La crise écologique, dont la crise financière, due aux mêmes causes, n’est qu’un avant goût ; , engage l’humanité dans un processus ‘irréversible car les pertes occasionnées par cette crise écologique ne peuvent, contrairement aux banques, faire l’objet d’un renflouement. Notre modèle économique, basé sur une croissance ignorant les limites de la biosphère, y a largement contribué. La situation est d’autant plus explosive qu’on assiste, avec la montée en puissance des pays émergents, à l’universalisation progressive du modèle capitaliste consumériste. Pour les Verts, le renouvellement du Parlement européen en juin 2009 représente donc une opportunité majeure d’insuffler une autre dynamique dans le processus de construction européenne, via la mise en œuvre d’un « Green Deal » qui doit s’attacher à remettre fondamentalement en question notre modèle de « développement ».
La mise en œuvre d’un tel « New Deal » vert doit obéir à une double logique. D’une part, il doit remettre en cause le paradigme néolibéral européen et lui substituer d’autres lignes directrices pour restaurer, dans l’esprit initial de la Stratégie de Lisbonne : un juste équilibre entre les considérations d’ordre économique, social et environnemental. D’autre part, le « Green Deal » doit dépasser la restauration du rôle de régulateur et d’investisseur des autorités publiques. En effet, un retour à un schéma keynésien classique, sans changement de paradigme, est voué à l’échec. Pour être efficaces, les réponses à apporter à la crise économique ne peuvent être déconnectées de la crise climatique, de la raréfaction des matières premières ou encore, de la perte de biodiversité. Elles supposent une rupture par rapport à la logique économique dominante et, donc, une remise en question de la religion de la croissance ainsi que des inégalités sociales et des déficits écologiques qu’elle nourrit. Le « Green Deal » implique une « révolution culturelle » dans notre perception du bien-être, de la qualité de vie et de la prospérité. Il conduit à la reconsidération de la richesse à l’aune de nouveaux indicateurs, non plus de croissance mais de viabilité écologiques et de justice sociale1.
L’objectif de cet article est triple. Pour mieux appréhender l’ampleur des défis à relever dans le cadre de la législature 2009-2014, nous passerons d’abord en revue les traits saillants du contexte socio-économique européen ambiant qui fixe le décor dans lequel les écologistes doivent œuvrer. Nous rappellerons ensuite les grands axes d’un « Green Deal » et nous aborderons brièvement la stratégie européenne pour faire face à la récession économique, afin de mieux cerner les espoirs et les obstacles à relever. Enfin, nous esquisserons, en guise de conclusion, quelques principes clés préalables qui sous-tendent la refonte du modèle économique, pour relever le défi de la crise écologique.
Le rôle du Parlement européen sur les questions économiques
Politiques économiques et monétaires de l’Union : le PE dispose d’un pouvoir d’avis (pouvoir consultatif);
La libre circulation des capitaux et des paiements (paiements transfrontaliers, espace de paiements unique, etc.), la réglementation, la surveillance des services, institutions et marchés financiers, en ce compris les rapports financiers, les contrôles comptables, les règles de comptabilité, la direction d’entreprises et autres questions du droit des sociétés concernant spécifiquement les services financiers : en règle générale, le PE est co-législateur du Conseil, qui décide pour sa part à la majorité qualifiée;
Règles concernant la concurrence, les aides d’État ou les aides publiques : le PE dispose d’un pouvoir d’avis (pouvoir consultatif), tandis que la Commission dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en la matière;
La réglementation en matière fiscale : le PE est consulté, tandis que les décisions se prennent au Conseil à l’unanimité.
Les Verts au Parlement européen : navigation entre divers écueils
Le cadre économique européen repose sur deux convictions dominantes, intrinsèquement reliées et qui corsètent le champ d’action des écologistes. D’abord, il y a la présomption selon laquelle la compétitivité se traduit automatiquement par la croissance et, en l’occurrence, par la prospérité et le bien-être pour tous. D’où l’accent mis constamment sur l’ouverture et la compétitivité des marchés à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe dans la relance de la Stratégie de Lisbonne en vue de récolter les fruits de la mondialisation. Ensuite, il y a l’idée, largement véhiculée depuis plus d’un quart de siècle par les grandes institutions internationales telles que l’OMC, le FMI ou la Banque mondiale, qu’il n’existe d’autre salut pour les peuples que d’appliquer, à l’échelle planétaire, le « Consensus de Washington2 »pour accroître la richesse, et par ce biais, le bien-être humain. Sa mise en œuvre au niveau européen a pris l’allure d’une approche économique « taille unique » dont les grands axes représentent autant d’obstacles à franchir pour instaurer un « New Deal » vert, à savoir :
une sous-utilisation des politiques macro-économiques dont dispose l’UE (politique monétaire, budgétaire, des taux de change);
une Stratégie de Lisbonne axée sur la levée des obstacles aux échanges et qui fait des travailleurs la variable d’ajustement à la mondialisation;
un outil fiscal largement inexploité, en raison de la règle de l’unanimité;
des marchés financiers en roue libre.
1) Le rôle limité joué par les politiques macro-économiques
a) Politique monétaire
L’objectif de stabilité des prix (définie dans le Traité de Maastricht comme une inflation n’excédant pas 2%) est la priorité absolue assignée à la Banque Centrale Européenne. La poursuite de l’objectif de croissance et d’emploi devant, pour sa part, être poursuivi dans la mesure où la stabilité des prix est préservée (article 105 TCE). Partant du postulat qu’une inflation basse promeut la croissance, et donc l’emploi, la BCE les a considérés comme interchangeables (alors que des hausses successives des taux d’intérêt, motivées pour prévenir ou juguler l’inflation, causent également préjudice à l’activité économique qui en appelle à des taux plus bas).
Pour les Verts, le mandat de la BCE doit s’appliquer avec souplesse, le niveau des taux d’intérêt à court terme ne pouvant être fixé dans le seul objectif de contenir l’inflation. Néanmoins, la lutte contre l’inflation a globalement été adoptée de façon dogmatique, dans l’optique de rassurer les marchés financiers. Il s’agissait de convaincre les détenteurs de capitaux que leur argent est bien protégé contre l’inflation et le restera même si le chômage monte. Globalement, c’est donc une politique de restriction monétaire qui a été appliquée pour l’ensemble des pays de l’Eurozone. Les partenaires sociaux étant sommés pour leur part à s’en tenir strictement au principe de à la modération salariale, perçue, à l’instar des « réformes structurelles » qui visent à accroître la flexibilité du marché du travail, comme essentielle pour lutter contre l’inflation.
b) Politique des taux de change
La politique des taux de change est un autre instrument de la politique macro-économique. Alors que le Traité de l’Union européenne confie clairement la responsabilité de la politique des taux de change au Conseil (la BCE étant chargée de sa mise en œuvre), le Conseil des ministres de l’Economie et des Finances (ECOFIN) n’a jamais utilisé cette prérogative, ce qui n’a pas manqué d’être durement critiqué par les Verts. L’usage de cet instrument a, dans les faits, été confisqué par la BCE qui part du point de vue que la politique de change doit être décidée par les marchés. Dans les faits, étant donné que la lutte contre l’inflation est plus aisée lorsque l’Euro est fort, la BCE s’est fort bien accommodée de la situation existante, en dépit des difficultés que la cherté de l’euro occasionne pour certains pays européens.
Dans le cadre du « Green New Deal », les Verts estiment indispensable que le Conseil se réapproprie cet outil économique. Ils jugent en outre que l’approche privilégiée par l’UE est contre-productive pour faire face aux déséquilibres globaux. De fait, elle contraste avec celle adoptée par les pays émergents qui, pour rester compétitifs, refusent que leur monnaie s’apprécie. Ainsi, ils ont clairement opté pour une politique d’intervention sur les marchés de change qui se fait aux dépens de l’UE…
c) Politique budgétaire
La politique budgétaire des Etats membres est un outil essentiel au bon fonctionnement d’une société soucieuse d’une certaine équité et solidarité entre ses membres ainsi que d’une amélioration du cadre de vie. Elle constitue aussi un outil crucial pour réorienter, entre autres par les secteurs qu’elle soutient, les modes de production. Mais cet outil a été globalement sous-exploité, faute d’une coordination étroite des gouvernements, mais aussi par choix délibéré. De façon générale, jusqu’à l’éclatement de la crise financière, le principe de la consolidation budgétaire (politique de restriction budgétaire, encadrée par le Pacte de Stabilité et de Croissance3) a été érigé comme un but en soi, sans tenir des conflits potentiels entre le besoin de limiter la dette publique et la Stratégie de Lisbonne qui en appelle à une politique intelligente d’investissements privés et publics, notamment pour relever le défi des dérèglements climatiques.
2) Stratégie de Lisbonne
La Stratégie de Lisbonne qui vise à faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde » tient lieu de politique industrielle de l’Union pour faire face à la concurrence des Etats-Unis et des pays émergents. L’achèvement du marché intérieur, au moyen d’un désengagement accru de l’Etat dans la sphère économique (comme l’attestent par exemple la politique de réduction des aides d’Etat ou la vague de libéralisation en Europe, qui a touché l’ensemble des services publics) est au cœur de ce dispositif. Dans son volet externe, la Stratégie de Lisbonne mise également sur l’ouverture accrue des échanges et s’attelle à démanteler toute forme de protectionnisme. L’idée sous-jacente est que l’Europe peut à la fois être plus compétitive que la Chine et l’Inde et résoudre le problème du chômage par la solution miracle de ses exportations high tech, au moyen d’une stratégie européenne axée sur la formation, la promotion de la recherche et du développement, combiné avec plus de « flexibilité » des conditions de travail. Ce sont les fameuses « réformes structurelles » auxquelles les Verts se sont généralement opposés, tant elles servent d’alibi pour détricoter les droits sociaux. In fine, c’est un modèle économique où il revient aux systèmes sociaux des Etats membres de l’Union de s’ajuster aux exigences d’une compétition globale plus acharnée tandis que les travailleurs deviennent des variables d’ajustement à la mondialisation.
3) Absence d’approche européenne en matière fiscale
La politique fiscale constitue un instrument de régulation économique capable d’influencer la redistribution des revenus, la consommation ou les modes de production. De même, la fiscalité environnementale est un instrument flexible pour appliquer le principe du pollueur-payeur ou pour réussir à réduire la pollution à la source. La règle de l’unanimité, justifiée au nom du principe de subsidiarité, est combattue par les Verts car elle tue systématiquement dans l’œuf toute initiative ambitieuse en la matière. Pire, la « souveraineté fiscale » a servi d’alibi aux partisans de la concurrence fiscale pour qui l’harmonisation doit se faire par les marchés. Dans un contexte de marché intérieur intégré, la concurrence fiscale s’est ainsi opérée sur le dos des travailleurs4, des Etats (de par l’érosion des recettes fiscales qu’elle provoque) et au mépris de la protection de l’environnement.
4) Des marchés financiers en roue libre
La libre circulation des capitaux est une des quatre libertés fondamentales de l’UE. Au grand dam des Verts, la foi de la Commission dans les vertus du marché, et son a priori négatif envers le rôle de l’Etat dans l’économie, a d’emblée faussé les débats : l’autorégulation des marchés ou l’adoption de codes de bonne conduite non contraignants étant privilégiée par rapport à toute mesure législative, sous prétexte qu’elle briderait le dynamisme et la créativité du secteur.
Les effets désastreux de la déréglementation des marchés financiers, censée doper l’économie de façon vertueuse, ont à présent éclaté au grand jour… L’UE est-elle prête à tirer les leçons qui s’imposent ? La voie serait donc libre pour instaurer un « New Deal vert » européen ?
Réponse européenne à la crise économique : changement de paradigme?
A en croire certains journaux, l’UE aurait changé avec la crise financière et économique. D’aucuns parlent de « mue » de l’UE. Dans un contexte de crise financière systémique, les Etats sont soudainement apparus comme les « chevaliers blancs », seuls capables d’empêcher l’effondrement du système et de restaurer un minimum de confiance dans les marchés. De même, l’idée qu’il faudrait mieux réguler les marchés financiers fait son chemin. Le plan de relance européen (qui, dans les faits, consiste en une simple coordination de plans d’action nationaux) va même jusqu’à renouer avec une politique plus keynésienne. Il veut relancer l’économie par une politique d’investissements visant à relancer la consommation, quitte à accroître temporairement les déficits publics. De même, suite à la forte baisse de l’inflation (elle avoisine actuellement le taux de 1,6%), la BCE s’est montrée attentive aux risques de récession, et a baissé ses taux directeurs en conséquence. Enfin, les secteurs de l’énergie et de l’environnement sont à présent considérés comme capables de redynamiser un système économique à bout de souffle… Au vu de ces circonstances exceptionnelles, l’UE autorise temporairement les aides d’Etat, alors qu’elles sont habituellement dans sa ligne de mire car elles sont suspectées de fausser la concurrence… L’UE serait-elle donc en train de changer de fusil d’épaule et, du même coup, donnerait-elle raison aux écologistes qui ont n’ont eu de cesse de combattre ce credo du « tout au marché » et de réhabiliter le rôle des autorités publiques en tant qu’investisseur économique et régulateur ?
A première vue, les autorités européennes s’écartent des recettes habituelles que nous avons exposées dans la première partie. Mais ne nous berçons pas d’illusions. Il faut distinguer le conjoncturel du structurel. La logique des « 3T », martelée à de multiples reprises sous présidence française, ne trompe pas. L’intervention étatique des derniers mois se veut clairement « temporaire », « ciblée », et « intervenant au bon moment »5, en réponse à la conjoncture actuelle. Mais l’essentiel réside dans les « réformes structurelles » qu’il faut poursuivre (dont celles du marché du travail, axées sur une demande accrue de flexibilité) tandis que l’ouverture accrue des marchés et le rejet de tout protectionnisme restent les pierres angulaires de la relance économique. En clair, le cœur du programme européen, qui puise dans le modèle néolibéral, est intact.
Au-delà des discours politiques indignés, vitupérant contre les agissements des acteurs financiers, les velléités pour réformer les règles financières restent à ce stade des plus timorées. Elles se limitent le plus souvent à plaider pour une correction à la marge des « imperfections du marché », au moyen d’une « transparence » accrue de ses règles. En aucun cas, des mesures telles que la suppression des paradis fiscaux, la régulation stricte des fonds spéculatifs, l’interdiction des techniques telle que la titrisation ou les « ventes à découvert », etc. ne sont à l’ordre du jour… Or, elles constituent précisément autant d’axes d’action d’un « Green New Deal »…
Crise financière
Stabilisation des marchés financiers : Coup de projecteur sur les mesures phares prises à ce jour au sein de l’UE :
Tout d’abord, il convient de distinguer ce qui relève d’une logique de gestion de crise (qui s’inscrit dans le court terme) de celle de la stabilisation des marchés financiers (qui répond à une stratégie de plus long terme).
Sur le plan de la « gestion de crise », le Conseil européen des 15-16 octobre 2008 a joué un rôle décisif (en entérinant les décisions prises préalablement par l’Eurogroupe et l’ECOFIN). Trois mesures phares ont été adoptées : la garantie des prêts interbancaires, la recapitalisation des banques et la révision des normes comptables qui reposent sur le concept de « juste valeur6 » (fair value).
Sur le plan législatif, un vaste chantier a été ouvert pour instaurer une nouvelle architecture des marchés financiers au niveau de l’UE. 2009 sera donc une année décisive pour boucler divers dossiers en cours visant à consolider le cadre réglementaire du système financier européen.
Concrètement, en vue de dépasser la gestion de crise et de renforcer la réglementation et la surveillance, la Commission a fait plusieurs propositions :
révision de la directive sur les garanties des dépôts7 : un accord en première lecture a été obtenu le 18 décembre dernier, dans lequel le PE a approuvé la position de la Commission européenne visant à relever à au moins 50.000 euros le niveau de garantie minimum au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle législation ; d’ici le 31 décembre 2010 au plus tard, la garantie de l’ensemble des dépôts d’un même déposant sera fixée à 100.000 euros (il s’agit donc d’une harmonisation maximale), pour autant qu’une analyse d’impact de la Commission européenne (attendue pour avril 2009) « conclue qu’une telle augmentation est financièrement viable pour l’ensemble des Etats membres »;
normes comptables : la Commission a approuvé le 31 octobre 2008 les recommandations de l’IASB (International Accounting Standards Board) sur l’application de l’évaluation à la juste valeur en cas d’inactivité des marchés;
révision de la directive sur les exigences en fonds propre, dont un des volets est l’amélioration de la gestion des risques des instruments titrisés (en cours) ; la Commission propose que les règles qui s’appliquent aux créances titrisées soient plus strictes. Les entreprises qui reconditionnent des créances pour les proposer en tant que titres négociables devront conserver une partie de l’exposition à ces titres à hauteur de 5% ;
règlement sur les agences de notation (en cours) : celles-ci ont largement été mises en cause dans la crise pour avoir sous-estimé les risques de produits financiers opaques, et de la sorte, provoqué la propagation des risques ; le fait qu’elles constituent de facto un oligopole n’est pas l’objet de préoccupation de la Commission ; par contre, elle propose plusieurs mesures pour éviter les conflits d’intérêts8 (à savoir noter les clients à qui elles prodiguent également des conseils pour mettre au point des produits financiers à risque), ainsi qu’une procédure d’enregistrement de celles-ci ;
révision de la directive épargne en vue de lutter plus efficacement contre l’évasion fiscale sur le continent européen (en cours) : la Commission propose entre autres d’étendre le champ d’application de la directive aux produits financiers plus innovants, notamment certaines assurances-vie, et aux fondations, jusqu’ici laissées dans l’ombre de la directive ;
autres chantiers sur lesquels la Commission doit tabler : des propositions sur la rémunération des dirigeants d’entreprises, ainsi que sur les fonds spéculatifs, tels que les hedge funds & private equity ;
en termes d’amélioration de la « surveillance » des marchés financiers : mise en place du Groupe De Larosière, dont le mandat est d’étudier l’organisation des institutions financières européennes, leur solidité prudentielle, la surveillance des marchés, etc. Les conclusions initiales des travaux du Groupe De Larosière seront rendues à la mi-mars. Il devrait esquisser le futur plan de supervision des marchés financiers dans l’UE.
Enfin, pour traiter des répercussions de la crise financière sur l’économie réelle, la Commission a lancé, en novembre dernier, un vaste plan de relance européen (voir dans le texte).
Pour un « New Deal vert » européen : perspectives d’avenir
1) « Ecologie, l’avenir de l’économie » : nouveau fil conducteur de l’UE ?
De prime abord, on peut se réjouir qu’une des leçons tirées de la crise soit de ne plus opposer « environnement et économie ». Le plaidoyer du président de la Commission Barroso en 2005 pour une Stratégie de Lisbonne qui se recentrait sur la croissance et l’emploi, en l’amputant de son volet environnemental, contraste avec le plan de relance économique qui fait à présent de la lutte contre le réchauffement climatique une opportunité pour la relance économique. Sur ce plan, le temps a donc donné raison aux Verts qui n’ont eu de cesse de marteler que les trois dimensions de la Stratégie de Lisbonne devaient être traitées strictement sur un pied d’égalité : la protection de l’environnement n’étant pas un obstacle au dynamisme économique mais un de ses moteurs.
Les horizons européens s’ouvrent pour un « Green New Deal » européen : l’investissement dans l’économie verte (par exemple dans les technologies propres, l’efficience énergétique, les écoproduits, les énergies renouvelables…) qui constitue une de ses idées phares fait à présent l’objet d’un consensus grandissant. De fait, pour les partis traditionnels, l’ »économie verte » représente soudainement une aubaine pour relancer la machine économique9. Elle donne une impulsion nouvelle à la recherche scientifique et technologique. Elle est porteuse de nouveaux marchés à conquérir, tandis qu’elle ouvre de nouvelles filières d’emplois, notamment à travers la création d’éco-produits et d’éco-services. En ce sens, la construction d’alliances au sein du PE pour promouvoir l’investissement public dans les secteurs « verts », développer des marchés publics verts, promouvoir une fiscalité verte et défendre les principes d’éco-construction, éco-rénovation, éco-conception, éco-technologies, éco-produits, management environnemental, s’en trouvera probablement facilitée dans la prochaine législature, en dépit des majorités en place.
Néanmoins, ces nouvelles convergences de vue des partis traditionnels avec les fondements de l’écologie politique s’arrêtent là. Car l’interprétation du concept du « développement durable » par la majorité des acteurs publics et des entreprises consiste exclusivement à minimiser l’impact environnemental du système capitaliste productiviste, sans en changer les règles. En clair, pour les partis traditionnels, le « New Deal » vert est réductible à son volet d’ »efficience environnementale »; il vise à insuffler une seconde jeunesse au système capitaliste-productiviste où l’objectif de croissance (quantitative) et la consommation restent la priorité absolue. Or cette stratégie réductrice qui repose sur la certitude que la science et la technologie résoudront tous les problèmes, est vouée à l’échec tant qu’elle alimentera une croissance ne respectant pas les limites réelles de la biosphère. La gravité de la crise écologique requiert des changements plus fondamentaux, de nature systémique.
2) « New Deal vert » européen : deux fers au feu
Le « New Deal vert » doit certes développer une batterie de mesures qui, sur le court terme, promeuvent les « emplois verts » et l’efficience énergétique. Ces mesures sont essentielles pour freiner le rythme de dégradation de la planète. Mais elles ne suffiront pas car le bénéfice environnemental d’une telle stratégie sans changement de paradigme peut être beaucoup plus faible qu’espéré. A titre d’exemple, le fait que les voitures soient moins polluantes à l’avenir n’apportera aucune réponse aux dérèglements climatiques si le volume total du transport routier continue de s’accroître. Au contraire, des voitures consommant moins pourraient nous inciter à voyager plus souvent et plus loin, ce qui provoquera une croissance des émissions de gaz à effet de serre ! Le renforcement de l’efficacité énergétique ne nous met pas à l’abri de ce qu’on appelle « l’effet rebond10. Les technologies efficaces peuvent inciter à l’augmentation de la consommation, les gains de productivité énergétique étant plus que compensés par un accroissement de quantités consommées.
Autrement dit, il est chimérique de croire qu’une cure d’efficacité permettra de résoudre les problèmes écologiques dans une économie en croissance. Elle ne suffira pas à limiter le pillage des richesses naturelles. Une réelle prise en compte des « effets rebonds » remet donc en cause la sacro-sainte logique de croissance économique, selon laquelle il faut innover sans cesse pour produire plus et consommer plus.
3) Changer de cap
Pour aller plus loin, il faudra briser certains tabous. La libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux sont les règles cardinales du marché intérieur. Or, nous l’avons dit : le libre échange, appliqué de façon dogmatique, est le premier responsable de la crise climatique, financière et de l’épuisement des matières premières. Il faut donc remettre en question le tabou de la liberté absolue des échanges érigé au nom du refus du protectionnisme ! On doit par exemple envisager sans complexe certaines limites à la libre circulation des capitaux, notamment dans l’objectif de lutter contre les paradis fiscaux : source d’évasion fiscale, ils constituent également de véritables « trous noirs » en matière de supervision et réglementation financières. Il faut pouvoir contester la libéralisation généralisée des marchés agricoles, qui se fait aux dépens de l’aspiration légitime à la souveraineté alimentaire. Quant à la productivité du secteur agroalimentaire, elle doit se mesurer en intégrant dans son bilan la totalité des coûts (prélèvement d’eau, pollution des nappes phréatiques, des fleuves, maladies liées à l’usage intensif de pesticides, vache folle, dégradation de la qualité gustative, sanitaire et nutritive, etc.).
De même, il faut démystifier les bienfaits de la mondialisation économique, non pas selon une approche dogmatique, mais parce que c’est la seule manière de réduire réellement les émissions de gaz à effet de serre produites par les transports. A partir du moment où l’on tiendra compte de l’empreinte écologique du développement, que l’on internalisera les coûts de la dette écologique dans le prix des produits, une forme de « relocalisation de l’économie », avec le développement de circuits courts, générateurs d’emplois et de création de nouveaux tissus sociaux, s’imposera comme une évidence pour l’ensemble des acteurs économiques, dans l’intérêt citoyen. De même, il nous conduira à revoir nos modes d’usage des produits.
De façon plus fondamentale, il faut oser aller à l’encontre d’une forme de pensée unique selon laquelle « notre bonheur doit impérativement passer par plus de croissance, plus de productivité, plus de pouvoir d’achat, et donc plus de consommation11 ». La dimension citoyenne n’est pas réductible à un profil de « turbo-consommateur »! Aux drogués du productivisme et du « tout au marché », il faut rappeler que « les limites de la croissance sont définies à la fois par le volume des stocks disponibles de ressources naturelles non renouvelables et par la vitesse de régénération de la biosphère pour les ressources renouvelables »12. En cela, il est essentiel de se détacher de l’icône du PIB, comme unique instrument de mesure de richesses, tant ses lacunes sont patentes. Le paradoxe de cet indice est en effet que des accidents de la route, la déforestation, le coût du stockage des déchets radioactifs, la dépollution de sites contaminés, pour ne s’en tenir qu’à quelques exemples, peuvent être comptabilisés comme producteurs de croissance. Cet enjeu est d’autant plus prioritaire qu’un large mouvement de réflexion s’est déjà amorcé sur la scène internationale pour aller au-delà du PIB, en tant qu’indicateur de richesses et de bien-être (cfr. la Déclaration d’Istanbul, sur « mesurer et favoriser le progrès des sociétés » signée en juin 2007, par la Commission européenne, l’OCDE, les Nations Unies, la Banque Mondiale… dans le cadre du second Forum mondial de l’OCDE « Statistiques, connaissances et Politiques » ). Il est de plus en plus évident pour la communauté scientifique qu’au-delà d’un certain seuil, la croissance du PNB se traduit par moins de bien-être. C’est donc essentiellement une question de volonté politique que d’opérer le virage qui s’impose, dans l’intérêt de tous les citoyens.
En bref, pour inverser la tendance, il faut agir en amont et d’une façon holistique : le développement d’indicateurs alternatifs de bien-être et de qualité de vie, l’internalisation des coûts des modes de production et de consommation, l’instauration d’une nouvelle hiérarchie de normes, où les considérations d’ordre social environnemental ou de santé publique doivent primer sur celles du commerce….
Tous ces points constituent donc la matrice du projet de « New Deal » vert européen. Ces principes phares doivent ensuite se décliner dans l’ensemble des politiques économiques et commerciales de l’UE, et s’accompagner d’une nouvelle logique de redistribution des richesses. Pour les Verts, la refonte du modèle économique autour de ces axes passe inévitablement par la rupture du modèle économique dominant. Voilà ce qui les distingue fondamentalement des revendications des partis traditionnels, mais place le projet de l’écologie politique à l’avant-garde. C’est à ce vaste chantier que s’attaqueront les écologistes dans le cadre des prochaines élections européennes.
1Sauver la Terre, Yves Cochet et Agnès Sinaï, Fayard, Paris, 2003, p. 113.
2 Le Consensus de Washington recouvre un ensemble de directives de politique économique, rédigées par un groupe d’économistes américains, de fonctionnaires de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international dans le courant des années 1980, dont les maîtres mots sont libéralisation, dérégulation et privatisation.
3 Le Pacte de Stabilité et de croissance, adopté en 1997, fixe trois règles principales :
– le déficit public doit rester inférieur à 3% du PIB;
– la dette publique doit être contenue en dessous de 60% du PIB;
– les Etats doivent viser l’équilibre budgétaire à moyen terme.
4Le mécanisme est bien connu : les Etats Membres se font concurrence pour attirer le capital et les entreprises et préfèrent donc ne pas les taxer trop lourdement. En conséquence, le fardeau fiscal s’est déplacé de plus en plus vers les facteurs de production non mobiles, particulièrement le travail qui est une base d’imposition facile et relativement stable, en évitant les facteurs de production plus mobiles (multinationales, capital financier, travailleurs hautement qualifiés).
5La logique des « 3 T » (« timely, targeted, temporary » en anglais) constitue ainsi la trame de fond de l’action européenne, telle qu’entérinée par le Conseil européen de décembre des 11 – 12 décembre 08.
6C’est-à-dire que les entreprises doivent être évaluées en tenant compte du prix des marchés des actifs qu’elles possèdent, de manière à permettre aux investisseurs de connaître leur véritable valeur marchande. Le problème, c’est quand les bourses s’écroulent, les banques sont davantage fragilisées par l’application du principe de juste valeur, car la valeur de leurs actifs tombe !
7Cette directive n’avait plus été révisée depuis 1994. Et en juillet 2005, le Commissaire Mc Creevy avait jugé inutile de la revoir.
8Actuellement, les agences de notation (ex : Standard and Poor’s, Moody’s ou Fitch) sont payées par les entreprises qu’elles notent. Pour promouvoir la transparence des agences de notation et éviter les conflits d’intérêts (à savoir : aider les entreprises à monter les opérations financières, d’une part, et garantir que ces opérations financières soient sans risque, d’autre part), la Commission propose diverses mesures :
– les agences de notation devront s’abstenir de jouer le rôle de conseil, afin d’éviter de participer à l’élaboration des produits financiers à risque.
– Gouvernance :
– au sein des Conseils d’administration et de surveillance, deux personnes devront avoir une rétribution qui ne dépende pas des performances de l’agence.
– les agences devront divulguer le nom de toute entreprise qui travaille pour elles et leur rapporte plus de 5% de leurs revenus annuels.
– la Commission propose un système d’enregistrement (à l’instar des USA), avec possibilité de retirer éventuellement la licence des agences de notation.
9« Consommer mieux, autrement, moins », Paul-Marie Boulanger, Revue Etopia n°4, Namur, 2008.
10Paul-Marie Boulanger, op. cit.
11Le pari de la décroissance, Serge Latouche, Fayard, p. 14.
12Idem, p. 17.