La crise pétrolière de 2007-2008 a révélé au public et aux décideurs ce que nombre de spécialistes dénoncent depuis plusieurs années : notre addiction au pétrole nous fragilise et la fin du pétrole (et du gaz naturel) bon marché va entraîner des modifications importantes de notre mode de vie et du fonctionnement de notre société. Afin de mieux appréhender les impacts du « pic du pétrole» sur la localisation des entreprises, il faut d’abord rappeler ce que l’on entend par « pic du pétrole», ainsi que les incertitudes sur sa date effective. Ensuite, il convient de cerner la place qu’occupe le pétrole dans notre société et de voir les alternatives au pétrole dans le domaine des transports et ce qu’elles impliquent, notamment en termes de localisation des entreprises et des stocks.
Le pic du pétrole
Le développement de notre société repose notamment sur l’existence d’un pétrole abondant et bon marché. Or, de nombreux indices montrent que la production de pétrole est proche de son maximum et va bientôt entrer en déclin. Pour comprendre le problème, il convient d’examiner deux concepts majeurs : les réserves et la vitesse d’extraction du pétrole1.
Les réserves de pétrole
Quand un champ de pétrole est découvert, les géologues estiment ses réserves en donnant une fourchette de trois valeurs :
le minimum, appelé réserves prouvées (= 1P) qui correspondent à la quantité de pétrole récupérable avec une probabilité d’au moins 90 % ;
la valeur espérée, ou réserves prouvées + probables (= 2P), qui correspondent au pétrole que la compagnie espère récupérer et sur base de laquelle est décidée l’exploitation du gisement ; ces réserves ont une probabilité d’au moins 50 % ;
la valeur maximale, ou réserves prouvées + probables + possibles (= 3P), ayant une probabilité d’au moins 10 %.
De nombreux malentendus concernant les réserves de pétrole proviennent de la confusion entre ces trois valeurs, de nombreux spécialistes ne précisant pas toujours celle qu’ils utilisent.
Dans le public, les réserves sont estimées en années. Si les réserves actuelles (R) sont consommées au taux de production actuel (P), ces réserves seraient épuisées en T = R/P années. T mesure les réserves. Aujourd’hui, elles sont estimées à environ 40 années. Si elles permettent de rassurer le public et les décideurs sur l’absence d’urgence à prendre des décisions, ces réserves masquent cependant la réalité de la vitesse à laquelle les réserves s’épuisent.
Découvertes et production du pétrole
Le diagramme suivant reprend une estimation des découvertes et de la production (et donc de la consommation) mondiale de pétrole (Source : Aspo). On y remarque que les découvertes ont culminé dans les années 1960, pour ensuite décliner. Par contre, la production n’a cessé de croître. A partir des années 1980, la production dépasse les découvertes de nouveaux gisements. En 2008, pour chaque baril2 découvert, ce sont deux à trois barils qui sont consommés. Le réservoir se vide.
Figure 1. Comparaison des découvertes de pétrole et de la consommation
(en Gb/an).
Le pic du pétrole
Si les réserves de pétrole sont un paramètre essentiel pour appréhender notre futur énergétique, un autre concerne la vitesse d’extraction du pétrole. Pour des raisons physiques, la production de pétrole d’un nouveau gisement est élevée lors des premiers forages, puis elle diminue ensuite progressivement (bien que la baisse de pression soit compensée par injection d’eau ou de gaz) jusque zéro sur une période qui peut s’étaler sur plusieurs dizaines d’années.
La production pétrolière d’un gisement ou d’un pays passe donc par un maximum avant de décliner ; ce maximum est appelé pic du pétrole. Ce schéma est également valable pour la planète. Or, du point de vue de l’économie, le moment où il n’y aura plus de pétrole importe peu. Ce qui compte, c’est le moment où il y en aura moins, car, passé le pic du pétrole, un déséquilibre croissant apparaîtra entre une demande qui augmente et une production qui diminue chaque année. C’est sans doute ce à quoi nous assistons depuis la mi-2007.
Le pic du pétrole se produit lorsque les réserves extractibles sont environ à moitié vides. Cette notion est extrêmement importante, car elle signifie qu’il restera encore énormément de pétrole lorsque la production mondiale commencera son déclin.
Comme le pic du pétrole est atteint lorsque les réserves sont environ à moitié vides, estimer sa date nécessite de connaître à la fois les réserves qui ont déjà été consommées et celles qui restent à consommer (les pétroles extra-lourds dont on n’a pas parlé, sont abondants, mais ils n’influencent que peu la date du pic ; ils ne font qu’atténuer le déclin). Les différents chiffres des réserves et les différentes méthodologies expliquent en partie les grandes divergences concernant la date du pic pétrolier : IEA : au-delà de 2030 ; Total : 2020 ; Association for the Study of Peak Oil and Gas (ASPO) ~2010 ; IFP :2006-2028. Des facteurs géopolitiques (guerres, nationalisations…), économiques, climatiques… influencent la date du pic. Ces facteurs sont difficiles à intégrer dans des prévisions à long terme. Quoi qu’il en soit, nous allons irrémédiablement vers la fin du pétrole abondant et « bon marché ».
Les pays exportateurs de pétrole (OPEP, Russie, et Mexique) consomment désormais autant de pétrole que l’Europe, et leur consommation s’est envolée (+ 3% par an entre 2001 et 2006), stimulée par une économie en pleine croissance grâce aux pétrodollars. Comme ces pays sont désormais incapables (ou ne désirent pas) augmenter de manière substantielle leur production, la hausse de leur consommation se fait au détriment de leurs exportations. Cela va conduire à un déclin rapide de leurs exportations (7% en moins entre 2006-2010). C’est une des raisons de l’augmentation rapide du prix du pétrole.
Parallèlement au déclin des exportations mondiales, le nombre de pays importateurs augmente, les pays en déclin basculant de la catégorie des exportateurs vers celle des importateurs. Il apparaît donc de plus en plus clairement que les grands consommateurs de pétrole, dont l’Europe, verront bientôt leur approvisionnement diminuer.
En résumé, il devient clair que la fin du pétrole abondant et bon marché approche et que, d’ici 2050, la quantité de pétrole « économiquement disponible » va décroître de manière très importante. Examinons à présent le rôle du pétrole dans notre société occidentale développée.
Le pétrole dans notre société occidentale développée
Comme on s’en aperçoit sur la figure 2, les utilisations du pétrole sont nombreuses : transports, énergie, pétrochimie, plastiques, engrais, etc. Au niveau mondial, environ 50% du pétrole est utilisé dans les transports. Et les transports reposent à 98% sur le pétrole. C’est dire l’importance actuelle du lien pétrole – transports. Il faut aussi ne pas oublier que le pétrole joue un rôle essentiel dans la construction des routes (bitume) et des ouvrages d’art (béton des ponts et tunnels, etc.).
Figure 2. Usages du pétrole en 2005
Les alternatives au pétrole dans les transports
Les principales alternatives au pétrole dans le domaine des transports sont les agrocarburants, l’électricité et l’hydrogène. Ici, nous ne considérons pas le cas du « charbon liquéfié » qui, s’il est une alternative techniquement réalisable, se révèle être un fort émetteur de CO2 (donc irréaliste au vu des implications sur les changements climatiques).
Les agrocarburants
Remplacer l’essence de nos voitures par des agrocarburants semble a priori intéressant : peu de changements d’habitudes, moins de gaz à effet de serre (les gaz émis sont ceux provenant de l’atmosphère via la synthèse chlorophyllienne). Mais les agrocarburants soulèvent plusieurs questions :
les surfaces cultivées sont importantes : pour les agrocarburants de première génération (obtenus à partir de produits de l’agriculture comme le maïs, le blé, les betteraves, la canne à sucre, le soja, le colza, les céréales…) par des techniques conventionnelles, il faudrait utiliser des aires agricoles importantes ; pour remplacer 10% du carburant consommé dans les transports par des agrocarburants, il faudrait y consacrer 9% de la surface agricole mondiale ; dans le cas de l’Europe des 15, cela monterait à 72% ;
les agrocarburants de première génération entrent en compétition avec la nourriture ;
ils serviraient principalement aux véhicules agricoles ;
en tenant compte de toute la chaîne de production (engrais, culture, transports, eau, transformation, etc.), le rendement énergétique des agrocarburants donne lieu à des estimations variées et contradictoires ;
les biocarburants de deuxième génération (produits à partir des résidus de forêts et de l’agriculture – bois, paille -, des déchets, ainsi que de plantes n’entrant pas en compétition avec la nourriture) ne sont encore qu’au stade de la recherche ;
il en est de même des biocarburants de troisième génération (dont les micro-algues chères au secteur de l’aviation) ;
même optimisées pour offrir un rendement énergétique par hectare supérieur à celui du colza utilisé pour le biodiesel de première génération, ces plantes n’évacuent pas complètement la question des bilans d’émission de gaz à effet de serre pour lesquels il devient indispensable que les différents acteurs s’accordent sur une méthodologie de calcul acceptable par tous3.
En résumé, les agrocarburants ne représentent pas une solution à court et moyen terme pour le secteur des transports. Tout au plus représenteront-ils un appoint au pétrole actuel (au plus 10% au niveau mondial).
Les véhicules électriques
Les véhicules électriques sont présentés comme devant d’abord aider à résoudre les nuisances et la pollution engendrées par nos véhicules, surtout en ville. Mais ce n’est pas la seule motivation. Les principaux avantages sont environnementaux. Les véhicules électriques ne polluent pas l’air des villes (la pollution est au niveau de la production d’électricité) et ne sont pas bruyants. Ces véhicules soulèvent cependant diverses questions :
l’autonomie et la vitesse des voitures électriques sont limitées, au vu des capacités des batteries actuelles ;
les temps de charge seront importants (plusieurs heures) ;
les voitures électriques seront probablement des voitures de ville (ou pour courtes distances) ; ce qui peut se révéler important, vu les habitudes des consommateurs qui, en majorité, effectuent des trajets courts ;
la quantité d’énergie électrique pour les voitures électriques nécessitera de nombreuses centrales électriques supplémentaires (environ l’équivalent de 2 réacteurs nucléaires pour la Belgique en remplacement du pétrole pour le parc automobile actuel) ;
vu le poids des batteries, ainsi que l’autonomie, il n’est aucunement question de voir des camions (notamment les transports internationaux) électriques ;
il semble que, aujourd’hui, la durée de vie des batteries soit insuffisante pour un usage intensif requis dans les transports ;
le coût des matières premières nécessaires à la fabrication des batteries est un paramètre non connu aujourd’hui.
Les voitures hybrides électricité/essence (ou diesel)
En attendant les voitures électriques, on voit apparaître sur le marché des voitures dites hybrides. Il s’agit de voitures avec deux types de moteurs, électrique et classique. En ville, le moteur électrique fonctionne alors qu’à plus haute vitesse, le moteur classique fonctionne. Ce type de voiture ne nécessitepas de recharge des batteries car celles-ci sont chargées lors des freinages ou descentes, notamment. Le résultat est une baisse appréciable de la consommation en essence ou diesel : 4,2 l/100 km. L’avantage de telles voitures est, pour le constructeur, de mettre au point le véhicule électrique et, pour le conducteur, l’apprentissage d’une conduite adéquate. Notons cependant que, lorsqu’il n’y aura plus de pétrole, une telle voiture ne sera d’aucune utilité. Il s’agit donc d’une voiture intermédiaire entre le « tout pétrole » et le « sans pétrole ».
Le véhicule à hydrogène
Une autre catégorie est constituée des véhicules à hydrogène, alimentés par des piles à combustible (PAC). La voiture à hydrogène est constituée d’un moteur électrique, d’une PAC et d’un réservoir d’hydrogène. Si l’hydrogène est considéré par certains comme le vecteur énergétique propre de l’avenir, les défis à relever sont énormes :
aujourd’hui, le matériau central de la PAC est le catalyseur, en platine (un matériau cher) et une PAC pour une petite voiture coûte environ 20.000 Euros ; des recherches ont lieu pour tenter de remplacer ce platine par des matériaux moins onéreux ;
aujourd’hui, la production d’hydrogène est assurée par ses principaux utilisateurs : raffineries pétrolières et usines d’engrais ; elle s’appuie sur divers procédés de décomposition d’hydrocarbures qui, en outre, sont émetteurs de CO2 et d’autres gaz à effet de serre ; il est donc impératif de passer à d’autres méthodes de synthèse de l’hydrogène ;
la méthode alternative est l’électrolyse de l’eau mais, pour remplacer le parc automobile actuel par des véhicules à l’hydrogène, il faudrait construire l’équivalent de trois réacteurs nucléaires, pour la Belgique ;
une alternative, financée par la Communauté européenne (projet HydroSOL), est de produire l’hydrogène à partir du rayonnement solaire, dans des centrales thermiques à très haute température ;
le stockage de l’hydrogène dans les réservoirs des véhicules est un autre défi à relever ; une solution serait la liquéfaction de l’hydrogène (à – 253°C), d’où des réservoirs cryogéniques, et une baisse de rendement par la liquéfaction (d’où un nombre plus important de centrales électriques) ; dans ces conditions, il faudrait un réservoir de plus de 28 litres pour une autonomie de 100 km.
le stockage sous pression ou sur matériaux solides sont aussi à l’étude dans les laboratoires ;
la distribution de l’hydrogène est un autre problème non résolu.
L’hydrogène pourrait commencer à remplacer les hydrocarbures dans le transport et d’autres applications, à partir de 2020. A cette date, l’Europe espère couvrir 5% de ses besoins en énergie pour les transports par l’hydrogène. Mais, en conclusion, aujourd’hui, les problèmes à résoudre sont tellement importants, que nul ne peut assurer que l’on y arrivera un jour.
Conclusions sur les alternatives au pétrole
Au vu de ce qui précède, il apparaît qu’à court et moyen terme (avant 2025), il n’y a aucune alternative crédible au pétrole dans le domaine des transports de marchandises. Les agrocarburants sont insuffisants et en concurrence avec la nourriture. Les véhicules électriques sont trop peu performants et gourmands en électricité. L’hydrogène va demander des efforts de recherche et de développement, ainsi que des efforts financiers et de construction importants, qui demanderont plusieurs décennies.
Il reste à espérer qu’une nouvelle crise pétrolière, avec hausse significative des prix et/ou diminution drastique de l’approvisionnement, n’aura pas lieu avant 2025.
Impacts du pic du pétrole sur les transports
Etant donné ce qui a été dit précédemment, il est évident que le pic du pétrole ne manquera pas d’avoir des conséquences sur les transports, à moyen et long terme. En particulier, si on peut imaginer des voitures particulières ou des camions légers électriques, il n’y a aujourd’hui aucune alternative au pétrole dans le domaine des camions, notamment internationaux, à moyen terme (2025-2030). Le futur de ces transports va donc dépendre du contexte pétrolier, géostratégique. Il en est de même de l’aviation commerciale, pour laquelle ni les agrocarburants, ni l’hydrogène, ni surtout l’électricité, ne sont des alternatives crédibles, même à très long terme.
A long terme (2050), si les choses apparaissent moins claires, les alternatives ne sont pas beaucoup plus rassurantes, même si certains, comme le Bureau du Plan, dans un rapport de début 20084 parient sur le développement de l’hydrogène dans le transport de fret, par route. Selon ce rapport, en 2050, pour le transport de fret, 90% des véhicules circuleront avec des PAC ; 10% seront alimentés par des agrocarburants. L’hydrogène serait fourni par les éoliennes de la Mer du Nord, ce qui éviterait les problèmes liés à leur liaison au réseau électrique. Il s’agit là, à mes yeux, d’un pari risqué. Rien n’est en vue pour l’aviation.
Il semble donc que l’on s’oriente vers des transports différents selon la distance parcourue5. Nous ne considérons ici que le court et moyen terme, avant la généralisation (hypothétique) de l’hydrogène.
Transports intercontinentaux
Pour ceux-là, on s’oriente vers la fin du transport de fret par avions. Restera le transport maritime. Les secteurs concernés sont principalement ceux qui, aujourd’hui, réclament des transports rapides (fruits et légumes, denrées comestibles et périssables, petits volumes). Le transport de courrier et de petits paquets semble aussi condamné à moyen terme (au plus tard).Par contre, les transports plus volumineux, lents, qui sont faits par bateaux continueront (minerais, céréales, voitures, informatique, etc.).
Transports intracontinentaux
La fin du transport routier international (alimenté par le pétrole) et de l’aviation marque aussi le redéploiement du rail et du transport fluvial. Cela concerne la diminution des transports de denrées périssables (qui circulent entre pays par la route) mais aussi l’approvisionnement international des usines et des commerces en « flux tendu ».
Le rail (et surtout le transport fluvial) étant plus lents que la route, ils concerneront des matériaux denses ou via containers. Bien entendu, il ne s’agit pas non plus de livraisons de porte à porte. Pour cela, il faudrait un réseau ferré aussi dense que le réseau routier ! Même s’il est exclu, pour diverses raisons, d’arriver à un tel réseau, des infrastructures coûteuses et lourdes devront être construites. Si on désire développer le transport par rail, on ne pourra pas se satisfaire du réseau ferré actuel. Il faudra construire de nouvelles lignes, en élargir d’autres, acquérir de nouveaux trains et wagons, etc. Les réseaux locaux, régionaux, nationaux et internationaux devront être reconnectés et, si possible, standardisés. L’actuelle disparité entre, notamment, les systèmes d’alimentation électrique des trains de nos pays européens disparaîtra peut-être. à part les chemins de fer eux-mêmes, ce sera toute l’infrastructure d’approvisionnement, de relais avec la route, qu’il faudra repenser conjointement. Les industries auront sans doute intérêt à se connecter à une voie ferrée et à se regrouper près de nœuds ferroviaires. Notons aussi que le redéploiement du rail aura des répercussions positives sur l’emploi, notamment de personnel non qualifié. Il en faudra pour construire et entretenir le réseau ferré.
Quant au transport fluvial, il se verrait utilisé pour les marchandises lourdes, encombrantes, avec des délais plus longs que le rail. Le transport fluvial va évidemment requérir le creusement de canaux plus nombreux et plus profonds, des écluses adéquates… Il faudra aussi mieux les entretenir. Cela ne se fera pas en un jour, ni gratuitement. La transition vers ce nouveau mode de fonctionnement de l’économie demandera un financement adéquat, au moins aussi important que celui qui nous a conduits de la situation de 1835 à celle de 1960; et ce, dans un délai plus court. De grands travaux seront nécessaires pour y arriver et il faudra trouver des moyens originaux de financement, d’investissement.
Transports régionaux
Pour les moyennes distances (de quelques dizaines à une centaine de kilomètres), le recours au rail (pour les transports lourds), voire aux camions électriques (pour les marchandises légères) sont concevables. Comme pour le transport international par rail, il faudra construire de nouvelles lignes de chemin de fer, en élargir d’autres, réaffecter les petites lignes construites au début du XXe siècle et désaffectées depuis, acquérir de nouveaux trains et wagons… Les réseaux locaux, régionaux, nationaux et internationaux devront être reconnectés. Ce qui demandera du temps, de l’argent et de la main d’œuvre.
Transports locaux
C’est vraisemblablement au niveau local que les changements seront les moins dramatiques. Car c’est là que les livraisons à domicile par camions pour courtes distances, entre producteur et consommateur local ou gare de distributions auront lieu. Les consommateurs ayant probablement moins recours à la voiture individuelle, le retour aux petits commerces sera peut-être possible, voire nécessaire. Pour le transport local, le recours à de petits véhicules électriques, voire aux agrocarburants, sera nécessaire. Avec, peut-être, un retour partiel au transport animal.
Questions non résolues (parmi beaucoup d’autres)
Quelques questions parmi d’autres :
quelle part du volume du transport routier pourra être dévolue aux autres moyens ?
quels seront les secteurs économiques les plus directement touchés ?
Actuellement, le volume de marchandises transportées par camions est extrêmement important. Déterminer la partie transportable autrement n’est pas chose aisée. Cela dépend de nombreux facteurs :
localisation géographique du fournisseur et du client (infrastructure locale, proximité d’installations intermodales, etc.) ;
vitesse requise du transport ;
habitudes des consommateurs (et des entreprises) ;
nature de la marchandise ;
volume des marchandises ;
proximité d’une marchandise (fruits et légumes, carrière…) ;
etc.
Le secteur des transports de marchandises sera donc vraisemblablement un des secteurs les plus touchés par l’épuisement des ressources pétrolières. Avec toutes les conséquences que cela implique sur les nombreuses activités qui en découlent, depuis la mobilité jusqu’au commerce et aux industries.
Transports de marchandises | Aujourd’hui | 2030 |
Locaux | camions | ? ? |
Régionaux | camions | rail |
Continentaux | camions, rail, fleuves | rail, fleuves |
Intercontinentaux | maritime, avions | maritime |
Quelle quantité de transports pour le futur ?
Les différents scénarios présentés dans les analyses sur le transport vont généralement dans le sens d’une augmentation du trafic. Dans un rapport de la Région wallonne6, le nombre de tonnes transportées était :
en 1980, de 46% pour le rail et les bateaux ; de 54% pour la route ;
en 1990, de 35% pour le rail et les bateaux ; de 65% pour la route ;
en 1998, de 29% pour le rail et les bateaux ; de 71% pour la route.
A politique inchangée, le flux de marchandises passerait de 740 Mt en 2000, à 1160 Mt en 2020. Dans le rapport du Bureau du Plan sur le développement durable7, deux scénarios sont envisagés. Dans le schéma appelé PYRAMIDE, de 2005 à 2050, le trafic de passagers (mesuré en passager.km) augmente de 50%, et celui de marchandises (mesuré en tonnes.km) augmente de 25%. La part modale des transports de marchandises (rail et bateaux) passe à 40%. Le trafic par camions décroît de 19%. Dans le schéma appelé MOSAIQUE, de 2005 à 2050, le trafic de passagers (mesuré en passager.km) et celui de marchandises (mesuré en tonnes.km) ne varient pas. La part modale des transports de marchandises (rail et bateaux) passe à 50%. Le trafic par camions décroît de 38%. D’autres études existent.
à part l’étude du Bureau du Plan, qui parie sur la mise au point de véhicules à hydrogène à l’horizon 2050, toutes les études semblent envisager (au moins implicitement) que le pétrole restera disponible. Il convient aussi de noter que les différentes études considèrent que la route restera le moyen majoritaire de transport de marchandises. De plus, elles ne tiennent pas toujours compte des effets indirects et quotidiens que cela engendrera. Or il faudra bien, un jour, tenir compte de l’interdépendance des questions et des solutions.
Il nous semble raisonnable d’estimer, d’après ce qui a été dit précédemment, que tous ces scénarios sont optimistes, en ce sens qu’ils ne prennent pas en compte la diminution attendue de l’approvisionnement et l’augmentation prévisible du prix du pétrole (et de l’énergie en général).
Prévoir des scénarios de fin du pétrole sont donc, à notre avis, nécessaires, ne serait-ce que pour en appréhender les conséquences diverses. Plusieurs scénarios sont à envisager selon la date à laquelle cela se produira. On pourrait envisager trois scénarios :
le scénario pessimiste, dans lequel une crise pétrolière majeure (plus grave que celle de 2008) avec pénurie en pétrole et/ou pétrole trop cher aura lieu avant 2015 ;
le scénario moyen, dans lequel la transition sera progressive, avec une baisse des approvisionnements à partir de 2010 et un pétrole trop cher à partir de 2030 ;
le scénario optimiste, dans lequel la transition sera très douce, avec une fin du pétrole vers 2050.
Ces scénarios, très complexes, demanderaient la contribution de nombreux spécialistes de tous secteurs (non seulement économistes, mais aussi techniciens), de différentes opinions (des optimistes aux pessimistes).
Impacts du pic du pétrole sur la localisation des entreprises et des stocks
La localisation des entreprises et des stocks dépendra des modes de transports, mais aussi de quantités de paramètres indirects comme l’épuisement des ressources pétrolières et le renchérissement du prix de l’énergie. Les questions sont tellement nombreuses et interdépendantes qu’il faudra, d’abord, faire un relevé des divers problèmes, dont :
Certains secteurs d’activités vont devoir être relocalisés. Lesquels ?
Certains secteurs ne sont pas « relocalisables ». Lesquels ?
Modifier la localisation des entreprises et des stocks va de pair avec une modification des voies de transports :
voies de chemin de fer à dédoubler, à redéployer, à construire ;
voies d’eau à améliorer ;
routes à réévaluer (lesquelles conserver, voire désaffecter, que faire des autoroutes actuelles lorsque le transport par camions diminuera ?) ;
quels rôles pour les transports de personnes.
Les grandes surfaces commerciales et de loisirs (cinémas) situées loin des centre-ville ont-elles encore un sens dans l’après-pétrole ?
Même le recours à la voiture électrique (au lieu des voitures à essence et diesel actuelles) a-t-il un sens, lorsque l’on tient compte de leur autonomie limitée, et du fait que leur généralisation demandera la construction de nouvelles installations de production de l’électricité ?
Quels aménagements du territoire ?
Les cas des villes et villages sont différents. Comment en tenir compte ?
Quels investissements ces modifications vont-elles demander ? Sur quelle période de temps ?
Si on veut éviter nombre de travaux inutiles, il est temps de se pencher sur ces questions et leurs solutions.
Sans répondre à ces questions majeures, il devient déjà évident qu’il faut aller vers :
une intermodalité accrue, tenant compte de la diminution drastique (voire quasi-totale) des transports routiers et aériens ;
une localisation des entreprises :
proche des lieux de production (nourriture) et de distribution ;
proche des voies de chemin de fer ;
internationales ;
régionales ;
locales ;
proche des voies d’eau ;
donc, ne plus mettre en avant le rôle des transports routiers ;
mais ne pas négliger la transition (nous vivons aujourd’hui, dans la société actuelle) ;
une localisation des entreprises tenant aussi en compte :
du déplacement des travailleurs, avec les modes de déplacement adéquats les plus « durables » (transports en commun, vélo) ;
du déplacement des clients, dont la pyramide des âges change et continuera de changer.
Enfin, nous ne devons pas négliger le rôle que les crises à répétition actuelles (énergie, pétrole, matières premières, nourriture, finances) et futures (économique) auront sur les moyens pouvant être utilisés. Il nous semble que des scénarios à budget « idéal », « pragmatique » et « catastrophique » devraient être étudiés.
Journée sur « Le pic du pétrole et ses conséquences pour la Wallonie », Namur, 20 février 2009.
1 Pour des informations plus détaillées, voir : a) P. Brocorens et M. Wautelet, Pétrole : à quand le déclin ?, Athena, 238 (fév 2008), 283-286 ; b) www.aspo.be
2 1 baril = 159 litres
3 F. Rebufat, in : Research.eu, Numéro spécial sur “S’extraire du pétrole” (avril 2008), p. 22
4 Accélérer la transition vers un développement durable. Rapport fédéral sur le développement durable 2007. task force développement durable (Décembre 2007).
5 M. Wautelet, Vivement 2050 ! Comment nous vivrons (peut-être) demain, L’Harmattan, Paris, décembre 2007.
6 Vers une Mobilité Durable en Wallonie. Lignes de force pour l’élaboration d’un Plan de Mobilité en Région wallonne (à l’horizon 2010).
7 Ibid 4.