Même si l’Europe reste globalement une terre privilégiée en matière de Droits de l’Homme, la montée des préoccupations sécuritaires a provoqué ces dernières années un certain nombre de dérives inquiétantes comme l’apparition d’une forme de mainmise de l’exécutif sur le pouvoir judiciaire et sur les médias. Les Droits de l’Homme ne sont pas un sanctuaire devant lequel il suffit de se recueillir. Ils doivent faire l’objet d’une promotion permanente, y compris à l’intérieur de l’Union européenne. Le cadre normatif doit en outre être adapté en fonction de la prise en compte de nouveaux droits, singulièrement en vertu de l’émergence de l’enjeu écologique.

Des caméras de surveillance qui se généralisent un peu partout dans les lieux publics, au nom de la sécurité et, le plus souvent, avec l’assentiment tacite des citoyens. L’obligation faite aux opérateurs de retenir les données relatives au trafic – internet et téléphonie – toujours pour des raisons de sécurité. Des internautes poursuivis par des entités administratives, voire par des sociétés commerciales pour « téléchargement illégal » de contenus sur internet alors que de telles décisions devraient émaner d’une autorité judiciaire. La multiplication des banques de données personnelles et la généralisation de la biométrie dans les documents d’identité et de voyage. Voici quelques exemples – la liste est loin d’être exhaustive – de décisions et de méthodes qui, sans être nécessairement nouvelles, tendent à se développer et à se généraliser ces dernières années et ce surtout à la suite des attentats du 11 septembre 2001.

Parallèlement, certaines pratiques, souvent liées à la banalisation de technologies récentes et dont l’objectif principal n’a rien de critiquable en soi puisqu’il vise à simplifier la vie des consommateurs : cartes de crédit, de fidélité et de paiement électronique, télépéage, téléphone portable, GPS… sont autant de moyens qui, détournés de leurs fins premières, permettent la traçabilité et le profilage du citoyen.

La lutte contre l’immigration clandestine offre également son lot de violations des droits fondamentaux de personnes qui n’ont commis d’autre délit que de fuir la misère ou les persécutions : enfermement extrajudiciaire et violation du principe de non-refoulement, pour ne citer que deux exemples parmi les plus criants. L’adoption définitive en décembre dernier de la directive « retour », également appelée « directive de la honte », représente en quelque sorte l’épicentre de ce phénomène. Cette adoption a eu lieu avec l’aval de la majorité du Parlement européen malgré un combat acharné au sein même de cette institution et malgré une mobilisation sans précédent des associations et de la société civile et même d’une opinion publique qui dépassait largement le cadre géographique des frontières européennes.

Parallèlement, on assiste ici et là à une véritable mainmise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire et sur la presse, critiquée par le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe.

Le cas de la lutte contre le terrorisme

La lutte contre le terrorisme sert d’excuse, de prétexte diront certains, pour mettre à mal les libertés fondamentales qui sont pourtant le fruit de siècles de lutte pour se libérer de l’arbitraire. Gardes à vue prolongées, droits de la défense limités, garanties procédurales et présomption d’innocence remises en cause, renversement de la charge de la preuve… en sont autant d’exemples.

Une vision rétrospective du processus d’érosion des droits et libertés dans l’Union européenne et ses Etats membres depuis le 11 Septembre prouve, si besoin en était, qu’en 2002, les Verts ont eu raison de s’opposer à une définition européenne beaucoup trop large de la notion de terrorisme qui risquait de criminaliser la simple et légitime contestation sociale et politique. Ils y voyaient à l’époque la porte ouverte à des dérives qui, malheureusement, se sont confirmées entretemps. Il est difficile d’établir une liste exhaustive de ces dérives. Quelques exemples cependant.

La Grande-Bretagne s’est dotée d’une loi anti-terroriste qui autorise entre autres choses une garde à vue démesurément longue (42 jours) de personnes suspectées de terrorisme. Cette loi, critiquée par le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, constitue une véritable remise en cause de l’habeas corpus (selon lequel nul ne peut être arrêté sans s’être vu signifier les raisons de son inculpation par un juge). Ce même pays s’est doté d’un fichier ADN recensant quatre millions de personnes ! Le 4 décembre dernier, la Cour européenne des Droits de l’Homme a donné raison à deux citoyens britanniques qui avaient contesté le fait qu’ils figuraient dans ce fichier.

En France, l’arrestation et l’inculpation le 16 novembre dernier pour « association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste » de neuf personnes accusées de sabotage de caténaire, cela sans la moindre preuve, vient également confirmer cette dérive. D’après le procureur, le but de cette entreprise est « d’atteindre les institutions de l’Etat et de parvenir par la violence (…) à troubler l’ordre politique, économique et social ». Une circulaire de juin 2008 émanant du Ministère de la Justice stigmatise la « mouvance anarcho-autonome » et demande aux parquets « d’apporter une attention particulière à tout fait (des inscriptions – tags – jusqu’aux manifestations de soutien à des étrangers en situation irrégulière) pouvant relever de cette mouvance ». Toujours en France, la condamnation de l’association Droit au Logement (DAL) à 12000 euros d’amende pour avoir installé des tentes de sans-abris sur la voie publique, et l’interpellation sans ménagement d’un journaliste accusé d’avoir hébergé sur son site un commentaire d’internaute pouvant avoir un caractère diffamatoire, confirment cette dérive.

L’Union européenne reste un exemple

Bien sûr, la situation des Droits de l’Homme dans l’Union européenne n’est en rien comparable à ce que l’on constate dans nombre de pays où, comme l’Iran, l’Arabie Saoudite, la Chine ou le Zimbabwe – la liste est malheureusement beaucoup plus longue -, les violations des Droits de l’Homme sont systématiques.

L’Union européenne figure bel et bien dans le peloton de tête mondial pour ce qui est du respect des Droits de l’Homme, mais c’est bien à ce titre que les dérives récentes sont inquiétantes. Sans oublier que nos pays, s’ils veulent être crédibles dans leur légitime combat pour le respect des droits humains dans le reste du monde, se doivent d’être irréprochables. Rien n’est jamais acquis en la matière et l’expérience prouve qu’il ne suffit pas d’avoir signé et ratifié les textes internationaux et de s’être doté des instruments juridiques visant au respect de ces droits et de Cours où ces droits sont opposables, pour en garantir un respect effectif dans la pratique. A contrario, les nombreux recours constituent autant de preuves des manquements en la matière.

Une question en constante évolution

Les droits fondamentaux ne sont pas un sanctuaire qu’il suffit de contempler. Les garantir formellement ne suffit pas, il faut aussi les promouvoir concrètement, c’est un travail quotidien. Ces droits sont en constante évolution. La jurisprudence de la Cour de Strasbourg permet à la Convention européenne des Droits de l’Homme de s’adapter à l’évolution de la société. Les droits civils, dits aussi « droits de la première génération », restent la pierre angulaire de l’édifice. Les droits économiques et sociaux ou « droits de la deuxième génération » sont indissociablement liés aux premiers. Que signifie le droit de vote ou d’association si la personne n’a pas les moyens suffisants pour mener une vie digne de ce nom ? Les droits écologiques sont appelés à prendre une dimension de plus en plus importante alors que l’on commence à mesurer les conséquences sur la planète, sur le climat, sur la biodiversité, et sur la santé, des activités humaines et de la surexploitation des ressources naturelles. Les études les plus récentes laissent prévoir que les dérèglements climatiques et l’augmentation du niveau des mers constitueront bientôt le premier facteur mondial de déplacement de populations. Les réfugiés climatiques dépasseront de loin en nombre les réfugiés politiques et économiques.

En ce soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, leur caractère universel doit être plus que jamais défendu, notamment pour réagir aux voix contestant une vision par trop « occidentale », variante moderne du qualificatif de « bourgeois » autrefois employé par certains marxistes. Il faut aussi se prémunir contre un certain émiettement : aux droits de la personne tend de plus en plus à se substituer la notion de droits parcellaires de telle ou telle catégorie de la population. Les droits des minorités doivent s’inscrire dans l’universalité du projet démocratique. Tels sont les principes et les lignes directrices qui sous-tendent l’action des Verts au Parlement européen.

Le cadre normatif européen

Le projet européen lui-même et les Institutions européennes se fondent sur le respect des Droits de l’Homme. C’est ainsi que chaque Etat membre adhère à la Convention européenne des Droits de l’Homme. Cela fait d’ailleurs partie des conditions pour l’adhésion à l’Union européenne telles que définies par les critères de Copenhague. On regrettera à ce propos l’absence d’un mécanisme européen de contrôle effectif du respect des Droits de l’Homme par les Etats membres une fois ceux-ci ayant adhéré à l’Union.

La Charte des droits fondamentaux, en effet, n’est toujours pas contraignante. Elle ne le sera que lors de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, avec cette restriction qu’elle n’autorise un contrôle des Etats membres que lorsque ceux-ci appliquent le droit de l’Union. Concrètement, et à titre d’exemple, cela veut dire que la Charte pourra être invoquée en cas de non-respect des Droits de l’Homme dans le cadre de la politique de lutte contre l’immigration clandestine (compétence communautaire) mais elle n’a pas de compétence en ce qui concerne la politique carcérale des Etats membres – qui reste de leur compétence, alors que chacun s’accorde à dire que la situation dans les prisons représente un des aspects les plus sombres de non-respect des Droits de l’Homme dans les Etats membres.

L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, si elle a lieu – ce qu’il faut souhaiter ardemment – permettra également l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des Droits de l’Homme. Cela rendra la Cour de Strasbourg compétente pour statuer sur des recours formulés contre des décisions ou des législations communautaires. Or ce n’est pas le cas actuellement.

Les articles 6 et 7 de l’actuel Traité établissent le principe du respect des Droits de l’Homme et prévoient des mécanismes de prévention d’un risque de violation des Droits de l’Homme par un Etat membre, ainsi que des moyens de pression en cas de violation concrète. Autant dire que ces mécanismes sont plus théoriques qu’effectifs et qu’ils fonctionnent au mieux comme une dissuasion puisque leur activation dépend d’une décision consensuelle au sein du Conseil.

Les Etats membres disposent ainsi d’un arsenal juridique qui peut servir de bouclier en cas de dérive anti-démocratique de telle ou telle force gouvernementale. A titre d’exemple, on l’a vu récemment lorsque le gouvernement Berlusconi a tenté de recourir au fichage ethnique des minorités Roms et lorsqu’il a voulu renvoyer « chez eux » des Roms qui étaient pourtant citoyens de l’Union européenne, voire italiens. C’est grâce à des lois européennes très claires en la matière et à une volonté politique forte de la Commission et du Parlement que le gouvernement italien a dû revenir sur ses positions.

Le Parlement européen, à la pointe du combat

Le Parlement européen, le plus souvent à l’instigation du groupe des Verts, s’est toujours montré à la pointe du combat pour les droits humains tant dans l’Union européenne que dans le reste du monde. Le rapport annuel qu’il établit sur les droits fondamentaux fournit une sorte de baromètre de l’état d’application de la Charte des droits fondamentaux dans l’Union européenne.

Sa Commission des pétitions se révèle être un instrument particulièrement efficace pour mettre en lien le citoyen et le législateur.

Depuis 1994 et le rapport de Claudia Roth, Députée verte allemande, le Parlement européen n’a eu de cesse de revendiquer une égalité de traitement pour les homosexuels et les lesbiennes, cela avec un certain succès puisque des législations en la matière ont été adoptées ou sont en voie de l’être.

Ces deux dernières années, toujours à l’initiative du groupe des Verts, sa Commission des libertés civiles a effectué une série de missions dans des centres de détention de demandeurs d’asile ou de sans-papiers. Loin du tourisme politique évoqué par certains, la visite de ces camps, qui, pour la plupart, affichaient des conditions de vie totalement indignes, a permis de conscientiser les députés européens pour qui, trop souvent, la politique d’immigration se mesure en nombre de reconduites à la frontière. Ces visites ont également permis d’interpeller les autorités nationales et de les rappeler à leurs devoirs les plus élémentaires. A ce sujet, il peut paraître pour le moins paradoxal d’invoquer des textes comme la Directive sur les conditions d’accueil que, par ailleurs, nous avions contestée lors de son adoption pour son manque d’humanité.

La politique d’immigration de l’Union européenne représente un des aspects les plus sombres en matière de Droits de l’Homme. La mort de personnes noyées en mer, étouffées au fond d’un camion, tombées sous les balles d’un garde-côte ou victimes de fils de fer barbelés est une honte. Nous ne demandons rien de plus que le respect des engagements internationaux des Etats membres : que toute personne qui fuit la persécution dans son pays et qui risque de graves atteintes à son intégrité en cas de retour, ait accès à une procédure d’asile ou, à tout le moins, à une protection subsidiaire.

Une proposition politique sur laquelle les Verts travaillent depuis quelques années consiste à exiger un contrôle a priori de la compatibilité de tout projet législatif avec la Charte des droits fondamentaux. Ce monitoring s’inscrit dans une politique dynamique et vivante des droits fondamentaux. Dans cette perspective, les Verts insistent pour que la prochaine Commission européenne désigne un Commissaire exclusivement en charge des droits humains, en lieu et place de l’actuel groupe de travail, aussi opaque qu’inefficace.

Un domaine où le Parlement européen n’a pas ménagé ses efforts mais avec des résultats insuffisants, est celui de la lutte contre le terrorisme, surtout depuis les attentats du 11 Septembre 2001. Il est devenu extrêmement difficile de résister à la tendance actuelle qui voudrait que l’on sacrifiât les droits et libertés sur l’autel de la sécurité.

La ligne directrice qui guide l’action des Verts en la matière est que, non seulement, il est moralement et juridiquement inconcevable de remettre en cause les droits et les libertés pour quelque raison aussi noble soit-elle, mais que, de plus, la lutte contre le terrorisme, préoccupation on ne peut plus respectable, non seulement est compatible avec les droits et les libertés mais elle s’en nourrit. Remettre en cause les libertés et les droits fondamentaux est le meilleur cadeau que l’on puisse faire aux terroristes. Les Verts refusent de tomber dans ce piège même si nombre de leurs collègues d’autres forces politiques et notamment de gauche ne sont pas insensibles au chant des sirènes sécuritaires.

Durant l’année 2006, les Verts ont participé activement à une Commission temporaire sur l’implication présumée de certains Etats membres dans les agissements de la CIA relatifs au transport, à l’enfermement et à la torture de présumés terroristes. Malgré la gravité des faits – il s’agit ni plus ni moins d’actes de torture -, malgré les preuves irréfutables (par ailleurs confirmées par George Walker Bush en personne) d’enlèvements par des agents étatsuniens notamment de citoyens communautaires sur le territoire de l’Union européenne avec la complicité d’autorités locales, malgré cela, nous rencontrons les plus grandes difficultés à obtenir des autorités nationales et européennes qu’elles se conforment aux recommandations adoptées par le Parlement le 14 février 2007.

Ce dernier exemple prouve, si besoin en était, que le combat pour le respect des droits fondamentaux dans l’Union européenne est loin d’être un luxe. Il s’agit ici ni plus ni moins d’enlèvements, de séquestrations, d’emprisonnements extrajudiciaires, de cas de tortures et de mauvais traitements commis en flagrante violation du droit international.

Perspectives

Le moins que l’on puisse dire est qu’il reste du pain sur la planche. Il serait fastidieux et inutile d’énumérer un catalogue exhaustif de revendications. Le prochain Parlement européen, qui sortira des urnes en juin 2009 et qui comptera, nous l’espérons, une représentation verte renforcée, devra maintenir la barre très haut. Les enjeux sont de taille. Le Traité de Lisbonne devrait lui donner plus de pouvoir, notamment dans le secteur de la justice et des affaires intérieures. Il faudra renforcer les mécanismes existants : contrôle a priori de la conformité des législations en cours d’élaboration avec la Charte des droits fondamentaux, même contrôle lors de la transposition et de la mise en œuvre de la législation européenne par les Etats membres. En outre, la Commission européenne devra se montrer moins frileuse, notamment dans le lancement de procédures en cas d’infraction. Le mandat de l’Agence des Droits fondamentaux devra être élargi pour couvrir le monitoring des Etats membres. Le Parlement européen devra renforcer sa collaboration avec les Parlements nationaux et la société civile pour que les libertés et les droits fondamentaux apparaissent au cœur de l’action de l’Union. Il faudra notamment s’assurer que la politique européenne d’asile et d’immigration soit la plus humaine possible, que la mise en œuvre de l’espace judiciaire européen en fasse un véritable espace de droit. Enfin, le Parlement devra renforcer son action contre le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discriminations.

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