La crise alimentaire est passée un peu à l’arrière-plan de l’actualité. Elle n’en reste pas moins présente dans de nombreux pays du monde et l’instabilité du cours des matières premières alimentaires risque de la faire rejaillir à tout moment. Plus que jamais, les crises climatiques, alimentaires et des prix sont liées. En effet, la production alimentaire, partout dans le monde, est dépendante des effets du climat et de ses aléas. Les stocks de matières premières, parfois insuffisants à cause de faibles rendements, sont vulnérables à la volatilité des prix et à la spéculation financière. On a beaucoup parlé des biocarburants comme facteur d’aggravation des pénuries de céréales et d’autres cultures alimentaires. Mais a-t-on assez parlé de l’incroyable déséquilibre entre la production alimentaire consacrée aux animaux et celle destinée aux personnes ?

L’année 2008 a été marquée par l’omniprésence de la crise de la production alimentaire : volatilité des prix des matières premières, conflits autour de l’appropriation des terres, émeutes de la faim dans divers pays du Sud, épuisement des sols, pénurie d’eau ou pollution des nappes, expulsions des paysans… Les causes sont évidemment multiples et agissent avec des degrés divers : faiblesse des stocks des matières premières, augmentation des coûts de production liés à l’énergie fossile, indécentes spéculations sur les marchés financiers, accroissement de la demande de pays émergents comme l’Inde, le Brésil ou la Chine, développement des agrocarburants qui accroissent les intérêts spéculatifs sur les matières premières, etc. Par ailleurs, d’autres difficultés émergent comme les risques de maladies nouvelles difficilement maîtrisables (virus mutants, fièvre catarrhale…).

Pourra-t-on nourrir neuf milliards d’êtres humains ?

Au cours des cinquante dernières années, le modèle agricole dominant a certes accru sa productivité et a répondu à une demande quantitative croissante, mais il a aussi créé des inégalités inacceptables à l’échelle planétaire, détruit des emplois ruraux, contribué à l’épuisement et à la dégradation des ressources naturelles (dont les sols et l’eau) ainsi qu’à une perte de plus en plus menaçante de biodiversité. Par ailleurs, nous vivons un paradoxe terrible: nous mangeons trop et mal au Nord ce qui provoque des maladies de l’alimentation alors qu’au Sud, les paysans producteurs de nourriture sont les premiers touchés par les famines et par la malnutrition. L’agriculture intensive est aussi pointée du doigt pour sa contribution aux émissions de gaz à effet de serre. Selon la FAO, environ 20% des émissions totales de gaz à effet de serre seraient générés par le secteur agricole, pris dans sa globalité.

Mais surtout, la question que chacun se pose aujourd’hui, au Nord comme au Sud, est de savoir comment la Terre va nourrir durablement et équitablement une population mondiale qui devrait atteindre les neuf milliards d’êtres humains en 2050.

Les réponses classiques à cette question vont dans le sens de l’amélioration de la productivité des cultures et des élevages, de l’augmentation des rendements et des économies d’échelle. Dans ce but, il est fait de plus en plus appel à la biotechnologie et à la mécanisation. Mais celles-ci butent sur les limites des ressources et sur la capacité des écosystèmes à se régénérer. Les premières « révolutions vertes » avaient déjà provoqué un appauvrissement des sols, un épuisement des ressources disponibilles en eau, sa pollution, une croissance des émissions de gaz à effet de serre et un surcroît de dépendance aux ressources fossiles. Pourtant, ces obstacles ne semblent pas ébranler certains tenants d’un capitalisme forcené qui estiment que la solution viendra du développement des échanges commerciaux, des biotechnologies, d’une ouverture totale des marchés et d’une spécialisation des pays en fonction des coûts de production.

Mais d’autres voix se font entendre. Ainsi, l’Evaluation internationale des Sciences et Techniques agricoles au Service du Développement (IAASTD)1, rapport réalisé avec la contribution de 400 scientifiques mondiaux et rendu public le 15 avril 2008, a souligné l’urgence d’un changement des règles qui régissent l’agriculture moderne. Les auteurs de ce document préconisent la protection des ressources naturelles et le développement de pratiques « agro-écologiques». Ils insistent sur l’idée qu’il ne s’agit pas tant de produire plus à l’hectare que de produire mieux et de favoriser l’agriculture paysanne et familiale.

Quant au Délégué spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, il défend le principe de la souveraineté alimentaire et donc le droit des Etats à protéger leur agriculture, et en particulier l’agriculture paysanne et la production vivrière. La productivité de l’agriculture vivrière peut d’ailleurs être largement améliorée, justement par le recours aux savoirs traditionnels et à des pratiques agro-sylvo-pastorales adaptées aux écosystèmes, ce qui aurait l’immense avantage de protéger le capital naturel pour l’avenir.

Nous sommes à la croisée des chemins, et le lobbying des grands intérêts industriels fait rage auprès des institutions internationales pour que les choix « classiques » s’imposent ou soit imposés, tant au Nord qu’au Sud. Comme toujours, le véritable enjeu est donc moins la quantité de biens produits que le mode de production et la distribution mondiale de ces biens.

L’agriculture et les filières alimentaires doivent faire l’objet d’une régulation internationale qui assure la sécurité alimentaire pour tous et un partage équitable des ressources ainsi que la protection des écosystèmes producteurs. Les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) doivent être revues dans ce sens.

Ce soir, qu’est-ce qu’on mange ?

Et c’est ici qu’il faut intégrer une autre question : celle du contenu de notre alimentation, en tout cas de celle des habitants du Nord. Quel modèle alimentaire devons-nous adopter pour qu’il soit accessible à tous les habitants de la Terre, qu’il soit favorable à la santé et préserve les capacités des écosystèmes pour les générations futures ? Or l’assiette occidentale avec son steak de viande trônant aux côtés des frites et d’une feuille de salade, ou le hamburger incluant un double steak haché entre moutarde et ketchup, ont tendance à devenir un modèle mondial. Ici, en Belgique, nous consommons en moyenne 100 kg de viande par an et par habitant. Sa demande augmente dans les pays émergents. Si on suit les courbes de l’évolution actuelle, sa production devrait doubler d’ici 2050 (de 229 millions de tonnes en 2001 à 465 millions de tonnes en 2050 2). Cela ne pourrait se faire que par le recours à l’élevage intensif. Or un tel modèle alimentaire basé sur la viande et les produits animaux est insoutenable au vu de la capacité de régénération des ressources naturelles et il est inacceptable du point de vue de l’équité et du partage des ressources.

Au niveau mondial, aujourd’hui, 70 à 80 % des terres agricoles sont affectées au bétail ou à la nourriture du bétail. La plus grande partie de la viande est consommée par les pays riches. Au niveau européen, l’Union étant déficitaire en céréales, oléagineux et protéagineux, ce sont essentiellement des cultures extra-européennes qui nourrissent notre bétail (maïs, soja…). Les productions végétales européennes sont directement concurrencées par ces cultures produites à faible coût et exportées dans des conditions de dumping économique (USA), social ou environnemental (Brésil).

Au niveau mondial, la majorité des céréales et protéines végétales est cultivée pour nourrir les animaux, alors qu’elles pourraient être consommées directement par l’homme. Ce « détour énergétique » est particulièrement important dans le cas du bœuf où le rapport d’efficience entre une protéine végétale et une protéine végétale est de 1 à 20, en raison de la taille de l’animal, de sa longévité et d’un métabolisme de base élevé. Il est moins important dans le cas de la volaille ou du porc. Les ressources de la biomasse sont donc indéniablement détournées au profit d’une minorité. L’élevage constitue une charge écologique importante.

L’argument climatique

Plusieurs types d’impacts environnementaux doivent être dénoncés. Le président du Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), Rajendra Pachauri venu à Gand en août 2008, y a lancé le slogan « Less heat, less meat ». En effet, 18% des gaz à effet de serre sont émis par la production animale, dont 9% du CO2, 37% du méthane (CH4, ayant 23 fois le potentiel de réchauffement du CO2), 65% du protoxyde d’azote (N2O, 296 fois le potentiel de réchauffement du CO2). Au cours des trente dernières années, les besoins de l’élevage en pâturages ou en céréales et protéagineux ont provoqué d’importantes déforestations dans les pays du Sud. Cet élevage est non seulement destiné à leur propre consommation mais surtout à celle des pays du Nord, vers lesquels étaient exportées soit les céréales et protéines végétales, soit la viande elle-même. La déforestation contribue à 20 % des émissions de gaz à effet de serre en général, et à 36 % des émissions imputées à l’élevage 3.

Reconnaissons dès maintenant qu’il conviendra de distinguer les formes d’élevage qui n’ont pas causé de déforestation récente, c’est à dire sur des pâturages dans les régions anciennement agricoles. Leurs émissions de GES en sont fortement diminuées.

Le méthane produit par les ruminants constitue la deuxième source de gaz à effet de serre de l’élevage. Sa part dans les émissions de l’élevage varie de 25 % à près de 30 %, soit quelque 86 millions de tonnes de méthane par an. La digestibilité des aliments peut entraîner une fluctuation des émissions. Il est donc intéressant d’étudier le contenu de l’alimentation des bovins si on veut diminuer leur production de méthane.

Les pratiques de culture mécanisées, l’apport d’engrais et de pesticides, le transport, forment le reste des émissions dues à l’élevage.

Si le secteur agricole veut, comme les autres secteurs, diminuer ses émissions et suivre le rythme demandé par le GIEC pour 2050 (soit une baisse minimale de 80 % des émissions), il ne peut donc éviter de remettre en cause la production de viande et en particulier celle des bovins ainsi que les formes d’élevage intensif alimentées par des cultures industrielles.

Répartition des émissions de Gaz à Effet de Serre de l’élevage. (source : exposé de R.Pachauri à Gand le 30 août 2008)

L’argument environnemental

En dehors des émissions de GES, l’impact environnemental de l’élevage est lié à la consommation d’eau et à l’équilibre du cycle azoté. Selon R.Pachauri, il faut 15.500 litres d’eau pour produire un kilo de bœuf , 4.900 litres pour un kilo de porc, 3.900 litres pour un kilo de poulet. Ces données ajoutent l’eau nécessaire à l’irrigation des cultures fourragères à la consommation de l’animal lui-même. Elles sont beaucoup plus élevés que la quantité d’eau nécessaire pour produire un kilo de céréales ou de protéines végétales.

L’élevage est responsable de 64 % des émissions d’ammoniac dans l’atmosphère ainsi que d’une partie de la pollution des nappes phréatiques par l’azote et le phosphore. Le cycle de l’azote est perturbé par le fait que de grandes quantités d’azote entrent dans nos pays via les importations de céréales et de protéagineux et deviennent partiellement des déchets (le lisier) qui sont à leur tour incorporés dans les sols avec les excès que l’on sait. Ceci n’exclut pas que l’on puisse maîtriser ces apports d’azote mais le lisier est loin d’être la meilleure fumure pour assurer la richesse biologique des sols. Le fumier est préférable. Mais sa production est rarement possible dans les élevages intensifs. De plus l’intensivité de l’élevage et des cultures qui y sont liées contribue également à la perte de biodiversité, tant via les rejets d’azote que via l’usage des pesticides.

L’argument de la santé

Aujourd’hui, les professionnels de la nutrition et de la santé sont unanimes : notre pyramide alimentaire doit se baser sur les féculents (à base de céréales brutes ou peu raffinées) et comporter ensuite des fruits et légumes, puis de la viande, du poisson et des produits animaux. Les apports moyens de protéines animales doivent diminuer, pour notre santé autant que pour celle de notre planète.

Or la réalité de notre consommation est tout autre !

Une première constatation concerne le manque de fibres, pourtant indispensables dans l’assiette observée de la population de 15 ans et plus. Par ailleurs, la consommation de viande dépasse largement les quantités préconisées. Celle-ci est à l’origine de risques plus élevés de maladies cardio-vasculaires, de cancer, de diabète de type 2 et bien sûr d’obésité, en raison des graisses saturées qu’elle contient. Le Fonds mondial de la recherche contre le cancer recommande de manger principalement une nourriture végétarienne4. Dans son livre « Anticancer », le professeur David Servan Schreiber évoque les recherches qui démontrent que les produits issus d’animaux nourris par les fourrages industriels contiennent plus de graisses Omega 6 (susceptibles d’exciter l’apparition de tumeurs) que ceux issus d’animaux nourris à l’herbe. Ceci montre aussi que la qualité nutritionnelle des produits animaux dépend de l’alimentation qu’ils ont reçue. C’est une évidence, mais elle n’attire pas beaucoup d’attention de la part des éleveurs.

La production de viande à grande échelle est aussi susceptible d’être atteinte et de propager des maladies à caractère épidémique ; la prévention du risque d’épizootie est bien développée dans nos pays, mais le coût supporté par la société, en l’occurrence par le budget de l’Etat, pose question. Ne pourrait-on pas diminuer grandement ce risque en diminuant le caractère intensif de l’élevage ? Les animaux élevés dans la promiscuité sont en effet fragilisés en cas d’attaque de bactéries et de virus. Les antibiotiques sont de plus en plus utilisés, avec ce que cela comporte comme risque de développement de résistances dangereuses pour la santé humaine

Enfin, la question des farines animales incorporées dans l’alimentation du bétail se repose aujourd’hui. Plus les quantités sont importantes, plus la question de leur opportunité et de leur destination finale se fait lancinante. Interdites dans l’alimentation animale depuis la crise de la vache folle, l’Union européenne s’apprête à les autoriser à nouveau. Des arguments strictement économiques (issues de l’industrie de la viande, elles constituent des protéines financièrement intéressantes pour les fabricants d’aliments) risquent de supplanter des impératifs de santé publique. C’est évidemment inacceptable.

Les écolos veulent-ils qu’on devienne végétariens ?

Après de tels constats, ne pourrait-on à juste titre demander que le monde entier devienne végétarien ? Le mouvement végétarien flamand EVA fait des comparaisons très parlantes :

Monsieur Pachauri, en étant végétarien depuis 10 ans, a économisé 12 tonnes de CO2 ;

une vache émet 6,5 tonnes de CO2 durant sa vie, c’est autant qu’une Ford Fiesta ;

un végétarien dans une 4X4 est équivalent à un « omnivore » dans une Toyota Prius. Le mouvement végétarien propose dès lors de s’abstenir de viande un jour par semaine, ce qui représente une économie de 170 kg CO2 par an et par personne. Supprimer la viande et/ou les kilomètres en voiture ? Il faut réduire les deux autant que possible, mais les effets pourraient être équivalents.

Et pourtant la question mérite une analyse plus fine. Tant du point de vue de la production que de la consommation, il y a de(s) (bonnes) raisons de ne pas aller jusqu’au radicalisme. Certes le régime végétarien est respectable et parfois souhaitable. Il correspond à certaines habitudes culturelles mais il serait regrettable de faire table rase de tout ce que nous apporte l’énergie animale sous toutes ses formes et dans ses composantes sociales et culturelles.

Adieu veau, vache, cochon, couvée ?

L’élevage des animaux est (presque) vieux comme le monde. Il date de la préhistoire, n’oublions pas que nous avons été d’abord chasseurs, puis agriculteurs et éleveurs. La plupart des peuples ont élevé des troupeaux d’animaux en fonction de l’adaptation aux écosystèmes où ils vivaient, ont bu leur lait et s’en sont servi pour fabriquer de multiples produits, ont utilisé leurs peaux ou leurs fourrures pour se vêtir, leurs déchets pour enrichir le sol…Par ailleurs, la chair animale a une haute valeur symbolique et culturelle. Faut-il rappeler le sacrifice animal qui entre dans de nombreux rituels primitifs et dont la fonction est bien souvent de remplacer le sacrifice humain ? L’Indien qui parle au bison avant de le tuer et le remercie, les cérémonies accompagnant les chasses (encore aujourd’hui), le don de l’agneau au visiteur chez les plus pauvres des peuples du désert, tout cela démontre l’importance de cette énergie que l’homme tire d’un animal dont il se sent au fond très proche. N’’a-t-il pas le même sang ? N’est il pas un compagnon dans la lutte pour la survie menée pendant tant de siècles ?

Lorsque le roi Henry IV veut permettre aux Français de manger une poule au pot tous les dimanches, c’est le début de la prospérité. Les classes supérieures festoyent alors avec de la viande et expriment ainsi leur domination. Tout cela est inscrit dans notre mémoire collective. La viande est synonyme de prospérité, de richesse, de saveurs et de plaisirs partagés. Il ne sera donc pas question d’y renoncer facilement.

L’élevage a aussi des impacts positifs sur l’environnement : on pense évidemment à la fertilisation des sols obtenue traditionnellement par un mélange d’excréments animaux et de déchets végétaux (le fumier), mais la simple présence d’un troupeau sur un pâturage, si elle est bien adaptée, permet le développement du cycle de l’azote ainsi que l’apport d’éléments minéraux qui maintiendront la fertilité du sol. Les pâturages, liés à l’élevage, stockent le carbone mieux qu’une terre labourée, évitent l’érosion des sols, absorbent l’eau et, dans certains cas, sont un refuge de biodiversité. Les ruminants sont les seuls, grâce à leur système digestif particulier, à pouvoir transformer la cellulose en glucose et sont ainsi capables de rendre productifs les sols où ne pousse que de l’herbe. Que ferait-on sans les troupeaux de montagne pour entretenir les alpages, éviter les avalanches, permettre ces magnifiques floraisons liées justement au pâturage annuel ?

Les pratiques agro-pastorales qui ont trouvé un équilibre avec l’écosystème et permettent le renouvellement des ressources végétales, ne polluent pas l’eau et enrichissent les sols. Elles peuvent donc être conservées.

En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, « une vache élevée dans un système d’élevage n’impliquant ni déforestation ni dégradation du sol, pollue deux fois moins que la vache FAO »5, dit Johanne Dupuis en faisant référence à l’étude de la FAO citée ci-dessus 6.

L’élevage et la production de viande recouvrent donc mille et une réalités. Certaines sont destructrices, certaines sont très utiles et à préserver.

Au niveau de la production, il est clair que ce sont le caractère intensif de l’élevage et sa dépendance par rapport à des intrants importés qui ont « cassé » le cycle des matières et donc la durabilité environnementale du modèle. Ce modèle marche économiquement, mais de moins en moins d’ailleurs, tant qu’il ne paie pas ses coûts cachés qui sont liés à l’énergie fossile, au transport, aux pollutions engendrées. L’élevage intensif a aussi anesthésié la relation entre l’éleveur et l’animal. Chacun ne peut plus fonctionner que comme une machine.

Au niveau de la consommation, la quantité de viande et de graisses animales consommées représente indéniablement un coût pour la santé publique.

Le consommateur est pris dans un paradoxe car il rejette aussi le modèle de l’élevage intensif (quand un élevage s’installe près de chez lui) et ne veut plus voir la mort de l’animal, mais en profite sans arrêt, en cherchant de la viande à bon marché et en renonçant souvent à la qualité plutôt que de changer son menu.

Quelles bonnes pratiques ?

Il faut donc rechercher les solutions dans des pratiques agricoles équilibrées ainsi que dans la modération de notre consommation. Mais cela demande un changement radical par rapport aux pratiques et tendances actuelles. Il s’agira par exemple de réduire certaines productions industrielles. Or en Belgique, le secteur de l’élevage est devenu une industrie à part entière. Les autorités ont tendance à le traiter comme tel, en soutenant son développement et sa compétitivité. Le dilemme est comparable à celui auquel les industries lourdes nous confronte : comment éviter de simples délocalisations de la production ? Comment assurer des transitions socialement acceptables pour l’emploi que ce secteur fournit ?

Dans son programme de novembre 2008, Ecolo prône « une réorientation des cultures visant la liaison au sol et une indépendance alimentaire accrue ». Les Verts veulent que l’Union européenne et la Région wallonne mettent en œuvre un phasing out pour l’élevage intensif. Au niveau wallon, le critère de la liaison au sol et du frein à l’intensification doit devenir des paramètres déterminants de la politique.

Plus largement, Ecolo estime que les règles du commerce international doivent être revues de manière à restaurer les équilibres naturels entre la production végétale et la production animale. Il faut éviter l’hyperspécialisation des activités agricoles et restaurer les complémentarités entre les cultures et les élevages (lien au sol en amont pour l’alimentation animale et en aval pour la gestion des effluents d’élevage). Parmi nos autres revendications figurent la lutte contre les distorsions de concurrence provoquées par le subventionnement de productions américaines qui comme le soja, arrivent à bas prix sur nos marchés ; la diminution de la dépendance européenne vis-à-vis de l’alimentation animale en mettant en œuvre une politique de production de protéines végétales en Europe et en favorisant les exploitations mixtes élevage-cultures; l’abandon de l’avantage accordé au «moins-disant» autorisé actuellement par l’OMC qui permet le déversement de produits de qualité souvent médiocre sur notre marché (ex : bœuf aux hormones américain, poulet à l’eau de javel, OGM dans l’alimentation animale…).

La réforme de la PAC mène jusqu’ici à une dérégulation accrue, la suppression des aides liées à la production et des quotas qui limitaient l’offre. Aujourd’hui le secteur laitier est mis en péril par la suppression progressive de ces quotas. On mesure plus que jamais l’importance des instruments de gestion de l’offre pour la stabilité des prix et donc du secteur. Par ailleurs les aides au développement rural et les mesures agri-environnementales seront renforcées. Il est difficile d’en prévoir les conséquences. D’une part, les grands élevages intensifs seront favorisés par leur économie d’échelle et leur mécanisation, mais d’autre part, en fonction du prix de l’énergie, les intrants (engrais, aliments fourragers, …) auront des coûts incertains, ce qui rendra les investissements risqués. On peut aussi espérer que des éleveurs se tourneront vers des modes d’élevage plus liés au sol et donc plus autonomes par rapport aux importations.

Quant à nous, consommateurs, il nous reste à modifier nos habitudes alimentaires, de façon progressive mais décidée. Moins de viande, plus de céréales7, de fibres, de légumes, mais aussi plus d’imagination, de créativité, de saveurs nouvelles… pour modifier à notre tour les tendances du marché et favoriser une agriculture en harmonie avec la planète. En ce qui concerne la viande, pourquoi ne pas retrouver le goût et le plaisir de la rareté ? Faire de la viande l’exception qui fait plaisir, le cadeau, le plat de fêtes ? Et quand on décide de manger de la viande, permettons-nous alors la qualité, non pas celle liée au luxe d’un magasin mais celle de la garantie d’origine, celle liée à sa valeur nutritionnelle, à la qualité environnementale de son mode de production. Comme le propose le mouvement « Slow Food », achetons du « bon, propre et juste », de la viande d’un animal qui a couru, mangé de l’herbe, pu grandir à son aise. Le goût de cette viande est d’ailleurs sans comparaison, par rapport aux viandes industrielles. Retrouvons si possible le lien avec l’éleveur, soit au travers d’une filière régionale de production, soit directement via des achats groupés à un producteur. Mettons moins de kilomètres dans notre assiette et plus de saveurs et couleurs locales !

Evidemment, dans le quotidien, il nous faudra apprendre à manger autrement, en nous inspirant d’une nouvelle gastronomie, rééquilibrée (voir le schéma X de la pyramide alimentaire idéale) ci-dessus). Celle-ci existe mais doit se déployer grâce à nos chefs cuisiniers, nos écoles d’hôtellerie, le secteur Horeca et via les mouvements citoyens d’éducation permanente et les groupes tels que « Slow Food ».

En Belgique ces derniers mois, les initiatives se sont multipliées. Il est intéressant de constater que, tant du côté des syndicats que du monde des entreprises, du côté du secteur Horeca lui-même, des ONGs et chez les citoyens, de nouveaux mouvements pour une alimentation durable naissent et se mettent en réseau. Ils sont tous « léguminophiles » et le plus souvent préconisent l’alimentation bio. N’est-ce pas un potentiel prometteur pour la naissance d’une nouvelle génération de producteurs ?

1 http://iaastd.net/docs/SR_Exec_Sum_280508_French.pdf

2 Source: FAO, 2006, Compassion in World Farming, 2008

3 Source « Livestock’s long shadow » FAO, Rome, 2006

4 Source: The Lancet, 2007; World Cancer Research Fund, 2007

5 Johanne Dupuis, dans la revue de la FICOW, 3e trimestre 2008

6 Source « Livestock’s long shadow » FAO, Rome, 2006

7 Dans nos pays occidentaux, cela signifie notamment de remettre à l’honneur, la place du pain dans l’alimentation, principalement à base de céréales complètes.

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