Si tout le monde se met à défendre l’environnement et le développement durable, quelle reste la spécificité de l’écologie politique ? S’agit-il de promotion de la sphère autonome évoquée par Philippe Van Parijs ? Mais quelles réalités recouvre-t-elle ? Un monde clos, en dehors du marché et de l’État ? Ou bien s’agit-il de redévelopper la capacité des êtres humains à façonner leur existence de manière collective en dehors des logiques bureaucratiques que partagent les formes centralisées du marché et de l’État ? La défense de l’environnement et de la sphère autonome apparaîssent alors comme les deux faces d’une même médaille, celle de la critique de la société industrielle. L’écologie politique n’est soluble ni dans l’environnementalisme, ni dans le progressisme et son ambition ne se limite pas à se ménager des îlots d’autonomie et de bien-être au sein d’une société envahie et façonnée par le marché et soumise aux seules rationalités hétéronomes du profit et du pouvoir. Elle reste indispensable pour effectuer la modernisation écologique dont tous les hommes raisonnables ont admis la nécessité et l’urgence. Mais son projet ne s’arrête pas là. Alors que les forces politiques traditionnelles n’ont pas d’autre vision d’avenir que la continuation du même sur le mode du « toujours plus », de technologie, de production et de consommation, l’écologie politique propose une vision alternative qu’on peut trouver attractive ou répugnante, utopiste ou plausible mais dont on ne peut nier ni l’originalité, ni la consistance.

Introduction

A-t-on encore besoin de l’écologie politique ? En 1990, dans un article du numéro de février de « La Revue Nouvelle » entièrement consacré à « L’écologie à l’heure du politique », Philippe Van Parijs (2) s’interrogeait sur ce qui, hormis évidemment, la protection de l’environnement, constituait l’essence de l’écologie politique. La question, plus précisément, était de savoir si l’écologie politique présentait, en dehors de la problématique environnementale, un projet social cohérent ou s’il s’agissait de la rencontre purement contingente de discours et de propositions disparates sans lien nécessaire les uns avec les autres. Il s’agissait de savoir si, une fois la protection de l’environnement intégrée dans les programmes d’action des gouvernements et des institutions internationales, les principes du « pollueur-payeur », de prévention et de précaution institutionnalisés dans les corpus juridiques y compris la constitution et le développement durable dans toutes les bouches, bref l’essentiel des revendications environnementales portées depuis le début par les écologistes prises en compte dans les programmes des autres formations politiques, il restait une identité spécifique et une mission historique à l’écologie politique, comparables à celles du libéralisme et du socialisme.

Après le succès du film d’Al Gore, l’inscription du développement durable dans la constitution belge, la création en France d’un super-ministère du développement durable et d’un Grenelle de l’environnement, on peut penser que l’écologie politique est bien sur le point d’être confrontée à cette crise létale que ne manquerait de provoquer, selon Philippe Van Parijs, cette récupération « saine et indispensable » de l’environnementalisme par l’ensemble des formations politiques.

Ce diagnostic est-il correct ? Quelle est aujourd’hui l’utilité d’une écologie politique, quelle est sa spécificité ? Dix-sept ans après, les questions posées par Philippe Van Parijs en 1990 sont plus pertinentes que jamais…

L’environnement a-t-il encore besoin des écologistes politiques ?

Les formations traditionnelles sont-elles devenues écologistes ? Sont-elles même réellement acquises à la cause du développement durable et, si oui, ont-elles les moyens politiques de le mettre en œuvre sans l’apport des écologistes ?

La prise en charge de la question environnementale par les formations traditionnelles se limite au mieux, à ce qu’on pourrait appeler une « modernisation écologique ». Celle-ci repose sur deux piliers : a) l’innovation technologique et b) l’application aux questions environnementales des modèles d’analyse et des types de solutions fondés sur la théorie économique néo-classique. Dans cette perspective, les problèmes environnementaux proviennent d’imperfections et de dysfonctionnements des marchés et leur solution réside certes dans une intervention des pouvoirs publics mais limitée à la suppression des barrières qui empêchent le bon fonctionnement de l’économie de marché : meilleure définition et respect des droits de propriété, lutte contre les asymétries d’information, lutte contre les monopoles, etc. Cela postule que la question environnementale peut être résolue en restant dans le cadre ou la matrice socioculturelle de l’économie capitaliste et avec des instruments qui non seulement ne remettent pas en cause les fondements de ce système mais font partie intégrante de sa panoplie ordinaire, quand ils ne contribuent pas quelque part à les renforcer : attribution de droits échangeables de polluer, libéralisation des marchés, incitants fiscaux favorisant l’innovation technologique, etc. Les travaux scientifiques sur lesquels s’appuie cette politique s’inscrivent du reste dans un courant tout à fait respectable et respecté de l’économie dominante : « l’économie de l’environnement ».

À cette conception économiquement orthodoxe et politiquement correcte de la politique environnementale, s’oppose une approche (plus précisément un ensemble d’approches) qui renvoie dos à dos les deux paradigmes économiques historiquement dominants : l’approche néo-classique (en gros la science économique officielle) et l’approche marxiste, leur reprochant, notamment, d’être tous deux à la base de la crise environnementale, ce qui leur dénie toute pertinence dans la proposition de solutions réellement efficaces. Ces approches alternatives se retrouvent groupées dans ce qu’on appelle l’« économie écologique3 ».

Il se trouve que la distinction entre « économie de l’environnement » et « économie écologique » reproduit, dans le champ scientifique, l’opposition plus globale entre « environnementalisme » et « écologisme » ou écologie politique4. La différence entre un « environnementaliste » et un « écologiste5 » ne réside pas dans ce que le premier serait modéré et pragmatique, et l’autre utopique et radical. Je pense qu’il y a des environnementalistes radicaux et fondamentalistes et des écologistes pragmatiques et réalistes. Les environnementalistes modérés sont ceux qui considèrent la nature exclusivement en référence à l’homme (conception anthropocentrique), c’est-à-dire comme un ensemble de ressources à préserver pour pouvoir les mettre efficacement et durablement au service des êtres humains6. L’environnementaliste radical, au contraire, accordera à la nature une valeur intrinsèque indépendante des services qu’elle rend à l’être humain. C’est ainsi, par exemple, que l’environnementaliste radical cherchera à maximaliser la biodiversité (quel qu’en soit le coût) au nom de la valeur intrinsèque de toute espèce animale ou même végétale, alors que l’environnementaliste modéré cherchera plutôt à atteindre une valeur optimale de biodiversité7.

L’écologisme, contrairement à l’environnementalisme, est une conception globale de l’homme et de la société qui, par conséquent, déborde le cadre des droits et devoirs de l’homme vis-à-vis de la nature. Il consiste en une conception de la « vie bonne » comme conforme à la nature, à la « nature humaine» d’abord et, parce que celle-ci n’est qu’une manifestation de celle-là, conforme à la nature en général8. Contrairement à l’environnementalisme, l’écologisme est aussi une anthropologie, une vision de l’homme comme homo oecologicus qui s’oppose sur presque tous les points à l’ homo oeconomicus ainsi du reste qu’à l’homo sovieticus. Ceci explique que l’écologisme développe un projet politique spécifique qui touche à tous les aspects de la vie en société. Je reviendrai plus loin sur ce qui constitue à mes yeux, la spécificité de ce projet par rapport aux autres projets politiques.

Si l’économie écologique reconnaît une efficacité réelle à l’approche de type « modernisation écologique », elle en montre également les limites. Parmi celles-ci, ce qu’on appelle les « effets rebonds » sous l’action desquels les avancées sur le terrain de l’efficience environnementale se trouvent compensées et donc en partie perdues (dans une proportion variable selon les produits et les services), par l’augmentation de la consommation soit de ces mêmes biens et services soit d’autres, consécutive aux baisses de prix résultant d’une meilleure productivité des ressources (« effet revenu »). Dès lors, la modernisation écologique ne constituerait qu’une étape nécessaire certes, mais insuffisante pour atteindre les objectifs du développement durable, ce qui ne pourrait se faire sans modifier la matrice socioculturelle du capitalisme.

Ceci dit, il n’est pas du tout assuré que les formations traditionnelles ont la capacité de mener à bien ne fut-ce qu’une véritable politique de modernisation écologique. Le secteur des ressources naturelles et de l’énergie est très éloigné de l’idéal du marché concurrentiel ouvert de la théorie économique : il est littéralement bourré d’asymétries d’information, de droits de propriété douteux ou non respectés, de barrières à l’entrée de nouveaux acteurs, de monopoles, etc. Pour créer un véritable marché concurrentiel des matières premières, des ressources naturelles et de l’énergie il faudrait littéralement passer sur le corps d’énormes lobbies industriels et agricoles où patrons et syndicats se retrouvent intimement solidaires face aux tentatives de libéralisation et de démantèlement des monopoles. Il en va de même dans le secteur de l’automobile.

Le problème est donc qu’une proportion non négligeable de l’électorat des formations traditionnelles bénéficie de la situation actuelle et n’a ni intérêt ni désir de la voir changer. Même si les cadres politiques de ces formations sont conscients de l’urgence et de l’importance des mesures à prendre en matière d’environnement, les règles du jeu démocratique sont telles qu’ils pourraient bien se trouver dans l’incapacité de les prendre.

Un petit exemple inspiré de la théorie des jeux, montre pourquoi il en serait ainsi. Supposons une situation d’équilibre où deux partis principaux, les L et les S, font jeu égal et se partagent 60% de l’électorat, chacun recueillant donc 30% des suffrages. Face à eux les verts, avec disons 15% et d’autres formations se partageant le reste. Supposons que les L et les S, bien que antagoniques sur le plan des programmes et de l’électorat, aient formé ensemble une coalition gouvernementale et qu’ils aient à décider de prendre une mesure en faveur de l’environnement très impopulaire dans leurs électorats respectifs (par exemple taxer les voitures de société, interdire les vols de nuit…). Supposons encore que pour chacun des deux partis dominants, le fait d’assumer publiquement la responsabilité de cette décision risque de se payer par la perte d’un 1/6ème de son électorat au profit du parti concurrent. En revanche, s’ils assument collégialement cette décision, ils ne perdent aucune voix. Enfin, s’ils s’abstiennent tous deux de prendre cette décision, ils risquent de perdre également une part, mais moindre, de leur électorat en faveur du parti vert (la part dont les intérêts personnels ne sont pas menacés par la décision) pour une part et de partis « autres » pour une autre. La situation peut se résumer dans la matrice des gains ci-dessous9 :

S assume S n’assume pas
L assume (30, 30) (25, 35)
L n’assume pas (35,25) (29, 29)

S’ils pouvaient être certains que la décision impopulaire serait effectivement prise et assumée collégialement, que l’un ne se défaussera pas sur l’autre au moment critique, L et S auraient évidemment intérêt à prendre collégialement cette décision. Mais pour peu que l’un ne joue pas le jeu, il remporte la mise au détriment de son concurrent direct et devient du coup le parti le plus important. L’observation du monde politique montre à suffisance que tous les coups, ou presque y sont permis et qu’on ne peut guère compter sur une loyauté durable de la part d’un partenaire momentané. L’issue du « jeu » est donc le plus probablement celle où ni l’un ni l’autre ne prend la décision10 et où, en conséquence, les verts (et les « autres ») grignotent une part de l’électorat des partis dominants. Au bout, du compte, le score électoral des verts ne peut que croître jusqu’au point où les deux partis dominants finissent par avoir intérêt, chacun séparément ou ensemble, à former une coalition avec eux, soit pour prendre la décision et en faire porter la responsabilité par les verts, soit encore pour essayer des les affaiblir en sabotant en coulisses les décisions impopulaires pour leur électorat que les verts se doivent absolument de faire passer pour ne pas perdre une part de leur propre électorat.

Pour conclure, tant que les décisions à prendre pour « gérer » même de façon minimale l’environnement s’avèrent coûteuses pour les partis traditionnels, soit ces décisions ne seront pas prises du tout et cela devrait profiter au bout du compte aux écologistes, soit elles seront prises dans des coalitions comprenant les verts11. Il est du reste assez probable qu’on s’oriente ainsi (toujours dans l’hypothèse d’un système proportionnel) vers une sorte de « Yalta » de l’espace politique articulé autour de la vision consensuelle du développement durable comme équilibre12 entre les trois piliers : l’économique, le social et l’environnemental ; chaque parti s’identifiant clairement avec un pilier13.

Les écologistes ont-ils besoin de la sphère autonome ?

En admettant cependant l’hypothèse que les formations traditionnelles se soient réellement et concrètement converties à la protection de l’environnement, cela signifierait-il que l’écologie a terminé sa mission et qu’elle peut se retirer de la scène historique, n’ayant plus d’autre projet à réaliser ? Persuadé en effet, d’une part de l’adéquation de la modernisation écologique (management environnemental) aux défis environnementaux et d’autre part de la capacité des formations politiques traditionnelles à s’en emparer, Philippe Van Parijs voyait dans la promotion de la « sphère autonome » la véritable spécificité de l’écologie politique, seule capable d’assurer sa pérennité aux côtés du libéralisme et du socialisme, les autres grandes idéologies modernes. Qu’entendait-il par sphère autonome ? À vrai dire, Van Parijs n’est guère prolixe sur la nature de cette mystérieuse sphère. C’est davantage par ses déterminations négatives, c’est-à-dire par référence à ce à quoi elle s’oppose, que par ses déterminations positives qu’elle est abordée dans l’article. En effet, la sphère autonome s’y trouve définie avant tout en opposition au marché, d’une part et à l’État, de l’autre. À première vue, il s’agirait de l’ensemble des activités productives qui ne sont accomplies ni dans le cadre de l’échange marchand, ni dans celui des institutions étatiques. Malheureusement les exemples qu’il propose ne confirment pas vraiment cette interprétation : « Le travail d’un comptable d’IBM et celui d’un cireur de chaussures philippin se situent dans la sphère marchande. Celui d’un policier communal ou d’un concierge de l’ONU relève de la sphère étatique. Celui que j’effectue lorsque je tonds ma pelouse ou donne mon sang appartient à la sphère autonome. » (p.14)

De façon générale, du reste, ces exemples sont un peu malheureux : d’abord parce qu’ils oblitèrent la différence qu’il peut y avoir pour un travailleur (qu’il soit comptable ou concierge) – et d’autant plus qu’il adhère à l’écologie politique – entre se mettre au service des intérêts pécuniaires des actionnaires d’IBM ou au service de la paix et du développement dans le monde. Ensuite parce qu’on se demande pourquoi les écologistes devraient s’intéresser au don de sang ou à la tonte d’une pelouse. Passe encore pour le don de sang, mais la tonte d’une pelouse est une activité le plus souvent polluante, consommatrice d’énergie fossile, bruyante, contestable du point de vue de la biodiversité et pas spécialement autonome si on l’exécute sous la pression d’un voisinage qui ne partage pas votre goût pour les prairies sauvages…

En fait, Van Parijs se démarque, mais sans malheureusement prendre le temps de les discuter en profondeur, de deux autres conceptions de la sphère autonome, celle de Kolm et celle de Gorz.

Le ? triangle de Kolm ? de Van Parijs (1990)

Le ? triangle de Kolm ? de Kolm (1984, p.72)

En effet, si Van Parijs illustre sa conception de la sphère autonome au moyen d’un schéma emprunté à Kolm et qu’il appelle d’ailleurs « triangle de Kolm », la version qu’il en présente est légèrement différente de la version originale, comme en témoigne la figure ci-dessus. Les notions de « marché pur » et d’ « État pur » de Van Parijs ne recoupent pas celles de marché et de plan utilisées par Kolm. C’est que, fondamentalement, Van Parijs et Kolm ne mettent pas la même chose à l‘intérieur de leur triangle. Pour Kolm, il s’agit des activités de production qui peuvent être régies en quantité variable par une planification centralisée, soit par le marché ou la réciprocité. Pour Van Parijs, il s’agit du temps, ce qui est très différent puisqu’il inclut nécessairement la vie privée, la vie intime même. Ce n’est pas un hasard si les deux exemples d’activités relevant de la sphère autonome proposés par Van Parijs sont toutes deux des actes individuels : le don du sang, cet acte certes altruiste14, mais « anonyme et impersonnel » comme le caractérisait Titmuss, et la tonte de la pelouse.

On trouve chez André Gorz15 une approche encore différente de cette sphère autonome. Il la présente comme l’ensemble des activités qui étant à elles-mêmes leur propre fin sont tout à la fois facultatives, non-marchandes et non-économiques. Bref, elles seraient l’expression d’une liberté absolue, toute autre forme d’activité relevant pour lui du règne de la nécessité. Même les activités d’autoproduction dès lors qu’elles ont pour but la satisfaction de besoins et même si elles se passent en dehors de tout rapport salarial ou marchand relèvent pour lui du travail hétéronome. Ainsi : « La communauté domestique ou villageoise qui, en autarcie presque complète, produit le pain nécessaire à la subsistance, réalise une activité économique non-marchande qui, quoique autodéterminée, appartient à la sphère de la nécessité. Mais quand les habitants d’un quartier, au lieu d’acheter tout leur pain pour pas cher, à la boulangerie, s’associent pour faire dans un four à bois qu’ils ont installé eux-mêmes, du pain biologique qu’ils consommeront eux-mêmes et qu’ils prennent plaisir à préparer à tout de rôle, durant leur temps libre, il s’agit d’une activité autonome16. »

Cet exemple non plus n’est guère convaincant. Outre qu’il entretient la confusion entre autonome (qui se donne ses propres règles) et autotélique (qui est à elle-même sa propre fin), l’activité à laquelle il se réfère n’a rien d’autotélique. Que l’on sache le pain est bien fabriqué (fut-ce dans la joie) pour satisfaire d’abord le besoin de nourriture. Il s’agit donc d’une activité orientée vers une fin même si, et là se trouve sans doute la caractéristique principale de l’activité autonome, elle poursuit dans le même temps d’autres objectifs que cette fin principale. Qu’est-ce, au demeurant, qu’une activité qui est à elle-même sa propre fin et quel peut bien être son intérêt, pour tout le monde en général et pour les écologistes en particulier ? Qu’est-ce qui la différencie du loisir pur et simple ?

Au lieu d’aller chercher une liberté abstraite et sans objet en dehors de la sphère de la nécessité, n’est-il pas plus intéressant de la chercher dans la nécessité elle-même, et de mettre de la liberté au cœur même de la nécessité ? Si oui, il me semble important de revenir à l’intuition initiale de Kolm et réserver la notion de sphère autonome au domaine des « rapports sociaux de production », à l’exclusion du loisir, du temps libre ou de la pure gratuité. Car, lorsque Kolm oppose le don et la réciprocité au marché d’une part, à la planification étatique de l’autre, c’est bien de rapports de production qu’il s’agit et plus particulièrement des deux modèles hégémoniques depuis le XIXe siècle légitimés d’un côté par le la théorie marxiste et le socialisme, de l’autre par la théorie économique néo-classique et l’idéologie libérale. Puisant dans la littérature anthropologique (notamment le fameux « Essai sur le don » de M. Mauss), il veut montrer que d’autres rapports de production basés sur la réciprocité, le don, l’altruisme ont existé et sont donc possibles. Il est malheureusement difficile de suivre Kolm dans sa tentative de restaurer ce modèle de rapports de production au sein de la société actuelle. Mais, sans remonter à des institutions caractéristiques des sociétés les plus éloignées des nôtres, n’est-il pas possible de convoquer l’anthropologie, l’histoire économique et la sociologie pour mettre en évidence l’existence historique (pas si lointaine) d’autres rapports de production basés non sur l’altruisme mais sur l’intérêt individuel et cependant humainement « riches », décentralisés et autogérés ? N’est-ce pas emboîter aveuglement le pas et des marxistes et des libéraux que de considérer le mode d’organisation économique des sociétés paysannes traditionnelles comme repoussoir ? Dès le moment où, comme y invite le modèle du triangle équilatéral, il ne peut être question de ramener tous les rapports sociaux de production à un seul sommet du triangle, pourquoi n’y aurait-il pas de place pour des rapports de production de type « communautaire » à côté des rapports marchands et des services publics collectifs ?

Il est dommage que ni Kolm, ni Van Parijs, ni Gorz n’aient pris en considération dans leur discussion de la sphère autonome les Systèmes d’Échange Locaux (SEL), ces institutions où en toute autonomie mais dans le respect d’une discipline acceptée, des familles échangent sur une base locale des produits de leur jardin ou de leur cuisine, font circuler des biens d’équipement, se rendent une multitude de services, s’apprennent les uns les autres des techniques de toute nature ; le tout dans le cadre de rencontres de personne à personne (qui dépassent de loin la seule satisfaction du besoin à l’origine de l’échange) et de rapports communautaires non contraignants. Certes, la motivation de base est matérielle, utilitaire. Sans l’expression d’un besoin, d’une demande, l’échange n’aurait pas lieu, mais ce qu’offre le SEL c’est un mode de satisfaction du besoin qui permet la satisfaction dans le même temps d’autres besoins, le plus souvent latents comme la communication, la participation, la création. Ainsi, là où la sphère marchande ne propose que des « satisfacteurs » spécialisés (un pain est un pain…), la sphère autonome offre des satisfacteurs « synergétiques » (un pain est aussi une rencontre, une création, un apprentissage, etc.).

Les SEL présentent d’autres caractéristiques organisationnelles intéressantes pour l’écologie politique. D’abord, le fait que les demandes remportent un succès variable, certaines d’entre elles pouvant ne jamais recevoir de réponse parce qu’elles sont (implicitement) jugées inintéressantes, extravagantes ou abusives et que, d’autres par contre, rencontrent un vif succès (excès d’offres de service) parce qu’elles sont jugées plus légitimes ou plus attractives. Le système comporte donc un mécanisme de contrôle social, un mode de régulation des demandes en fonction de normes de consommation et de styles de vie. Ce contrôle social, bien que potentiellement puissant, n’est cependant ni illégitime ni totalitaire puisque chaque membre est libre, soit de se retirer (exit) s’il n’adhère pas aux normes du groupe, soit de faire entendre sa voix (voice) et d’initier une délibération et une négociation sur ces normes.

Autre mécanisme intéressant : l’interdiction de dépasser un plafond déterminé de crédits ou, dans l’autre direction, de s’endetter au-delà d’un certain seuil. Ces mécanismes empêchent d’une part que certains en viennent à exploiter le système et, plus intéressant encore, que d’autres y prennent une position dominante ou simplement gênante par « abus d’altruisme » pourrait-on dire. Un membre qui n’aurait que des offres et aucune demande ne jouerait pas réellement le jeu du SEL qui se fonde sur cette réciprocité et où chacun accepte d’être tour à tour demandeur et offreur.

Cette sphère autonome que l’écologie aurait pour vocation de promouvoir, il me semble qu’il faut donc la comprendre comme l’ensemble des activités accomplies librement, seul (ou de préférence en communauté), en dehors de tout rapport hiérarchique19 ou marchand en vue de satisfaire le plus grand nombre de besoins, matériels comme immatériels, considérés comme légitimes et cela en faisant l’usage le plus adéquat des ressources naturelles.

Il est clair que le modèle du SEL n’est pas extensible à l’infini et qu’il ne pourra jamais se substituer entièrement à l’économie de marché20. Une de ses limites principales réside dans le fait qu’il concerne presque exclusivement les services aux personnes, les échanges de biens y occupant une part très limitée. Néanmoins, des systèmes tels que les SEL ont un rôle à jouer dans le développement de cette économie de fonctionnalité21, c’est-à-dire de « substitution de l’usage d’un service à la vente d’un bien », avec cette avantage supplémentaire qu’il s’agirait d’abord, dans toute la mesure du possible, de substituer en priorité le partage, le prêt ou l’échange à la vente du service en question.

Mais, précisément, le SEL constitue un exemple de « sphère autonome » pure et, à ce titre, est aussi limité que les exemples de « sphère marchande » pure ou de production étatique « pure ». Sans entreprendre ici une recension des activités ou des institutions « mixtes » qui se situent quelque part entre deux ou même trois des sommets du triangle, on peut mentionner l’exemple du « Slow Food »23 qui se situe quelque part à mi-chemin entre la sphère marchande et la sphère autonome tout en participant dans une certaine mesure de la sphère étatique par le biais des subventions européennes à la production agricole.

Considéré sous cet angle, le lien entre l’écologisme et la sphère autonome devient évident et nécessaire et non pas contingent et artificiel comme chez un Van Parijs pour qui, en fin de compte, leur coexistence relève seulement d’une sorte d’affinité élective24.

Plus fondamentalement, la promotion de la sphère autonome et la défense de l’environnement constituent les deux faces d’une même médaille, celle de la critique de la société « industrielle », qu’elle soit capitaliste ou collectiviste comme entreprise de destruction systématique de la nature, en ce compris la « nature humaine ». Car, comme le disait Castoriadis : « Il n’y a pas seulement la dilapidation irréversible du milieu et des ressources non remplaçables. Il y a aussi la destruction anthropologique des êtres humains transformés en bêtes productrices et consommatrices, en zappeurs abrutis. Il y a la destruction de leurs milieux de vie. Les villes, par exemple, merveilleuses créations de la fin du néolithique, sont détruites au même rythme que la forêt amazonienne… »25

Et si, historiquement, les promoteurs de la sphère autonome sont les mêmes que ceux qui ont pris la tête du combat pour l’environnement, c’est parce que, pour eux, la protection de la nature (en ce compris la nature humaine) impliquait nécessairement une rupture avec les logiques capitalistes et bureaucratiques qu’elles soient d’État ou privées et la seule attitude cohérente à cet égard, en attendant leur dépérissement était la prise de distance individuelle et communautaire par rapport à ces deux sphères, la création d’îlots de simplicité volontaire, d’autonomie et de coopération, à l’abri des rapports de pouvoir et de subordination, de compétition, de consommation ostentatoire, en bref d’instrumentalisation des hommes et de la nature.

Mais l’intérêt pour la sphère autonome et le souci de la développer davantage ne signifient nullement une opposition de principe au marché ou à l’État, ni un désintérêt pour les sphères marchandes et publiques. En réalité, les véritables ennemis de l’écologie politique ne sont ni le marché, en tant que tel, ni l’État moderne, mais leur extension abusive, d’une part et, d’autre part leur domination par des logiques centralisatrices qui réduisent la sphère d’autonomie et de responsabilité de l’individu et détruisent les communautés « naturelles » indispensables à une existence pleinement humaine26. L’écologie n’est pas opposée au marché en tant que tel mais bien aux oligopoles économiques qui justifient leur domination au nom du marché alors qu’ils sont la négation du marché tel que l’envisageait un A. Smith par exemple ou les physiocrates. De même, l’écologie se méfie d’une extension excessive de l’emprise de l’État, d’une vision jacobine qui se traduit inéluctablement par un accroissement de la domination des appareils bureaucratiques sur les communautés locales et réduit la sphère d’autonomie et de participation de l’individu. La promotion de la sphère autonome est donc d’abord une réaction contre ce que Habermas appelle « la colonisation du monde vécu » par les rationalités techniques et instrumentales de l’organisation économique et bureaucratique27, comme une mesure prophylactique contre l’extension des deux grandes structures de domination que sont devenus le système économique et le système politique, extension qui résulterait inéluctablement de l’hégémonie de l’une ou de l’autre des autres forces politiques en présence : libéraux d’un côté, socialistes de l’autre. Ceci explique en partie, à mon sens, les difficultés des écologistes par rapport au clivage gauche-droite. Il est dans la logique de l’écologie politique28 d’apporter son soutien aux libéraux contre les visées exagérément hégémoniques des socialistes et inversement tout en favorisant, au sein de la sphère autonome l’expérimentation de nouveaux modes de production et de consommation et de nouvelles technologies (qu’Illich qualifiait de conviviales) capables de se substituer à terme aux modes actuellement dominants une fois établie la preuve de leur viabilité économique et sociale et leur meilleure soutenabilité environnementale.

Or, à trop insister sur la sphère autonome, on en viendrait à accréditer l’idée que l’écologie politique doit abandonner les sphères économiques privées et publiques à leurs dérives et se déployer exclusivement dans un espace parallèle, se contentant de développer ces îlots de « bonne vie » au milieu (et en partie sur le dos) de l’espace régi par la rationalité techno-capitaliste du profit et bureaucratique du pouvoir. Je pense qu’il n’en est rien et que la vocation de l’écologie politique est également de modifier les règles et les normes qui régissent aujourd’hui la sphère économique comme la sphère publique. Dans quel sens ? Dans le sens de plus de démocratie, de plus d’autonomie et donc aussi de responsabilité individuelle. Dans le domaine économique, il est possible et nécessaire d’envisager, avec un Marc Fleurbaey29, par exemple, une sphère marchande post-capitaliste, plus démocratique, anti-autoritaire, basée sur des relations égalitaires d’échanges entre individus économiquement autonomes (ce qui suppose à terme l’abolition du salariat). C’est-à-dire qu’à l’entreprise capitaliste marquée par la subordination des travailleurs aux représentants des propriétaires du capital, se substitueraient des associations ou des coopératives de producteurs indépendants copropriétaires des capitaux ou contractuellement (mais solidairement) responsables vis-à-vis des apporteurs de capitaux.

Dans le domaine politique, le mouvement en faveur de la démocratie délibérative30 s’inscrit pleinement dans cette perspective. La recherche de plus d’autonomie doit évidemment se conjuguer avec le maintien et même l’extension géographique de la solidarité. À vrai dire, l’objectif est précisément de rendre compatibles autonomie et solidarité, de développer un modèle de solidarité qui respecte et renforce l’autonomie au lieu d’encourager l’assistanat et le paternalisme. Telles étaient, du reste, pour certains de ces partisans, les motivations fondamentales de l’allocation universelle et si l’écologie politique s’est détournée du moyen, elle n’en reste pas moins irréductiblement attachée à l’objectif31.

La protection de l’environnement, le développement de la sphère autonome et de l’autonomie dans les autres sphères constituent les éléments constitutifs d’une pensée sociale qui loin d’apparaître avec la révolution industrielle remonte bien plus haut dans l’histoire occidentale que la révolution industrielle. C’est ce que je vais tenter de montrer maintenant.

Nature, autonomie, coopération, simplicité :

les fondamentaux de l’écologie politique

« À différentes reprises dans l’histoire occidentale depuis la chute de l’Empire romain, on voit des groupes d’hommes tourner le dos à l’ordre social établi et se retirer dans des lieux plus ou moins écartés pour chercher à redonner vie à une communauté et une morale authentiques qu’ils pensent inscrites dans la nature de l’homme. Parallèlement à cette tradition sociale, et même souvent inséparable d’elle, on trouve une tradition intellectuelle fondée sur les mêmes valeurs de retrait et de renouveau32. » C’est en ces termes que Robert Nisbet, un sociologue américain (aujourd’hui quelque peu oublié), entame le chapitre de son livre sur les philosophies sociales, consacré à ce qu’il appelle « La communauté écologique », ces communautés de vie et/ou de pensée qui, par l’exemple ou la communication, de façon pacifique mais néanmoins radicale visent à changer l’ordre établi en vue de le rendre plus conforme à la nature en général et à la nature humaine en particulier. Le choix par Nisbet de l’adjectif « écologique » pour les caractériser se justifie d’abord en référence au terme grec oikos, à la racine du concept d’écologie, et qui désignait chez les Grecs la maisonnée et l’économie domestique, une organisation qu’Aristote jugeait, contrairement à la chrématistique (économie marchande), conforme à la nature. À cela s’ajoutent l’idée d’interdépendance entre espèces vivantes au cœur de l’écologie scientifique et l’usage contemporain du terme « écologie » comme protection de la nature qui sont, d’après Nisbet, caractéristiques de cette mouvance intellectuelle et sociale.

Les principales manifestations historiques et intellectuelles de la communauté écologique identifiées par Nisbet – et qui seraient donc en quelque sorte les ancêtres de notre écologie politique contemporaine – sont : l’ordre des bénédictins et la règle de St Benoît33 , l’Utopie de Thomas More, les nombreuses communautés idéales ou utopiques d’Europe et d’Amérique du Nord au XIXe siècle et l’anarchisme d’un Proudhon ou d’un Kropotkine. Il dégage quatre points communs à ces expérience :

L’idée du « naturel » comme antithèse non pas tellement du « culturel » que de l’artificiel. La nature dans cette acception désigne l’essence d’une chose, son être véritable, sa nécessité interne, comme dans l’expression « chassez le naturel, il revient au galop ». On retrouve aussi bien chez St Benoît que chez Thomas More et les anarchistes34 du XIXe siècle l’idée – qu’on pourrait juger réactionnaire, d’un certain point de vue – de la corruption de l’homme et de la société par la civilisation et (mais plus tard) par la technologie et le besoin pour l’homme de retrouver sa nature véritable dans une société plus petite (en fait, une communauté de base) et en étant plus proche de la nature (au sens large, cette fois).

L’idée de l’interdépendance de tous les êtres, ce que les Anglo-saxons expriment par la notion forgée par Darwin du web of life. Cette idée d’interdépendance est évidemment au cœur de l’écologie scientifique mais elle est aussi implicite dans la règle de St Benoît qui affirme l’importance du contact avec la terre et les autres créatures vivantes, et donc du travail dans les champs et les forêts. On sait que la plupart des ordres monastiques et en particulier les franciscains, ont accordé une valeur importante aux animaux et affirmé la proximité entre l’homme et l’animal. Les moines irlandais, par exemple, étaient célèbres pour leur habileté à apprivoiser les animaux sauvages et les incorporer à la vie monastique. L’idée est également très présente chez Thomas More.

La prépondérance donnée à la coopération et à la solidarité par rapport à la compétition, sur base d’une vision certes quelque peu partielle et partiale du web of life, de l’interdépendance entre les êtres et de l’harmonie de la nature. Il s’agit d’une idée maîtresse de l’anarchisme (exprimée chez Kropotkine par la notion de soutien mutuel) et de ce « socialisme utopique » raillé par Marx et Engels et qui animait les expériences communautaires des fouriéristes (phalanstères), des St Simoniens, des Owenniens, etc.

L’idée d’association autonome qui doit se comprendre comme le regroupement spontané autour de règles communément admises, d’individus égaux en droits, libres de se joindre ou de quitter l’association et ne se soumettant à aucune autre autorité que celle qu’ils ont volontairement et consciemment acceptée (comme celle de l’abbé dans le monastère).

La simplicité. La communauté écologique condamne généralement la complexification et l’hyper-organisation qui lui paraît contraire à l’ordre naturel. C’est une idée partagée aussi bien par St Benoît que par Thomas More et les anarchistes que le bien-être humain ne peut être atteint qu’en menant une vie simple (mais non pas austère), loin de la sophistication, du luxe et du raffinement.

Nisbet aurait pu également citer Rousseau parmi les pères spirituels de la communauté écologique, non pas tant le Rousseau du « Contrat social35» que celui du « Discours sur l’origine de l’inégalité », de l’Émile, de « La Nouvelle Héloïse ». La petite société de Clarens dans ce dernier roman présente toutes les caractéristiques de la communauté écologique : elle est proche de la nature (rurale et agricole), rustique, joyeuse et festive36. Bref, une véritable apologie de la sphère autonome, de la simplicité volontaire, des circuits courts et des systèmes d’échanges locaux, puisque : « Notre grand secret pour être riches… est d’avoir peu d’argent, et d’éviter autant qu’il se peut dans l’usage de nos biens les échanges intermédiaires entre le produit et l’emploi… Le transport de nos revenus s’évite en les employant sur le lieu, l’échange s’en évite encore en les consommant en nature, et dans l’indispensable conversion de ce que nous avons de trop en ce qui nous manque, au lieu des ventes et des achats pécuniaires qui doublent le préjudice, nous cherchons des échanges réels où la commodité de chaque contractant tienne lieu de profit à tous deux37. »

Ces thèmes se retrouvent incontestablement dans les versions plus récentes de l’écologie politique, depuis le « Looking Backward » d’Edward Bellamy en 1887, jusqu’aux textes de C. Castoriadis, de B. de Jouvenel, de J. Ellul, d’A. Gorz, d’I.Illich pour ne citer que les auteurs francophones.

Deux écologies politiques ?

Quel rapport ces thèmes propres à la communauté écologique entretiennent-ils avec les valeurs tenues pour importantes dans les différentes sociétés et groupes sociaux ? Une façon de répondre à cette question est de les mettre en perspective par rapport aux dix valeurs universelles identifiées par le psychosociologue Schwartz38 et qui sont, présentées succinctement :

1Le pouvoir : le statut social et le prestige, le contrôle sur les personnes et les ressources, l’autorité, l’image publique.

2La réalisation de soi : le succès personnel, la capacité de démontrer une aptitude répondant à des normes sociales.

3L’hédonisme : la recherche du plaisir, du bonheur, de la gratification.

4La stimulation : le goût du défi, du caractère novateur.

5L’universalisme : la compréhension, la tolérance et la protection du bien-être de tous les hommes et êtres vivants. Implique les principes de justice, d’équité et d’éthique.

6La bienveillance : la préservation et l’amélioration du bien-être des proches (amis, parents, etc.). La valorisation du dévouement, de l’honnêteté, de la loyauté et du sens des responsabilités.

7La tradition : le respect et l’acceptation des coutumes et des idées appartenant à la culture traditionnelle et à la religion. Implique humilité, dévouement et modération.

8La conformisme : la retenue dans les actions, les prédispositions et les impulsions de nature à violer les attentes sociales et les normes établies.

9La sécurité : la recherche de l’harmonie et de la stabilité de la société, des interactions et de la personne. Implique la sécurité de la famille et du pays.

10L’autodétermination : la valorisation de la créativité, de la curiosité, de la liberté et de l’autonomie.

Ces valeurs sont acquises par l’individu au cours de sa socialisation au sein des groupes sociaux dominants et par l’apprentissage individuel. Elles constituent des motivations pour l’action des individus comme des groupes, action à laquelle elles confèrent orientation, intensité émotionnelle et justification. À ce titre elles servent également les intérêts des agents sociaux, individuels et collectifs. Selon Schwartz, ces dix valeurs sont universelles parce qu’elles répondent à trois exigences incontournables de la vie sociale : satisfaire les besoins des individus comme organismes biologiques, coordonner les interactions entre eux et assurer la survie et le bien-être du groupe social.

Ces valeurs entretiennent les unes avec les autres des rapports de congruence ou d’opposition, de proximité et d’éloignement, rapports dont rend compte le cercle ci-dessous. Les valeurs congruentes sont voisines ou proches les unes des autres, les valeurs en opposition se trouveront en face l’une de l’autre sur la circonférence.

On voit qu’on peut les regrouper en quatre grandes classes : les valeurs d’ouverture au changement (autodétermination et stimulation), d’auto-accomplissement (appelée auto-majoration dans le schéma ci-dessous avec les valeurs de pouvoir et de réalisation de soi), de conservation (tradition, conformisme, sécurité) et de transcendance (appelée auto-supériorité dans le schéma ci-dessous, avec les valeurs d’universalisme et de bienveillance).

De fait, on constate que les valeurs adjacentes manifestent des niveaux de corrélation proches et de même sens avec des variables indépendantes (affiliation à un parti politique, attitude vis-à-vis de tel ou tel problème social…) et que, au fur et à mesure qu’on s’éloigne le long du cercle de la valeur la plus fortement corrélée avec ces variables, les valeurs des coefficients de corrélation diminuent puis changent de signe et se remettent à croître mais avec un signe opposé.

Par exemple une enquête sur la tolérance vis-à-vis des homosexuels donne les coefficients de corrélation suivants entre les variables indicatrices des valeurs et le degré d’accord avec la proposition « Les homosexuels doivent pouvoir être libres de vivre comme ils l’entendent » :

Hédonisme+ 0,19

Stimulation+ 0,14

Autodétermination+ 0,15

Universalisme+0, 17

Bienveillance+ 0,07

Conformisme- 0, 22

Tradition-0, 21

Sécurité-0, 17

Pouvoir-0,11

Réalisation0

Les enquêtes réalisées par Schwartz et son équipe sur les corrélations entre les attitudes vis-à-vis de la protection de l’environnement et les valeurs universelles concluent aux plus fortes corrélations positives avec les valeurs d’universalisme et d’autodétermination et aux plus forts antagonismes avec les valeurs de pouvoir et de réalisation de soi39. Plus largement, le regroupement de valeurs qui caractériserait le mieux les personnes favorables à l’environnement serait la transcendance (universalisme et bienveillance) + l’autodétermination. Par contre, l’opposition entre conservateurs et progressistes se jouerait sur les valeurs de pouvoir et de réalisation de soi, contre celles d’universalisme et d’autodétermination. Ceci tend à confirmer la proximité des valeurs écologiques avec celles de la gauche progressiste et leur opposition aux valeurs « libérales » de pouvoir et de réalisation de soi. Néanmoins, certains éléments de l’écologie politique peuvent être assez proches de valeurs comme la tradition ou la sécurité. Ainsi, la valorisation du « naturel » et des communautés de base et la méfiance vis-à-vis des « progrès » technologiques peuvent présenter un caractère traditionnaliste et sécuritaire (au sens de Schwartz). Ce qui laisse à penser qu’il pourrait exister deux versions de l’écologisme, une version « progressiste » alliant transcendance et autoréalisation, et une version « traditionnaliste » alliant plutôt la tradition et la sécurité à cette même transcendance. Du reste, on pourrait, de la même façon, identifier deux versions du libéralisme : celle qui allie réalisation de soi, stimulation et hédonisme à l’autodétermination et à l’universalisme et qu’on pourrait qualifier de « libéralisme de gauche » et celle qui, à ces mêmes valeurs de réalisation de soi, de stimulation et d’hédonisme associerait plutôt la recherche du pouvoir et de la sécurité (« libéralisme de droite »).

Simplicité et croissance qualitative

Si l’écologie politique n’est pas incompatible avec le sens de la fête, sa conception de la vie bonne est certainement plus proche de l’eudémonisme (voire du stoïcisme) que de l’hédonisme40, en tout cas de celui qui caractérise la société de consommation. À ce type d’hédonisme, la « communauté écologique » oppose la simplicité comme composante essentielle du bien-être « véritable ». C’est probablement sur ce terrain que l’opposition entre l’écologie politique et les autres idéologies politiques démocratiques est la plus vive et la plus irréductible en pratique. En effet, alors que tous les indicateurs montrent clairement, que passé un certain seuil de bien-être matériel, tout accroissement de revenu et de consommation a une productivité décroissante (et finalement négative) en termes de bien-être et de qualité de vie, socialistes et libéraux41 continuent de proposer comme seul horizon de progrès : le toujours plus, le more is better. Or, non seulement il n’apporte plus de réelle amélioration à la vie des gens mais le prix à payer pour ce « toujours plus » est devenu exorbitant : le chantage à l’emploi, à la flexibilité et aux délocalisations n’a pas d’autre condition de possibilité que cette course à la croissance économique dont les entreprises détiennent seules la clé et dont elles jouent à l’envi. Le stop à la croissance quantitative est donc aussi une condition nécessaire pour retrouver son autonomie et mettre fin au chantage permanent des capitaux financiers. Ceci n’est possible qu’en proposant une croissance alternative en termes de qualité de vie que ce soit au travail, dans le quartier ou le village sans oublier les maisons de retraite.

Gagner la compétition sur le terrain des conceptions de la vie bonne, démontrer l’indigence anthropologique et l’insoutenabilité du projet porté aussi bien par les libéraux que les socialistes42 et, a contrario, la plausibilité et l’attractivité de solutions alternatives passe par quatre types d’actions :

développer et imposer l’usage dans l’évaluation des politiques, d’indicateurs alternatifs de bien-être et de qualité de la vie ;

expérimenter, analyser et évaluer (notamment au moyen de ce type d’indicateur) des modes alternatifs de production et de consommation dans la sphère autonome mais aussi dans la sphère publique (à travers des plans locaux de développement durable dignes de ce nom, par exemple), parapublique (écoles, hôpitaux, maisons de retraite…) et dans la sphère économique (par exemple dans le domaine agricole) ;

lutter contre l’emprise (directe et indirecte) des milieux financiers et industriels sur les moyens de communication de masse ;

développer des supports pédagogiques permettant à l’école de « diversifier l’offre » en matière de conceptions de la vie bonne, comme elle le fait pour les conceptions religieuses et philosophiques.

Conclusions

L’écologie politique n’est soluble ni dans l’environnementalisme, ni dans le progressisme et son ambition ne se limite pas à se ménager des îlots d’autonomie et de bien-être au sein d’une société envahie et façonnée par le marché et soumise aux seules rationalités hétéronomes du profit et du pouvoir. Elle reste indispensable pour effectuer la modernisation écologique dont tous les hommes raisonnables ont admis la nécessité et l’urgence. Mais son projet ne s’arrête pas là. Alors que les forces politiques traditionnelles n’ont pas d’autre vision d’avenir que la continuation du même sur le mode du « toujours plus », de technologie, de production et de consommation, l’écologie politique propose une vision alternative qu’on peut trouver attractive ou répugnante, utopiste ou plausible, mais dont on ne peut nier ni l’originalité, ni la consistance.

Reste à lever une ambiguïté qu’on a laissé volontairement planer jusqu’ici : en parlant d’écologie politique, on s’est référé tour à tour à un discours, à une vision du monde et à une organisation politique concrète, comme si celle-ci était simplement (mais totalement et parfaitement) l’expression de celle-là. Or, ce n’est jamais vraiment le cas, les partis politiques ne sont jamais identifiables au seul discours fondateur dont ils tirent leur identité. Les libéraux ne sont pas le libéralisme, les socialistes le socialisme et les écologistes l’écologie politique. Par ailleurs, les conceptions politiques et sociales ne sont pas monolithiques et, à moins de tomber dans un dogmatisme dont la vulgate marxiste a donné l’exemple le plus caricatural, il en existe toujours plusieurs versions plus ou moins proches, plus ou moins concurrentes. Je me suis efforcé ici de tracer les principaux traits communs à ces variations sur le thème de l’écologie politique, au-delà des aspects déjà bien connus de protection de l’environnement et de souci pour les générations futures. J’ai tenté de montrer, par exemple, qu’il pouvait logiquement exister deux versions de l’écologie politique, selon qu’à côté de l’adhésion aux valeurs de transcendance de Schwartz, on penche davantage vers la sécurité et la tradition, ou vers l’autodétermination et même l’hédonisme.

Mais toute vision du monde pour rester en prise avec son époque doit évoluer, se remettre en question, questionner ses certitudes et ses préjugés. Au-delà de la gestion quotidienne de l’agenda politique, c’est aussi le rôle d’un parti politique d’y contribuer.

1Ceci est le texte, profondément amplifié et remanié, de mon intervention à la conférence « L’écologie, une nouveau clivage politique ? Quelles valeurs, quelles nouvelles mobilisations ? » aux Rencontres Écologiques d’Été, Borzée, le 26/08/2007. Il a bénéficié des remarques et suggestions de C. Derenne que je remercie ici.

2Van Parijs, P. (1990). « Impasses et promesses de l’écologie politique », in La Revue Nouvelle, N°2, février 1990, pp. 79-93. Une version remaniée de ce texte est parue sous le titre « Les deux écologismes » dans : De Roose, F. et P. Van Parijs (eds.) 1991. « La pensée Ecologiste. Petite encyclopédie à l’usage de ceux qui la pratiquent comme de ceux qui la craignent. » De Boeck Université, Bruxelles, pp. 135-155.

3L’économie écologique est associée principalement aux noms de H. Daly et de R. Costanza. Parmi ses précurseurs il convient de mentionner principalement N. Georgescu-Roegen et K. Boulding. Elle possède sa propre revue scientifique publiée chez Elsevier : « Ecological Economics ».

4Pour une discussion approfondie de la différence entre environnementalisme et écologisme, on se réfèrera utilement au livre déjà ancien – mais récemment réédité – de Andrew Dobson (1990). « Green Political Thought.» London : Unwin. Dobson établit une équivalence entre « ecologism » et « Green politics » que je reprends ici en traduisant « Green politics » par « écologie politique ». B. Feltz propose une conception différente de la distinction entre environnementalisme et écologisme dans « L’écologie entre nature, science et société », Louvain, septembre 2003, N°141, accessible sur le site d’étopia à l’adresse : www.etopia.be/IMG/pdf/L_ecologie_entre_nature_science_et_societe-_Fellz.pdf.

5On ne parle évidemment pas ici du scientifique qui se consacre à l’étude de la relation entre les espèces vivantes et leur environnement qu’il faudrait du reste peut-être appeler « écologue » plutôt qu’écologiste.

6Comme le montre bien B. Feltz, la dimension esthétique et symbolique de la nature relève également de cette catégorie des ressources et services à destination de l’homme puisque il ne saurait y avoir de symbolisme que « culturel », par et pour l’homme exclusivement.

7On trouvera dans le texte de Jean-Paul Ledant « Faut-il maximaliser la biodiversité ? » téléchargeable sur le site de l’IDD (www.iddweb.eu) une présentation de ces deux types d’attitude et une défense de la position modérée.

8C’est bien ce qui rattache l’écologisme au stoïcisme : « C’est pourquoi Zénon, le premier, dans son traité ‘De la Nature de l’homme’ dit que la fin est de ‘vivre conformément à la nature’, c’est-à-dire, selon la vertu. La nature, en effet, nous conduit à la vertu… car notre nature est partie de celle de l’univers, c’est pourquoi la fin s’énonce : ‘vivre suivant la nature’ , c’est-à-dire selon sa propre nature et celle de l’univers… Par la nature, en conformité de laquelle il faut vivre, Chrysippe entend la nature universelle et la nature particulière de l’homme », Diogène Laërce, « Vie et opinions des philosophes », Livre VII, in « Les stoïciens », La Pléiade, Gallimard 1962, p. 44.

9Les chiffres entre parenthèses se réfèrent respectivement aux gains de L et de S.

10Pour chacun d’eux la stratégie « n’assume pas » est dominante.

11Je me place évidemment dans l’hypothèse d’un système proportionnel. Dans le cas d’un système majoritaire, la situation risque d’être bloquée encore plus longtemps.

12Équilibre relatif, les piliers économique et social étant toujours prépondérants par rapport à l’environnemental.

13Ce qui poserait tout de même un problème pour les partis dont l’identification avec un des piliers s’avérerait problématique.

14Quoiqu’on puisse également y trouver une motivation « assurantielle » puisqu’on est tous susceptibles de devoir y faire appel un jour ou l’autre. On a donc intérêt à maintenir en état de fonctionnement un système dont notre propre survie peut dépendre un jour.

15Gorz, A. (1985) « Allocation universelle : version de droite et version de gauche », in La Revue Nouvelle, N°4, avril 1985, pp. 419-429.

16Gorz, op.cit. p. 425.

17Ce qui résout le problème de la motivation identifié à juste titre par Kolm comme un des problèmes de la réciprocité générale, au même titre que celui de l’information, résolu lui aussi dans les SEL par le système de bourse aux offres et aux demandes.

18Il y a cependant le risque que la personnalité du demandeur joue un rôle trop important dans la satisfaction de ses demandes (et de ses offres de services) et que certaines personnes se trouvent plus ou moins ostracisées à cause de traits de personnalité ou de comportements dont elles ne sont pas responsables, ou parce qu’elles sont simplement culturellement trop différentes de l’ensemble du groupe. Il y en effet dans les SEL une homogénéité socioculturelle (niveau d’éducation, origines sociales) qui pose problème.

19C’est-à-dire en dehors d’un rapport de type « principal-agent » pour reprendre l’expression merveilleusement hypocrite de la micro-économie.

20Répétons qu’il ne s’agit en aucun cas de substituer un impérialisme de la sphère autonome à l’impérialisme du marché ou du plan mais d’assurer l’équilibre entre les trois sphères qui tire le meilleur parti de leurs atouts propres en confinant chacune dans la production des biens et services pour lesquels elles bénéficient des meilleurs avantages comparatifs.

21Voir par exemple Bourg, D. et N. Buclet (2005). « L’économie de fonctionnalité. Changer la consommations dans le sens du développement durable », in Futuribles N°313, pp. 27-39.

22C’est toute la différence, par exemple, entre le co-voiturage organisé sur une base volontaire au plan local, le développement d’un système public de transports en commun et la possession et l’usage individuel d’une voiture. Dans les zones rurales faiblement peuplées, il est clair que la première solution est la plus économique, la plus écologique et la plus conviviale.

23Voir : www.slowfood.fr/bulletin/MEMENTO.pdf. Je remercie C. Derenne d’avoir attiré mon attention sur le mouvement « Slow Food » comme exemple d’activité relevant à la fois des sphères marchande et autonome.

24Quel est le lien entre l’écologisme et la sphère autonome ? Pourquoi les écologistes devraient-ils marquer un intérêt tout particulier pour ces activités ? Van Parijs ne répond pas à cette question, mieux, il s’emploie à saper les bases de la seule réponse crédible possible en dehors de l’écologie radicale (qu’il récuse par ailleurs) : à savoir que la promotion de la sphère autonome serait une condition de possibilité de sortie de l’économie de la croissance. Il se contente simplement d’observer que si la défense de l’environnement et la promotion de la sphère autonome, ne se confondent nullement et ne se situent même pas dans un rapport de moyen à fin, leur association n’est cependant pas purement fortuite. Ce serait parce qu’ils accordent moins d’importance à la sphère marchande et à la sphère étatique que les écologistes auraient été les premiers à prendre conscience de la crise écologique engendrée par nos modes de production et de consommation (sous-entendu marchands et étatiques). Les explications de Van Parijs sont sur ce sujet très peu convaincantes. Pourquoi ceux qui sont le moins attachés à la consommation matérielle devraient-ils être justement ceux qu’inquiètent le plus le dépassement de la capacité de charge de la planète ? Il est beaucoup plus plausible de penser que ce sont ceux qui attachent le plus de prix au bien-être matériel qui ont le plus de raisons de s’inquiéter de ce que l’on sape les bases environnementales de sa croissance.

25Cornélius Castoriadis. « L’écologie est-elle réactionnaire ? » paru initialement dans Le Nouvel Observateur 7-15 mai 1992 et repris sous le titre « L’écologie contre les marchands » dans « Une Société à la dérive » (2005), Paris : Éditions du Seuil, pp. 237-239.

26En ce sens, l’écologie politique est bien plus wébérienne (et proudhonienne) que marxiste.

27Quitte éventuellement à tomber dans l’irrationalisme le plus débridé de médecines extrêmement alternatives, de théosophies exotiques, etc. Il suffit de se rappeler le contenu des valves de la « Maison de l’écologie » rue Basse-Marcelle à Namur, du temps où elle était encore le siège du mouvement ECOLO pour prendre la mesure de cette connivence initiale (ou à tout le moins de la coexistence pacifique) entre l’écologie politique et la contre-culture New Age. On touche ici à une véritable contradiction de l’écologie politique : d’un côté elle en appelle à la rationalité scientifique incarnée par exemple dans l’écologie scientifique, de l’autre elle critique cette même rationalité au nom de valeurs non-rationnelles (spiritualité, émotions, sentiments) si pas carrément irrationnelles, certaines pratiques ou discours proches de la magie étant parfois revendiqués au nom de l’écologisme.

28Rejoignant ainsi la stratégie des sociaux-chrétiens par rapport aux deux grandes formations politiques, et pour les mêmes raisons.

29« Le capitalisme est une économie de marché où l’inégalité de richesses sert de base à une gigantesque opération de corruption des pauvres, consistant à leur faire accepter de se soumettre aux ordres d’une hiérarchie autoritaire qui leur impose des tâches ingrates pendant une bonne partie de leur vie. L’économie capitaliste parvient ainsi à maintenir un état social traditionnel analogue aux sociétés antérieures et caractérisé par une grande inégalité de niveaux de vie et surtout par le fait que les tâches ingrates sont affectées à la majorité défavorisée de la main-d’œuvre, tandis que les positions de confort et de prestige restent l’apanage d’une petite minorité ». Marc Fleurbaey (2006). « Capitalisme ou démocratie ? L’alternative du XXIe siècle. » Paris : Grasset., pp. 179-280.

30Autour de philosophes et politologues comme B. Barber, J. Dryzeck, A. Gutmann, H. Richardson et bien d’autres.

31Mais il lui appartient alors de montrer qu’elle dispose d’autres instruments que le découplage des revenus et du travail pour y parvenir.

32Nisbet, R. (1974). The Social Philosophers. Paladin, p. 323 (ma traduction).

33On peut s’étonner de voir l’ordre des bénédictins figurer parmi mes ancêtres de l’écologie politique mais cette idée était semble-t-il également venue à Rudolf Bahro, une figure charismatique des Grünen allemands, qui proclamait dans un ouvrage dont le titre en anglais est « Building the Green Movement » (1986) : « We need a new Benedictine order » (Nous avons besoin d’un nouvel ordre bénédictin) !

34Et chez Rousseau, sur lequel je reviendrai plus loin. En outre, comme on l’a montré plus haut, il faudrait sans doute remonter aux premiers stoïciens pour trouver les origines de cette conception de la vie bonne, du moins dans la tradition occidentale.

35C’est ce texte qui justifie le classement de Rousseau par Nisbet dans la « communauté politique ».

36Mais curieusement pas égalitaire, l’égalité n’étant réalisée que ponctuellement, et uniquement dans la fête. J. Starobinski analyse finement cette singularité dans J.J. Rousseau. La transparence et l’obstacle. (1971). Paris : Gallimard.

37J.J. Rousseau (1761) « Julie ou la Nouvelle Héloïse.» Ve partie, lettre II.

38Parmi une imposante bibliographie voir par exemple : Schwartz, S. H. (2006). « Les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications.» Revue française de sociologie. Vol 45, N°2, pp. 929-968.

39L’hédonisme est une conception de la vie bonne qui privilégie le bonheur, la satisfaction des désirs, la maximalisation du plaisir et la minimalisation du déplaisir. Pour l’eudémonisme au contraire, la valeur centrale est celle de l’épanouissement, la pleine réalisation de ses potentialités d’être humain. Si les deux figures de l’Antiquité associées à ces positions sont respectivement Aristippe et Aristote, leurs pendants modernes sont Hobbes, Bentham et l’utilitarisme pour l’hédonisme et A. Sen et M. Nussbaum d’autre part pour l’eudémonisme. Le stoïcisme est une forme particulièrement exigeante d’eudémonisme qui assimile l’épanouissement humain à la conformité avec l’ordre naturel qui se manifeste dans la pratique des vertus. La réputation de « Monsieur propre » de la politique et de donneurs de leçon que se sont acquis les écologistes s’explique peut-être par l’adhésion de nombre d’entre eux à une forme de stoïcisme.

40La position des sociaux-chrétiens sur ce point est sans doute plus nuancée, mais peu claire.

41Il importe de préciser que ce ne fut pas toujours le cas. Simplement, ce projet est aujourd’hui dépassé, du moins pour les sociétés hyper-développées comme la nôtre.

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