La perte de la vue est une hantise qui m’est personnelle.

Les crises de glaucome aigu dont a souffert ma mère y sont certainement pour quelque chose ;

de même qu’une plus grande sensibilité spontanée aux arts visuels plutôt qu’à la musique.


J’ai pourtant rencontré des malvoyants heureux. Non seulement capables de mener une vie domestique relativement autonome et une vie professionnelle active, mais qui ont réussi à développer en eux des facultés sensorielles et intellectuelles généralement sous-exploitées par les voyants.

 L’accueil téléphonique central à notre maison communale est très efficacement assuré par un mal-voyant.

 Un citoyen mal-voyant assiste régulièrement aux conseils communaux et se montre très concerné par les dossiers d’urbanisme, plus particulièrement les obstacles multiples auxquels sont confrontés les piétons dans l’espace public.

 L’Institut Royal pour Sourds et Aveugles (IRSA) en bordure de la chaussée de Waterloo est une institution scolaire uccloise particulièrement dynamique. Elle accueille 700 enfants et adolescents, à qui elle procure un encadrement pédagogique, éducatif et paramédical de grande qualité.

 Un aveugle de naissance occupe de hautes fonctions au sein du parti Ecolo, avec une compétence qui force l’estime de tous. Il a développé une mémoire prodigieuse !

Un effet positif potentiel du handicap,

justement souligné, d’une manière générale, par Albert Jacquard

en tant que moteur de l’évolution

Voir et percevoir

Notre rétine ne fait qu’enregistrer un message. C’est notre cerveau qui l’interprète.

La capacité de voir est une chose ; la manière de regarder en est une autre ; et l’interprétation de ce que l’on a perçu une troisième !

Nous ne voyons consciemment que ce que nous (re)connaissons. Autrement dit, notre attention se focalise sur ce qui a du sens et de l’importance pour nous, compte tenu de nos références acquises. Rien n’est plus subjectif que l’observation spontanée !

J’apprécie que l’on guide mon observation, d’un tableau, d’une architecture ou d’un paysage ; que l’on m’aide à voir et à comprendre ce que je n’aurais peut-être pas perçu seule.

C’est probablement pourquoi j’ai pris l’initiative de concevoir et d’éditer (en étroite collaboration avec l’écoconseiller communal et quelques autres fonctionnaires), trois guides de « promenades-découverte » dans Uccle : ils mettent chacun en valeur une vingtaine de sites, avec la volonté de mener une réflexion qui, partant des faits observés, conduit à leur compréhension et leur mise en contexte.

Par ailleurs, le regard que l’on porte sur les êtres et sur les choses détermine ce que l’on peut y trouver. Chacun connaît l’image très parlante du verre à moitié vide ou à moitié plein. Certaines personnes ont l’habitude d’épingler les éléments négatifs d’une situation et d’en tirer, forcément, une conclusion pessimiste. En politique, l’opposition s’en est fait une spécialité !

Personnellement, j’ai tendance à m’attacher d’abord aux faits positifs. Ce qui n’empêche pas l’exercice d’un esprit critique, d’autant plus efficace qu’il sera mesuré. J’ai appris également à ne pas en rester à la première impression négative que j’ai pu avoir de certaines des personnes avec qui j’ai été amenée à travailler.

Visibilité en politique

Les politiques soignent leur image. Ils ont notamment besoin que leur action soit visible. C’est une des conditions de leur réélection. Or certaines compétences assurent une plus grande visibilité que d’autres. Elles sont recherchées !

A Uccle, celle de l’Environnement est peu gratifiante à cet égard car la propreté publique et l’entretien des espaces verts (qui sont deux champs d’action visibles) ne relèvent pas de cet échevinat. L’action publique menée en faveur d’une préservation de l’environnement est souvent discrète et donc méconnue. Les efforts faits, par exemple, en matière d’économie d’énergie, de gestion des eaux de pluie, de dépollution des sols, de récupération des déchets ou de réduction des moyens de transports polluants ne se remarquent pas, parce qu’ils ne se voient guère.

La prise de conscience des grands enjeux environnementaux de l’avenir n’est pas intuitive. Elle demande un effort de compréhension d’ordre intellectuel ; un effort qui semble plus aisé aux jeunes générations, probablement parce qu’elles se sentent plus concernées.

En guise de conclusion

Pendant de nombreuses années, j’ai porté sur les questions politiques le regard d’une citoyenne peu engagée. L’expérience de mes deux mandats, et plus particulièrement celle de l’exécutif, m’a fait percevoir les choses avec les yeux de ceux qui assument des responsabilités publiques. Un regard bien différent posé sur une même réalité.

Parmi les objets auxquels tenaient ma mère figuraient trois petits singes accolés.

Le premier se voilait les yeux pour ne pas voir ; le second se bouchait les oreilles

pour ne pas entendre ; le troisième se fermait la bouche pour ne pas parler.

J’y voyais le symbole d’une indifférence délibérée aux autres, d’un individualisme frileux,

d’une lâcheté soucieuse de repli sur soi pour ne pas avoir d’ennuis.

En réalité ces figurines représentent, dans la pensée bouddhiste, un symbole de vie intérieure.

Elles expriment la volonté de voir autrement, d’écouter autrement et de parler autrement.

Quand on a « ouvert les yeux » on ne peut plus jamais les refermer.

« On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux »

disait le Renard au petit Prince.

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