La conversion verte de l’économie ne marchera pas si nous nous contentons de singer le new deal fordiste en tentant une relance par la consommation de produits verts. Au contraire, nous avons besoin de conventions collectives entre collectivités locales pour réduire leur empreinte écologique globale. Les institutions financières européennes comme la Banque Centrale et la Banque Européenne d’Investissement peuvent les y aider. Alain Lipietz présente une piste concrète pour répondre à la crise sociale et écologique qui a provoqué la crise financière.

Entretien avec Alain Lipietz

Propos recueillis par Benoît Lechat et Francisco Padilla

Quel diagnostic peut-on faire d’un point de vue écologiste sur la crise actuelle et sur le lien entre les crises financière, économique et écologique ?

À la base de la crise économique actuelle, on ne trouve pas la crise financière mais la crise écologique et sociale. Le discours sur le débordement de la crise financière vers l’économie réelle est une idiotie. La crise financière a commencé avec la crise des subprimes, non pas en août 2008 mais bien en août 2007, alors que les crises écologique et sociale battaient leur plein. La crise des subprimes a éclaté pour des raisons directement sociales et écologiques. Au départ, c’est un phénomène désormais bien connu, ce sont des salariés pauvres et des précaires américains qui se sont vus offrir l’accès au logement par des usuriers. Mais leurs difficultés à rembourser ont été aggravées par l’explosion des prix du pétrole et des matières premières, alimentaires comprises. Ils n’ont pu rembourser et les banques qui leur avaient prêté ont fait faillite, tout comme les réassureurs de ces banques.

Le château de cartes de l’économie de dettes construit au cours de la décennie antérieure s’est alors effondré. Cela a certes été précipité par la volonté de faire un exemple en ne sauvant pas Lehman Brothers. Mais les historiens de l’avenir ne s’encombreront pas de ce genre de détail. Ils feront le récit de trente ans de néo-libéralisme qui ont conduit à ce que même les salariés de la première puissance mondiale ne puissent plus acheter leur maison, alors que c’était un acquis fondamental de la période fordiste des années 1950 à 1978. Ils diront aussi que l’impossibilité de rembourser a été précipitée par la crise écologique et par le fait que la planète ne peut plus satisfaire tous les besoins, à commencer par ceux des plus démunis, pour reprendre exactement la définition du rapport Brundtland.

Quand les Verts se réunissent en Congrès mondial en 2008 à Sao Paulo, ils ne parlent pas de la crise des subprimes. Ils parlent de la montée vertigineuse des prix du pétrole, des émeutes de la faim qui expriment aussi le début sensible et permanent du dérèglement climatique, plusieurs pays producteurs de céréales étant frappés par la sècheresse. On commence alors à bien voir l’impact écologique et social de l’étirement de l’échelle des revenus à travers le monde. Cela se traduit par une entrée dans le salariat mondial des classes populaires chinoises qui deviennent des ouvriers hyper-précaires travaillant pour les exportations vers les Etats-Unis, ce qui a simultanément pour effets et d’enrichir considérablement les plus riches Américains et la nouvelle classe moyenne chinoise et d’appauvrir les ouvriers chinois et les salariés américains. Le résultat global est que tout le monde mange quand même du riz et des pois mais qu’augmente aussi considérablement la part de ceux qui mangent de la viande à la place des pois. Autrement dit, en étirant l’échelle des revenus au plan mondial, le libéralisme a créé aussi bien des riches que des pauvres mais ces riches ont une empreinte écologique beaucoup plus forte. D’où la tension sur le prix de tous les aliments.

Cette évolution est accélérée par la manière dont le productivisme lutte contre la crise écologique, c’est-à-dire par l’explosion de la surface agricole exigée par les agrocarburants car les riches se mettent à rouler en 4X4, avec des besoins croissants en énergie. La polarisation des revenus dans la mondialisation vient percuter de manière très forte les limites de la planète, sa capacité de charge, que ce soit par la demande de pétrole ou par des conflits sur l’usage du sol. Les tensions deviennent pharamineuses dès le premier semestre de l’année 2008. Enfin, l’opacité des montages financiers, qui a différé la crise, accélère l’effondrement du château de cartes de la finance mondiale. Mais, j’insiste : tous ceux qui ont la mémoire du 1er semestre 2008 savent que la crise est partie de l’économie réelle et pas de la finance. Le paroxysme de 2008 – avec un baril de pétrole, qui monte à près de 150 dollars avant l’effondrement du second semestre, est l’aboutissement d’un modèle de développement capitaliste mis en place au début des années 80.

Cela veut dire qu’il y a donc eu d’autres types de développement capitaliste antérieurement ?

Le capitalisme a connu des modèles de développement différents dans le temps et dans l’espace. Après la seconde guerre mondiale, le « nord-ouest » du monde a connu un modèle bien régulé par le politique, la législation sociale, l’Etat providence, les conventions collectives et autres conventions extra monétaires et extra marchandes, qui ont assuré une croissance régulière et le plein emploi. Mais c’était aussi un modèle très productiviste, le but de la production étant de vendre, celui de la consommation d’absorber la production. La voiture est le symbole de ce modèle, d’où le nom de « fordisme » (Henri Ford ayant compris le premier que mieux les ouvriers seraient payés, plus ils achèteraient de voitures.)

De 1975 à 1985 s’est ouverte une longue période de crise, transition vers un nouveau modèle de développement symbolisé par le remplacement en 1987 de Volcker par Greenspan à la tête de la Réserve Fédérale américaine. Une période de destruction du compromis fordiste et de mondialisation de la production des biens manufacturés s’est ouverte. Si, jusque-là, la mondialisation avait été limitée aux échanges de matières premières du sud contre les biens manufacturés du nord, les ouvriers d’Asie ont commencé à produire, pour un salaire 50 fois inférieur, ce que les ouvriers du nord-ouest du Monde étaient auparavant les seuls à produire. Cela s’est traduit par un formidable recul de la part salariale dans la production mondiale et par une hausse de l’empreinte écologique des classes moyennes des pays émergents et des anciennes classes moyennes du Nord-Ouest, qui ont eu recours plus facilement au crédit.

La crise des subprimes n’est donc que l’expression paroxystique des tendances de ce modèle qu’on peut appeler « libéral-productiviste ». Autrement dit, la crise est à la fois une crise du libéralisme et une crise du productivisme, les deux étant inextricablement liés, comme le montre l’exemple des agrocarburants et du pétrole. Les agrocarburants constituent une solution productiviste à la crise du productivisme, qui provoque simultanément la famine des plus pauvres et des difficultés financières considérables pour les salariés pauvres ou précaires des pays développés (y compris la Belgique), confrontés au même moment à une explosion de leur facture énergétique. La crise écologique est provoquée par les riches et surtout subie par les pauvres. L’écologique et le social sont donc inextricablement liés.

Mais si les pauvres sont à ce point victimes du productivisme, pourquoi y sont-ils à ce point attachés ?

Ce que désire chacun de nous, c’est une vie digne et valorisante, avec un niveau de vie décent et le temps de vivre pour nous, nos amis, parents, amants… Mais le productivisme code cette aspiration en en désir de consommation, seule compensation à une vie sans intérêt, perdue à travailler sans reconnaissance de sa propre utilité sociale. À l’époque du fordisme, il y avait un « escalier roulant », c’est-à-dire que la norme de consommation de l’ingénieur devenait celle du technicien deux ans après et celle de l’ouvrier spécialisé encore deux ans après… Au moment où l’ingénieur achetait une Peugeot 203, le technicien achetait une 4 CV, l’ouvrier professionnel une mobylette et le manœuvre un vélo, mais deux ans après, le dernier dans la hiérarchie salariale accédait à la consommation de celui qui le précédait. Le productivisme consumériste séduisait les pauvres parce qu’ils pensaient devenir plus riches et ainsi « réussir leur vie »… Les moyens riches étaient les modèles de consommation du pauvre.

Aujourd’hui, cet espoir s’est évaporé, l’escalier roulant est en panne, mais l’ouvrier est rarement pro-Vert parce qu’il cherche désespérément à maintenir le rêve productiviste. Il pense qu’il va maintenir son emploi, même s’il lui rapporte de moins en moins. Avec des manifestations de désespoir parfois effrayantes comme celle de ces ouvriers qui menacent de verser des produits chimiques dans les rivières pour sauver leur emploi. Quant aux précaires et chômeurs, ils hésitent entre résignation et tentative d’imitation du modèle. Les chômeurs qui achètent des produits de marque ne sont plus dans la logique d’ascension progressive du fordisme mais dans une volonté de montrer qu’ils sont quand même, d’une manière ou d’une autre, dans le modèle social dominant. Ils achètent par exemple des chaussures Nike pourtant produites au Vietnam pour trois fois rien et sur lesquelles Nike n’a fait que poser son logo.

Ce n’est pas la même chose que le petit salarié qui rêve d’acheter une bagnole. Lors de la relance Jospin en 1997-1998, qui a très bien marché, les « exclus » de ma ville de banlieue parisienne ont commencé à entrer dans le salariat et à acheter des bagnoles. Le hic, c’est qu’ils n’avaient pas l’habitude de conduire et ça s’est reflété dans les statistiques d’accidents routiers des vacances de Pâques 1998. Ce fut d’ailleurs la même chose au moment de l’absorption de l’Allemagne de l’Est par l’Allemagne de l’Ouest…

Les classes populaires ne s’émanciperont du productivisme qu’à partir d’un niveau de vie décent, si les Verts leur offrent du temps pour vivre et surtout une revalorisation de leur statut, de leur satisfaction au travail et du niveau de reconnaissance de ce travail par autrui.

Sur base d’une telle analyse, quelles sont dès lors les solutions à mettre en œuvre ?

Comme c’est une crise du libéralisme, la solution semble assez évidente : il « suffit » de relancer la consommation. Si les pauvres étaient moins pauvres, ils pourraient acheter des marchandises et rétablir le plein emploi. D’où la séduction des expressions comme New Deal ou « relance ». Car autant la relance était totalement inadaptée à la crise de 1980 qui était plutôt une crise par épuisement des profits, autant aujourd’hui, il y a bien une crise économique par insuffisance des revenus. Donc le repartage de la valeur ajoutée entre les riches et les pauvres à l’échelle locale, nationale et mondiale est un élément de la sortie de crise.

Mais on voit tout de suite qu’il y a deux grandes différences avec le New Deal de Roosevelt. Premièrement, la relance ne doit en aucun cas déboucher sur une relance massive de la consommation de biens ayant une forte empreinte écologique. Deuxièmement, nous ne disposons pas des institutions nécessaires. Le New Deal rooseveltien disposait déjà des institutions qui lui permettaient de se réaliser (Etats-nations et embryons d’Etats-providences et de conventions collectives). Dans le fordisme, il fallait empêcher que chaque entreprise attende la relance de l’autre, la relance des salaires des uns étant la relance des débouchés des autres. C’est la raison pour laquelle on a inventé les conventions collectives et le salaire minimum. Aujourd’hui, nous n’avons pas vraiment d’équivalent au niveau adéquat, en l’occurrence au niveau mondial, et même pas au niveau européen, ce qui serait déjà un grand progrès.

L’autre différence essentielle, c’est que la relance verte passera essentiellement par les services publics et le plus souvent par des services publics ou collectifs locaux. Face à la crise de l’énergie, nous devons relancer les transports en commun, isoler tous les bâtiments, les neufs comme les anciens, faire passer toute l’agriculture au bio. Il faudra donc passer au maximum par du « collectif local » (soit des colocataires, soit des copropriétaires) pour le réaliser et, en ce qui concerne l’agriculture, changer complètement la Politique Agricole Commune.

Plus concrètement, quelle forme pourrait prendre cette relance verte ?

Nous devons inventer un équivalent post-fordiste à la convention collective fordiste. Au lieu de conventions entre patrons et salariés, nous avons besoin de conventions collectives entre l’Etat national ou européen et les agglomérations afin de financer à la fois la reconversion de notre économie (c’est-à-dire l’utilisation d’un savoir existant pour produire tout autre chose) et sa conversion (c’est-à-dire l’orientation de notre économie vers des productions pour lesquelles les qualifications n’existent tout au plus que partiellement).

En ce qui concerne la reconversion, des collectivités locales peuvent par exemple décider de s’endetter pour développer très rapidement leurs transports en commun. Après Pearl Harbour, en 1942, Ford n’a mis que quelque mois pour reconvertir l’intégralité de sa production de voitures en production de bombardiers. J’ai interrogé des responsables de l’automobile sur le temps qu’il leur faudrait pour que, au lieu de produire des voitures, leurs chaînes de montage produisent des autobus à gaz. Ford l’a fait, mais Ford est alors devenu une filiale de Boeing, m’ont-ils répondu. Mais alors pourquoi Renault ne pourrait-elle pas devenir filiale de Renault Véhicules Industriels ? Si, en avril 2009, l’Etat français commande 300.000 autobus à gaz, c’est-à-dire trois fois la capacité des usines d’autobus, pourquoi Renault ne serait-elle pas capable de reconvertir des usines qui fabriquent des 4X4 ou des Logan… ?

Dans le cas du bâtiment, il s’agit plutôt de conversion parce qu’il est vrai que nous n’avons pas les poseurs de plaques isolantes, photovoltaïques ou de pompes à chaleur pour équiper 2 millions de foyers par an. Mais il est possible de s’organiser pour mettre tout de suite 300.000 jeunes en formation afin qu’ils soient capables de le faire dans un an ou deux. La reconversion et la conversion peuvent se faire en 2009. C’est bien l’enjeu de la campagne européenne.

Oui, mais cela requiert des moyens financiers considérables…

Les dirigeants libéraux, Bush ou Sarkozy, ont essayé de sortir la crise des subprimes un peu de la même manière que les productivistes ont essayé de se sortir de la crise du pétrole par les agrocarburants, c’est-à-dire en essayant de renflouer les banques privées à coup de centaines de milliards. Il fallait évidemment éviter la faillite des banques privées, ne serait-ce que parce que ce sont les banques de « nos » dépôts. Mais l’illusion a été de croire qu’une fois sauvées, les banques allaient prêter à l’économie. Cela ne s’est pas produit. Ce n’est absolument pas comme ça qu’il faut faire. Il faut suivre exactement le modèle inverse, c’est-à-dire mobiliser l’économie en la tirant par sa demande finale, comme le disait l’économiste Kornai. Et dans la conversion verte, il s’agit largement d’une commande publique.

La première chose à faire, c’est de se donner des objectifs et des moyens pour y parvenir : pour réduire les émissions de CO2, développer le transport en commun et l’isolation, pour améliorer la santé développer le bio. Nous devons ensuite identifier quelles institutions peuvent prendre en charge la reconversion et la conversion. Enfin, tertio, ces institutions doivent trouver un financement auprès de la Banque Européenne d’Investissement qui doit elle-même se refinancer auprès de la Banque Centrale européenne.

La Banque Européenne d’Investissements pèse déjà deux fois et demi la Banque Mondiale et elle ne demande pas mieux que de peser quatre ou cinq fois plus. Pour cela, elle doit obtenir la priorité dans le refinancement auprès de la Banque Centrale. Celle-ci vient bien de refinancer des dettes de plus en plus pourries pour éviter les faillites. Pourquoi à l’avenir ne pourrait-elle pas refinancer les prêts consacrés aux objectifs politiques de l’Union européenne, comme son indépendance énergétique ou la lutte contre le changement climatique ?

C’est de la création monétaire ?

Oui, mais pas contre rien. Il y a des prêts à l’économie réelle, validés par la Banque Centrale quand elle échange les titres contre les euros qu’elle émet. Ce sont en effet bel et bien des prêts qui doivent être remboursés, ce n’est pas la planche à billets. La BCE prête à la BEI, qui prête aux collectivités, qui achètent les autobus ou qui donnent des primes aux associations de logement social pour transformer leurs immeubles en immeubles « à énergie positive » (produisant plus d’énergie qu’ils en consomment).

Comment remboursent-ils la dette ?

On en revient au second niveau, celui des institutions. Il y a plusieurs façons de faire payer des dépenses collectives. La première, cela peut être l’usager individuel qui décide de se déplacer en bus plutôt qu’en voiture. La seconde, c’est de faire appel à la fiscalité locale. Mais comme dans le fordisme, il y a le risque de « passagers clandestins » locaux. Cette fois, ce n’est plus le patron qui refuse d’augmenter ses ouvriers (et contre lequel, à l’époque, on a fait des conventions collectives), mais la collectivité locale qui va vouloir bénéficier de l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre réalisé par les autres collectivités, sans faire elle-même d’effort.

Comment éviter cela ? Montesquieu et tous les sociologues nous disent qu’il faut d’abord que les bons comportements apparaissent comme vertueux. La « vertu », c’est la conversion écologiste ! Il s’agit de montrer qu’une dépense collective verte vaut mieux qu’une dépense privée polluante, un service public que le « chacun sa voiture ». Le mot « conversion » désigne bien le passage de l’aspect individuel à l’aspect collectif. Il faut que les gens considèrent à nouveau – parce que cela a déjà été le cas dans le passé – que le niveau collectif est mieux que le niveau individuel. On n’a pas besoin d’avoir tout le temps une voiture au garage quand on ne s’en sert que de temps en temps, s’il y a un flux permanent d’autobus qui passent… Il y a un changement de mentalité à produire.

L’autre outil collectif, c’est la norme légale. Comme Paul-Marie Boulanger, j’estime qu’il faut éviter les effets-rebonds. Nous avons donc besoin d’un encadrement global sous la forme de quotas à attribuer aux collectivités. C’était un peu l’idée des Agenda 21 décentralisés. On pourrait envisager que le système européen des quotas transférables s’applique aussi aux agglomérations. Un tel système serait à la fois collectif et décentralisé, en laissant aux collectivités la plus totale liberté sur la manière de les respecter. De la même manière que le marché des quotas encourage les entreprises qui veulent aller plus loin et découragent celles qui ne font aucun effort, une collectivité qui s’endetterait auprès de la BEI pourrait voir ses remboursements partiellement réduits si elle va plus vite que les autres dans la lutte contre le changement climatique car elle pourrait revendre une partie de ses quotas à ses voisines qui, elles, ne se seraient pas endettées pour financer des transports en commun ou l’isolation des logements. C’est un exemple de transposition du principe de la convention collective aux collectivités locales.

Pourquoi insistez-vous tellement sur ce rôle des collectivités locales ?

Parce que mettre en œuvre la conversion verte à l’échelle locale la rendra à la fois plus festive et plus démocratique. Si le Conseil et le Parlement européens reviennent sur la décision de décembre dernier de limiter l’objectif 2020 à -20% de réduction de gaz à effet de serre et reviennent à l’objectif antérieur qui était de -30% pour 2020, il ne faut pas que cela apparaisse comme une contrainte venant d’en haut. Même si Lisbonne est adopté, le Parlement renforcé et le Conseil démocratisé, cela ne donnera pas l’impression aux gens qu’ils sont associés. Une structure démocratique représentant 500 millions de personnes ne parviendra pas à entraîner les gens dans la conversion verte sans structures relais auxquelles seront déléguées la réalisation des objectifs d’intérêt général et la liberté des moyes de les réaliser. Autrement dit, la décentralisation est le pendant démocratique de la conversion verte.

Rappelons que 80 % du travail que nous consommons dans notre vie sont produits à moins de 20 kilomètres de notre domicile : transports publics, services publics, bâtiments, réseaux divers, organisation de la vie quotidienne… et sa prise en charge actuelle par le patriarcat, qui pourrait être transférée vers l’économie sociale et solidaire. Il faut également répondre à la peur qui apparaît dès que l’on prononce le mot planification. Dès qu’on sort du néolibéralisme, on a l’impression qu’on va rentrer dans du dirigisme et on pense aussitôt à Louis XIV, au fascisme hitlérien, au totalitarisme stalinien. Il est donc extrêmement important d’accompagner un discours de politique publique, de type dirigiste, de la plus grande flexibilité possible dans sa mise en œuvre et de permettre à la démocratie locale de s’en emparer.

L’écofiscalité ne constitue-t-elle pas une autre piste ?

Le système de quotas (quand ils sont vendus) est équivalent à l’écofiscalité. Il s’applique bien à de grosses unités polluantes mais je suis plus sceptique pour ce qui concerne son application à de petites unités. On pourrait étendre le système des quotas aux agglomérations. On peut calculer les émissions sur une municipalité dense, on ne peut pas le faire individu par individu ni pour les habitats dispersés. Toutes les collectivités territoriales ne seront donc pas couvertes par un système d’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre par quotas.

Dans ce cas il faut avoir recours à l’écofiscalité par le prix des carburants. L’écofiscalité est un système de quotas forfaitaires – échangeables – qui se trouve déjà à l’intérieur du prix du carburant. Acheter un quota ou acheter un litre d’essence écotaxée, c’est pareil. L’un se fait en gros, l’autre au détail. L’écofiscalité sert à toucher tout le monde, elle est souple : je roule plus ou mois vite, je paie plus ou moins de taxe. On peut y introduire un aspect social en détaxant par exemple 40 litres par mois. L’écofiscalité n’est pas du tout contradictoire avec une politique redistributrice.

Mais il y a des risques : quand Sarkozy supprime la taxe professionnelle qui était une des taxes qui finançait les agglomérations et propose de la remplacer par une taxe carbone, chaque commune a intérêt à avoir le plus d’activités polluantes. La solution, peut-on penser, serait de faire une taxe européenne ou nationale et de la redistribuer aux communes au prorata de leur population. Chaque industriel qui veut payer moins de taxe a intérêt à diminuer ses émissions. On évite ainsi les effets un effet pervers… mais on réduit la capacité des collectivités locales à fixer leur budget. Je suis pour l’écotaxe mais il faut voir que cela ne répond pas à l’exigence de décentralisation. C’est un puissant outil de solidarité intercommunale ou interrégionale, à condition qu’elle soit prélevée globalement pour éviter les effets de concurrence territoriale. Mais cela laisse peu d’initiative aux collectivités pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique.

Est-ce que votre proposition de financement de la conversion par les collectivités, la BCE et la BEI n’exige pas une réforme des traités ?

Non. La ville de Lisbonne a négocié avec le BEI un financement de son système de transport. Pour ce qui concerne la relation entre la BCE et la BEI, c’est à développer. Actuellement, la BCE rachète n’importe quels titres, publics ou privés, de plus en plus toxiques. Elle peut donc très bien acheter des titres de la BEI en émettant des euros, ce serait bien moins dangereux pour elle. Lors de la dernière visite de Trichet à la Commission économique et monétaire du Parlement, il en a convenu. Les emprunts de la BEI à la BCE seraient d’excellente qualité !

De toutes manières nous avons franchi tous les clous du Pacte de Stabilité. On en arrive au point où ce sont les Verts eux-mêmes qui rappellent qu’il faudrait peut-être penser à rentrer dans les clous, pour ne pas faire peser notre dette sur les générations futures. Face à une crise de l’ampleur de la crise actuelle, nous voulons bien passer à 5 % de déficit mais il ne faut pas gaspiller l’argent. Celui-ci doit vraiment servir à des buts indispensables, et notamment à lutter contre le changement climatique.

Propos recueillis à Bruxelles le 12 février 2009 .

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