Les progrès réalisés en matière d’Europe sociale ces cinq dernières années sont peu nombreux, du moins si l’on considère certains sujets qui auraient dû et auraient pu être influencés par les institutions européennes. Cette situation n’est cependant guère surprenante pour ceux qui participent à ce processus au quotidien. Si vous êtes occupés à lutter contre de nombreux incendies de forêt, petits et grands, un peu partout, il vous reste peu de temps pour replanter et agrandir la forêt.
Au cours de cette dernière législature, les Verts ont tenté de protéger les avancées conquises de haute lutte des tentatives pour réduire l’Europe sociale au strict minimum. La lutte contre ces incendies nous a demandé tellement d’efforts à tous – acteurs politiques, parties prenantes, ONG – qu’il ne nous est resté que peu de temps et d’énergie pour aller de l’avant et façonner l’avenir. Cependant, nous avons essayé, essayé vraiment, et nous avons réussi dans certains domaines en dépit de la Commission, du Conseil et des majorités en place au Parlement européen. Toutefois, il faut ici demander au lecteur d’évaluer ces progrès en tenant compte de l’énergie dépensée pour éviter le pire.
Quels étaient les domaines clés de ces dernières années?
Droits fondamentaux – la clause de progrès social
En matière d’emploi et de politique sociale, l’action tournait autour de deux domaines principaux : les droits fondamentaux et les normes minimales.
Nous avons obtenu que la Charte des droits fondamentaux soit intégrée au traité de Lisbonne. Les répercussions de cette intégration sur la législation future ne sont pas encore connues et, jusqu’à présent, aucun effet direct n’a été constaté pour les sujets traités actuellement. Mais cela nous donne une base solide pour entreprendre des actions futures dans le domaine de la politique sociale.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’une clause de progrès social afin d’établir les traités sur la base solide des droits fondamentaux. Le but de cette clause est de réaliser quelque chose d’étonnamment simple : elle devrait établir que toute législation européenne doit entièrement respecter les droits fondamentaux, et que les droits fondamentaux ne peuvent être outrepassés. Pourquoi faut-il dès lors que quelque chose d’aussi logique soit imposé par la loi ? Parce que c’est là que la plupart des problèmes sont apparus ces dernières années et que nous avons le plus lutté.
En 2008, la Cour de Justice européenne a jugé un certain nombre d’affaires dans lesquelles elle a statué que, dans l’état de la législation actuelle, la libre prestation de services peut prévaloir sur les droits fondamentaux. Cela concerne le droit des organisations syndicales de mener des actions collectives (C-341/05, Laval un Partneri Ltd, et C-438/05, Viking), le respect des salaires minimaux convenus localement (C-341/05, Laval un Partneri Ltd) et le droit d’exiger le respect des salaires locaux en tant que condition à l’octroi d’un marché public (C-346/06, Rüffert).
De plus, les prestataires de services sociaux ainsi que les acteurs du secteur des services d’intérêt général peuvent à tout moment être traités comme n’importe quel autre service commercial lorsqu’il s’agit des dispositions européennes en matière d’aides d’État, de marchés publics ou de concurrence. Conjointement à une législation sauvegardant et protégeant la nature particulière des services d’intérêt général, en particulier des services de santé et des services sociaux, une clause de progrès social garantirait que les droits fondamentaux ne passeraient pas après les lois du marché. Ce serait un grand pas en avant. Bien qu’il ne soit pas possible de réaliser cela dans le cadre du traité de Lisbonne, c’est certainement une quête que nous devrons poursuivre lors des prochaines modifications du traité.
Normes minimales ou égales : travail intérimaire, temps de travail et autres
En 2008, le Parlement européen a remporté trois succès majeurs dans le domaine de la législation en matière d’emploi.
La directive 2008/104/CE relative au travail intérimaire a été adoptée en novembre 2008 et doit être appliquée au plus tard en 2011. Elle a pour objet l’égalité de traitement dès le premier jour pour les travailleurs intérimaires par rapport aux travailleurs fixes en ce qui concerne les conditions essentielles de travail et d’emploi (sauf si les partenaires sociaux en conviennent autrement) ainsi qu’un accès aux mêmes conditions que les travailleurs employés directement aux services tels que les services de restauration ou aux infrastructures d’accueil des enfants. Elle accorde aux travailleurs intérimaires un accès facilité aux formations. Cette directive sera bénéfique aux 3 millions de travailleurs intérimaires actuels qui risquent souvent d’être exposés à de moins bonnes conditions de travail, à un surcroît de travail et à des conditions de travail précaires.
Ce pas en avant capital a été rendu possible par la pression exercée par le Parlement à la suite d’un arrangement intervenu au Conseil. Le Conseil avait lié deux dossiers sur les directives relatives au travail intérimaire et au temps de travail pour parvenir à un accord. Cette pratique est assez traditionnelle mais ne contribue pas à une politique transparente, orientée vers les résultats. En juin 2008, le commissaire Špidla a fièrement présenté les accords du Conseil concernant ces deux directives. Le premier – travail intérimaire – constituait une amélioration. Le deuxième – temps de travail – était tout à fait éloigné de ce que l’on peut attendre d’une législation sensée en matière de santé et de sécurité.
La directive relative à l’aménagement du temps de travail – une réussite espérée d’ici l’été 2009
La directive 2003/88/CE relative à l’aménagement du temps de travail est actuellement en phase de révision dans le cadre d’une très longue procédure, en raison de problèmes relatifs à sa définition du travail de garde et en raison d’une disposition spécifique – la non-participation, que l’on appelle aussi opt-out. Cette directive prévoit une clause de non-participation : globalement, on peut décider via un accord individuel, tel qu’un contrat de travail, une convention collective ou une loi de ne pas appliquer l’un des principes directeurs de la directive – une durée maximale hebdomadaire de travail de 48 heures. La directive prévoit une période minimale de repos de 13 heures par 24 heures et d’un jour tous les sept jours ; la durée moyenne de travail de 48 heures est calculée sur une période de référence de plusieurs mois. En gros, en vertu de cette directive, il est possible de travailler jusqu’à un maximum de 78 heures tant que la durée moyenne de travail n’est pas supérieure à 48 heures, sauf si la clause de non-participation est d’application. Dans ce cas, une personne peut travailler jusqu’à 78 heures par semaine conformément à la directive actuelle.
La Commission a suggéré dans sa proposition révisée d’abolir la non-participation. Le Parlement l’a soutenue lors de la première lecture. Toute autre décision serait insensée. Il s’agit d’une directive relative à la santé et la sécurité. Pour quelle raison pourrait-elle se désengager vis-à-vis de la santé et la sécurité ? Le Conseil en a décidé autrement. Tout d’abord, le Conseil n’a pu se mettre d’accord pendant quatre ans, en particulier en raison du blocage de tout accord par le Royaume-Uni. Ensuite, en juin 2008, l’accord du Conseil sur la directive relative à l’aménagement du temps de travail a été présenté, incluant, à nouveau, la non-participation. Dans l’ensemble, le Conseil suggérait qu’avec cette clause, les travailleurs seraient autorisés à travailler seulement en moyenne 65 heures par semaine. De plus, les périodes inactives du temps de garde (par exemple pour les médecins de garde à l’hôpital qui attendent d’être appelés) ne seraient pas comptées comme étant du temps de travail.
Disons le tout net : la présentation par le commissaire Špidla de la proposition du Conseil autorisant les travailleurs à travailler jusqu’à 65 heures par semaine en moyenne comme étant bonne pour concilier vie professionnelle et vie familiale en juin 2008 a été l’un des plus mauvais moments de l’Europe sociale de cette dernière législature.
Côté positif : grâce à un énorme effort des Verts et des socialistes et à un certain nombre de conservateurs, de libéraux et de régionalistes sensés, et grâce au soutien des syndicats et des ONG, le Parlement européen a décidé en décembre 2008 en deuxième lecture de mettre un terme à la non-participation et de comptabiliser le temps de garde comme étant du temps de travail. Mais, c’est un comble que nous devions fêter une si petite étape comme étant une victoire importante, arrachée, il est vrai grâce à une incroyable débauche d’énergie !
Nous négocions actuellement avec le Conseil pour trouver un compromis et on ne sait pas encore ce qu’il en résultera. Mais le Parlement a fait acte d’autorité en n’acceptant pas la clause de non-participation. Nous espérons dès lors présenter une législation sur l’aménagement du temps de travail décente d’ici l’été 2009.
Personnellement, je suis contre cette clause, et pas seulement dans ce contexte. Une non-participation ébranle généralement toute législation fixant des normes. En gros, on dit aux citoyens : « Oh, il y a ce règlement mais on peut décider de ne pas l’appliquer ». Et quel travailleur risquerait de refuser de signer un tel accord lorsque son employeur le demande lors d’une période critique ? Dans le secteur de la santé en particulier, des milliers de médecins et d’infirmiers ont d’ores et déjà dû signer des accords de non-participation et souffrir les désavantages du surmenage continu : maladies liées au stress, risque d’erreurs et pression constante ainsi que difficultés à avoir une vie en dehors du travail. Espérons que pour une fois le Conseil suivra la voie de la raison.
Parmi les réussites, je souhaite brièvement mentionner l’amélioration de la directive relative aux comités d’entreprise européens, obtenue grâce au Parlement. La législation relative aux comités d’entreprise améliorera les droits d’information et de consultation des comités d’entreprise européens dans les multinationales et permettra d’éviter les situations dans lesquelles les travailleurs sont montés les uns contre les autres en cas de licenciements et de fermetures définitives. On a également avancé dans le domaine de la non-discrimination.
Voilà pour ce qui est des réussites qui nous ont demandé beaucoup d’énergie pour continuer la lutte, en particulier contre le néo-libéralisme de la Commission qui ne tient pas compte du déséquilibre entre un marché intérieur européen et une Europe sociale restant réglementée par les États membres dont les politiques nationales ne peuvent compenser les effets d’un marché intérieur.
Les principes de la flexicurité
Le thème dominant de la Commission dans le domaine de l’emploi est devenu ce que l’on appelle la « flexicurité ». Ce terme, qui mêle « flexibilité » et « sécurité », décrit à l’origine un mélange politique spécifique, utilisé en particulier dans les pays scandinaves et aux Pays-Bas. L’objectif d’une vraie flexicurité est de créer un marché du travail davantage flexible et adaptable en améliorant la sécurité, le cadre de travail des travailleurs et leur flexibilité, motivant ainsi les travailleurs à changer de travail pour quitter des secteurs saturés vers des secteurs qui ont du potentiel. Cependant, la Commission et d’autres acteurs politiques ont utilisé la politique de la flexicurité pour pousser un programme de déréglementation, demandant moins de lois sur le travail et de meilleures conditions pour les employeurs ainsi que davantage de flexibilité de la part des travailleurs. L’individualisation de la responsabilité va de pair avec les principes de la flexicurité. La tendance – pas uniquement au niveau européen – visant à blâmer l’individu pour sa réussite ou son échec sur le marché du travail transfère habilement le fardeau des responsables politiques vers les individus. En outre, l’attention portée aux problèmes structurels, c’est-à-dire le manque de postes de travail et le développement des compétences, est détournée.
Les socialistes ont approuvé le programme de la Commission sur la flexicurité, pensant qu’ils pourraient la façonner de la même façon que dans les pays scandinaves. Nous, les Verts, ne soutenons pas la manière dont la Commission use (et abuse) d’un concept qui, s’il est appliqué correctement, a un immense potentiel mais qui est actuellement le cheval de Troie d’un programme totalement différent.
Mise en œuvre et respect des dispositions relatives à l’emploi : le cas du détachement
Un problème important en matière d’emploi est le non-respect et la mise en œuvre incorrecte ou insuffisante du droit du travail. Alors que la Commission ouvre très rapidement des procédures d’infraction quand il s’agit de la libre circulation des services, elle ne se prononce généralement pas quand il s’agit de la mise en œuvre insuffisante du droit du travail ou de la législation relative à la santé et la sécurité.
Citons un exemple qui concerne également les arrêts susmentionnés : la directive relative au détachement de travailleurs octroie des droits minimaux aux travailleurs qui sont détachés dans un autre pays. Si un travailleur est détaché par sa société d’un pays A à un pays B pour y travailler, le travailleur a au moins droit aux conditions de travail minimales du pays B, de façon à ce que le principe « à travail égal, salaire égal » soit au moins respecté pour les salaries minimaux. Cependant, cette directive est mal respectée et mal mise en œuvre, des contrôles sont rarement effectués et les travailleurs, souvent originaires d’Europe orientale, ne connaissent pas leurs droits et ne reçoivent pas ce qu’ils sont en droit de recevoir. En particulier, dans le secteur de la construction, les travailleurs ne perçoivent pas les salaires minimaux ou sont contraints de se déclarer comme travailleurs « indépendants », et il existe de nombreux moyens, souvent criminels, de contourner l’application de la directive relative au détachement.
En 2006, la Commission a tenté de limiter les contrôles des États membres qui visaient à vérifier si les travailleurs détachés bénéficiaient des salaires minimaux et des conditions de travail appropriés pour la région. Selon elle, de tels contrôles relevaient du protectionnisme et empêchaient la libre circulation des services. Dans ses « Orientations concernant le détachement de travailleurs » (COM (2006)0159), la Commission informait les États membres qu’un certain mécanisme de contrôle n’était pas légitime et elle interprétait certains arrêts de façon partiale afin de limiter les contrôles. À cette occasion, le Parlement européen est intervenu dans un rapport énergique écrit par une députée européenne des Verts, Elisabeth Schroedter. La Commission a été fortement critiquée pour son interprétation partiale de ces arrêts. Nous nous sommes exprimés en faveur du principe « à travail égal sur un même lieu de travail, salaire égal » et avons exigé que ces principes soient mieux respectés et mis en œuvre.
La directive relative au détachement de travailleurs est revenue plusieurs fois à l’ordre du jour et deux revendications claires ont à présent été formulées :
–une révision de la directive relative au détachement de travailleurs afin d’en élargir la base juridique et d’améliorer les droits des travailleurs détachés; et
–une législation européenne sur la responsabilité solidaire et principale, ce qui signifie que le contractant principal est tenu de faire respecter à tous ses sous‑traitants les termes du contrat, en particulier les conditions de travail.
Un mot sur la gouvernance : on ne peut pas vraiment accuser la Commission de « ne pas bien faire » mais plutôt de « ne pas agir » et d’ignorer les questions brûlantes actuelles. Nous avons poussé la Commission encore et encore à présenter une législation et à se montrer proactive. Mis à part l’un ou l’autre petit événement marquant, il nous manque une Commission qui se montre innovante et proactive dans le domaine de l’emploi et de la politique sociale. Au lieu de cela, nous sommes confrontés à une Commission qui a tendance à rendre la vie plus difficile aux acteurs dans le secteur de la politique sociale, ce qui n’amène pas les améliorations qui s’imposent en matière de droit du travail et défend avant tout les intérêts économiques. De plus, la Commission ne tente pas réellement de soutenir le programme de Lisbonne ou la stratégie en faveur du développement durable en ce qui concerne les thématiques sociales et de l’emploi.
La Commission se distingue par un déficit continuel d’action et d’initiative pour une vraie flexicurité, de nouveaux marchés du travail, l’égalité entre les hommes et les femmes, des normes minimales améliorées sur le marché du travail européen et un soutien à la mise en œuvre et au respect de la législation en matière de protection.
Le Conseil gêne également toute avancée sociale comme nous l’avons vu dans les dossiers législatifs importants tels que le temps de travail. Lorsque j’assiste aux séances du Parlement européen, je vois que l’on blâme des députés en leur qualité de décideurs politiques parce qu’ils ne rapprochent pas l’Europe de ses citoyens, et ce alors que les gouvernements envoient leurs ministres au Conseil pour bloquer tout avancée. Nous espérons qu’il y aura également une volonté de progresser dans le domaine de l’Europe sociale lors d’un prochain Conseil.
Au moins le Parlement a-t-il fait preuve d’ouverture en termes de compromis et de raison. Ce n’était pas facile de travailler en présence d’une majorité libérale-conservatrice et contre la tendance à une grande coalition ces deux dernières années. Mais, en général, une volonté d’améliorer l’Europe sociale se manifestait et nous espérons que le prochain Parlement fera avancer les choses, de façon à ce que nous puissions laisser derrière nous les incendies de forêts pour nous concentrer sur l’élaboration des politiques.
Pour conclure, cet article porte principalement sur des sujets relatifs à l’emploi. En matière de politique sociale, les compétences de l’UE sont très limitées. Les progrès sont lents, dépendent de la bonne volonté des États membres et se basent sur des instruments tels que la méthode ouverte de coordination qui aboutit à très peu de résultats concrets. C’est la raison pour laquelle cet article est centré sur une législation, une mise en œuvre et un programme concrets.