Après une présentation des approches économiques qui intègrent l’environnement dans leurs théories, cet article expose d’une part un panel d’outils de management durable utilisés par les entreprises et présente d’autre part la prise en compte récente de l’environnement en tant que secteur économique porteur par les pouvoirs publics belges francophones.

1. Approches économiques théoriques du développement durable

Le lien entre développement, croissance et environnement fait l’objet, dans le champ de la discipline économique, de diverses positions. De la théorie économique dominante, qui défend l’idée de croissance durable, en passant par l’économie écologique, qui s’attelle à penser en termes de « limites », sans oublier les critiques qui remettent en question la notion même de développement, la section suivante présente brièvement trois approches principales.

1.1. La théorie néoclassique ou la soutenabilité faible

La science économique est actuellement complètement dominée par le paradigme néoclassique. Celui-ci tente de répondre aux enjeux du développement durable sans remettre en question les règles actuelles du jeu, mais en présentant un nouveau modèle, toujours basé sur la croissance. Ainsi, selon ses partisans, la croissance (durable) va dans le sens du développement et de la protection de l’environnement. L’idée sous-jacente est assez bien traduite par Beckerman : « Il y a une évidence claire que, bien que la croissance économique provoque normalement des dégradations environnementales aux premiers stades, à la fin le meilleur – et probablement le seul – sentier pour retrouver un environnement décent dans la plupart des pays est de devenir riche »1. Cette conception est illustrée par la courbe environnementale de Kuznets (figure 1).

Figure 1 : Courbe environnementale de Kuznets

Celle-ci fait l’hypothèse que lorsque les besoins primaires (se loger, respirer, boire, manger, se protéger du froid et de la chaleur…) de la population sont pourvus, on atteint un seuil où le souci pour l’environnement s’accroît. Dès lors, la tendance s’inverse, la pollution liée à l’industrialisation retrouve des niveaux acceptables. Si cette relation valide l’hypothèse pour certains polluants localisés (dioxyde de soufre, dioxyde d’azote), elle semble moins applicable pour les polluants aux effets plus globaux sur l’environnement.

Pour soutenir ce modèle, il faut absolument investir (accumuler du capital) afin de produire des biens et des services et transmettre ce stock de capital aux générations futures. Ce capital est constitué de différents éléments qui peuvent se substituer les uns aux autres (soutenabilité faible) : le capital créé par les hommes peut facilement remplacer le capital naturel (ressources naturelles). Pour les défenseurs de cette approche, il n’y a pas de différence essentielle entre les deux formes de capital.

Figure 2: Soutenabilité faible

Selon eux, si l’intervention de l’Etat est souhaitée pour soutenir l’innovation, la formation et l’information en matière environnementale, c’est bien le marché qui tire les ficelles. A lui d’assurer la meilleure allocation des ressources et de fixer leur prix, notamment celui des ressources naturelles afin de les faire rentrer dans le système marchand. L’internalisation des externalités (l’application du principe du pollueur-payeur) est assurée automatiquement.

L’approche présentée comporte trois limites essentielles :

1.Une confiance excessive dans le progrès technique. Celui-ci n’est pourtant ni automatique, ni providentiel. Il doit être orienté et doit pouvoir s’appuyer sur une base matérielle et notamment énergétique.

2.La difficulté du marché à tenir compte des évolutions à long terme, qui débouche sur une multiplication des incertitudes et empêche les agents économiques de toujours faire les bons choix.

3.La non-prise en compte du caractère épuisable des ressources naturelles et la foi dogmatique dans le principe de substitution entre capital naturel et capital économique.

Aurélien Boutaud, docteur en sciences de l’environnement et spécialiste français de l’empreinte écologique, précise les limites de l’approche néoclassique en proposant une formulation nouvelle du lien entre croissance, développement et environnement. Boutaud a ainsi représenté graphiquement2 (figure 3) la position des nations en fonction de leur niveau de développement humain (IDH en ordonnée) et de leur impact sur l’environnement (empreinte écologique en abscisse). Pour rappel, l’IDH, développé par le PNUD, prend en compte trois critères : la longévité (mesurée par l’espérance de vie), le savoir (mesuré notamment par le taux d’alphabétisation) et le niveau de vie (calculé à partir du PNB par habitant). Il contient donc bien des performances économiques et sociales d’un pays. Le second indicateur, l’empreinte écologique, permet d’évaluer la consommation des ressources et les besoins d’absorption des déchets d’une population humaine ou d’une économie donnée, en terme de superficie correspondante de sol productif. Il mesure donc la performance environnementale d’un pays.

Figure 3 : Empreinte écologique (ha/hab.) et IDH

La lecture du graphique 3 nous amène à localiser la zone de développement durable « soutenable » dans le coin inférieur droit, justement là où aucun pays ne se situe… Si le modèle proposé n’est pas exempt de critiques, il permet néanmoins de tirer deux conclusions majeures. La première nous fait découvrir la courbe du développement « classique ». Celle-ci part des pays pauvres dont l’indice de développement humain est très faible et la ponction sur l’environnement bien en dessous du quota universel des 1,8 hectares globaux disponibles par habitant. La courbe s’élève ensuite rapidement démontrant par là que les premiers et principaux gains de développement humain ne se concrétisent pas au détriment de l’environnement. Enfin, elle a tendance à s’envoler pour finir totalement à la verticale, comme pour démontrer que tout développement humain supplémentaire (qui est déjà « soutenable » à ce stade-ci) s’appuie sur une forte dégradation de l’environnement. On ne s’étonnera pas de retrouver dans cette zone les pays dits « les plus avancés ».

La deuxième conclusion tient à la distance qui sépare tous les pays du carré du développement durable. Pays ultra-avancés ou pays pauvres, tous sont en voie de développement durable car ils sont, les uns comme les autres, aussi loin de cet objectif . Il existe donc une multitude de chemins pour arriver à la durabilité, ce qui bouscule solidement les théories classiques du développement prônant une voie unique.

1.2. L’économie écologique ou la soutenabilité forte

En marge de la théorie dominante, l’économie écologique met l’accent sur les dommages environnementaux causés par la logique accumulative et prône la nécessaire prise en compte des phénomènes environnementaux.3

1.2.1. L’approche conceptuelle de l’économie écologique

Au cœur de la pensée des partisans de l’économie écologique, on retrouve la nécessaire prise en compte des limites. Il existe en effet une tension entre la rationalité économique (qui vise à maximiser le profit) et la logique écologique qui vise à éviter l’épuisement des ressources. Pour prendre en compte cette problématique, trois principes de prudence4 prévalent :

•Les taux d’exploitation des ressources naturelles renouvelables doivent être égaux à leurs taux de régénération. On veillera par exemple à replanter un nombre d’arbres suffisant dans les forêts utilisées à des fins commerciales.

•Le taux d’utilisation des ressources non-renouvelables ne devrait pas excéder le taux auquel les alternatives durables peuvent être développées.

•Les émissions polluantes doivent rester dans des proportions telles qu’elles puissent être assimilées par l’environnement.

A la différence des néoclassiques, les économistes écologistes soutiennent que les ressources issues du capital naturel et celles issues des autres facteurs de production (financier, technique, connaissance) sont complémentaires et non plus totalement substituables. On parlera à cet égard d’une conception forte de la durabilité.

Figure 4 : Soutenabilité forte

A leurs yeux, l’économie doit maintenir un « stock » suffisant de ressources naturelles pour permettre aux générations futures de répondre à leurs besoins. Dès lors, les outils économiques à mettre en place sont beaucoup plus normatifs et basés sur la contrainte : les normes écologiques, les écotaxes et les droits de polluer (dont le protocole de Kyoto est un exemple) s’inscrivent dans cette démarche.

1.2.2. Quelques instruments

Les approches d’économie circulaire et d’économie de fonctionnalité s’inscrivent dans l’économie écologique.

L’écologie industrielle et l’économie circulaire

Pour Robert Frosch et Nicholas Gallopoulos, le système industriel peut être considéré comme une forme particulière d’écosystème. Au cœur de la pratique d’écologie industrielle, on prend soin d’étudier et de mesurer les flux de matières et d’énergie qui circulent dans nos systèmes productifs afin de déterminer les transformations susceptibles de rendre le système comparable au fonctionnement « normal » des écosystèmes biologiques. A l’image des chaînes alimentaires dans les écosystèmes naturels, le déchet d’une entreprise devient une ressource pour l’entreprise voisine. Un seul mot d’ordre : valoriser systématiquement ses déchets. L’écologie industrielle incite également à la dématérialisation de l’économie, soit une diminution des flux totaux de matières (et d’énergie) tout en assurant des services au moins équivalents, en produisant des objets plus légers, ou en repensant complètement leur utilisation. Un autre défi est la décarbonisation de l’énergie en rendant la consommation d’hydrocarbures moins nocive (par exemple en récupérant le gaz carbonique issu de la combustion) et en favorisant la transition vers une société de sobriété énergétique, moins dépendante des énergies fossiles (énergies renouvelables et économies d’énergie).

Passionnante en théorie, mais complexe à mettre en place en pratique, l’écologie industrielle incite à repenser la relation entre les acteurs économiques, en insistant sur la coopération plutôt que sur la concurrence5. C’est ainsi que, pratiquement, on parlera d’économie circulaire (ou en boucle) quand plusieurs entreprises collaborent ensemble afin que les sous-produits des uns servent de ressources aux autres. Il existe déjà en Europe des écoparcs offrant une réelle « symbiose industrielle » ou « d’écologie industrielle », comme à Kalunborg, au Danemark. Dans ce système d’échanges de matières et d’énergie coopèrent, depuis 30 ans, une centrale électrique, une raffinerie de pétrole, une société de biotechnologies, une industrie de plâtre, une exploitation d’aquaculture et la municipalité. Des calculs de rentabilité ont montré que le surcoût de cette organisation a été remboursé en cinq ans grâce aux économies d’énergie réalisées.

L’économie circulaire peut aussi s’appliquer dans le cadre de filières complémentaires (au travers notamment de bourses aux déchets comme il en existe une, inexploitée, au niveau fédéral belge) ou à l’échelle d’un territoire (une sous-région, une commune…).

L’économie de fonctionnalité

Dans la plupart des modèles d’entreprises, le bien produit doit devenir obsolète ou être utilisé assez rapidement afin que les clients en réclament et en achètent de nouveaux. Cette logique associe donc les bénéfices des entreprises au renouvellement des biens, ce qui amène à en produire toujours plus. L’économie de fonctionnalité vise à casser cette spirale en remplaçant la vente du bien lui-même par la vente de l’usage du bien6. On louera donc l’utilisation d’une photocopieuse au lieu de la vendre, on louera une voiture au lieu de la vendre, etc. En louant un bien, on associera alors les bénéfices des entreprises à la durée de vie des biens qu’elles loueront. Certaines entreprises ont déjà muté leurs activités de vente vers des activités de location (Xerox…) ou de maintenance (Michelin…) tout en continuant à prospérer.

Cette économie de fonctionnalité ne livrera tous ses avantages sur le plan environnemental que si l’entreprise de location prend en charge le produit loué durant toute sa durée de vie. Pour cette raison, il faut envisager de maintenir le droit de propriété d’un bien à son fabricant et ce jusqu’à la fin de vie du bien. Une entreprise automobile serait alors responsable de son parc de voitures durant toute la durée de leur utilisation et serait en charge de leur « déconstruction » (et transfert dans des filières de revalorisation) en fin de vie. La nature des métiers se modifiera puisqu’il faudra concevoir les voitures pour qu’elles durent. On verra alors apparaître des métiers dans la maintenance, la réparation, la récupération et la valorisation, souvent plus exigeants en main d’œuvre et difficilement délocalisables.

1.3. Vers un autre développement : écodéveloppement ou décroissance ?

Aucun des deux courants précédents ne remet en cause le modèle occidental de développement. D’autres courants, plus minoritaires, prolongent la critique en remettant en cause la société de consommation et en encourageant l’autolimitation des besoins. Quand il s’agit de proposer une alternative, les partisans d’un autre développement – Ignacy Sachs en tête – ne s’éloignent pas de la vision du capitalisme réformé des trente glorieuses, mais reviennent plutôt à ses principes, tels que redéfinis après la seconde guerre mondiale : le plein-emploi comme objectif central, l’état protecteur et la planification7. A l’idée de développement économique, s’ajoutent donc le progrès social et la gestion raisonnable des ressources naturelles, le tout dans une approche participative où Etat, marché, et société civile cohabitent de façon équilibrée. Plus question cependant de dicter LA marche à suivre : cet autre développement doit s’inscrire dans une culture, une histoire, une identité, un ensemble de valeurs propre aux communautés. A chaque communauté de définir son propre « style de développement ».

La question de la pauvreté comme enjeu (ou comme critère) de la durabilité refait également surface. Celle-ci n’est plus considérée comme une menace pour l’environnement et la protection de celui-ci n’est plus seulement perçue comme une « préoccupation de riches ». Le terme « écologisme des pauvres » résume ce mouvement : il se manifeste par des conflits sociaux ayant un contenu écologique, réclamant davantage de justice sociale et faisant intervenir des populations pauvres, rurales ou autochtones.

Face aux promoteurs d’un « autre développement », d’autres voix s’élèvent et rejettent l’idée même de développement, concept ethnocentrique entraînant l’occidentalisation du monde. Partant du constat que les ressources disponibles sont limitées, la pensée « décroissante » invite l’individu et la société à s’interroger sur les notions de « besoin » et de « suffisance ». Ainsi « La décroissance conviviale », « l’austérité joyeuse », « l’abondance frugale » ou encore « l’économie de la sobriété » remettent en cause le dogme de la rationalité économique et redéfinissent les bases d’un après-capitalisme.

Les partisans de la décroissance mettent également le phénomène de « l’effet rebond » en avant pour montrer que l’efficacité et le progrès technologique sont fondamentalement liés à une augmentation de la consommation des ressources. Ainsi les voitures qui consomment peu d’énergie nous permettent d’aller plus loin pour le même prix, les produits électroniques de plus en plus miniaturisés nous permettent d’en offrir à chaque membre de la famille… Les industries et les services toujours plus efficaces nous permettent au final de consommer toujours plus. De par ce phénomène, l’amélioration de l’efficacité avec laquelle notre économie transforme des ressources physiques en produits et services jugés utiles par des consommateurs ne permet pas de réellement réduire la consommation absolue de ces ressources physiques. Les partisans de la décroissance prônent dès lors l’« innovation frugale », à savoir une innovation « où notre intelligence sert à produire mieux et moins, plutôt que mieux et toujours plus ».

1.4. Economie et développement durable : des visions multiples

Les trois modèles présentés définissent ainsi trois visions du développement, en dynamique perpétuelle. Face à un premier courant de pensée (néo-classique) qui se base sur la poursuite de la croissance comme moyen d’atteindre un modèle soutenable, l’économie écologique pose le problème des limites d’une croissance subordonnée aux ressources naturelles disponibles en quantité finie, sans pour autant remettre en cause le modèle de développement dominant. Les théoriciens de la décroissance proposent de sortir d’un modèle centré sur l’économisme comme valeur reine pour ouvrir la réflexion sur une société « a-croissante »8, plus préoccupée par la notion générale de bien-être que par celle de profit économique. Ces trois modèles diffèrent quant au rôle que la technique peut jouer en vue d’atteindre un modèle soutenable.

Une autre divergence entre ces trois courants de pensée se développe autour de la place des instruments et institutions permettant de mieux répartir les richesses et de gérer au mieux les ressources et l’environnement. Ces trois visions proposent également des options divergentes sur les acteurs les mieux à même de porter le changement vers un développement soutenable (individus rationnels, entreprises, pouvoirs publics, militants…). Au cœur de ce débat s’inscrit enfin une interrogation sur les critères d’appréciation du progrès économique et social et sur les indicateurs retenus (PIB, IDH, empreinte écologique…).

En attendant de trouver un nouveau modèle théorique général, le pragmatisme des entreprises en la matière donne lieu, depuis au moins deux ans, à une forte accélération de l’utilisation au niveau micro-économique d’outils de management de développement durable.

2. Nouveaux outils d’application

Ne nous y trompons pas : même si cela va dans le bon sens et montre que la conscientisation est bien réelle, rappelons que X entreprises d’un même secteur, toutes bardées de labels sociaux et environnementaux, mais dont les modèles d’affaires et les relations économiques resteraient inchangés (pas d’économie de fonctionnalité, compétition plutôt que coopération, incitation à la surconsommation…) se donneraient sûrement une bonne conscience mais ne changeraient rien à la tendance économique insoutenable qu’elles perpétuent. Néanmoins, voici quelques outils (ou labels) qui méritent d‘être mentionnés, qu’ils soient applicables aux produits ou aux entreprises.

Au niveau environnemental, les Analyses de Cycle de Vie de produits (LCA) sont intéressantes par l’exhaustivité des facteurs pris en compte ; il en est de même pour le très complet Bilan Carbone® de l’ADEME (applicable aux entreprises et aux collectivités). L’application de l’empreinte écologique aux entreprises et aux produits mérite quant à elle encore des développements (en cours à Bruxelles par Bruxelles Environnement). L’Iso 14001 au niveau mondial, l’EMAS au niveau européen et, plus encore, le très accessible Label Entreprise Eco-Dynamique bruxellois sont aussi des outils « entreprises » fort utiles pour entraîner les organisations dans une dynamique de changement. Au niveau social, le Label Social Belge qui permet la reconnaissance par une entreprise de la prise en compte des huit principales conventions de l’OIT n’a pas réussi à décoller car, à la base, il a été conçu sans les entreprises. Cela est d’autant plus regrettable qu’il était l’un des seuls labels d’initiative publique en Europe. Par contre, le label Diversité pour entreprise créé sous l’avant-dernière législature a été mieux accueilli. Si le Gouvernement actuel en a la volonté et si cette compétence n’est pas régionalisée, ce label semble être voué à un meilleur avenir.

Dans le champ du commerce équitable, notons d’une part que trois projets de loi donnant un cadre au secteur sont en discussion à la Chambre mais surtout que des labels privés (Rainforest Alliance, UTZ certified…) gérés par des entreprises privées et s’inspirant des référentiels publics ou d’ONGs (Max Havelaar) arrivent en force sur le marché et séduisent de plus en plus les entreprises de la grande distribution. Les privés parlent aux privés : le risque est grand de voir le secteur ONG perdre la mainmise sur ses propres outils de labellisation.

Le dernier-né de ce secteur est le système de compensation volontaire dont le marché est en expansion. Ce système est actuellement au cœur de débats quant à son efficacité. D’une part, compenser doit toujours être le recours ultime dans une démarche environnementale et d’autre part, les projets soutenus au Sud ne sont audités de façon indépendante que dans le cas des projets MDPs (mécanismes de développement propre) des Nations Unies. Actuellement, seule une entreprise sur les trois actives en Belgique francophone travaille de cette manière.

3. Marché vert et politiques actuelles en Belgique francophone9

L’environnement est un marché prometteur. Les estimations mondiales convergent vers des taux de croissance moyens de l’ordre de 3 % jusqu’en 2010. Les pays en développement et les pays candidats à l’Union européenne connaîtront même des taux bien supérieurs (jusqu’à 17 % dans certains secteurs en Chine). Les énergies renouvelables vont connaître les plus hauts taux de croissance, de l’ordre de 11%, suivies par les activités de traitement de l’eau (usée et potable) et des déchets qui comptent pour respectivement 39 % et 40% du marché mondial10.

3.1. L’environnement, source d’emplois

La croissance de l’emploi environnemental dans l’Europe des 15 a été d’environ 9 % sur la période 1997-2002 et devrait se maintenir, compte tenu des nombreux travaux à mener, notamment dans les domaines de l’eau et des déchets. Il y a là un gisement de nouveaux emplois. Dans le domaine de la construction durable, l’étude SAVE (programme d’efficacité énergétique de la Commission européenne) estime, par exemple, qu’une augmentation de l’efficacité énergétique de 1% par an pendant dix ans permettrait de créer 2 millions d’emplois par an en Europe. Chez nous, sur les 1,1 million de logements que compte la Wallonie, plus de 620.000 n’ont pas de murs extérieurs isolés, près de 400.000 ne possèdent pas de double vitrage et plus de 480.000 n’ont pas de toiture isolée.

La Fédération belge de la Construction estime que la rénovation énergétique de 300.000 logements assurerait plus de 12.500 emplois sur 15 ans.11 L’industrie belge de l’isolation thermique a quant à elle montré que 30.000 emplois pouvaient être créés en 10 ans en Belgique, simplement en mettant en œuvre un programme ambitieux d’isolation thermique permettant de réduire de 75% les besoins en énergie de la moitié du parc de logements belge12. Les plus grands potentiels d’emplois dans la construction durable se trouvent dans l’isolation, la modernisation des systèmes de chauffage et l’utilisation rationnelle de l’eau. Mais tous les domaines de l’environnement ont un potentiel de création d’emplois. Quelques exemples spécifiques à la région wallonne :

•La chimie verte et les bioplastiques pourraient voir la création de plus de 2.000 emplois si on favorise l’utilisation des bioplastiques dans les emballages ménagers à concurrence de 50% d’ici 201013.

•On prévoit la création de plus de 7.000 emplois directs dans les énergies renouvelables.

•Les transports écologiques ne sont pas non plus en reste. Les emplois susceptibles d’être créés entre 2004 et 2020 en Wallonie, via le schéma de développement des réseaux de fret et le schéma logistique hennuyer, sont estimés à un potentiel de 20.000 emplois directs14.

Et il en va de même pour tous les autres domaines environnementaux. Au total, rien qu’en Wallonie, ce sont plusieurs dizaines de milliers d’emplois qui sont potentiellement réalisables.

3.2. L’environnement, source d’innovation technologique

L’environnement est un secteur très important en termes d’innovations technologiques, avec des concrétisations à court et moyen termes (voitures propres, recyclage des produits et des déchets, traitement de l’eau, gestion globale de l’environnement, procédés industriels propres, écologie industrielle…) et des concrétisations à plus long terme (le secteur des énergies renouvelables et des nouvelles technologies de l’énergie). Le marché des technologies environnementales, estimé à 200 milliards d’euros dans les années 90 devrait connaître une croissance de 50% dans les 20 prochaines années.

L’économie a tout à gagner d’un mariage avec l’environnement. Certains gouvernements européens l’ont parfaitement compris et mettent sur la table des propositions concrètes pour accélérer les noces. En Allemagne, pouvoirs publics, syndicats, et entreprises, se sont rassemblés autour de « l’Alliance pour l’Emploi et l’environnement », programme de rénovation énergétique de 300.000 logements (isolation, chauffage performant, énergies renouvelables), avec à la clé la création de 200.000 emplois. En Ecosse, le gouvernement a construit sa nouvelle stratégie de développement industriel autour de l’environnement. « Green jobs strategy for Scotland » veut réconcilier environnement et économie par la création d’emplois dans les filières les plus porteuses, telles que les énergies renouvelables, le recyclage et la performance énergétique15.

3.3. L’offre des entreprises wallonnes

Face aux perspectives de croissance mondiale, on se pose légitimement la question de l’offre des entreprises bruxelloises et wallonnes. Est-on bien positionné pour capturer une partie de ce marché ? En Wallonie par exemple, si l’on considère les entreprises dont au moins 30 % du chiffre d’affaires se fait dans l’environnement, on compte 211 entreprises et 44 d’entre elles assurent 90% du chiffre d’affaires à l’exportation, soit 175 millions d’euros. Au regard des 200.311 entités juridiques enregistrées en région wallonne, ces chiffres peuvent paraître dérisoires. C’est oublier que le secteur, pris transversalement, compte pour 1,8% du PNB de la Région wallonne, présente un fort potentiel de croissance et occupe, d’après les dernières estimations (2000), 14.000 personnes.

Les plus grands pourvoyeurs de main d’œuvre sont les activités des déchets et du traitement des eaux. Elles occupent respectivement 59 et 24% du total de la main d’œuvre du secteur. On ne s’étonnera dès lors pas d’y retrouver la majorité des entreprises de taille moyenne assurant l’essentiel des exportations du secteur, ce qui ne signifie nullement que les autres activités n’ont pas de potentiel à l’exportation, bien au contraire. Ceci dit, il est vrai que la gestion environnementale de l’énergie, du bruit et des sols sont des activités surtout prises en charge par de petites organisations, de 1 à 20 personnes.

Sachant que la demande sur le marché de l’environnement est principalement située dans les pays émergents, les pays d’Europe de l’Est et l’Asie, nos entreprises souffrent de divers handicaps dont principalement leur petite taille et leur manque de références à l’exportation suffisantes pour s’aventurer sur les marchés étrangers, sauf à travailler en sous-traitance de grands groupes internationaux. Enfin, un frein supplémentaire est la taille réduite du marché intérieur qui présente, de surcroît, un caractère ouvert à la concurrence. Du côté des forces de l’offre wallonne, citons un potentiel humain de qualité, une excellente productivité, ainsi que des compétences reconnues mondialement en matière de recherche et d’innovations technologiques.

3.4. Les politiques publiques

Lors d’une enquête réalisée en 2000-2001 auprès des acteurs, un bon quart avait exprimé le besoin d’accès à une meilleure information sur le secteur et aux appels d’offres à l’étranger, à une meilleure visibilité de leurs biens et services… En ce sens, saluons la très récente coordination entre les acteurs du secteur (entreprises, centres de recherche…) qui semble se dessiner tant en Région wallonne qu’en Région bruxelloise :

•Wallonie : via les trois clusters (déchets, éco-construction et développement durable/énergie renouvelable) et l’appel à projet s« développement durable » lancé dans le cadre du Plan Marshall, qui en quelque sorte se réconcilie avec le secteur de l’environnement, même si on peut imaginer que les montants alloués auraient été plus importants que les 42 millions d’Euros prévus si le développement durable avait été inscrit dès le départ dans le Plan. Ces clusters ou pôles de compétence pourraient permettre de regrouper des offres communes compétitives à l’échelle internationale et reconnues auprès des Banques de développement et des organismes de financement internationaux (ONU, Banque mondiale, BAD…).

•Bruxelles : via le cluster Ecobuild et la politique de promotion du secteur de l’environnement financée dans le cadre du Feder et comprenant un futur incubateur, des plans stratégiques, une animation économique verte, un pôle déchets…

Bien que tardive, cette reconnaissance du secteur de l’environnement est similaire à celle d’autres politiques industrielles de pays de l’OCDE. En France, Allemagne, Japon, USA…, les axes industriels stratégiques sont très clairement identifiés. En France, par exemple, le Gouvernement cible les énergies renouvelables, la pile à combustible, la séquestration et la capture de CO2. Aux niveaux wallon et bruxellois, on se prépare à définir les axes qui seront privilégiés. A Bruxelles par exemple, les filières éco-construction et performances énergétiques des bâtiments, énergies renouvelables, biomasse ou chimie verte et biotechnologies verte & blanche, écoproduits/écoconception et la filière valorisation des déchets vont être plus particulièrement étudiés.

Comme c’est déjà inscrit dans le Plan Marshall, il est important de continuer à promouvoir la logique de durabilité dans chacun des cinq pôles (aéronautique, agro-alimentaire, sciences du vivant, génie mécanique, transport-logistique). C’est ainsi qu’une des actions du pôle agro-alimentaire a été de concevoir une filière plastique à partir de matières premières renouvelables. De même, le pôle génie mécanique pourrait travailler sur la mise en réseau d’entreprises afin de produire des éoliennes made in Belgium. Enfin, même si les pôles aéronautique et transport-logistique comportent des risques de soutien à une économie toujours plus émettrice de CO2, le Plan Marshall devrait logiquement permettre de remplacer des emplois des industries fortement émettrices en CO2 par de nouveaux emplois en entreprises moins émettrices en CO2.

1Beckerman, W. 1992, “Economic Growth and the Environment: Whose Growth ? Whose Environment ?”, World Development, Vol.20, p.481-496

2« Le développement durable : penser le changement ou changer le pansement ? », Aurélien Boutaud, février 2005.

3Vivien F.-D. (1994) Economie et écologie, Paris, Ed. La Découverte.

4Herman Daly – “Ecological Economics And The Ecology Of Economics”.

5« Vers une écologie industrielle : Comment mettre en pratique le développement durable dans une société hyper-industrielle » – Suren Erkman.

6« L’économie de fonctionnalité. Changer la consommation dans le sens du développement durable » – Dominique Bourg, BUCLET Nicolas, Futuribles, novembre 2005.

7Ignacy Sachs, « L’écodéveloppement », Syros, 1993.

8Serge Latouche, « La décroissance conviviale ».

9« Inventaire des emplois dans la construction et impacts d’une orientation plus durable de la construction sur l’emploi », étude réalisée pour l’I.B.G.E. par RDC Environnement, décembre 2004

10Groupe One, « Développer le secteur de l’environnement au bénéfice de l’économie wallonne », 2003.

11Christian Delcourt, « L’économie verte, avenir de l’économie wallonne », Etopia, 23 décembre 2005.

12Hugues Latteur, « Emploi et construction durable à Bruxelles ou comment avancer vers une économie verte ? », Etopia, 26 août 2005.

13Bureau politique ECOLO, « ECOLO et l’avenir de la Wallonie entre économie, emploi et environnement », conférence de presse, Namur, 21 février 2005.

14STRATEC, « Etude pour le schéma de développement intégré des réseaux et terminaux de fret en Région Wallonne », mars 2003.

15Hugues Latteur, Ibid.

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