wallonne n’est pas seulement affaire de volontarisme ou d’opportunisme.  

Le 20 décembre 2010, cela fera en effet tout juste cinquante ans que, de Verviers à Mons, les travailleurs du vieux sillon industriel wallon auront mené l’une des plus longues grèves de l’histoire sociale belge[[Jean NEUVILLE-Jacques YERNA, Le choc de l’hiver ’60-61, Les grèves contre la loi unique, POL-HIS, Bruxelles, 1990.

]]. Le motif du mouvement fut le lancement par le gouvernement social-chrétien-libéral d’un plan d’économies dans les dépenses des services publics et de la sécurité sociale. Aujourd’hui, on ne manque pas d’être encore frappé, non seulement par la dureté du conflit, son caractère quasiment insurrectionnel, la brutalité de la réaction de l’Etat belge marquée par l’usage de la force armée, l’arrestation de syndicalistes, mais aussi par la division du mouvement syndical, entre chrétiens (dont seulement une partie rejoindra le mouvement) et socialistes, entre travailleurs flamands et wallons d’autre part… Tentant d’expliquer à chaud la force et la soudaineté du mouvement, le sociologue Maurice Chaumont écrira en février 1961 dans la Revue Nouvelle que « l’état de malaise qui s’est ainsi amplement donné cours tient, (…), à deux phénomènes qui ont révélé, dans les domaines politique et économique, les effets d’une politique de très court terme centrée sur le maintien de ce qui est[[Nous soulignons ce passage de l’article de Maurice CHAUMONT, « Eléments d’une analyse sociologique des grèves », La Revue Nouvelle, Mars 1961.

]]: la crise charbonnière[[Du point de vue écologiste, cette crise est une étape importante dans la mesure où elle a pour fond le lancement d’une politique européenne de l’énergie marquée notamment par le lancement du programme nucléaire, tout imprégné de l’utopie productiviste d’une source d’énergie aussi inépuisable que domesticable.

]] d’une part, la crise congolaise d’autre part ».

Le fédéralisme et les réformes de structures

Autrement dit, si les travailleurs wallons se sont mobilisés en masse pendant l’hiver ‘60, cela aurait d’abord été parce qu’ils s’inquiétaient de l’incapacité apparemment totale de leurs responsables à leur ouvrir des perspectives d’avenir. Quelques mois plus tôt, l’indépendance du Congo avait été accordée dans une impréparation générale. De la même manière, la crise charbonnière avait « mis à jour les effets d’attitudes politiques conservatrices (empêchant) la reconversion des structures industrielles et de la main-d’œuvre dans ces secteurs ». Mais le mouvement ne fut bien sûr pas seulement marqué par une sorte de volonté d’avoir de « meilleurs patrons » et de meilleurs gouvernants, plus efficaces, plus soucieux de leur responsabilité à l’égard des travailleurs de leurs entreprises et au-delà, de leurs régions. En Wallonie, une partie de la FGTB, emmenée par la Centrale des Métallurgistes, elle-même animée par la figure aussi emblématique que charismatique d’André Renard, vit une occasion unique de réaliser ce qu’en 1954, le Congrès de la FGTB avait appelé les « réformes des structures »[[BASTIN-YERNA, op. cit. pp. 45-62.

]]. Sans entrer dans le détail d’une discussion idéologique qui passionnera la gauche belge pendant plusieurs décennies, ce projet alliait une forte dimension anti-capitalistique (de critique de la propriété privée des moyens de production) à un souci de réformer l’économie de manière à la rendre plus efficace pour toute la société. Au cours de l’hiver ’60, il s’agissait en l’occurrence de trouver une réponse publique (étatique) au lâchage en cours de la grande industrie wallonne par les holdings privés belges qui en contrôlaient encore de larges pans et en particulier dans la sidérurgie[[Le projet de lancement d’une sidérurgie maritime en Flandre est alors perçu en Wallonie comme une véritable trahison.

]]. André Renard associait indissolublement la dimension socialiste et la dimension régionale. « On nous a fait croire à la percée socialiste en Flandre. Il suffit de voir les chiffres. Pour moi, le combat reste entier mais je choisis le meilleur terrain et les meilleures armes. Pour le moment, le meilleur terrain et les meilleures armes sont en Wallonie, la meilleure route passe par la défense des intérêts wallons. Je suis en même temps socialiste et wallon et j’épouse les thèses wallonnes parce qu’elles sont socialistes »[[R. MOREAU, 1984, Combat syndical et conscience wallonne, du syndicalisme clandestin au Mouvement populaire wallon (1953-1963), Bruxelles-Charleroi-Liège, Institut J. Destrée-Vie Ouvrière-Fondation A. Renard, p.119.

]].

Convergence et dissociation des logiques du « renardisme »

Dans un ouvrage malheureusement quasiment introuvable[[Bernard FRANCQ et Didier LAPEYRONNIE, Les deux morts de la Wallonie sidérurgique, Ed. Ciaco, 1990.

]], les sociologues Bernard Francq et Didier Lapeyronnie ont expliqué comment à l’époque, une partie du syndicalisme wallon s’engage dans la construction d’un projet global, alliant une logique de classe, une logique de modernisation de l’Etat et une logique de défense régionale. A partir des grèves de 60, la dimension populaire (de défense du « peuple wallon » par rapport à ses oppresseurs présumés de l’époque : le capitalisme et l’Etat belge) se substitue de plus en plus à la logique de classe[[En mai 1985, Jean-Maurice Dehousse illustre bien le paroxysme de cette évolution avec sa formule célèbre : « je me sens plus proche d’un entrepreneur wallon que d’un syndicaliste flamand ». Cité par BEYEN et DESTATTE, op.cit. p. 243.

]]. Ce projet, le « renardisme » sera porté par le « Mouvement Populaire Wallon » (MPW) créé au lendemain de l’hiver ’60 et qui survivra quelque temps au décès prématuré de Renard en 1962. D’abord marginalisé à l’intérieur de la famille socialiste encore unitaire, le MPW sera présent dans les mobilisations wallonnes des années ’60 et notamment contre le rattachement des Fourons à la province du Limbourg, suite à la fixation de la frontière linguistique en 1962.

Rédigé dans les années ’80 sur la base d’une enquête sociologique de longue durée menée parallèlement à Flémalle et à Seraing, « Les deux morts de la Wallonie sidérurgique » permet de voir comment ce mouvement social a imprégné en profondeur son environnement social, marqué par ce qu’on appelé « les forteresses ouvrières » (la ville de Seraing par exemple) avant de se déliter dans les années ’80 sous les coups de la crise de la sidérurgie wallonne qui passe de 1975 à 1985 de 65.000 travailleurs à 35.000 travailleurs.

Une fois encore, comme en 1960, la crise a complètement surpris les responsables économiques et politiques. En 1974, alors que l’embargo décrété par les pays exportateurs de pétrole fait flamber le prix de l’énergie, les patrons sidérurgistes belges[[Bernard FRANCQ et Didier LAPEYRONNIE, op. cit.p. 124.

]] en sont encore à croire que la croissance des exportations d’acier suffira à compenser la hausse des cours de l’or noir. Mais ils doivent très vite déchanter. Les handicaps concurrentiels dont souffre la sidérurgie wallonne sont énormes. Ses pertes prenant des proportions de plus en plus insupportables, l’Etat est appelé à la rescousse. En 1978, le ministre socialiste de l’Economie, Willy Claes, lance un plan de sauvetage qui réalise de facto une partie du programme des réformes de structures, en faisant entrer l’Etat belge dans le capital de Cockerill. Mais l’euphorie est de courte durée. Les années ’80 sont en effet marquées par l’approfondissement de la crise sidérurgique et par sa restructuration drastique opérée par Jean Gandois. Celui-ci parvient à la redresser au prix de fortes restructurations et notamment de la fermeture de la toute nouvelle usine VALFIL. En 1986, le manager français dira avoir fait gagner 25 ans à la Wallonie, pour lui permettre une reconversion compensant la réduction inéluctable de sa taille[[Interrogé au terme d’une conférence qu’il avait donnée le 17 novembre 1983 à Anvers sur ce qui resterait de la sidérurgie wallonne dans 25 ans, il répondit «A mon avis, pas grand-chose. Mais si nous gagnons ces 25 ans, nous avons le temps de réaliser un vrai projet industriel pour la Wallonie et de créer une situation économique nouvelle qui permettra à la Belgique d’éviter des affrontements dramatiques dans son évolution historique. Sauver COCKERILL SAMBRE, ça ne veut pas dire maintenir pendant 50 ans une sidérurgie wallonne glorieuse, ça veut dire, tenir sans pertes importantes le plus longtemps possible, en continuant à moderniser puis, arriver, d’ici 25 ou 30 ans, à une sidérurgie beaucoup plus petite mais sans drame économique, sans drame social, et avec une véritable reconversion régionale ». Cette déclaration déclencha à l’époque une tempête de protestations, le journaliste Paul Goossens, le traitant de « militant de l’économie libérale » dans les colonnes du quotidien De Morgen. Voir Jean GANDOIS, Mission acier, mon aventure belge, Duculot, Paris-Gembloux, 1986, p. 86. Près de 30 ans plus tard, ce livre donne une idée assez cruelle de l’état de la sidérurgie wallonne à la fin du XXème siècle et des responsabilités collectives qui y conduisirent.

]]. Mais même si son poids reste très important, tant en termes de chiffres d’affaires que d’emplois, la sidérurgie perd sa place symbolique dans l’économie wallonne. Comme le décrivent encore Francq et Lapeyronnie, on assiste à l’accélération de la dissociation des logiques d’action que le Renardisme avait un moment prétendu unifier.

Crise de l’état régulateur dans une économie extravertie

A la même époque, la région wallonne se voit enfin progressivement dotée d’instruments économiques autonomes, même si les moyens qui doivent venir de l’Etat belge ne suivent pas toujours[[Marnix BEYEN et Philippe DESTATTE, op. cit. pp. 233-236.

]]. En 1986, l’ancêtre d’Etopia, le CEFE (Centre d’Education et de Formation en Ecologie) publie une étude[[De la croissance au développement, Approche écologiste de la crise et des politiques industrielles en Wallonie, CEFE, 1986.

]] consacrée à la crise et aux politiques industrielles en Wallonie, dans laquelle il constate que l’initiative économique publique, « voyant pleinement le jour après plusieurs dizaines d’années de débats acharnés, il aura suffi de quatre ou cinq années pour la retrouver dans l’impasse ». A l’époque, la raison de cette désillusion est double. La première est internationale et tient à la nature de la crise qui – dans la foulée de l’explosion des prix du pétrole en 1974 – s’abat sur l’ensemble des économies industrialisées. Le compromis fordiste (qui proposait de nourrir la croissance par la hausse parallèle des salaires et de la productivité) s’enraye. Les mesures keynésiennes de relance par les dépenses publiques échouent à restaurer la croissance et creusent les déficits publics. Le CEFE décrit comment cet échec permet ce qu’il appelle « la fuite en avant libérale » marquée par la montée de l’insistance sur la compétitivité dans une économie de plus en plus internationalisée. Selon les écologistes de l’époque, le problème du tissu industriel wallon est qu’il est effectivement très vieux et qu’il résiste mal à la compétition, alors que la région est très dépendante de ses exportations. En réponse, le CEFE prône la mise en œuvre d’une politique de développement rejetant cette extraversion. Il plaide en faveur du développement de « filières » notamment dans le domaine de l’énergie, de l’eau, du bois, en vertu d’une philosophie de développement autocentré qui est encore aujourd’hui totalement d’actualité… Mais pour y parvenir, encore faudrait-il que l’initiative économique publique qui se met alors en place soit orientée en fonction de priorités claires, et non plus seulement vers ce que Maurice Chaumont appelait en 1961 « la défense de ce qui est ». Et c’est à ce niveau que se situe la seconde raison de la désillusion des années ’80, en l’occurrence dans l’incapacité à penser une stratégie globale de reconversion qui ne se concentre plus sur le sauvetage ou le développement de l’industrie lourde mais qui cherche à ré-encastrer un projet économique dans une société wallonne qui est de moins en moins une société industrielle, du moins au sens du XIXème et de la première moitié du XXème siècles.

L’occasion manquée d’une politique économique autocentrée

La SDRW (Société de Développement Régional Wallon) composée de manière paritaire de représentants syndicaux et patronaux recevra bien la mission d’élaborer une stratégie économique globale au niveau wallon. Mais, rapporte encore le CEFE, son autonomie totale à l’égard du gouvernement ne lui vaudra que des ennuis. Quelques années plus tard, son directeur, René Schoonbrodt (par ailleurs fondateur de l’ARAU) écrira que « dès 1975, la volonté de contrôler étroitement la SDRW est un leitmotiv qui hante surtout les milieux socialistes »[[René SCHOONBRODT, Faut-il vraiment supprimer la SDRW, Revue Nouvelle, février 1983, pp. 163-170.

]]. A partir de 1979, la SRIW (Société Régionale d’Investissement de Wallonie) prendra son relais. Le poids du politique y sera encore plus important, constateront alors les écologistes : « non seulement la volonté d’autonomie des responsables de la SRIW fut vaine, mais en plus, les portefeuilles qu’elle est amenée à gérer sont majoritairement dirigés vers des secteurs en déclin ». Autrement dit, l’initiative économique publique s’enlise dans la particratie et « la défense de ce qui est ». « L’absence de projet politique en matière économique est compensée par une politisation aiguë dans les nominations au sein des structures de l’initiative économique publique, ainsi que par une concurrence absurde entre ces structures. Le manque de rigueur dans la gestion, la bureaucratie à outrance, la politisation à courte vue permanente dans les décisions, tout cela a hypothéqué lourdement la capacité d’agir », écrit encore le CEFE. Cet échec dans la gestion publique (étatique) de l’économie ouvre dès lors la voie au discours néo-libéral sur la compétitivité à tout crin, très éloigné de l’idée d’un développement endogène. Des occasions historiques sont aussi manquées, comme celle de la création à Charleroi d’une Société pour l’Isolation Thermique. Lancée à l’initiative du secrétaire d’Etat à la région wallonne, Philippe Maystadt, pour organiser le marché de l’isolation en Wallonie, le projet doit être abandonné en raison de l’opposition de la chambre patronale de la construction et parce que le PS lui préfère une relance sélective de la construction par des avantages et subsides au secteur privé. Il est vrai qu’à cette époque, le Parti socialiste commence à changer d’attitude par rapport à l’initiative économique privée[[Claude DEMELENNE, Guy SPITAELS, Le socialisme du possible, changer la gauche, Labor, 1985.

]] en effectuant son tournant de la « rigueur» comme la plupart des autres partis socialistes européens. En Wallonie comme en France, la crise de l’Etat régulateur débouche sur un rapprochement entre socialisme et libéralisme économique.

Les deux « Wallonie »

La dissociation des logiques d’action du renardisme se manifeste notamment par le fait que des mobilisations qui ont échoué à un niveau global ou régional, se poursuivent plus prosaïquement au plan communal dans la compétition pour les subsides et les investissements étrangers. La fin du XXème et le début du XXIème sont ainsi marqués par ce que les auteurs du dernier tome de la Nouvelle Histoire de Belgique appellent la coexistence de « deux Wallonies »[[BEYEN & DESTATTE, op. cit . page 276

]], l’une qui n’en finit pas de sortir du XIXème et de la révolution industrielle et l’autre qui s’efforce de prendre pied dans le XXIème siècle. C’est à la fois l’époque de ce que Jean-Yves Huwart a appelé « le second déclin de la Wallonie » et celle d’une société qui veut se mobiliser pour son entrée dans la société de la connaissance. Malgré les nouvelles compétences que les réformes institutionnelles leur ont octroyées, les gouvernements wallons des années ’90 ne parviennent pas à empêcher un approfondissement de la dégradation de la situation économique wallonne[[Cette prise de conscience ne vient pas d’abord des gouvernements wallons qui ont tendance, au moins jusqu’à la fin des années 2000 à refuser la réalité d’une poursuite du recul de la part relative de l’économie wallonne dans l’économie belge. Il est probable que par ailleurs, la pression des partis flamands dans le sens d’un renforcement de la réforme de l’Etat et singulièrement de l’autonomie fiscale, ait contribué à cette mobilisation. A cet égard, voir Benoît LECHAT, La généalogie fantomatique du Plan Marshall, La Revue Nouvelle, Novembre 2005. Cette approche a cependant été contestée par la revue Toudi et par Yves De Wasseige, selon lesquels la Wallonie est sortie de son déclin depuis 1986.Yves DE WASSEIGE, Reconnaître le développement économique de la Wallonie, dans TOUDI, Janvier-Février 2001, p.9 

]]. En novembre 1997, le gouvernement wallon adopte – à mi-législature – une Déclaration de Politique Régionale Complémentaire (DPRC) qui entend délaisser « une gestion insulaire et au jour le jour »[[Michel LEBRUN cité par DESTATTE & BEYEN, op. cit. p. 274.

]]. Les constats d’une action publique wallonne encore trop cloisonnée, engluée dans le sous-localisme sont de plus en plus partagés. De 1997 à 2009, de la DPRC au Plan Marshall 2. Vert en passant par le Contrat d’Avenir et le Contrat d’Avenir Actualisé, les appels aux mobilisations transversales vont se multiplier, montrant que les responsables wallons commencent de plus en plus à concentrer leurs priorités et à tenter de sortir de la seule défense de « ce qui est »[[Avec BEYEN et DESTATTE (p. 218), il faudrait bien sûr nuancer et affiner en montrant notamment que, dès la mise en place du Conseil Economique régional, dans le cadre de la mise en œuvre de la loi Terwagne sur l’expansion économique, il y a une préoccupation de création de quelques secteurs de pointe. Le 25 juin 1970, Fernand Delmotte, le secrétaire d’Etat à l’économie régionale, cite l’énergie, la pétrochimie, l’automobile, l’aéronautique… Mais de la préoccupation à la réalisation, le passage semble avoir eu quelque peine à se produire…

]].

La coupure culture/économie en débat

Les années ’90 seront également marquées par la mobilisation des enseignants et des étudiants qui veulent obtenir davantage de moyens pour un enseignement qu’ils jugent insuffisamment financé et donc injustement victime de mesures d’économies. Ces mobilisations – qui adressent des demandes de refinancement au niveau fédéral – attestent à la fois de la difficulté des Wallons et des Bruxellois à se rendre compte de la réalité des rapports de forces au niveau belge (notamment au niveau des ressources financières des entités fédérées), de la difficulté de prendre à bras le corps ce qu’il faut également appeler les problèmes de gouvernance dans l’enseignement francophone[[Voir VANDENBERGHE, Décrochage francophone en termes de capital humain, La question de la gouvernance, Econ-UCL, septembre 2007.

]] et surtout de la coupure persistante entre les politiques culturelles et les politiques économiques, matérialisée par la répartition des compétences entre les régions et la Communauté française de Belgique. On décrira sans doute un jour comment ce découpage institutionnel a simultanément entretenu et illustré une coupure de nature « culturelle » (avant d’être institutionnelle) sur la place de l’éducation et plus largement de la culture dans la société, entre les tenants de la priorité à l’économique (alors encore très marqué par l’ancien imaginaire industriel et peu ouvert à l’émergence d’une économie de la connaissance) et les tenants de l’investissement dans l’éducation. On y reviendrait notamment sur les tensions apparues au sein du monde syndical entre d’une part les organisations interprofessionnelles, les centrales industrielles et les centrales enseignantes, les premières reprochant aux secondes de soutenir un « enseignement qui coûte trop cher », les secondes reprochant aux premières de ne pas vouloir investir dans la priorité des priorités d’une société[[Pierre BOUILLON et Benoit LECHAT, « Enseignement, de la grève à la négociation », EPO, Bruxelles, 1991.

]]. Cette description pourrait aussi montrer comment la prise en compte de plus en plus large des enjeux de la société de la connaissance et notamment des nécessaires investissements en matière de recherche et d’innovation font aujourd’hui peut-être partiellement fausse route, en amenant parfois à confondre les universités avec des écoles professionnelles[[Il faudrait en l’occurrence mettre en parallèle la manière dont les universités wallonnes et bruxelloises ont été de plus en plus mobilisées dans la mise en œuvre d’un savoir « instrumental » au service de l’économie et de la croissance économique et le désintérêt relativement persistant dont souffrent les filières techniques et des sciences dites « dures ».

]] chargées de former à un métier, alors que leur vocation première est de développer et de transmettre le savoir en dehors de toute finalité instrumentale déterminée à l’avance.

Au milieu des années 90, ce débat eut bien lieu dans le cadre des Assises de l’enseignement arrachés par le mouvement étudiant. A posteriori, on peut sans doute regretter que celui-ci n’ait finalement qu’en partie réussi son ancrage régional, de sorte que la discussion sur l’avenir de l’école est restée coupée des autres compétences politiques. Pourtant, dès le 15 septembre 1983[[BEYEN et DESTATTE, op.cit. p. 310., voir aussi http://www.toudi.org/toudi/manif.html

]], dans le « Manifeste pour la Culture wallonne », une série de créateurs et d’intellectuels wallons avaient insisté sur l’importance de la culture dans la mobilisation de la société wallonne, tout en affirmant ne pas se reconnaître dans la Communauté française, l’institution qui en avait la compétence. La peur de la division entre Wallons et Bruxellois face à une Communauté flamande de plus en plus revendicatrice explique au moins partiellement la difficulté à mener ce débat fondamental de manière sereine, sans commencer d’emblée par les affrontements sur les questions institutionnelles et singulièrement sur la question de la régionalisation des compétences culturelles au sens large.

Inversion de tendance et survivance de vieux fantômes

Dès la fin des années ’90, les responsables politiques wallons ont donc commencé à afficher de plus en plus clairement une volonté de changer la gouvernance de la politique wallonne, en sortant progressivement d’une politique du saupoudrage – intrinsèquement conservatrice – pour tenter de réduire la dispersion des priorités politiques et lancer des processus plus ouverts à la participation des acteurs de la société wallonne. Mais parallèlement, l’actualité médiatico-judiciaire a donné un retentissement croissant à une série d’infractions commises par des mandataires publics, notamment dans la gestion des sociétés de logement social. Ce qui a été ainsi mis en lumière à partir de 2005, ce ne sont plus tant des pratiques de corruption (comme dans le cadre des affaires Agusta et Dassault qui ont émaillé les années ’90 et débouché sur des réformes du financement des partis), mais des pratiques que la législation française désigne bien par la qualification d’ « abus de biens sociaux ». Si le système médiatique, de plus en plus dominé par une tendance à traiter l’information politique sous l’angle du fait divers, s’est surtout concentré sur un traitement « individuel » de ces comportements (évoquant dans le meilleur des cas, un manque d’éthique de la part des représentants politiques), il y a eu en définitive peu d’éclairage sur les logiques sociales et institutionnelles qui les expliquaient, notamment pour faire le lien entre le sous-localisme, le clientélisme et toutes les dérives politiques qui mènent à la domination de l’intérêt général par des intérêts limités, qu’ils soient privés ou partisans.

De la gouvernance à la prospective

Cette esquisse historique largement fragmentaire et incomplète permet de dégager en négatif quelques composantes de ce que pourrait être une « bonne gouvernance » wallonne, en prise sur les attentes collectives pas nécessairement homogènes de sa société. Au-delà de l’éthique individuelle des représentants politiques, de leur respect des législations et de leur engagement au service de l’intérêt général qui doivent garantir la confiance entre les citoyens et leurs représentants, la courte histoire de la région wallonne est marquée par une tentative d’arrachement à ses spécificités locales et partisanes. Cette persistance de modèles d’action archaïques a souvent été de pair avec une forme de conservatisme (« la défense de ce qui est »), empêchant l’émergence d’un projet global pourtant réclamé par les mouvements sociaux – et en l’occurrence par le mouvement ouvrier – pour permettre la reconversion et tout simplement l’ouverture de perspectives d’avenir. En définitive, la qualité politique qui semble le plus avoir fait défaut en Wallonie, c’est la capacité à projeter une société dans son avenir. La bonne gouvernance n’apparaît alors plus seulement comme l’art de la bonne gestion, à assurer au jour le jour, mais plus fondamentalement comme l’art de l’organisation sociale de la prospective. Celle-ci ne peut être seulement l’affaire de quelques technocrates planificateurs plus ou moins éclairés, voire d’entrepreneurs privés capables de « sentir » les opportunités économiques à saisir dans la compétition mondiale, mais elle doit être la tâche d’une société démocratique capable de « travailler » ses divisions, pour reprendre le vocabulaire psychanalytique. En ce sens, cinquante ans après l’hiver ‘60, la première réforme de structure à faire en Wallonie pourrait bien être de développer la mobilisation de la capacité prospective de son parlement, au sens où la prospective n’est pas un exercice de « prévision » mais bien de « construction » et de « négociation » collective de l’avenir[[Cela reviendrait en quelque sorte à valoriser, à prolonger et à amplifier tout le travail mené à bien par l’Institut Jules Destrée depuis 1987 dans le cadre de ses congrès « La Wallonie au futur ». Voir http://www.wallonie-en-ligne.net/wallonie-publications/Wallonie-Futur-1_Index.htm

]].

Redéfinir la prospérité en Wallonie et au-delà

Il en effet est plus que probable que les prochaines années nous démontrent à quel point la prospective est à la fois une activité sociale (et politique) et une activité qui doit porter sur le développement du lien social. Depuis l’éclatement de la crise financière en Europe à l’automne 2008, l’interconnexion des crises économique, sociale et écologique, montre à quel point, c’est notre modèle global de société et de développement qui est en cause. Il ne s’agit plus seulement de concilier l’écologie et l’économie (de reconvertir l’économie dans un sens écologique, c’est-à-dire de parvenir à une économie sans carbone d’ici le milieu du siècle), mais aussi plus profondément de redéfinir la notion de prospérité[[Tim JACKSON, op cit.

]]. Plus ou moins consciemment, nous nous rendons compte qu’elle reste aujourd’hui structurée par le besoin d’une croissance illimitée de la consommation de biens matériels qui nous conduit droit dans le mur, socialement, humainement et écologiquement. Il ne s’agit donc plus seulement de « produire autre chose, autrement », mais de construire une tout autre économie, qui donne la priorité à la production de « liens » sur celles de biens et qui définit la richesse notamment par le développement d’une participation sociale, basée davantage sur l’échange égalitaire que sur la dépendance, la soumission ou l’exploitation. Autrement dit, entre la gouvernance, la prospective et l’utopie, il y a un lien qui est probablement appelé à se développer, sans doute beaucoup plus vite qu’on ne le croit. La production d’une telle mobilisation ne pourra se faire indépendamment des nombreuses dynamiques sociales qui ont émaillé la courte histoire de la Wallonie, ni au-delà, en faisant abstraction du contexte plus large, qu’il soit belge ou européen. Cette discussion devra commencer par une critique qui ne se limite pas à dénoncer la responsabilité du capitalisme mais qui porte aussi sur l’échec des réponses politiques (publiques) qui ont été apportées à la crise de l’industrie wallonne.

Gouvernance et lien social : dimensions institutionnelles et sociales

Les enjeux de gouvernance ne peuvent donc se comprendre en dehors du contexte historique dans lequel ils émergent. A son tour, ce contexte est déterminé par les institutions, leur structure comme leur mode de fonctionnement et celles-ci sont également marquées par la société qui les a produites. Une traversée historique très sommaire de l’histoire récente de la Wallonie a donné en négatif quelques traits de ce que devrait être une « bonne gouvernance ». On l’a vu, ce dont la Wallonie a besoin pour assurer sa reconversion (outre de moyens financiers), c’est à la fois d’assurer la confiance entre les citoyens et la politique (pour créer la mobilisation collective qu’invoquent constamment les gouvernements wallons quasiment depuis la création de la région), c’est aussi de mettre efficacement en œuvre les objectifs que le politique se donne. Cette exigence d’efficacité (et non « accessoirement » de justice…) s’étend d’ailleurs à la capacité du politique à aider la société à anticiper les évolutions auxquelles elle est soumise. La bonne gouvernance doit donc au moins mobiliser ces deux dimensions de la confiance et de l’efficacité de l’action publique, chacune étant prise dans un sens très large[[En septembre 2008, lorsqu’Ecolo réclamait un « plan Marshall des pratiques politiques et de la gouvernance », le parti vert soulignait qu’« à chaque fois qu’un dossier est traité indûment avant un autre, qu’une entreprise obtient un marché sans le mériter, que des dépenses somptuaires sont réalisées, que des agentes et agents du service public ne sont pas respectés, c’est l’efficacité de nos institutions qui est remise en cause, et par-delà la faisabilité de tout projet politique quel qu’il soit qui s’en voit compromise ».

]].

Le programme d’Ecolo en matière de gouvernance évoque trois grands types de phénomènes de nature à saper ces objectifs de confiance (d’une légitimité qui ne se réduit pas à celle découlant du suffrage universel) et d’efficacité : « le clientélisme et le règne des passe-droits (qui) dominent encore trop souvent le fonctionnement des institutions publiques ; la dispersion du pouvoir entre une multiplicité d’acteurs publics entraîne, dans une série de secteurs, une concurrence stérile et une déperdition des ressources; les conflits d’intérêt et les concentrations d’influence ont été érigés en mode habituel de conquête et d’exercice du pouvoir à un trop grand nombre d’endroits ». En substance, les problèmes de gouvernance seraient le résultat (notamment en Wallonie) de l’action croisée du clientélisme et du sous-localisme, ces deux maux se renforçant l’un l’autre et se retrouvant à la base d’autres comportements préjudiciables comme le lotissement partisan des administrations, les confusions d’intérêts particuliers (partisans) et publics. Mais avant cela, il faut aussi se poser la question de savoir, si le système démocratique belge ne rend pas par lui-même difficile un exercice du gouvernement qui réponde à ces objectifs de légitimité et d’efficacité. Autrement dit, il faut se demander si la cause de la mal-gouvernance belge et wallonne ne réside pas originellement dans la configuration de nos institutions démocratiques. Contrairement à une idée communément défendue par ceux qui ont un intérêt structurel au statu quo les enjeux institutionnels (et donc démocratiques) renvoient à des problèmes réels et ne peuvent en aucun cas être disjoints des enjeux économiques et sociaux.

La démocratie enrayée 

En 1960, à quelques encablures du grand mouvement social de l’hiver ’60, le constitutionnaliste François Perin publiait un essai sur le régime parlementaire belge baptisé « La démocratie enrayée »[[François PERIN, op. cit., pp. 9-10.

]]. Il y faisait le constat prémonitoire que la période de stabilité que la Belgique venait de traverser pendant les quatre ans et un mois (de 1954 à 1958) qu’avait duré la coalition libérale-socialiste gouvernant la Belgique, avait été également marquée par un « immobilisme presqu’absolu sur le plan économique et social ». Son constat anticipait la critique d’une politique exclusivement orientée « vers la défense de ce qui est » effectuée par Maurice Chaumont en février 1961 pour expliquer la mobilisation des travailleurs au cours des grèves de décembre 60 et de janvier 61. « A l’aube du marché commun, la Belgique est surprise par une crise structurale de l’industrie charbonnière prévisible depuis longtemps sans qu’aucune réforme énergique ait pu être envisagée. Le vieillissement de l’appareil industriel du pays fait l’objet actuellement de jugements sévères dont les éléments ne sont pourtant pas neufs. Il serait injuste de dire que nos gouvernements furent insouciants : la vérité est qu’ils sont paralysés », écrivait-il alors. Pour expliquer cette paralysie, le futur président du Rassemblement Wallon ne mettait pas en avant ce qu’on appelait à l’époque les « problèmes linguistiques ». En revanche, il soulignait que la règle de l’unanimité paralysait les gouvernements de coalition à laquelle la Belgique était condamnée depuis l’introduction du suffrage universel en 1918. Perin ne remettait pas en question cette conquête du mouvement ouvrier, mais il estimait que la Belgique aurait dû adapter ses pratiques politiques à cette introduction[[« La Belgique a gardé son régime du XIXème siècle calqué sur l’Angleterre. Elle ne s’est pas aperçue qu’il était, chez elle, incompatible avec la pratique du suffrage universel. Les hommes politiques et les juristes ont méconnu les lois de la sociologie. Le régime belge a mal fonctionné depuis 1918. C’est la sanction de notre manque d’imagination. C’est peut-être aussi l’indice d’un manque de courage et de loyauté. Il n’est pas certain que personne ne soit conscient de l’existence du véto, car au fond, tour à tour, chacun s’en sert pour paralyser l’action de ses adversaires. Les forces ainsi s’annulent et le régime est caractérisé plus encore par son immobilisme que par son instabilité ». PERIN, op. cit. p. 141.

]]. A l’époque, Perin ne défendait pas l’instauration du suffrage majoritaire, mais suggérait de rendre plus de liberté au parlement, notamment en supprimant les déclarations gouvernementales et en renforçant l’indépendance des gouvernements à l’égard des partis. Ce n’est pas le lieu ici de développer les réponses proposées par l’éminent constitutionnaliste, il y a tout juste cinquante an. Mais il s’agit simplement de retenir que les questions de gouvernance ne peuvent être dissociées des modes de gouvernement, de fonctionnement parlementaire, de leur formation et des types de partages du pouvoir entre partis et des pratiques politiques qui en découlent.

L’hypothèse néo-corporatiste

Les phénomènes de mal-gouvernance – qu’ils se rencontrent en Wallonie à Bruxelles ou en Flandre sont marqués à l’encre – indélébile – du caractère « consociatif », voire « néo-corporatiste » de la démocratie belge. Celui-ci est défini par le fait que les gouvernements belges – qu’ils soient fédéraux ou régionaux – sont toujours des gouvernements de coalition et surtout que les appareils de partis s’y partagent la représentation politique de catégories socioprofessionnelles déterminées[[Le néo-corporatisme n’est pas à entendre au sens d’une défense limitée aux intérêts de catégories sociales déterminées, mais bien « comme la capacité à créer un monopole de représentation de la part des partis politiques ». Voir Bernard FRANCQ, « Un socialisme populaire et régional », Revue Nouvelle, janvier-février 1995.

]] en se présentant comme les prolongements, dans la sphère politique, de mondes associatifs, syndicaux et culturels soigneusement cloisonnés. Dans la logique des « piliers », l’intérêt général est censé émerger de manière quasiment magique de la somme des intérêts particuliers qui ne sont en réalité que des visions à chaque fois particulières et différentes de l’intérêt général. Dans l’histoire de la Belgique, celui-ci a donc été le plus souvent confondu avec la coexistence plus ou moins régulée d’intérêts partisans. Leur séparation étanche par les piliers a permis une pacification des tensions sociales via les arbitrages réalisés entre les partis qui les représentent. Certes, ce système de pilarisation – et le consociativisme qui lui est associé – ont progressivement perdu de leur prégnance à partir des années ’80. Mais il a conservé une emprise réelle, empêchant notamment l’émergence de politiques cohérentes et efficaces en matière d’enseignement, ce qui explique en grande partie, les mauvaises performances pédagogiques du système francophone[[Voir à ce sujet encore VANDENBERGHE. Sa thèse est que la contribution des réseaux à l’inefficacité de notre enseignement « tient surtout à l’opposition caractérisant leurs leaders quant au modèle de gouvernance devant s’appliquer aux écoles ». « L’hybridation actuelle relève au mieux du compromis entre conceptions relativement antagonistes de la gouvernance : l’une étatiste et l’autre libérale (de tradition sociale), ou encore l’une centralisatrice et l’autre fondée sur le principe de la délégation (soit vers les établissements/PO privés, soit vers les pouvoirs publics locaux). … Le « coût » d’avoir des réseaux de taille ou forces égales est d’avoir à faire de la politique scolaire en présence de décideurs aux visions divergentes. D’où le compromis perpétuel et l’avènement d’une gouvernance hybride, criblée de contradictions ».

]]. Le système d’enseignement continue en l’occurrence d’illustrer la logique de résolution des conflits par la séparation qui marque la démocratie belge depuis sa création[[Sur le caractère « fondateur » de ce mode de résolution des conflits par la séparation qui contrairement à la devise nationale (ou alors de manière ironique) caractérise la démocratie belge depuis sa fondation en 1830, voir Jean-Marie LACROSSE, La Belgique telle qu’elle s’ignore, Le Débat, numéro 94, mars-avril 1997, pp. 12-40, p. 17.

]], d’où l’enjeu crucial de continuer tous les efforts pour y creuser de plus en plus de brèches, notamment via la politique des « bassins scolaires ».

Sous-localismes et entonnoirs à subsides

Le même mode de production de la décision par addition sans synthèse ou aussi par séparation et cloisonnement se retrouve à la fois dans la survivance des provinces et dans l’emprise que peuvent exercer les intérêts locaux sur les politiques régionales. L’attachement des écologistes à la fin des cumuls de fonctions exécutives communales et d’un mandat de parlementaire, notamment régional, n’a pas tant pour but de réduire les revenus des parlementaires ou des édiles communaux, que de renforcer la capacité des parlements régionaux à formuler des positions qui transcendent les points de vue locaux. La construction d’une vision globale au niveau régional, la fixation de priorités générales qui peuvent évidemment heurter – fût-ce provisoirement – certains intérêts ou droits acquis locaux requièrent que les parlementaires soient en mesure de s’abstraire un tant soit peu de leur ancrage local. Dans ce but, la création d’une circonscription électorale wallonne globale dans laquelle un nombre limité de parlementaires seraient élus s’avère indispensable. De telles réformes semblent cependant difficiles à concrétiser, tant elles heurtent des traditions politiques solidement ancrées. On songe notamment à l’attachement historique aux communes ainsi qu’aux provinces, deux institutions qui disposent d’une « ancienneté » infiniment plus grande que l’institution régionale. La Wallonie a besoin d’un espace public et politique qui ne se réduise pas à une somme d’entonnoirs (locaux) à subsides qui sont octroyés davantage en fonction du poids politique de tel ou tel responsable que des besoins réels ou du moins des priorités que l’on peut établir d’un point de vue global. Combien de tout « grands formats » régionaux (et ce d’ailleurs tant au niveau bruxellois que wallon) ne font-ils pas ainsi usage des campagnes électorales pour insister auprès de leurs électeurs sur les bienfaits qu’ils peuvent apporter à leur commune de par leur présence au sein des exécutifs régionaux ? Si des règles existent bien pour l’octroi des subsides, pourquoi croient-ils devoir continuer à invoquer ce genre d’arguments ?

Universalité du clientélisme

La difficulté de la position des écologistes sur ces questions, c’est qu’ils critiquent le localisme tout en appelant par ailleurs à une re-localisation des activités économiques. Même s’il s’agit évidemment de deux choses bien différentes, elles ne sont pas dépourvues de liens. La critique écologiste du sous-localisme est double. D’une part, elle porte sur le fait qu’il empêche l’émergence d’un point de vue global valable pour l’ensemble d’un territoire. D’autre part, elle vise ce qui en constitue le fondement social, à savoir la relation clientéliste. Tout l’enjeu pour les Verts, où qu’ils soient, c’est de développer une politique qui mette l’accent sur le local, la proximité, la convivialité, la réciprocité, sans tomber dans le piège de la relation clientéliste. Ce n’est pas une mince affaire et les professions de foi vertueuse (du genre « nous jamais ») sont condamnées à être tôt ou tard transgressées si elles ne s’ancrent pas dans une perception fine et non-condescendante de ce qui se joue dans le phénomène clientélaire. Dans ce cadre, il importe à la fois de saisir son caractère quasiment universel et la manière dont cet universel se décline en Wallonie, notamment dans les spécificités historiques produites par la société industrielle.

Dans un numéro de la revue du MAUSS consacré au malaise dans la démocratie[[MAUSS n° 25 : Malaise dans la démocratie. Le spectre du totalitarisme (1er sem. 2005)

]], le sociologue Pierre Tafani raconte comment Jacques Chirac s’est brillamment illustré dans l’art de l’usage de l’entonnoir à subsides dans sa région française d’origine, la Corrèze, en parvenant à y faire s’implanter une série d’entreprises et de services publics et en créant dans les bureaux mêmes de la mairie de Paris, une « cellule Corrèze », qui a réussi à porter à près de 2.000 le nombre d’employés municipaux parisiens originaires de ce département en 1995. La ville de Lille est un autre modèle du genre. Le clientélisme y est évoqué depuis le 19ème siècle comme l’une des composantes de l’implantation du succès socialiste, même s’il y prévaut « un double discours consistant à le nier et à l’euphémiser en même temps ». D’abord de type clairement ouvriériste et légitimé par l’action sociale, il a ensuite permis à une personnalité comme Pierre Mauroy de se maintenir en place, alors que la composition sociologique de la ville avait complètement changé, grâce à « la constitution ‘artificielle’ d’un nouveau type d’électorat dont le noyau dur est composé d’ « associés » et d’ « obligés » dont le suivi serré a suffi à conserver le contrôle de la ville.

Le clientélisme, le « couteau suisse » du politique  

Pour Pierre Tafani, le clientélisme est le ‘couteau suisse’ du politique : « il a tant d’emplois ou d’usage qu’on peine à les recenser ». Il permet de cibler et de conquérir des électorats qui n’étaient pas acquis a priori ; il aide à organiser les fréquentations des politiques en cercles concentriques répartissant citoyens actifs et passifs, « les premiers, par l’étendue de leurs fréquentations, font l’opinion et contribuent à la décision ; les seconds, par l’indigence de leurs relations, se voient réduits à participer à une sélection déjà largement préétablie, quand ils ne se réfugient pas dans l’abstention ou le populisme »; il permet d’informer le politicien des besoins de ses clients en échange de la rétribution électorale à laquelle le client est « obligé »; il permet d’attribuer au « patron » une « puissance incarnative » en parvenant à faire confondre sa fonction et ses bienfaits qui deviennent des qualités personnelles attribuées à son génie alors qu’elles sont d’origines institutionnelles (parti, service public,…). Sur cette base, Tafani propose la définition suivante de la clientèle : « elle est en même temps une solidarité, une hiérarchie et un instrument de pouvoir à buts diversifiés ». Il s’agit en l’occurrence de voir que dans la relation clientéliste, le client, tout comme le patron, sont pris dans la triple obligation de donner, de recevoir et de rendre, qui est constitutive de l’économie du don que le sociologue Marcel Mauss et ses disciples ont identifiée comme un invariant anthropologique universel, dans les sociétés modernes comme dans les sociétés pré-modernes.

Coopération, solidarités de classe et crise économique

Si le clientélisme s’inscrit bien dans le paradigme du don et du contre-don, est-ce à dire qu’il faille ne plus s’offusquer de ce qui nous semble constituer autant d’infractions à l’un des principes fondateurs de la modernité démocratique, à savoir l’égalité de tous devant la loi ? Peut-on accepter par exemple que des représentants politiques tendent à faire croire qu’ils sont responsables des « services » qu’ils rendent aux « gens » alors que ces services sont universels de par leur nature de services publics ou de prestation de sécurité sociale ? Non évidemment, et cela d’autant plus que ces pratiques prolifèrent souvent sur les dysfonctionnements du système (lenteur, complexité, inefficacité…) qu’elles ont elles-mêmes alimentés. En outre, s’il y a bien « restitution » de la part du client, sous la forme du vote, s’il produit ainsi de l’obligation pour le politique, si chacun devient l’obligé de chacun, il n’en reste pas moins que la relation clientéliste reste profondément asymétrique et inégalitaire.

Dans sa monumentale étude sur l’histoire du mouvement ouvrier socialiste dans le Borinage[[Jean PUISSANT, L’évolution du mouvement ouvrier socialiste dans le Borinage, Académie Royale de Belgique, Réimpression 1993.

]], l’historien Jean Puissant a bien montré comment les retards dans la réalisation de la revendication centrale du mouvement ouvrier, à savoir la conquête du suffrage universel, ont favorisé l’incroyable bourgeonnement du mouvement coopératif socialiste au tournant du XIXème et du XXème siècle. A défaut de pouvoir réaliser le socialisme par la voie électorale permettant la réalisation de réformes sociales (le suffrage universel pour les hommes ne sera octroyé qu’en 1918), le mouvement ouvrier a donné lieu à ce que Jean Puissant a appelé le « socialisme dans un seul village ». A plus d’un siècle d’intervalle, on ne peut que sourire de lire chez Puissant le récit des tentatives de la presse catholique de l’époque pour jeter la suspicion sur un mouvement coopératif et syndical qui suscitait la jalousie et l’inquiétude de la bourgeoisie et de l’Eglise parce qu’il était en mesure de fournir à ses membres une myriade de services, de la fourniture de pains à celle de chaussures, en passant par les fanfares, l’éducation populaire, la protection contre la maladie et bien sûr, la perte de revenus en cas de grève. Comme à Seraing – et sans doute comme à Lille et dans bien d’autres anciennes forteresses ouvrières – ce modèle d’action organisé de la classe ouvrière a été très largement entamé par la crise industrielle pour se transformer en une logique « populaire » de protection des victimes de l’économie capitaliste. La logique de réciprocité, de solidarité et d’égalité présente aux origines s’est de plus en plus souvent confondue avec une logique hiérarchique et instrumentale, échappant à presque toute forme de participation active de ses bénéficiaires, du moins en dehors de l’exercice électoral.

Produire de la réciprocité dans une société post-industrielle ?

Même si ces évolutions sont le résultat de la société industrielle et de sa crise, les écologistes seraient bien inspirés de prendre au sérieux la question de savoir comment permettre une croissance de la production de réciprocité qui ne soit pas asymétrique mais qui débouche sur ce qu’Alain Caillé et Jacques Godbout[[Alain CAILLE, Anthropologie du don, La Découverte, Paris, 2007, p. 131.

]] appellent de l’ « endettement mutuel global positif » et qui ne renforce pas la rancœur ou le mépris de soi chez les personnes qui ne sont pas en mesure de « rendre »[[« Le don non rendu rend encore inférieur celui qui l’a accepté, surtout quand il est reçu sans esprit de retour », Marcel MAUSS, Essai sur le don, p. 258.

]]. Il n’est pas sûr que ce soit uniquement en vitupérant contre les féodalités du clientélisme et le système des « baronnies » qu’on y parviendra. En revanche, il s’agira d’abord de s’interroger sur la manière de re-produire (de se mettre à nouveau à produire) du lien social, dans et en dehors de la sphère professionnelle, afin que les personnes sans travail ne soient plus exclues de la participation à la vie sociale. Cette question qui hante le monde syndical et associatif, au moins depuis les années ’80, n’a pas fini de nous occuper, du moins si nous ne voulons pas nous contenter de réprobations morales contre le clientélisme et si nous n’imaginons pas que seules des mesures de nature législatives ou déontologiques suffisent à réformer la gouvernance, en Wallonie comme à Bruxelles. La difficulté supplémentaire à laquelle nous sommes confrontés (à moins que ce soit une chance, voire carrément… une opportunité), c’est qu’il nous faut aussi mener à bien cette tâche au moment où nous devons non seulement passer de la vicinalité (des liens de solidarité proches) à la solidarité plus large de l’association (que l’on retrouve du reste au fondement de notre système de sécurité sociale) et ensuite à une socialité « tertiaire » qui est en train de voir le jour dans « la société virtuelle mondialisée »[[Il faut évoquer à cet égard les liens entre ces nouveaux types de socialisation permis par l’internet et l’émergence de nouvelles formes particulièrement innovantes d’activités économiques. Voir à cet égard HUWART, op. cit.

]].

Conclusion provisoire

Ce double passage – trop rapide – par l’histoire, d’une part, par les institutions et le social, d’autre part, devrait évidemment être approfondi et affiné collectivement – en commençant pour ce qui me concerne par la famille écologiste – si on veut que la mobilisation de la société wallonne soit le fruit d’un vrai travail démocratique.

C’est tout l’enjeu de la transition d’une vision hétéronome à une vision autonome, où les difficultés de la reconversion ne sont pas exclusivement mises sur le compte de ce qui est extérieur à la Wallonie, sans pour autant se transformer dans un auto-dénigrement aussi injuste que ravageur. La critique de la responsabilité écrasante du capitalisme et de l’Etat belges dans la crise de la société industrielle n’a, il est vrai, pas toujours été accompagnée d’un travail sur les responsabilités internes à la Wallonie. Mais, heureusement, depuis plusieurs années, celui-ci a commencé – hélas pas encore suffisamment du fait de la gauche – parallèlement au travail d’identification des priorités politiques pour le redéploiement de la Wallonie.

Ce que j’ai voulu tenter de souligner, c’est que la discussion sur la reconversion écologique de l’économie ne peut se mener de manière « désincarnée » sans se référer très concrètement au cadre économique et culturel ainsi qu’à la société dans laquelle nous vivons et/ou avec laquelle nous entretenons des liens de dépendance et de complémentarité, par exemple quand on habite la région bruxelloise.

Dans cette même logique, on ne pourra sérieusement envisager cette reconversion pour ce qui concerne la Wallonie (et Bruxelles), si on fait abstraction des leviers essentiels que forment les compétences en matière de sécurité sociale et de fiscalité qui doivent rester fédérales.

Sur ce plan, il faudra notamment rappeler que les réformes fiscales menées depuis le début de ce siècle ont bien plus contribué à creuser la dette publique et les inégalités que le refinancement des communautés et des régions, sans faire croître le bien-être des Flamands, des Wallons comme des Bruxellois. Que l’exercice des compétences régionales et communautaires ne soit pour autant pas exempt de tout reproche, est attesté par l’ampleur légitime qu’a prise le débat sur la gouvernance.

Celui-ci devra se poursuivre en lien avec le débat que nous allons devoir organiser encore plus rapidement et qui doit porter sur la redéfinition complète du contenu de notre activité économique et de notre prospérité. Dans ce cadre, il nous faudra notamment redéfinir l’équilibre entre les activités marchandes, non-marchandes et les services publics et réintroduire dans chacune de ces composantes de la vie économique, un maximum de réciprocité et d’autonomie, bref de lien social.

Cela ne pourra être mené à bien que si nous continuons à construire de la manière la plus collective possible une image partagée de l’avenir, en faisant le lien entre les institutions et le social, l’économie et l’écologie. Nous n’y parviendrons pas sans refaire (au moins) un peu d’histoire.

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