La conjonction de la crise économique globale avec la prise de conscience de l’ampleur du changement climatique nous enjoints de passer d’une logique traditionnelle de relance en période de récession à une logique de redéploiement massif où les moteurs de la création d’emplois devront être les activités économiques à faible teneur en carbone. Ce redéploiement passera nécessairement par la mise en place d’une gouvernance macroéconomique européenne ambitieuse capable de renverser la tendance lourde des trente dernières années de libéralisation financière. La politique macro-économique commune devra être à la fois une politique curative de sortie de crise (lutte contre la précarité et lutte contre le changement climatique)et une politique préventive de lutte contre l’endettement insoutenable (privé et public) et contre la déflation des coûts salariaux qui alimentent l’instabilité financière systémique. En amont des réformes actuelles en matière de normes financières prudentielles, cette politique à mettre en œuvre au niveau de l’UE peut et doit avoir une portée proprement régulatrice si l’on entend s’attaquer aux causes structurelles de la crise actuelle.
Introduction
A l’automne 2009, deux ans après l’effondrement des marchés financiers internationaux, la plupart des médias et voix officielles s’acharnaient à décoder dans les dernières statistiques économiques les signes d’une reprise -ou du moins du fait que « le pire est derrière nous ». A cet égard, la croissance exubérante des cotations des actifs financiers intervenue dans les principales places boursières mondiales dans les mois qui ont suivi la panique déclenchée par l’explosion de la bulle des subprimes a été particulièrement symptomatique. Par delà l’interprétation qu’il faut donner à ces signaux des marchés, la plupart des analystes s’accordent cependant pour affirmer que le degré d’incertitude reste considérable, comme l’a bien montré l’impact de la crise grecque sur l’euro. Il n’est en effet pas possible à ce stade d’écarter l’hypothèse d’une rechute, une fois passés les effets immédiats des plans de relance, ou encore, d’un scénario à la japonaise caractérisé par une longue période de stagnation ayant suivi l’éclatement des bulles spéculatives locales au début des années 90.
On a beaucoup insisté sur le fait que certaines institutions financières seraient « trop grandes pour faire faillite ». Le corollaire du caractère systémique de la crise actuelle est qu’aucune pièce de l’édifice, aussi modeste ne soit-elle, n’est négligeable. Le degré d’interconnexion de l’économie globale est tel que l’effondrement d’un segment du marché immobilier américain jugé comme étant « relativement modeste » avant l’effondrement des marchés a amorcé le déclenchement de la pire crise économique internationale depuis la Grande Dépression qui a suivi le krach boursier de 1929. En tout état de cause et quelle que soit la trajectoire de l’économie mondiale dans les mois et années qui viennent, les effets de la crise financière se feront ressentir pendant des longues années . Elles débouchent déjà sur une socialisation des coûts de grande ampleur. Ces effets auront vraisemblablement un impact tout aussi dévastateur que disproportionné sur les catégories les plus précaires de la population[[«Pour les 1,5 milliard de salariés dans le monde, des temps difficiles sont à venir», a déclare récemment le Directeur Général de l’OIT Juan Somavia. «Une croissance économique faible, voire négative, combinée à des prix alimentaires et énergétiques hautement volatiles, va amputer les salaires réels de nombreux travailleurs, en particulier les bas salaires et les ménages les plus pauvres. Les classes moyennes seront également sérieusement affectées». Voir également la note de bas de page n°3.
]].
La conjonction de la crise économique globale avec la prise de conscience de l’ampleur du changement climatique permet de mettre en exergue deux grands objectifs politiques qu’il s’agit de viser simultanément. D’une part, il est nécessaire de réduire de manière drastique l’empreinte écologique globale et plus particulièrement l’empreinte des pays industrialisés, et d’autre part, il est temps de lutter contre la précarité sociale générée ou accentuée par la crise. Ces deux exigences ne sauraient faire l’objet de réponses différées ni séparées car la situation se dégrade de manière simultanée et vertigineuse sur les deux plans. En effet, d’une part, des nouvelles études scientifiques mettent en évidence le fait que le changement climatique est plus important que ce que l’on croyait il y a quelques mois seulement[[A l’instar d’un rapport récent des Nations Unies, Chris Field expert du GIECC a révélé que des études postérieures au dernier rapport de l’institution mettent en évidence que l’accumulation de gaz à effet de serre s’accélère plus rapidement que ce qui avait été prédit par les scénarios les plus pessimistes du rapport du GIECC début 2007.
]]. D’autre part, des millions d’emplois ont été et sont en train d’être détruits partout dans le monde, et cette tendance devrait se poursuivre en dépit d’une éventuelle reprise[[Les rapports prospectifs récents de l’OIT dressent un panorama peu prometteur pour les années à venir. L’expérience des crises précédentes démontre que l’impact sur le chômage est décalé par rapport à la reprise elle-même ; les dernières prévisions confirment à ce titre le maintien d’un chômage élevé jusqu’en 2011 inclus. L’Organisation internationale du travail (OIT) prévoit une augmentation du nombre de chômeurs de près de 51 millions d’ici la fin de l’année à travers le monde. Le chômage dans les pays de l’OCDE devrait globalement doubler au cours des dix-huit prochains mois et continuer d’augmenter, avec des taux à deux chiffres sur une grande partie de l’année 2011. Plus de 200 millions de travailleurs pourraient sombrer dans l’extrême pauvreté – surtout dans les pays en développement et dans les pays émergents, où les filets de sécurité sociale sont rares ou inexistants –, ce qui ferait monter le nombre total de travailleurs pauvres dans le monde à 1,4 milliard. Voir le rapport : Bureau Internationale du Travail. (2009) : Rapport annuel du Bureau international du travail (BIT) sur les Tendances mondiales de l’emploi. Disponible en ligne à l’adresse : http://www.ilo.org/global/About_the_ILO/Media_and_public_information/Press_releases/lang–fr/WCMS_101465/index.htm (accédé : 15/03/2009).
]]. Si l’on veut répondre à cette double exigence, il est donc nécessaire de passer d’une logique traditionnelle de relance en période de récession à une logique de redéploiement massif où les moteurs de la création d’emplois devront être les activités économiques à faible teneur en carbone. C’est ce que préconise notamment le Programme des Nations Unies sur l’Environnement dans un rapport divulgué fin février 2009 qui appelle de tous ses vœux un « green deal global »[[Rapport disponible à la page http://www.unep.org/GC/GC25/
]].
L’hypothèse que nous voulons défendre dans cet article est que ce redéploiement est indissociable d’une réponse macroéconomique européenne et in fine d’une réponse mondiale aux déséquilibres financiers et commerciaux (global imbalances) qui prévalent au niveau international et qui ont été exacerbés par ces trente dernières années de libéralisation financière. Les politiques de redéploiement doivent donc être simultanément des politiques curatives de sortie de crise (lutte contre la précarité et lutte contre le changement climatique) et des politiques préventives de correction des global imbalances. A défaut d’une telle réponse, les courroies de transmission de l’instabilité financière systémique continueront à créer les conditions pour la formation de bulles et l’éclatement des nouvelles crises internationales.
A ce stade, les réformes annoncées sont cependant en deçà des intentions affichées par les déclarations finales des trois sommets du G20, et en aval, des Conseils Européens. Les deux premiers sommets du G20 ont largement passé sous silence l’enjeu fondamental de la mise en place de politiques coordonnées de ré-réglementation visant à corriger les déséquilibres globaux. Le sommet de Pittsburgh a certes abordé cet enjeu et instauré un mécanisme d’évaluation par les pairs, mais les divergences manifestes entre les participants constituent à l’heure actuelle un obstacle majeur pour la mise en place de mesures correctives.
Après avoir mis en évidence certains angles morts du diagnostic sous-jacent aux déclarations du G20 et des leaders européens, ainsi que quelques mécanismes à la base de la crise, cette analyse veut insister sur le fait que la réponse internationale et européenne manque largement l’objectif fondamental de la mise en place de politiques de ré-réglementation visant à corriger les global imbalances (déséquilibres globaux). Dans un troisième temps, et à la lumière de l’analyse critique préalable, il sera question de dégager les contours d’un chantier à ouvrir sur le plan de la gouvernance macroéconomique européenne. Ce chantier constitue un jalon pour fournir une réponse proactive de l’UE visant d’une part, à contribuer à la correction des global imbalances (déséquilibres globaux) et d’autre part, à faire face aux défis sociaux et économiques posés par le redéploiement vers une économie faible en carbone.
Par delà les règles prudentielles : faire face au désordre financier international et corriger les déséquilibres globaux
De nombreuses voix critiques se sont fait entendre dès l’automne 2008 afin d’insister sur l’insuffisance des engagements européens et internationaux pour répondre à la crise. Ces critiques estimaient que ces insuffisances étaient tant qualitatives que quantitatives. Elles portaient autant sur le niveau et la portée des nouvelles contraintes (entités, actifs financiers et processus concernées par les nouvelles modalités de contrôle, exigences en matière de capitaux propres et de diversification des portefeuilles, etc.) que sur la nature et la structure même de ces contraintes (prérogatives des régulateurs et superviseurs, modalités de financement des agences de notation parmi d’autres).
Par delà ces insuffisances, nous allons nous concentrer sur un enjeu qui a été largement passé sous silence par les discours officiels : celui de la correction des déséquilibres financiers globaux. Comme nous le verrons par la suite, cet enjeu est indissociable d’un diagnostic sur la crise qui repose moins sur une lecture en termes de dysfonctionnements des institutions que sur un diagnostic qui met l’accent sur l’inefficience des mécanismes de marché pour réguler la finance.
Les réformes qui se mettent en place sont fondées sur un diagnostic du système financier qui met l’accent sur toute une série de dysfonctionnements des institutions : par exemple, l’opacité de la titrisation et des produits structurés, les déficiences des agences de notation, la pro-cyclicité des normes comptables, l’aléa moral créé par les schémas de rémunération, etc. Comme le montre l’économiste André Orléan, l’analyse dominante au niveau international et européen voit la crise comme le résultat des déficiences extrinsèques au marché. « Si [le marché] a mal fonctionné, cela ne tient nullement à des déficiences qui lui seraient intrinsèques, mais au fait qu’on lui a livré des produits mal dessinés, trop opaques. En conséquence, selon le G20, tout doit être transformé à l’exception de la concurrence financière, dont « l’intégrité » doit être préservée. Elle demeure, dans le projet du G20, comme le mécanisme central qui organise l’allocation du capital à l’échelle planétaire. »[[Orléan, A. (2009) : Entretien concédé à la revue Alternatives Économiques n°283 du mois de septembre 2009., pp. 83-85.
]]
L’analyse en termes de dysfonctionnement des institutions repose sur l’hypothèse que les erreurs passées seront évitées dans le futur moyennant un surcroît de transparence et de contrôle prudentiel. Cependant, comme la crise financière au sein de l’eurozone au printemps 2010 le montre, moins de deux ans après la panique des marchés financiers survenue à l’automne 2008, « il n’y a aucune raison de penser que les agences de notation ne referont pas les mêmes erreurs demain du fait même de la difficulté de leur métier : la valorisation de tout actif financier suppose une certaine représentation de ce que sera l’évolution économique future. Or en cette matière nos connaissances sont insuffisantes. Comme le soulignait John Maynard Keynes, le futur est radicalement incertain. »[[Ibid. p. 85
]] En d’autres mots : « [la] carence de la finance mathématique à mesurer les risques, en temps de grande instabilité n’est ni accidentelle ni remédiable […] Cette impossibilité tient au fait que les densités de probabilité qui entrent comme hypothèses dans les modèles dits de Value-at-Risk sont immanentes aux interactions des agents… et sont par conséquent radicalement indéterminées ex ante. »[[Lordon, F. (2009) : Quatre principes et neuf propositions pour en finir avec les crises financières. Article publié dans la revue Manières de Voir n°102 dans le dossier Le Krach du Libéralisme.
]]
La finance a un caractère autoréférentiel qui fait que les changements de stratégies des analystes affectent les propriétés des actifs observés. Comme le met en évidence Jón Daníelsson[[Daníelson, J. (2008) : Blame The models. Disponible en ligne à l’adresse : http://risk.lse.ac.uk/rr/files/JD-33.pdf (accédé 03/10/09).
]], spécialiste de la théorie financière à la London School of Economics, même en dehors des périodes de grande instabilité le modèle de Value-at-risk présente des faiblesses analytiques majeures car même pour des placements simples les résultats sont très sensibles aux hypothèses retenues. Cette difficulté inhérente à la valorisation des actifs financiers limite fortement la possibilité d’introduire une surveillance prudentielle efficace permettant d’identifier de manière prospective les bulles en formation. Ce sera le cas du moins aussi longtemps que l’on restera dans le cadre d’une finance globalisée caractérisée par un haut degré intrinsèque d’asymétries informationnelles, d’interconnexion des acteurs et des processus, et donc d’instabilité[[Comme le met en évidence l’anthropologue Pierre-Benoit Joly dans un texte publié dans le journal Libération du 8 Octobre 2008. « Il n’est pas si sûr que l’on prend au sérieux la métaphore des « titres toxiques » qui s’impose au cœur de la crise actuelle. Les innovations financières –dont on s’est longtemps félicité!- ont produit un réseau dense d’interdépendances. Comme pour les prions à l’époque [de la vache folle] il est donc très difficile d’identifier quelle sera l’étendue des dégâts provoqués par les créances douteuses. La complexité des produits financiers, à laquelle s’ajoutent des fortes asymétries d’information, rend illusoire la nécessaire traçabilité des flux ; l’efficacité des mesures de réduction des risques s’en trouve limitée ». Pour André Orléan, le seul moyen de mettre en place une surveillance prudentielle efficace serait l’imposition de règles extrêmement rigides qui imposeraient une limitation des credits distribués dans l’économie mondiale à 10% du volume actuel.
]].
L’engagement renouvelé du G20 et des autorités de l’UE de préserver l’intégrité de la concurrence financière et à continuer à œuvrer en vue de la libéralisation du commerce international met donc bien en évidence le fait que le cadre de pensée qui continue à orienter les décideurs est bien celui des dysfonctionnements des institutions comme étant de nature extrinsèque à la concurrence de marché.
A l’instar des éléments épistémologiques avancés ci-dessus, l’analyse empirique des processus de libéralisation des marchés financiers nous permet difficilement de croire aux vertus auto-correctrices de la concurrence. La Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement a publié un rapport en mai 2009[[UNCTAD (2009) : The Global Economic Crisis : Systemic Failures and Multilateral Remedies. Rapport disponible à l’adresse : www.unctad.org (accede 01/06/09).
]] qui fournit une analyse fouillée et rigoureuse des données empiriques en la matière. Le rapport montre notamment que les effets combinés des processus de libéralisation financière, l’absence de mécanisme effectif et symétrique de coordination monétaire et macroéconomique multilatéraux ainsi que l’accélération de la circulation du capital ont débouché sur une forte instabilité du système monétaire et financier international. L’histoire économique des trente cinq dernières années est caractérisée par des déficits ou des surplus très substantiels des comptes courants ainsi que par une forte volatilité des cours des devises, des actifs financiers et des matières premières provoquée notamment par l’ampleur des flux spéculatifs. Le rapport met également en évidence les asymétries structurelles qui caractérisent le système financier et monétaire international. Ces facteurs combinés se trouvent à la racine de l’ensemble des crises financières qui ont rythmé l’évolution de l’économie mondiale depuis la fin du système de Bretton Woods en 1973.
Comme le met en évidence Jacques Sapir[[Sapir, J. (2008) : L’économie politique internationale de la crise et la question du “nouveau Bretton Woods” : leçons pour des temps de crise. Disponible en ligne à l’adresse : http://www.france.attac.org/spip.php?article9286 (accédé le 03/09/09)
]], la crise financière asiatique de 1997 et 1998 a constitué un tournant important dans ce processus d’ensemble. Les économies asiatiques qui avaient fortement libéralisé leurs secteurs financiers ont dû faire face à des reflux très importants des mouvements capitaux. Ces fuites ont obligé ces pays à se doter de stocks très significatifs de réserves internationales afin de se prémunir contre l’instabilité du système financier international et les attaques spéculatives. Cette accumulation a été rendue possible par le développement de politiques prédatrices sur le commerce international basées d’une part, sur des sous-évaluations compétitives de leurs monnaies et d’autre part, sur la remontée des filières technologiques.
Une telle stratégie a permis aux pays asiatiques de sortir rapidement de la crise financière de la fin des années 90 en accumulant des excédents commerciaux et de balance courante très significatifs vis-à-vis des partenaires commerciaux européens et américains, mais elle a entraîné en contrepartie des impacts internes et externes importants. Sur le plan interne, et comme le met en exergue Dani Rodrik dans son article The Social Cost of Foreign Exchange Reserves, la politique d’accumulation de réserves internationales débouche sur des coûts significatifs pour les économies émergentes qui pourraient être évités si le système financier était moins dysfonctionnel[[Assuming reasonable spreads between the yield on reserve assets and the cost of foreign borrowing, the income loss to these countries amounts to close to 1% of GDP.
]]. En externe, « ces politiques, à travers le cadre du libre-échange généralisé que les participants du sommet du G-20 entendent justement maintenir, ont induit un puissant effet de déflation des coûts salariaux dans les pays développés. Cet effet s’est propagé par la menace des délocalisations conduisant les salariés à accepter des conditions sociales et salariales toujours plus précaires au nom de la préservation de l’emploi. Cette déflation des coûts salariaux a d’ailleurs été fortement aggravée par l’irruption des logiques financières au sein des entreprises du secteur réel de l’économie, à travers des procédures comme le rachat d’entreprises par endettement à effet de levier (le leveraged buy-out ou LBO).»[[Sapir, J. (2008) : Op. cit., p. 5.
]]
Coût du travail par unité de production
Source des données du graphique OCDE
Comme le graphique ci-dessus l’indique, dans toutes les économies du G7, les coûts de travail par unité de production (et donc la part des salaires dans la valeur ajoutée) ont significativement reculé depuis la fin des trente glorieuses. Les données de l’OCDE montrent qu’il en va de même pour l’ensemble des pays industrialisés. Le graphique met notamment en évidence que cette réduction a connu une accélération importante depuis la crise financière asiatique dans les trois économies avancées les plus importantes : les USA, le Japon et l’Allemagne.
Le rapport de l’OIT World of Work Report 2008 : Income Inequalities in the Age of Financial Globalization souligne que les variables d’ajustement par excellence, aussi bien dans la plupart des pays en développement que dans les pays développés, ont été les coûts salariaux, et plus particulièrement les coûts salariaux des déciles salariaux inférieurs[[En s’appuyant sur les derniers chiffres de croissance du FMI, le BIT prévoit que la croissance mondiale des salaires réels atteindra au mieux 1,1 pour cent en 2009, comparé à 1,7 pour cent en 2008, mais les salaires devraient décliner dans un grand nombre de pays, y compris dans les principales économies. De manière générale, la croissance des salaires dans les pays industrialisés devrait baisser, de 0,8 pour cent en 2008 à -0,5 pour cent en 2009. Le rapport du BIT montre que cette sombre perspective se profile après une décennie pendant laquelle les salaires n’ont pas progressé au même rythme que la croissance économique. Bureau International du Travail (2009) : Global Wage Report 2008/09: Minimum wages and collective bargaining: Towards policy coherence. Disponible en ligne à l’adresse : http://www.ilo.org/global/What_we_do/Publications/lang–en/docName–WCMS_100786/index.htm (accédé le 12/09/09)
]]. L’évolution de la distribution des revenus durant les trente dernières années de globalisation financière a donc été marquée par une double aggravation des inégalités : accroissement d’un côté, de la part du capital dans la valeur ajoutée de la plupart des économies mondiales et accroissement, de l’autre, des inégalités entre salariés au bénéfice des cadres supérieurs et au détriment des bas salaires. La déflation des coûts salariaux dans les pays riches[[Pour une analyse détaillée des processus de déflation salariale je renvoie ici pour les USA aux travaux de Bivens, J . (2007) : Globalization, American Wages and Inequality. EPI Working Paper, septembre 6, 2007. Disponible en ligne à l’adresse : http://www.libertyparkusafd.org/lp/Hamilton/Globalization%5CGlobalization,%20American%20Wages%20and%20Inequality.pdf (accédé le 28/07/09). Pour l’UE je renvoie à Flassbeck, H. (2009) : Wage Divergences in Euroland: Explosive in the Making, publications McMillan.
]] s’est accompagnée dans le même intervalle d’une véritable explosion de l’endettement des ménages aussi bien aux USA que dans l’UE. Aux USA l’endettement des ménages est rapidement passé de 93% du PIB en 2000 à environ 140% en 2007. De l’autre côté de l’Atlantique, le recul de la dette publique dans la zone euro s’est accompagné d’une forte augmentation de l’endettement privé (nous y reviendrons). Dans la zone euro, l’endettement des ménages est passé de l’ordre de 72 % de leur revenu disponible brut en 2000 à près de 92 % en 2007.
Endettement des ménages dans la zone euro et charges d’intérêt
Source : BCE rapport annuel 2007
Comme le montrent ci-dessous les données de l’US Bureau of Economic Analysis, reprises par Jacques Sapir, l’endettement hypothécaire est devenu aux USA un moyen de financement de la consommation et la source principale de la hausse de la croissance à partir de 2002. «[…] La bulle spéculative immobilière qui gonfle à partir de 2002 permet aux ménages de constamment réamorcer leurs hypothèques pour obtenir des nouveaux crédits. Ce mécanisme que l’on appelle le home equity extraction va jouer un rôle déterminant dans la croissance américaine entre 2002 et 2007 »[[Sapir, J. (2008) : L’économie politique internationale de la crise et la question du “nouveau Bretton Woods” : leçons pour des temps de crise. Disponible en ligne à l’adresse : http://www.france.attac.org/spip.php?article9286 (accédé le 03/09/09), p 8
]].
Impact du crédit hypothécaire sur la croissance américaine
Taux de croissance réel du PIB | Home Equity Extraction en % des dépenses réelles de consommation | Contribution du HEE à la croissance en points de PIB | Taux de croissance du PIB recalculé sans le HEE | Taux de croissance recalculé sur la base de la moyenne du HEE 1990-1999 | Gains de croissance attribuable à la hausse du HEE | |
2002 | 1,6% | 1,6% | 1,1% | 0,5% | 0,80% | 0,80% |
2003 | 2,5% | 1,9% | 1,3% | 1,2% | 1,51% | 1,00% |
2004 | 3,6% | 1,8% | 1,2% | 2,4% | 2,71% | 0,93% |
2005 | 3,1% | 2,4% | 1,6% | 1,5% | 1,74% | 1,33% |
2006 | 2,9% | 3,3% | 2,2% | 0,7% | 0,94% | 1,93% |
2007 | 2,2% | 3,3% | 2,2% | 0,0% | 0,27% | 1,93% |
Source : US Bureau of Economic Analysis et données de Fanny Mae.
A l’instar du dernier rapport annuel de la CNUCED de septembre 2009, ces données permettent d’affirmer que « l’expansion du crédit aux USA et dans d’autres pays développés a servi à financer l’acquisition de biens immobiliers, à alimenter l’inflation des prix des actifs et à doper la consommation privée financée par l’endettement plutôt que de financer les investissements des capacités productives.»[[CNUCED (2009) : Rapport sur le Commerce et le Développement 2009, aperçu général, p. 4. Disponible en ligne à l’adresse http://www.unctad.org/fr/docs/tdr2009overview_fr.pdf (accédé le 15/10/09).
]]
La configuration actuelle du système monétaire et financier international a aggravé les risques systémiques liés à la forte croissance de l’endettement aux USA. Puisque le dollar constitue la monnaie de réserve internationale par excellence, les autorités américaines ne sont pas soumises aux mêmes obligations que la plupart des autres pays de procéder aux ajustements macroéconomiques et des taux de change nécessaires pour éviter un déficit persistant et très significatif du compte courant (de l’ordre de 5% du PIB américain pendant plusieurs années avant l’éclatement de la crise). En effet, la demande en dollars répond aux besoins fonctionnels du système de paiements et de réserves international. Les USA ont ainsi drainé à la veille de la crise jusqu’à 75% de l’épargne mondiale. D’autres pays qui ont eu dans le passé des profils analogues combinant à la fois déficits publics et privés, endettement extérieur et déficits de balance courante en aggravation constante, ont vite fait l’expérience du tarissement des financements extérieurs et n’ont eu d’autre choix que de réduire fortement leur demande interne et leurs niveaux d’importations en contrepartie de l’aide des institutions financières internationales[[Les exemples récents de l’Islande, de l’Hongrie, de la Lettonie et de la Roumanie se rajoutent aux nombreux autres pays d’Amérique Latine, d’Asie et d’Afrique qui ont connu des situations analogues durant les années 80 et 90.
]]. Comme le souligne à juste titre la CNUCED, le FMI joue un rôle fonctionnel majeur dans cette dynamique asymétrique « en imposant des politiques restrictives aux pays déficitaires dans ses conditions de prêt (à l’exception des USA), plutôt que d’inciter les pays excédentaires à adopter une politique plus expansionniste.»[[CNUCED (2009), Rapport sur le Commerce et le Développement 2009, aperçu général, Op. cit., p. 20.
]]
Le deuxième facteur – qui est lié au premier – a trait à la demande d’actifs sûrs américains de la part des économies qui, à l’instar de la Chine, ont des excédents de balance courante significatifs vis-à-vis des USA. Les réserves internationales accumulées par les banques centrales de ces pays ont été massivement investies dans les bonds du trésor américain. Comme le mettent en évidence les économistes du MIT Ricardo Caballero et Arvind Krishnamurthy[[Caballero, R. et Krishnamurthy, A. (2009) : Global Imbalances and Financial Fragility, NBER Working Paper janvier 2009.
]] cela aboutit à une situation d’exacerbation croisée des risques.
Dans les pays en développement, le risque est amplifié par le caractère spéculatif des investissements originaires des pays riches attirés par des gains rapides en capital. Aux USA en revanche, le risque est exacerbé par le fait qu’une partie très significative des actifs les plus sûrs se trouvent entre les mains des banques centrales et des investisseurs institutionnels des pays excédentaires. Cela a créé une concentration des risques dans le secteur financier américain qui s’accentue au gré de l’aggravation des déficits de balance courante et qui débouche sur une offre croissante de crédits à des conditions permissives adressés à des emprunteurs ayant des profils de plus en plus risqués. De fait, en 2005 et 2006, plus de 20% des nouveaux prêts aux USA ont été des crédits subprime. Il est à cet égard significatif de constater que les pertes des banques asiatiques suite à la dépréciation des actifs titrisés liés aux subprimes ont été très modestes en comparaison avec les pertes des banques américaines et européennes.
Enchainements économiques de l’international au national
Graphique repris de l’article de Jacques Sapir : L’économie politique internationale de la crise
En guise de transition avec la dernière partie de l’article il s’avère utile de mettre en exergue un argumentaire basé sur les développements avancés ci-dessus.
Au lieu d’atténuer l’instabilité et les déséquilibres globaux du système financier mondial, les processus de libéralisation progressive des secteurs financiers intervenus depuis trente ans, les ont au contraire exacerbés. Rien, -et en tout cas certainement pas les innovations financières ni l’évolution de l’économie mondiale depuis la crise asiatique- ne nous permet de croire qu’il en ira autrement, du moins tant que l’on préserve l’intégrité de la concurrence financière.
Par delà les règles prudentielles dont le resserrement constitue une nécessité, il est dès lors indispensable de mettre en place aux différents niveaux d’intervention des politiques publiques coordonnées de re-réglementation visant notamment à corriger les déséquilibres financiers globaux. Comme l’affirme la CNUCED, tant que le poids de la contrainte s’exercera essentiellement sur les pays déficitaires faibles et « tant qu’aucune règle convenue au niveau multilatéral n’obligera les pays à se soutenir les uns les autres sur le plan économique par le biais d’une gestion coordonnée de la demande et d’une intervention symétrique sur le marché des changes, le système penchera vers la déflation »[[CNUCED (2009) : rapport annuel sur le commerce et le développement 2009, aperçu général, op. cit., p. 20.
]]. Le dernier G20 de Pittsburgh a assumé implicitement pour la première fois que les déséquilibres globaux ne sont pas auto-correcteurs et demandent par conséquent la mise en œuvre de mesures coordonnées. Cependant, les divergences entre les membres connaissant des surplus et ceux enregistrant des déficits soutenus ont constitué un obstacle majeur pour la mise en place de politiques correctrices coordonnées et objectivables. Au-delà du carcan idéologique du diagnostic dominant sur les causes de la crise (dysfonctionnement des marchés extrinsèque à la logique de concurrence), il faut voir derrière ces divergences le poids de l’inertie des modèles de développement adoptés jusqu’ici. Les réformes requises pour mettre en place un modèle plus équilibré et soutenable ne sauraient certainement pas être indolores pour les groupes économiques dominants.
L’Union Européenne ne peut pas corriger à elle seule les déséquilibres globaux, mais son poids économique constitue un atout de taille pour amorcer un processus en ce sens, moyennant certes l’adoption d’un ensemble de politiques communes ambitieuses et cohérentes. A la lumière des enjeux soulevés dans l’introduction, la dernière partie de cet article visera à dégager les contours d’un chantier théorique portant sur la définition d’un ensemble cohérent de politiques macroéconomiques européennes susceptibles de faciliter la poursuite d’un double objectif :
Agir sur deux courroies de transmission de l’instabilité financière systémique : l’endettement insoutenable et la déflation des coûts salariaux.
Faciliter la transition écologique et le redéploiement vers une économie faible en carbone.
Lutter contre l’endettement insoutenable, la déflation des coûts salariaux et faciliter la transition écologique : vers une réforme et un élargissement ambitieux du Pacte de Stabilité et de Croissance
Alors que le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) a tenté d’imposer sans succès une discipline fiscale aux pays membres de l’UE, aucun mécanisme d’alerte, et a fortiori de correction, n’a été adressé aux pays membres qui ont connu des déficits importants des balances courantes et donc une augmentation de l’endettement consolidé public et privé. A ce stade, les tentatives d’imposer une discipline coordonnée visant à limiter l’endettement excessif de l’économie concernent donc essentiellement les pouvoirs publics alors que les agents économique privés ont eu, comme nous le verrons ci-dessous, une large latitude pour aggraver considérablement l’endettement global de certains États membres.
En conjonction avec le graphique 1 qui montre la tendance européenne récente à l’augmentation de l’endettement des ménages en proportion de leur revenu disponible, le tableau ci-dessous et les statistiques du rapport annuel de la Banque Centrale Européenne et d’Eurostat mettent en évidence quatre autres tendances significatives à l’œuvre au sein de l’UE :
il existe un hiatus manifeste entre la vigilance exercée à l’égard de l’évolution de la dette publique et le laxisme envers les dettes privées ;
l’augmentation de la dette privée a plus que compensé la réduction de la dette publique durant les années qui ont précédé la crise ;
certains pays comme l’Irlande et l’Espagne connaissaient à la veille de la crise des niveaux relativement faibles d’endettement public (bien inférieurs aux seuils fixés par le PSC), mais des niveaux d’endettement globaux supérieurs à la moyenne ;
pour de nombreux États membres, les dettes privées ont d’autant plus augmenté que la dette publique régressait plus fortement que la moyenne.
Dette des agents en 2007 (en % du PIB)
Dette publique (A) | Dette privée* (B) | Total (C) |
Dette publique / Total (en %) A / C |
|
Belgique | 84,9 | 118 | 202,9 | 41,8 |
Allemagne | 65 | 125 | 190 | 34,2 |
Irlande | 25,1 | 218 | 243,1 | 10,3 |
Grèce | 93,4 | 101 | 194,4 | 48,0 |
Espagne | 36,2 | 200 | 236,2 | 15,3 |
Italie | 105 | 108 | 213 | 49,3 |
France | 64,2 | 140 | 204,2 | 31,4 |
Pays-Bas | 46,8 | 205 | 251,8 | 18,6 |
Autriche | 59,9 | 135 | 194,9 | 30,7 |
Portugal | 64,4 | 200 | 264,4 | 24,3 |
Finlande | 35,3 | 118 | 153,3 | 23,0 |
Moyenne | 61,8 | 151,6 | 213,4 | 28,9 |
Source : BCE et Eurostat
Comme le montre un rapport consacré à la question de l’endettement au sein de l’UE du Sénat français, « au total, la concentration exclusive sur le contrôle des dettes publiques, dans un contexte de surveillance insuffisante des dettes privées, de déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salaires et de dérégulation financière a jeté les bases d’un ensemble de déséquilibres économiques mais aussi financiers. (…) En somme, le PSC, en absolutisant l’objectif de réduction des dettes publiques, ignore les conditions dans lesquelles une telle orientation est viable, tant économiquement que financièrement. »[[Sénat de la République française (2008) : Rapport d’information : la coordination des politiques économiques en Europe (Tome II) : surmonter le désordre économique en Europe. Disponible à l’adresse : http://www.senat.fr/rap/r08-342/r08-34231.html (accédé le 12/07/09).
]]
Dans cette optique, les économistes Daniela Schwarzer et Sebastien Dullien affirment à juste titre que « la crise économique actuelle a mis à jour deux grandes faiblesses de l’Union monétaire européenne, inhérentes à sa conception. La première a trait à la viabilité à long terme des finances publiques d’une série d’Etats membres de la zone euro. La seconde, à la mauvaise coordination de la politique macroéconomique, source de rivalités internationales entre ces membres et danger pour l’existence même de l’euro. (…) Les mécanismes de surveillance fiscale de l’Union européenne n’ont pas permis de prévoir cette évolution, parce qu’ils n’intègrent pas une variable essentielle : celle de la dynamique de l’endettement du secteur privé[[Le professeur d’économie à l’Université de Louvain Paul de Grauwe aboutit aux mêmes conclusions dans une colonne récente intitulée : Dette l’explosion est-elle gérable ? publiée sur le site web de Telos à l’adresse : http://www.telos-eu.com/fr/article/dette_lexplosion_est_elle_gerable
]]. Avec ce que coûte une crise bancaire sur le plan économique, les gouvernements ont tendance, quand survient une crise, à absorber les dettes du secteur financier, comme l’ont fait récemment le Royaume-Uni et l’Irlande, et, au cours des crises financières des années quatre-vingt-dix, l’Amérique latine et l’Asie. Il en va probablement de même quand les secteurs-clés du privé sont au bord de la faillite. Un pays dont les finances publiques sont saines peut ainsi tomber dans la débâcle du jour au lendemain. »[[Schwarzer, D. et Dullian, S. (2009) : Un pacte de stabilité extérieur pour l’Europe, Project Syndicate, septembre 2009. Disponible à la page : http://www.project-syndicate.org/print_commentary/dullien2/French
]]
Les crises financières à répétition nous apprennent qu’une telle asymétrie aboutit in fine à des résultats opposés à ceux escomptés. Comme tend à le confirmer la croissance spectaculaire de l’endettement public dans l’UE depuis le déclenchement de la crise à la fin de l’année 2007, l’endettement privé, lorsqu’il devient insoutenable, est souvent transféré directement ou indirectement à la collectivité afin d’éviter la faillite de l’ensemble du système. Si l’on tire les conséquences politiques de cette asymétrie, il semble dès lors nécessaire de prévoir des mécanismes européens coordonnés d’alerte et de correction pour remédier à l’endettement privé excessif des économies nationales avant même que des crises systémiques imposent des solutions bien plus lourdes pour la collectivité. Le rapport annuel 2009 de la zone euro de la Commission Européenne[[Commission Européenne (2009) : Rapport annuel de la zone Euro. Disponible à l’adresse http://ec.europa.eu/economy_finance/thematic_articles/article15859_en.htm (accédé le 10/10/09)
]] le reconnaît explicitement. D’après ce rapport, « la crise met en lumière le besoin urgent de coordination et de surveillance macroéconomiques plus larges et plus profondes dans la zone euro (…) la crise a également mis en lumière la vulnérabilité de certains États membres qui ont accumulé des déséquilibres macroéconomiques. Les conditions macroéconomiques favorables qui ont facilité l’expansion du crédit dans le monde entier ont également permis à certains États membres de la zone euro de financer une croissance économique rapide mais de plus en plus déséquilibrée, dans la mesure où les flux de capitaux entrants n’étaient pas toujours utilisés aux fins les plus productives. À l’inverse, les pays affichant un excédent de leurs opérations courantes ont vu leur croissance chuter dès que la demande mondiale a faibli, dès lors que la demande intérieure n’a jamais véritablement pris le relais. L’assainissement inachevé des comptes publics, les mesures non finalisées de supervision financière et la manière dont les États membres coordonnent leurs politiques économiques à l’intérieur de l’UEM ont encore amplifié ces faiblesses et ont pesé sur la capacité de la zone euro à réagir à la crise ».
L’approfondissement de la coordination et de la surveillance macroéconomique appelé de tous ses vœux par la Commission après le constat de l’échec des politiques passées requiert à nos yeux une réforme et un élargissement ambitieux du Pacte de Stabilité et de Croissance actuel vers un Pacte de Stabilité et de Croissance Soutenable. Un tel objectif ouvre un chantier théorique d’envergure. Nous nous limiterons ici à échafauder de manière forcément schématique et incomplète quelques uns des éléments de ce chantier.
La réforme et l’élargissement du PSC devrait tout d’abord passer par une révision des objectifs, indicateurs et des instruments du pacte. Cela s’avère d’autant plus opportun que la très brusque détérioration intervenue au niveau des finances publiques dans l’ensemble des États membres a créé un décalage aussi fort que jamais entre les objectifs affichés par le PSC en matière de flux et de stocks de dette publique et la réalité des chiffres. De fait, à la fin de l’année 2009, 20 États membres sur 27 font état d’indicateurs de déficit public supérieurs au seuil de 3% énoncé par le PSC.
Nous ne sommes pas en mesure ici de rentrer dans des considérations qui nous demanderaient des développements bien plus longs, mais nous pouvons cependant affirmer à la mi-2010 que quelle que soit la trajectoire de l’économie mondiale pour les mois et années qui viennent, il n’est guère possible ni souhaitable de réduire de manière drastique les déficits publics à court et à moyen terme. L’ampleur des pertes du secteur financier européen à elles seules (660 milliards d’euros de pertes dont 400 à acter dans les bilans d’ici fin 2010 d’après le FMI, mais probablement davantage) ont et vont continuer à peser lourdement sur les bilans des institutions financières. Et ce, malgré les aides sans précédent accordés par les États et les injections de liquidités des Banques Centrales qui constituent de facto une allocation inégalée de subsides publics au secteur financier. Tant que les institutions financières privées seront occupées à assainir leurs bilans, la dynamique du crédit et donc des dépenses privées se trouvera déprimée et ne sera pas en mesure de générer les niveaux d’activité et d’emploi qui ont précédé la crise. De ce fait, les dépenses publiques ont dû prendre le relais d’une dépense privée en forte diminution. Sans l’accroissement actuel du déficit public, la dégradation de l’activité aurait donc été bien plus importante (voir graphique ci-dessous). De manière corollaire, si les stratégies de sortie et donc de réduction des déficits sont mises en œuvre de manière précipitée, cela ne manquerait pas de faire replonger l’économie européenne dans le rouge. Dans cette perspective, la question est sans doute moins de savoir comment réduire rapidement les déficits à court terme et à moyen terme que de déterminer l’allocation des ressources publiques à court et à moyen terme de manière à générer une trajectoire d’endettement soutenable à long terme.
Croissance de la dette des secteurs non-financiers. Historique et projection de besoin de crédit.
Les objectifs du Pacte élargi de Stabilité et de Croissance Soutenable
En complément de l’objectif de soutenabilité de la dette publique, le pacte devrait aussi adopter celui de la soutenabilité de la dette globale des États membres, et par conséquent, de la dette privée. Dans la mesure où la persévérance des déficits de balance courante se solde par des augmentations de la dette nette des États membres, il y a donc lieu d’instaurer un mécanisme commun d’alerte visant à suivre attentivement l’évolution de l’indicateur de balance courante qui traduit l’évolution de l’endettement total (public et privé) d’une économie. L’évaluation conjointe de la balance courante, de la balance fiscale et des taux de croissance permet d’avoir un aperçu consolidé sur l’évolution relative de l’endettement privé. D’autres indicateurs d’endettement pourraient également compléter ce système d’alerte tel que l’indicateur de l’endettement des ménages en proportion de leur revenu disponible.
Comme le mettent en exergue Daniela Schwarzer et Sebastien Dullien : « Mathématiquement, la dynamique de l’endettement démontre qu’aucun pays de la zone euro ne peut se permettre le déséquilibre de sa balance courante, qu’il s’agisse d’un déficit ou d’un excédent, au-delà du seuil de 3% du PIB. Des exceptions pourraient être accordées à des pays qui ont de gros afflux d’investissements directs dans de nouvelles infrastructures. Cette règle devrait s’appliquer à la fois aux pays endettés et aux pays créditeurs. Après tout, il faut être deux pour créer un déséquilibre de paiement, et les pays en déficit ne devraient pas être les seuls à porter le poids de l’ajustement. »[[Schwarzer, D. et Dullian, S. (2009), op. cit., p.2
]] Cela est d’autant plus vrai que le commerce extérieur de la plupart des États membres et en particulier des pays de l’eurozone est fortement corrélé et dépendant de celui des autres États membres.
Moyennant une concertation préalable, des exceptions devraient être accordées aux pays amenés à réorienter et à augmenter une série de dépenses en fonction des objectifs de développement durable. Ces pays pourraient ainsi bénéficier, sous certaines conditions de durée et d’évaluation, d’une marge de manœuvre budgétaire plus importante, voire d’une interprétation plus souple des règles communautaires en matière d’aides d’État. Cela pourrait passer concrètement, par exemple, par un mécanisme exemptant du calcul du solde budgétaire les investissements ou les dépenses de R&D ciblées ayant un impact majeur en matière de réduction des émission de gaz à effet de serre ou ayant un impact significatif en termes d’éco-efficience sur base d’un ensemble d’indicateurs communs. Les travaux de la commission co-présidée par Joseph Stiglitz et Amartya Sen sur les indicateurs alternatifs fournissent à cet égard des pistes intéressantes en matière d’indicateurs de soutenabilité des politiques publiques et des activités économiques[[C’est notamment le cas de l’indicateur du Produit National Net (PNN). Voir site web de la commission à l’adresse : http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr/fr/index.htm
]]. Dans la même optique, la communication du 20 août 2009 de la Commission européenne « GDP and beyond : measuring progress in a changing world » établit une feuille de route qui devrait aboutir pour 2011 à l’adoption d’une batterie d’indicateurs de soutenabilité.
Ces exceptions accordées aux dépenses publiques orientées vers la transition vers une économie faible en carbone et efficiente en ressources pourraient faite l’objet d’un mécanisme de financement spécifique associant la Banque Centrale Européenne, le Banque Européenne des Investissements et les collectivités territoriales. Comme le met en exergue Alain Lipietz[[Voir notamment son article : Lipietz, A. (2009) : Les collectivités locales et la Banque Européenne d’investissements au service de la conversion verte, Revue Etopia n°5 Europe : Le tournant vert. Disponible à l’adresse : https://www.etopia.be/IMG/pdf/r5_03_lipietz_01.pdf
]], un tel mécanisme impliquerait une réorientation de la politique monétaire où l’objectif de stabilité de prix serait complété par un objectif de facilitation de la transition écologique. La Banque Centrale Européenne se réserve le droit de refinancer les crédits et d’injecter des liquidités dans l’économie par le biais notamment du taux de refinancement. Elle dispose potentiellement de ce fait d’un moyen de rendre ses refinancements sélectifs en imposant des taux différencés ou dédoublés en fonction des profils des intermédiaires financiers[[Une telle politique de taux dédoublés et différenciés faciliterait par ailleurs la segmentation et la spécialisation des métiers bancaires préconisée par des économistes tels qu’Orléan, Lordon ou Durand. Dans la mesure où, conformément aux hypothèses de travail que nous avons adopté dans le cadre de cet article, les bulles sont consubstantielles à la finance, une telle politique permettrait de limiter leur portée.
]]. La Banque Européenne d’investissements pourrait jouer à cet égard un rôle pivot. Elle émettrait des titres qui pourraient être partiellement financés par l’épargne publique et qui bénéficieraient d’un effet levier et d’un refinancement prioritaire de la Banque Centrale à des taux faibles ou nuls. Les ressources obtenues par l’émission et le refinancement de ces titres seraient ensuite investies par des collectivités territoriales (régions, communes, associations de communes) dans des programmes de reconversion massive vers des activités économiques faibles en carbone, notamment l’efficacité énergétique et l’isolation des bâtiments, les transports en commun, et la production d’énergie renouvelable. Comme l’explique Alain Lipietz : « La Banque Européenne d’Investissements pèse déjà deux fois et demi la Banque Mondiale et elle ne demande pas mieux que de peser quatre ou cinq fois plus. Pour cela, elle doit obtenir la priorité dans le refinancement auprès de la Banque Centrale. Celle-ci vient bien de refinancer des dettes de plus en plus pourries pour éviter les faillites. Pourquoi à l’avenir ne pourrait-elle pas refinancer les prêts consacrés aux objectifs politiques de l’Union européenne, comme son indépendance énergétique ou la lutte contre le changement climatique ? »[[Lipietz, A., op. cit., p. 5.
]].
Ce mécanisme de financement de la transition écologique pourrait également être assorti d’un système de quotas d’émissions échangeables et évolutif destiné exclusivement aux entités territoriales publiques et qui consoliderait la structure des incitants économiques à leur disposition pour s’engager dans le financement des activités de conversion. « C’était un peu l’idée des Agenda 21 décentralisés. On pourrait envisager que le système européen des quotas transférables s’applique aussi aux agglomérations. Un tel système serait à la fois collectif et décentralisé, en laissant aux collectivités la plus totale liberté sur la manière de les respecter. De la même manière que le marché des quotas encourage les entreprises qui veulent aller plus loin et découragent celles qui ne font aucun effort, une collectivité qui s’endetterait auprès de la BEI pourrait voir ses remboursements partiellement réduits si elle va plus vite que les autres dans la lutte contre le changement ».[[Ibid., p. 6.
]]
Les instruments du Pacte de Stabilité et de Croissance Soutenable
Dans la mesure où les règles de ce pacte élargi devraient s’appliquer aussi bien aux pays très excédentaires qu’aux pays très déficitaires, le pacte devrait établir une surveillance régulière de la manière dont les pays ont mis en place des politiques visant à corriger ces déficits et surplus importants pouvant aboutir à des sanctions[[Il est vrai qu’à l’instar du pacte actuel, cela ne règle pas la question de la faible portée dissuasive des procédures pouvant aboutir à une sanction. Il ne faut en effet pas oublier qu’à ce jour aucun pays n’a été sanctionné. Pour renforcer la portée dissuasive du pacte il faudrait probablement renforcer le poids de la contrainte pour aboutir éventuellement à une procédure de sanction plus expéditive et moins discrétionnaire. Le pari qui est ici fait est que la souplesse accordée par un éventuel pacte élargi combiné à une distribution plus équitable de la charge corrective devrait faciliter la discipline, aussi bien collective que par l’exemple.
]]. Les rapports annuels de la Commission européenne sur la mise en œuvre du pacte reformé pourraient éventuellement énumérer une liste non exhaustive et non limitative d’instruments de politique économique à la disposition des États membres et des régulateurs nationaux comprenant non seulement des mesures macroéconomiques, mais également des mesures prudentielles. Plus concrètement, si l’on prend un cas spécifique comme celui de l’Espagne qui accumulait à la veille de la crise des déficits courants importants alors que le pays respectait strictement les critères du Pacte actuel, les mécanismes d’alerte du pacte reformé auraient adressé des recommandations spécifiques visant à corriger ce déficit important de balance courante. Le programme annuel de stabilité de l’Espagne aurait pu dans ces circonstances présenter des mesures en matière de fiscalité ou même en matière de capitaux propres des institutions financières susceptibles d’infléchir l’endettement hypothécaire croissant par le recours au crédit externe[[La possibilité de rajouter l’approvisionnement dynamique aux instruments de politique économique passe par une coordination plus forte entre régulateurs et superviseurs du système financier et les autorités budgétaires. C’est un élément qui doit rentrer un ligne de mire dans la mise en place d’une nouvelle architecture de surveillance financière de l’UE.
]]. A l’autre bout de la chaîne, des pays très excédentaires comme l’Allemagne seraient amenés à présenter un programme annuel de stabilité visant à réduire les excédents de compte courant en augmentant la demande interne par le biais de la politique salariale ou d’une impulsion fiscale par exemple.
Un principe directeur sous-jacent à l’élargissement du pacte devrait être celui d’éviter la course à la compétitivité entre États membres qui se solde in fine par des raidissements des déficits et de surplus des balances courantes. Dans cette mesure, ce système de corrections coordonnées ne devrait donc pas concerner exclusivement la politique budgétaire des États membres faisant partie de la zone euro et des États concernés par les critères de convergence, mais exigerait également une coordination de la politique salariale et de la fiscalité[[L’adoption d’un instrument légal portant sur une assiette fiscale consolidée au niveau de l’UE et l’établissement d’un taux d’imposition plancher commun constituerait un outil de choix pour ce faire.
]].
Comme le souligne le rapport The Global Economic Crisis : Systemic Failures and Multilateral Remedies de la CNUCED sur base des travaux de Flassbeck et Spiecker, les données empiriques montrent qu’à moyen et à long-terme, les taux d’inflation sont notamment déterminés par le montant de salaire moyen payé pour générer une unité de production. Cela veut dire que si un pays membre d’un système monétaire commun décide unilatéralement d’adopter une norme de modération salariale inférieure à ses taux de croissance, alors que les autres ne le font pas où les font à une échelle différente, il y aura des divergences de moyen et long terme non négligeables au niveau des taux d’inflation. C’est notamment le cas de l’Allemagne dont le modèle du tout à l’export est basé sur une déflation des coûts salariaux unilatérale plus importante que celles des pays partenaires de la zone euro. La divergence persistante des différentiels de taux d’inflation au sein de la zone euro dix ans après sa création tend à illustrer ce processus[[Angeloni, I.et Ehrmann, m. (2007) : “Euro Area Inflation Differentials”, The B.E. Journal of Macroeconomics, Vol. 7: Issue 1/2007, Article 24, p.31. Disponible à l’adresse : http://www.bepress.com/bejm/vol7/iss1/art24,
]]. Dès lors, dans la mesure où une union monétaire ne garantit pas la convergence ex post des taux d’inflation, il est alors nécessaire d’adopter une norme commune liant croissance des salaires réels avec la croissance de la productivité. Cela s’avère en tout cas nécessaire si l’on entend garantir une convergence forte des taux d’inflation à moyen et à long terme et donc la stabilisation des taux de change réels, et simultanément, éviter la déflation salariale. Une telle norme devrait faire partie intégrante du Pacte de Stabilité et Croissance élargi et faire l’objet de mécanismes d’alerte et de procédures ad hoc garantissant convergence à moyen terme et souplesse en fonction des contextes spécifiques.
Cette norme liant (éventuellement sur des moyennes glissantes pluriannuelles) les taux de croissance réels des salaires à la croissance de la productivité aurait non seulement le mérite de mettre un terme à la pression salariale, mais de ce fait même, permettrait d’infléchir l’endettement croissant des ménages, ce qui à son tour se répercuterait favorablement sur les taux d’endettement globaux des États membres. En outre, puisqu’une telle norme aura un effet de stabilisation de la répartition de la valeur ajoutée, elle permettrait de faire converger l’évolution de l’inflation sous-jacente de moyen et long terme.
Dans la mesure où les États membres de l’UE hors zone euro seraient également concernés par des critères élargis comprenant la même norme, cela devrait notamment faciliter la convergence des taux de change réels[[Le taux de change réel correspond au taux auquel un individu peut échanger un bien d’un pays contre un bien d’un autre pays. Dès lors si le taux de change nominal reste stable, mais qu’il y a un différentiel d’inflation il y a une variation du taux de change réel.
]] entre les monnaies de ces pays et la zone euro. Un tel processus de convergence réaliserait une des conditions fondamentales identifiées par la CNUCED pour la mise en place progressive, et dans un premier temps à un niveau macro-régional, d’un nouveau régime monétaire multilatéral susceptible de corriger les déséquilibres globaux :
(…) with the failure of floating and of unilateral fixing a multilateral exchange rate framework is needed that pursues rather constant real exchange rates among its members. All participating countries should agree that competition shall take place at the micro level only and not between nations. (…) Fundamental and long lasting trade imbalances are prevented since all participating countries maintain their level of competitiveness[[CNUCED (2009) : The Global Economic Crisis: Systemic Failures and Multilateral Remedies, op. cit., pp. 49 et 50. Pour un aperçu exhaustif du nouveau régime monétaire multilatéral proposé par la CNCED je renvoie notamment au chapitre IV du rapport : Exchange Rate Regimes and Monetary Cooperation, pp. 41 à 54.
]].
Dans cette optique, la correction macroéconomique coordonnée des déficits et des surplus exigée par le Pacte de Stabilité et de Croissance Durable constituerait une étape intermédiaire dans la mise en place d’une discipline multilatérale visant à corriger les déséquilibres globaux et à internaliser les externalités négatives générées par l’instabilité du système financier international[[A cet égard, le nouveau régime monétaire multilatéral d’intervention coordonnée proposé par la CNUCED réactualise des propositions faites par Keynes il y a soixante ans au moment des négociations des accords de Bretton Woods.
]].
De manière complémentaire à la mise en place d’un tel processus de convergence au niveau multilatéral, l’UE devrait avoir recours à des dispositifs d’accès qualifié au marché unique (qualified market access) afin de lutter contre le dumping social et environnemental à l’échelle internationale[[“European enterprises tend to «emigrate» or «outsource» the dirty parts of their production to countries where the production is cheaper, where the rights of labour unions are very restricted, where environmental and animal welfare standards are lower. The possibilities to influence the social and environmental standards in third countries are very limited, but the EU-policies can have an impact when imported products cross EU borders. The EU should impose an import fee on those products whose production does not fulfil EU environmental, social or animal welfare standards or is in contradiction with food security in the originating country. The fees gathered must be spent on projects to develop better production facilities and practices in the originating countries (‘Qualified Market Access’ as suggested by the Greens and adopted by the EP in various resolutions).”, extrait du texte, Greens-EFA group in the European Parliement (2009) : Green Global Europe, co-operating in the world to become the most sustainable economy. Disponible en ligne à l’adresse http://www.greeens-efa.org (accédé le 10/09/09)
]].
Une contrepartie incontournable de cette gouvernance macroéconomique ambitieuse de l’UE serait une révision tout aussi ambitieuse du programme de réformes structurelles de l’UE. Il y aurait lieu dans ce cadre de fédérer (ou du moins d’articuler de manière étroite) la stratégie de lancement d’un nouveau cycle de réformes économiques structurelles à partir de 2011 dans le cadre de la stratégie 2020 et la Stratégie communautaire de Développement Durable.
Sans avoir une prétention d’exhaustivité, cette stratégie intégrée devrait inclure de manière explicite :
l’ensemble des objectifs contraignants relatifs à la diminution de notre empreinte écologique qui auront été adoptés dans l’intervalle ainsi que les objectifs communautaires et internationaux en matière de préservation des biens publics mondiaux (eau, sols, biodiversité, ressources halieutiques, etc, …) ;
des indicateurs de bien-être et de qualité de vie mieux à même de refléter les exigences d’un développement durable que l’indicateur classique PIB/habitant. La feuille de route établie par la Commission et les travaux de la commission Stiglitz/Sen ouvrent une fenêtre opportunité intéressante à cet égard ;
des cibles communautaires contraignantes dans le domaine des marchés publics verts et un ensemble d’instruments fiscaux communs visant à inciter les activités éco-efficientes et à pénaliser les activités polluantes. Dans cette perspective, il est indispensable de veiller à ce que les négociations de deux directives sur les marchés publics verts et sur la fiscalité verte prévues pour 2010 et 2011 se soldent par l’adoption de dispositifs instaurant des mécanismes progressifs et redistributifs et par l’harmonisation vers le haut des législations nationales ;
l’adoption de cibles spécifiques en matière de Recherche & Développement et d’emploi dans les secteurs verts dans le cadre d’une méthode de coordination économique renforcée ;
la canalisation des moyens financiers dans le domaine de l’innovation « verte » doit être accompagnée de la mise en place de nouveaux modèles d’affaires dans le domaine des droits intellectuels visant à concilier accès et innovation. La promotion des modèles « open source » et des standards ouverts devrait dans ce cadre faire également l’objet de cibles spécifiques.
Remarques finales
La conjonction de la crise économique globale avec la prise de conscience de l’ampleur du changement climatique constitue une injonction majeure pour passer d’une logique traditionnelle de relance en période de récession à une logique de redéploiement massif où les moteurs de la création d’emplois devront être les activités économiques à faible teneur en carbone.
De notre point de vue, la crise économique n’est pas purement exogène à l’UE comme certains le prétendent. C’est avant tout la crise d’un modèle de développement fondé sur une « économie à crédit » et sur la déflation des coûts salariaux. Les propositions ébauchées dans cet article impliquent en ce sens une refondation urgente du modèle de développement européen basée à l’heure actuelle sur une stratégie de compétition différenciée entre l’UE et ses partenaires extérieurs d’une part, et entre les États membres de l’UE de l’autre. Le status quo n’est pas un choix. Soit l’UE prend la voie d’un renforcement substantiel de la coordination et l’intégration des politiques économiques des Etats membres à court terme, soit elle prend par défaut le chemin d’un déclin rapide et inexorable. La crise de l’eurozone au printemps 2010 et sa gestion catastrophique qui a mis l’UE au bord du gouffre montrent à suffisance que les scénarios catastrophe sont bien plus proches que ce que l’on aurait pu imaginer il y a quelques semaines seulement.
Nous avons préconisé dans cet article que le renforcement substantiel des la coordination et de l’intégration des politiques économiques au sein de l’UE passe à la fois par une politique curative de sortie de crise (lutte contre la précarité et lutte contre le changement climatique). Et par une politique préventive de lutte contre l’endettement insoutenable (privé et public), et contre la déflation des coûts salariaux. A défaut, l’endettement insoutenable et la déflation des coûts salariaux continueront à alimenter l’instabilité financière systémique et à constituer des courroies de transmission des déséquilibres globaux. En amont des réformes actuelles en matière de normes financières prudentielles, cet article a mis en exergue que la politique macroéconomique commune à mettre en œuvre au niveau européen peut et doit avoir une portée proprement régulatrice si l’on entend s’attaquer aux causes structurelles de la crise actuelle. C’est le double enjeu de la refondation proposée du Pacte de Stabilité et de Croissance vers un Pacte de Stabilité et de Croissance Durable en tant que volet macroéconomique du « green new deal européen ».