Un texte traduit de l’anglais du Dr. Felix Chr. Matthes, Sabine Gores, Verena Graichen, Julia Repenning, Dr. Wiebke Zimmer. Avec Séverin Poutrel, OKÖ-INSTITUT E.V.
Le 9 novembre les Verts au Parlement européen ont présenté une étude réalisée par un institut de recherche allemand (l’öko-Institut). Elle montre qu’il est possible de réaliser des objectifs ambitieux de réductions des émissions de CO2 de 30% d’ici 2020 et 40% d’ici 2030 avec une sortie progressive du nucléaire. Ce scénario dont nous présentons ici le résumé permet également de réduire la dépendance de l’Europe par rapport aux combustibles importés qui menace sa sécurité énergétique. Le scénario montre qu’il y a des solutions pour l’avenir, à condition que l’UE opère les bons choix politiques. L’étude intégrale (en anglais) est à télécharger sur le site du Groupe des Verts. Référence : www.greens-efa.org
La politique énergétique et climatique de ce 21e siècle doit faire face à des défis vastes et multiples :
•Le problème du changement climatique nécessite de réduire rapidement et drastiquement les émissions des gaz à effet de serre afin de stabiliser la concentration de ces gaz à un niveau permettant de limiter l’augmentation de la température moyenne globale à maximum 2°C au-dessus des niveaux de l’ère pré-industrielle ;
•Le problème de la sécurité énergétique apparaît de plus en plus crucial au vu des ressources limitées en combustibles fossiles et nucléaires ainsi que de la concentration de la production de combustibles dans certaines régions politiquement sensibles ;
•L’intégration et la libéralisation des marchés énergétiques mondiaux posent de façon croissante le problème du prix de l’énergie très instable, ce qui entraîne une vulnérabilité grandissante des économies.
Au vu de ces défis, maintenir la politique actuelle en matière d’énergie apparaît de plus en plus inacceptable. Toutefois, aucune solution miracle ne pourra résoudre la majorité des problèmes auxquels la politique énergétique et climatique est aujourd’hui confrontée. De nombreuses options doivent être envisagées et mises en oeuvre.
La minimisation des risques constitue l’approche stratégique principale en vue de relever les différents défis. Les avantages avérés des diverses options devront surpasser les risques et incertitudes liés à ces options.
On observe un large consensus concernant certaines options pouvant être considérées comme favorables aux activités dans le domaine de l’énergie :
•Un énorme potentiel d’efficacité énergétique existe dans le secteur de l’utilisation finale et dans le secteur de l’énergie, qui peut être étendu à tous les secteurs dans une mesure bien plus importante qu’à politique inchangée ;
•Les énergies renouvelables doivent figurer au cœur du futur système énergétique, de la production d’électricité, des systèmes de chauffage et de refroidissement, ainsi que du secteur du transport.
A côté de ces options, une autre technologie émergente pourrait jouer un rôle à moyen terme : la capture et le stockage de carbone pourraitent contribuer de manière significative à réduire les émissions de CO2 dans le futur ; néanmoins, de nombreux problèmes scientifiques, technologiques et économiques restent en suspens, le cadre réglementaire à cet égard est lacunaire, voire inexistant, et l’acceptation par le public est essentielle pour ouvrir la voie à cette technologie.
En marge des options mûres et consensuelles et des options émergentes et potentiellement consensuelles pour le développement du futur système énergétique, le débat est très controversé : aucun consensus n’est à prévoir concernant l’acceptabilité de l’énergie nucléaire, compte tenu de la possibilité d’accidents nucléaires de grande ampleur et des nombreux problèmes liés au traitement des matières nucléaires (depuis l’extraction et le traitement des matières nucléaires jusqu’à la gestion des déchets radioactifs).
Conception et résultats du scénario
Pour illustrer le potentiel des options non controversées de réduction des émissions, une analyse prospective a été effectuée afin d’étudier les implications et interactions des différentes possibilités :
•Le scénario de base (situation inchangée) indique l’évolution qui pourrait se produire si les politiques actuelles en matière d’énergie et de climat ne sont pas renforcées ;
•Le scénario des Verts présente un caractère normatif et repose sur 2 hypothèses principales :
L’ensemble des options communément admises visant à la réduction des gaz à effet de serre devraient être exploitées à l’horizon 2030 afin d’atteindre en 2020 une réduction d’émission de 30% par rapport aux niveaux de 1990 ainsi qu’une réduction encore plus importante après cette date ;
L’énergie nucléaire devrait être progressivement abandonnée sur la base, soit des politiques de sortie du nucléaire existant dans différents Etats membres, soit d’une durée de vie technique de 40 ans. En d’autres termes, les centrales nucléaires existantes ne devraient plus être maintenues en service au-delà d’une période relativement courte et aucun nouvel investissement ne devrait intervenir dans le secteur de l’énergie nucléaire.
Diagramme 1. Émissions de gaz à effet de serre à situation inchangée et réductions des émissions entre 1990 et 2030. Sources: AEE, rapports d’état des lieux des États membres, Öko-Institut.
Le diagramme 1 décrit les tendances des émissions du passé ainsi que les différentes perspectives d’émissions selon les deux scénarios. Dans le scénario de base, le total des émissions de gaz à effet de serre de l’Europe des 25 atteindra les niveaux de 1990 entre 2010 et 2020 et ne diminuera de nouveau que modérément à partir de 2030. Si la quantité d’énergie nucléaire produite ne demeure pas à 85 % du niveau de 2000, tel que supposé dans le scénario de base, et qu’aucune nouvelle politique ou mesure n’est mise en œuvre, l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de l’UE des 25 pourrait atteindre 5% de plus qu’en 1990 ou 11 % de plus qu’en 2000.
Dans le scénario des Verts, les émissions totales de gaz à effet de serre peuvent être réduites de 31% d’ici 2020 et de 40 % d’ici 2030, en comparaison avec les niveaux de 1990. Bien que les mesures envisagées visent l’ensemble des gaz à effet de serre, les principales réductions concernent le CO2, qui reste de loin la plus importante source d’émissions de gaz à effet de serre.
Diagramme 2. Réductions des émissions de gaz à effet de serre dans le scénario des Verts entre 1990 et 2030. Sources: AEE, rapports des inventaires des États membres, Öko-Institut.
Le diagramme 2 présente le détail par secteurs et par mesure des réductions d’émissions qui résulteraient du scénario des Verts.
•Au sein de l’UE des 25, le secteur de l’électricité constitue la plus grande source d’émission de CO2, principalement en raison de la part élevée de charbon qu’il consomme, tout en présentant le plus grand potentiel de réduction. Ce secteur compte en effet pour 36% des réductions d’émissions d’ici 2030, dont deux tiers obtenues par des mesures sectorielles (cogénération, passage du charbon au gaz comme combustible et production d’électricité à partir d’énergies renouvelables) et un tiers résultant d’une utilisation plus efficace de l’électricité dans d’autres secteurs ;
•Compte tenu de sa forte dynamique de croissance, le secteur des transports (pour lequel toutes les émissions de gaz à effet de serre dues à l’aéronautique ont été comptabilisées dans l’analyse du scénario) constitue la seconde contribution la plus importante aux réductions d’émissions, avec autour de 20% d’ici 2030 ;
•Le secteur résidentiel, caractérisé essentiellement par la consommation énergétique des bâtiments, contribue à hauteur de 15,5% à l’ensemble des réductions d’émissions d’ici 2030 ;
•Les mesures visant à réduire les autres gaz à effet de serre que le CO2 jouent un rôle important dans le scénario des Verts, en s’élevant à 14% du total des réductions à l’horizon 2030 ;
•L’industrie (8%), le secteur tertiaire (7%) et les autres industries énergétiques (2%) apportent également une contribution importante aux réductions des émissions de gaz à effet de serre ;
•Si la capture et le stockage du carbone issu de grandes centrales électriques à condensation étaient disponibles sur le marché à partir de 2020 pour les centrales à construire, la réduction des émissions en 2030 pourrait encore s’accroître de 100 Mt de CO2, ce qui équivaut à 5% du total des réductions d’émission obtenues par l’ensemble des mesures qui précèdent.
Ainsi, dans le total des réductions d’émissions atteintes d’ici 2030, la contribution des énergies renouvelables s’élève à 24%, celle de l’utilisation accrue de la cogénération et le changement de combustible dans le secteur de l’électricité à 11%, la réduction de la consommation d’électricité compte pour 12% et l’amélioration de l’efficacité du chauffage et du refroidissement auprès de l’utilisateur final contribue à 21% de ce total.
Dans ce contexte, la priorité devrait avant tout être accordée aux politiques et aux mesures relatives au secteur de l’électricité, à une utilisation plus efficace de l’électricité, au secteur de la construction ainsi qu’aux multiples potentialités qu’offre le secteur des transports.
Conclusions principales
Dans le scénario de base, l’approvisionnement total en énergie primaire augmente d’environ 17% au cours de la période 2000-2030, tandis que dans le scénario des Verts, la consommation totale de ce type d’énergie est réduite de 13% durant la même période (voir diagramme 3).
•La production d’électricité à partir du nucléaire est limitée à 15% sous le niveau de 2000 dans le scénario de base, alors qu’elle est réduite de 85% dans le scénario des Verts.
•Selon le scénario de base, la consommation de gaz au sein de l’UE des 25 augmenterait de 32% d’ici 2030, en comparaison des niveaux de 2000, alors que le scénario des Verts prévoit une réduction de 9% durant cette même période, principalement grâce aux efforts d’efficacité dans les bâtiments.
•Le recours au pétrole augmenterait encore de 5% d’ici 2030 dans le scénario de base tandis que le scénario des Verts prévoit une réduction de 39% au cours de la même période.
•L’utilisation du charbon d’ici 2030 reste pratiquement stable dans le scénario de base, mais diminue de 63% dans le scénario des Verts.
•Bien que l’apport des énergies renouvelables soit multiplié par 2,6 entre 2000 et 2030 dans le scénario de base, leur part totale dans l’approvisionnement en énergie primaire n’est toujours que de 13% en 2030. Dans le scénario des Verts, la contribution des énergies renouvelables au total de l’approvisionnement en énergie primaire s’élève à 39% en 2030.
Diagramme 3. Approvisionnement total en énergie primaire dans les 2 scénarios entre 1990 et 2030.Sources:Eurostat, Öko-Institut.
La politique relative aux changements climatiques a une influence positive sur la sécurité énergétique
Les principales différences dans la structure de l’approvisionnement en énergie primaire impliqueront des changements importants dans le rôle des importations énergétiques vers l’UE des 25. En 2000, la part des importations d’énergie s’élevait à 60%. Dans le scénario de base, cette part passe à 74% en 2030, tandis que le scénario des Verts en prévoit une diminution de 49% au cours de la même période, pour autant que l’ensemble des bioénergies proviennent de sources internes à l’UE des 25. Si l’on suppose que les échanges internationaux en matière de biomasse et de biocarburants jouent un rôle important, le total des importations d’énergie serait légèrement supérieur dans le scénario des Verts (53% en tablant sur 15% d’importations de bioénergies).
En résumé, les résultats relatifs à la dépendance aux importations indiquent que le scénario des Verts contribuerait de façon majeure à réduire la dépendance aux importations par le biais d’une diversification vers d’autres énergies ainsi que par des économies d’énergie. Il en résulterait une diminution de la vulnérabilité des économies de l’UE des 25 face aux hausses et à l’instabilité des prix sur les marchés mondiaux de l’énergie.
Dans le système énergétique de l’UE des 25, la production d’électricité et de chaleur urbaine constitue le secteur le plus important en ce qui concerne la consommation énergétique et les émissions de CO2.
Diagramme 4. Production nette d’électricité dans les 2 scénarios entre 1990 et 2030. Sources:Eurostat, Öko-Institut.
Selon le scénario de base, la production d’électricité suit la croissance soutenue de la consommation d’électricité dans les différents secteurs pour la période 2000-2030, ce qui induit en 2030 une production de 50% supérieure à celle de 2000 (Diagramme 4). Dans le scénario des Verts, la consommation et la production d’électricité peuvent être stabilisé(e)s, d’ici 2030, à 7% au dessus du niveau de 2000.
•Le remplacement des appareils et installations électriques énergivores entraîne une demande beaucoup moins forte en production d’électricité.
•La production d’électricité par les centrales nucléaires diminue de 15% dans le scénario de base et de 85% dans le scénario des Verts.
•Le scénario de base prévoit une augmentation de la production d’électricité de 38% avec le charbon et de 11% au moyen du lignite. Le scénario des Verts prévoit quant à lui une réduction de 36% de la production d’électricité avec du lignite et de 71% avec du charbon au cours de la période 2000-2030.
•La production d’électricité par les centrales au gaz est presque doublée en 2030 dans le scénario de base et s’accroît de 55% dans le scénario des Verts.
•Quant à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables, elle est multipliée par 3 selon le scénario de base, leur part atteignant 29% en 2030, alors qu’elle est multipliée par 4,4 dans le scénario des Verts, s’élevant ainsi à 44% de la production totale d’électricité en 2020 et 59% en 2030.
Il est également utile de mentionner que dans le scénario des Verts, la part de la cogénération (à partir de combustibles fossiles et de la biomasse) représente 32% de la production totale d’électricité en 2030.
Dans ce contexte, selon le scénario des Verts, le secteur de l’électricité est confronté à une transition fondamentale vers les énergies renouvelables et vers une production d’électricité à partir de combustibles fossiles qui soit plus efficace ou qui génère moins de CO2.
La mise en œuvre d’un cadre d’action en matière d’énergie et de climat dont l’objectif correspondrait à l’évolution prévue par le scénario des Verts nécessite une série d’actions essentielles, énumérées ci-dessous :
1. Mettre un accent soutenu sur les mesures d’efficacité énergétique
•pour les appareils et installations fonctionnant à l’électricité dans tous les secteurs (électroménagers, moteurs, pompes, etc.) ;
•pour l’amélioration des bâtiments (chauffage et refroidissement) tant dans les nouvelles constructions que dans la rénovation des bâtiments existants afin d’atteindre les normes des maisons à basse énergie ou passives à l’horizon 2030 ;
•pour le remplacement des appareils électriques servant au chauffage à basse température ;
•pour définir des normes de performances ambitieuses à appliquer aux voitures et aux flottes de véhicules ;
2. Se concentrer sur la modification de la répartition modale en ciblant le transport de voyageurs et de marchandises par le rail
•en s’efforçant d’éviter le transport ;
•en adoptant une approche conséquente de libéralisation du système ferroviaire et en investissant massivement dans le système de transport afin de renforcer la compétitivité et l’infrastructure du transport ferroviaire et des modes de transport durables dans les zones urbaines ;
•en prenant des mesures visant à établir une situation comparable entre les différents modes de transport, notamment en supprimant les avantages fiscaux octroyés sur le kérosène et les carburants des réacteurs dans l’aéronautique.
3. Fournir des efforts ambitieux en vue d’accroître la proportion d’énergies renouvelables tant dans le secteur de l’énergie qu’au niveau de l’utilisateur final
•fixer comme objectif une proportion de 20% dans les secteurs de l’utilisateur final d’ici 2030 ;
•parvenir à une proportion de la production d’électricité d’environ 45% en 2020 et de 60% en 2030.
4. Veiller à opérer les investissements nécessaires dans l’infrastructure énergétique
•afin d’intégrer dans la production d’électricité une part importante de sources variables, décentralisées et offshore ;
•afin de développer l’infrastructure nécessaire aux réseaux de chaleur, qui constituent un élément essentiel pour de nombreuses options liées à l’utilisation de la biomasse et à la cogénération ;
•afin d’améliorer les réseaux et les installations de stockage pour l’approvisionnement en gaz naturel de l’ensemble de l’UE des 25, principalement en Europe central et orientale ;
•afin de garantir l’approvisionnement en biocarburants dans la mesure indiquée plus haut.
5. Mettre en œuvre des instruments politiques efficaces
•renforcer le Système d’échange de quotas d’émission (ETS) de l’UE en vue d’en faire un instrument efficace de fixation des prix du charbon pour les nouveaux investissements et l’exploitation des centrales existantes et adopter l’ETS comme instrument permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre par l’aéronautique ;
•soutenir la cogénération en tant que technologie clé pour assurer une utilisation la plus efficace possible des hydrocarbures et de la biomasse ;
•s’accorder sur des normes de performance ambitieuses en matière de consommation énergétique des appareils et installations électriques, des bâtiments et des automobiles, dans le cadre du marché intérieur ;
•établir des programmes ou des normes de soutien suffisants qui permettent une pénétration significative des énergies renouvelables dans la production d’électricité, le chauffage, le refroidissement et le secteur des transports ;
•consolider la libéralisation du marché énergétique au sein de l’UE et imposer une concurrence dans les marchés de l’électricité et surtout du gaz, afin d’en ouvrir l’accès à de nouvelles technologies efficaces et à de nouveaux acteurs;
•élaborer une stratégie européenne cohérente à l’égard du gaz ;
•promouvoir la technologie de capture et de stockage de carbone ainsi que d’autres technologies émergentes dans les domaines des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique et du stockage de l’énergie ;
•s’atteler à l’éventail complet des réductions d’émissions réalisables pour les autres gaz à effet de serre que le CO2 dans l’industrie, l’agriculture, la gestion des déchets et le secteur de l’énergie.
Le scénario des Verts ouvre une voie très ambitieuse vers un système énergétique durable. Néanmoins, en comparaison avec les différentes dimensions du scénario de base en termes d’émission de gaz à effet de serre, de consommation des combustibles fossiles et des différents aspects de la sécurité énergétique, le scénario des Verts démontre qu’une pléthore d’avantages peut en être tirée si celui-ci sert de cadre pour concevoir les politiques futures en matière d’énergies et de climat.