Licenciés en raison de la crise, d’anciens cadres supérieurs choisissent d’exercer leurs talents dans l’agriculture au sein d’une ferme écologique moderne.


Dans la région de Saint-Pétersbourg, une commune révolutionnaire est en pleine création, mais, cette fois, la classe laborieuse n’est pas le prolétariat : ce sont les cadres d’entreprise. Dans leur combat pour un avenir radieux, ils ne se sont pas armés de pavés, mais de pelles et de pioches. « Les personnes qui sont le plus attirées par notre projet de ferme écologique pour anciens managers sont des analystes financiers spécialisés dans les investissements et des courtiers ruinés », explique Maxime Vinogradov, ancien marchand de matériaux de construction à Saint-Pétersbourg devenu président du conseil de coordination de l’Association des cadres.

Une nouvelle vie

« Nous allons cultiver des pommes de terre, des rutabagas, bref, ce que notre terre ingrate du nord-ouest de la Russie nous permet de récolter. Avant la crise, je vendais des équipements de luxe, du stuc italien. En novembre dernier, je me suis retrouvé endetté jusqu’au cou : plus moyen d’obtenir un crédit. J’ai dû céder mon trois pièces à la banque et déménager avec ma famille dans un logement communautaire. Dans cet inconfort et cette promiscuité, j’ai eu envie de commencer une nouvelle vie. Fini les bulles financières. Je me suis dit qu’il était temps d’avoir un vrai travail. »

Nous sommes désormais loin de la ville, dans un champ de la région de Boksitogorsk (à environ 150 kilomètres à l’est de Saint-Pétersbourg) que cultivent d’anciens cadres. Autour, des forêts aux essences variées, mais très peu de champs. En outre, la terre n’est pas très propice à l’agriculture. Toutefois, nos cadres ne se laissent pas décourager.

Pour l’instant, rien n’est encore sorti de terre, et je vois d’ici, dans un futur proche, une idyllique scène pastorale. Un jeune homme maigre en chemise immaculée, portant de fines chaussures italiennes, accroupi dans un wagon à bestiaux, son portable sur les genoux, cherchant sur internet un site qui lui expliquera comment il faut s’y prendre pour abattre le bétail, pendant que, dans son dos, un veau meuglera désespérément…

Un retour aux sources

En lisière de forêt, le travail bat son plein. Des jeunes gens tentent maladroitement d’empiler des bûches qu’ils ont débitées à la tronçonneuse. Je m’approche et entame la conversation. «Vous étiez dans un bureau, avant ? Vous avez eu une illumination le jour où on vous a licencié?» « Oui, on peut sans doute dire ça. La finance, c’est un stress permanent, terrible, au point que même les psychologues disent qu’il est bon de s’arrêter un an ou deux. Et puis, ici, je fais quelque chose de concret, je pourrai vraiment me nourrir et acquérir des connaissances. Mais mon expérience dans l’encadrement va me servir aussi, nous allons bâtir notre village de manière optimale, nous sommes quand même des pros ! »

Une éco-ferme

Je vois aussitôt surgir l’image d’un éleveur-directeur des ventes, une pelle dans une main, un relevé des cours de la Bourse dans l’autre. Il serait naïf de penser que ce projet écologique de citadins tentés par le retour à la terre puisse réussir sans aucun soutien. C’est pourquoi ils ont décidé de se répartir les tâches. Pendant qu’une moitié d’entre eux s’occupe de construire la future commune rurale, l’autre moitié va gagner de l’argent en ville et faire le siège des administrations. Trouver des débouchés pour la production à venir, persuader des fournisseurs, sélectionner du bétail, démarcher des investisseurs.

Vassili Smirnov, qui dirige le projet de construction de l’éco-ferme, est lui aussi un ancien analyste. Il est désormais responsable de la planification stratégique. « Nous avons un plan de développement, assez d’argent pour plusieurs petits projets pilotes, avec 3 millions de roubles (environ 67 000 euros), nos économies personnelles, que nous avons mises ensemble, explique M. Smirnov. Nous sommes en train d’établir un plan d’investissement auquel nous tenterons d’intéresser des investisseurs privés et publics. L’idée de base, c’est le respect de la nature. »

Ces spécialistes du marketing et analystes financiers reconvertis espèrent que leur projet sera à l’équilibre dans deux ans et rentable d’ici trois ans seulement. Cela semble très ambitieux, surtout quand on sait que l’agriculture est toujours un secteur déficitaire, qui ne survit que grâce aux subventions de l’État. « Nous avons une formation que n’ont pas la plupart des agriculteurs. Nous allons donc être capables d’établir des mécanismes de vente exemplaires », ajoute Kirill Titkov, l’un des participants au projet.

Pour l’instant, il n’a pas perdu son emploi en ville, où il continue à commercialiser des denrées alimentaires, mais, plus tard, il souhaite laisser tomber et vendre les pommes de terre et la viande de bœuf qu’il aura lui-même produites.

Extrait d’Andreï Lavrov du journal Komsomolskaïa Pravda, Russie.

Publié le 08/11/2009

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