Par l’Institut de Conseil et d’Etudes en Développement Durable. L’ICEDD est l’ancien Institut Wallon de développement économique et social et d’aménagement du territoire.

Depuis 1980, l’ICEDD réalise pour le compte de la DGTRE1 les bilans énergétiques de la Région wallonne. Un travail similaire est mené à bien depuis 1990 en Région de Bruxelles-Capitale pour l’IBGE2. Même si ces bilans et les chiffres qui les composent sont la propriété de ces deux administrations, l’ICEDD a acquis une vision globale de la situation énergétique des deux régions ainsi que des principaux enjeux qui sous-tendent la question de l’énergie. Cet article présente les données et les chiffres que l’ICEDD juge essentiels pour mieux appréhender la question de l’énergie et ses enjeux pour demain3. Il est largement inspiré d’une publication plus complète de l’ICEDD : « Le défi à la lumière des chiffres et des bilans », disponible sur www.icedd.be.

L’indépendance énergétique de la Belgique

n’est pas pour demain

L’évolution du climat et la raréfaction des énergies fossiles nous rappellent qu’une croissance infinie dans un monde fini est impossible. Mais la question de savoir si nous serons plus rapidement touchés par le réchauffement climatique ou par l’épuisement des énergies fossiles reste ouverte. D’ici la fin du siècle, à politique inchangée, toutes les énergies fossiles disponibles auront été consommées et l’humanité devra faire face à des changements climatiques d’une ampleur considérable. Nos modes de vie en seront profondément affectés. La sagesse nous impose donc de diversifier notre panier énergétique et surtout de limiter nos consommations. La seule énergie non polluante et qui n’aggrave pas notre dépendance énergétique est celle qui n’est pas consommée. Pour nos régions qui sont presque totalement dépendantes de l’extérieur, c’est particulièrement vrai. Le degré d’indépendance énergétique est de 2% pour l’ensemble de la Belgique et de 3% en Wallonie. A Bruxelles, il est proche de zéro, si l’on ne tient pas compte de l’apport de l’incinérateur de déchets de Neder-over-Hembeek qui produit à peu près 5% de la consommation bruxelloise d’électricité.

Les énergies passées au crible

On peut comparer les différents combustibles suivant une grille d’analyse à quatre critères : les impacts sur l’environnement, les ressources disponibles, les risques géopolitiques inhérents à leur utilisation et enfin la production d’énergie par unité de surface.

Impacts sur l’environnement Ressources disponibles Risques

géopolitiques

Energie par unité de surface
Pétrole Défavorable Très défavorable Très défavorable Favorable
Gaz naturel Défavorable Défavorable Défavorable Favorable
Charbon Très défavorable Favorable Favorable Favorable
Uranium De faible à catastro-phique Défavorable Favorable Très favorable
Renouvelable Favorable Favorable Très favorable Défavorable
Négawattheure Très favorable Très favorable Très favorable Sans objet

Tableau 1 : Essai de comparaison des différentes sources d’énergie

Le pétrole, tous accros

Le pétrole présente des risques environnementaux importants, qu’ils soient liés aux changements climatiques (il émet de l’ordre de 75 kg CO2/GJ) ou à d’autres problèmes plus ‘locaux’ comme les marées noires. Nous vivons vraisemblablement la fin du pétrole à bon marché. Les nouveaux gisements (pétrole arctique, off shore profond, schistes bitumineux, sables asphaltiques) encore à découvrir ou à mettre en exploitation seront coûteux et ne pourront remplacer en totalité les productions actuelles, abondantes et faciles d’accès. Les prix devraient donc continuer à grimper. Notre monde vit au rythme des crises moyen-orientales et des soubresauts qu’elles induisent sur les cours du brut. Deux tiers des réserves prouvées d’or noir (estimées à 164 Gtep) se trouvent dans cette région du globe. Mais le pétrole reste un combustible remarquable. Son contenu énergétique est très élevé et il est très facilement stockable et transportable. C’est la raison majeure de son succès, principalement dans les transports routiers et aériens.

Le gaz naturel, si beau, si pur ?

Le gaz naturel présente des caractéristiques très semblables au pétrole mais il émet moins de CO2 lors de sa combustion (56 kg CO2/GJ). Par contre, les fuites provoquées lors de son extraction et de son transport sont catastrophiques. Une molécule de méthane, son principal composant, induit un effet de serre 21 fois plus puissant que la molécule de CO2. Ses réserves sont un peu mieux réparties. La Russie en possède plus du quart et le Moyen-Orient ‘seulement’ 40%. Mais on ne peut pas considérer que son approvisionnement ne présente aucun risque géopolitique. La crise russo-ukrainienne de l’hiver 2005-2006 en est une preuve éclatante. En 2004, les réserves de gaz naturel mondiales étaient estimées à 165 Gtep soit un niveau sensiblement égal au pétrole.

Le charbon, le mouton noir ?

Le charbon présente un bilan environnemental défavorable. Sa combustion émet deux fois plus de CO2 que le gaz naturel. Mais il est bien mieux réparti à la surface du globe et ses réserves sont considérables (463 Gtep en 2005). Sa forme solide ne le prête pas à un usage par les transports routiers. Bien qu’il soit théoriquement possible de le brûler sans émission de CO2 (via les techniques de séquestration de carbone, le Clean Coal) il ne saurait être considéré comme la panacée énergétique à long terme.

Les énergies fossiles épuisées au 21ème siècle

Actuellement, le monde consomme à peu près 10 Gtep d’énergies primaires conventionnelles4 par an. A ce rythme, l’ensemble des réserves planétaires de pétrole, de gaz naturel et de charbon, telles qu’elles sont renseignées dans l’annuaire statistique de BP, seront épuisées d’ici 80 ans. Les chiffres sont bien sûr susceptibles d’être modifiés, de nouvelles ressources seront mises à jour. Mais elles seront plus difficiles et plus coûteuses à exploiter. L’ensemble des ressources énergétiques fossiles ne pourra que décliner. C’est inéluctable !

Figure 1: Réserves mondiales 2005. Source : BP Statistical Review of World Energy, juin 2006

Le nucléaire, difficile débat

Le nucléaire n’émet pas (ou peu5) de CO2 mais il pose d’autres problèmes environnementaux. La gestion à long terme des déchets nucléaires de longue durée de vie n’a toujours pas trouvé de réponse définitive et sans risque. De plus, si les conséquences d’un nouvel accident majeur ou d’un attentat terroriste sont très difficiles à évaluer, il est évident que pour un pays densément peuplé comme la Belgique, elles seraient catastrophiques. On ne peut pas non plus conclure de la bonne répartition planétaire de l’uranium (notamment dans des pays « amis » (Australie, Canada, Etats-Unis) que son utilisation échappe à tout risque géopolitique. Au rythme actuel de sa consommation, les réserves d’uranium seront épuisées dans quelque 50 ans. Autant dire qu’une hypothétique généralisation de l’utilisation du nucléaire (par exemple pour produire massivement de l’hydrogène qui pourrait être brûlé dans les véhicules) épuiserait encore plus rapidement les ressources actuelles. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que 55% de la production électrique belge sont d’origine nucléaire et que l’électricité représente 17% des consommations finales belges. Le nucléaire ne pèse donc que pour un peu moins de 10% de nos consommations finales. Pour couvrir l’ensemble de nos besoins, il faudrait construire plus de 50 nouvelles centrales nucléaires, rien qu’en Belgique.

Bien sûr on parle aujourd’hui de réacteurs à fission de 4ème génération et de fusion nucléaire (le projet ITER). Mais ces deux voies restent aujourd’hui spéculatives. Si elles répondent un jour aux espoirs qu’on leur fait porter, elles ne seront en tous cas pas mises en œuvre de façon industrielle avant 2040 pour les réacteurs de 4ème génération. Pour la fusion, l’avenir est encore plus incertain et il ne devrait pas y avoir d’applications industrielles avant la deuxième moitié du XXIème siècle. A court et même à moyen terme, on ne peut donc compter sur ces nouvelles voies pour couvrir une part significative de nos besoins énergétiques.

Les énergies renouvelables : l’enjeu de l’espace

L’exploitation des énergies renouvelables présente l’immense avantage de ne pas être limitée dans le temps puisqu’elles trouvent leur origine dans le flux solaire qui baigne la terre en permanence (à l’exception de la géothermie). De plus, elles sont produites localement et ne sont liées à aucun problème d’ordre géopolitique. Leur problème vient de leur faible concentration. Au regard de nos besoins énergétiques, le flux solaire est très dilué. Même si notre planète reçoit chaque année de quoi satisfaire plusieurs milliers de fois l’ensemble des besoins de l’humanité, il n’est pas concevable, dans l’état actuel de nos technologies, que la part des énergies renouvelables dépasse quelques pour cent de nos consommations. Une étude financée par la Politique Scientifique chiffre à 20 TWh la production électrique potentielle d’origine renouvelable en Belgique à l’horizon 2025, ce qui représente 25% de la consommation électrique actuelle6.

Cette faible concentration rend la production d’énergie renouvelable consommatrice de beaucoup d’espace. Par exemple, la productivité nette de bioéthanol ou de biodiesel à partir de la biomasse est de l’ordre d’une tep (une tonne d’équivalent pétrole) par ha et par an. En Belgique, les terres utilisées à des fins agricoles couvrent une superficie d’un peu plus de 1 350 000 ha7. Si l’ensemble de celles-ci était cultivé pour les biocarburants, on pourrait produire un peu plus de 15% de la consommation des transports routiers belges qui s’est élevée à 8 500 000 tep en 20048. Mais les agriculteurs belges ne produiraient plus un grain de froment, plus un litre de lait pour notre alimentation.

Faudra-t-il choisir entre manger et rouler ? Faudra-t-il importer massivement de la biomasse à usage énergétique des pays du Sud ? La sécurité alimentaire de l’humanité entière risque d’être déstabilisée par notre appétit de transport individuel. C’est donc bien l’espace disponible qui sera le facteur limitant du développement des énergies renouvelables. En conclusion, les énergies renouvelables sont appelées à se développer. Mais pour qu’elles couvrent une part significative de nos besoins énergétiques, elles devront être accompagnées d’une stabilisation puis d’une diminution drastique de nos consommations. Le rêve d’une croissance illimitée des consommations énergétiques relève encore et pour longtemps de la science-fiction.

Les économies d’énergie, si simples et si compliquées

Les énergies renouvelables doivent impérativement s’accompagner d’une maîtrise puis d’une diminution de nos consommations énergétiques. Les gisements de négawattheures, c’est-à-dire des kilowattheures qui ne sont pas consommés, sont énormes. On ne leur connaît que des avantages. Ils ont un impact positif sur l’environnement, seule l’énergie qui n’est pas consommée ne polluant absolument pas. Ils ne sont pas non plus sujets aux aléas géopolitiques et représentent des quantités d’énergie considérables. La consommation moyenne de combustible d’un logement belge est de l’ordre de 2.5 ktep/an alors qu’il est aujourd’hui possible de construire des maisons passives qui peuvent éviter, ou presque, tout chauffage.

Elles impliquent toutefois des changements technologiques qui peuvent s’avérer coûteux et donc peu rentables si les prix des énergies se replient. Mais elles impliqueront aussi des changements de comportements qui seront sans doute les plus difficiles à mettre en œuvre. Les potentiels de réduction de consommation sont considérables. L’exemple le plus frappant nous est donné par les transports. On peut gagner 10 à 20, voire 30% de consommation en optant pour une voiture plus économique pour se rendre à son travail. On gagne nettement plus en optant pour les transports en commun9. L’organisation moderne de l’agroalimentaire fait parcourir des distances considérables aux produits que nous consommons. Une alimentation durable réclame plus de légumes belges dans nos assiettes et moins de pommes importées d’Afrique du Sud.

Les flux énergétiques belges en une image

Un schéma des flux énergétiques présente en un seul graphique la situation énergétique d’une entité géographique. A gauche, on trouve l’ensemble des approvisionnements énergétiques dont la somme (diminuée des éventuelles exportations) donne la consommation intérieure brute (CIB). Pour la compréhension du graphique, notons qu’une ligne horizontale indique une importation nette alors qu’une ligne descendante signale une production locale. On constate à la Figure 2 que la Belgique importe la quasi totalité de l’énergie qu’elle consomme. Les seules productions énergétiques sont constituées d’un peu de charbon (récupéré sur les terrils) d’un peu de bois et d’hydroélectricité. La Belgique est dépendante à hauteur de 98% de l’étranger pour son approvisionnement énergétique.

La partie centrale d’un schéma des flux représente l’ensemble des processus de transformation de l’énergie. En effet, si certains vecteurs énergétiques (gaz naturel, produits pétroliers) sont consommés tels quels par les consommateurs finaux, d’autres sont, par contre, transformés avant leur utilisation finale. Il s’agit principalement de l’ensemble des combustibles (fossiles, renouvelables, nucléaires) qui sont transformés pour produire de l’électricité mais aussi du charbon transformé en coke dans les cokeries et du pétrole transformé en essence, diesel et gasoil dans les raffineries. On observe ici l’importance des pertes thermiques qui ont lieu dans les centrales électriques. Elles sont symbolisées par la flèche verticale dirigée vers le bas au centre du graphique. Les processus de transformation d’énergie n’ont jamais un rendement de 100%, il y a toujours des pertes. Dans le cas des centrales électriques, dont le rendement de transformation va de 20 à 50%10 suivant les technologies utilisées, il s’agit de chaleur. L’objectif de la cogénération est d’en récupérer au moins une partie.

Enfin, la partie droite du graphique donne l’ensemble des consommations énergétiques finales secteur par secteur et vecteur par vecteur. On y constate ainsi que le secteur des transports consomme presque exclusivement des produits pétroliers (essences et diesel). L’électricité est, par contre, partout présente de façon significative sauf dans les transports où son utilisation reste marginale (trains, trams, métro).

Figure 2 : Diagramme des flux énergétiques belges pour l’année 2004. Source Eurostat

Le Belge consomme trois fois plus d’énergie que le Terrien moyen

En 2004, la consommation intérieure brute de la Belgique s’est élevée à 55 Mtep , soit 0.56% de la consommation mondiale alors que la population belge représente 0.17% du total mondial. Le Belge moyen a donc consommé 3.4 fois plus que le Terrien moyen. En moyenne, comme le rappelle le diagramme des flux, le nucléaire est très présent dans la production électrique belge. Il en représente une part de 55%. Son poids dans la consommation intérieure brute est de 22% (partie gauche du diagramme). Mais l’électricité ne représente ‘que’ 17% des consommations finales (partie droite du diagramme). Le nucléaire est donc à l’origine de 10% de la consommation finale belge. En 2004, celle-ci s’est élevée en 2004 à un total de 42 Mtep. L’industrie y prend une part de 30% qui monte à 40 % si on y ajoute les usages non énergétiques des combustibles (utilisation du pétrole comme matière première dans la fabrication de plastique, du gaz naturel pour la production d’engrais…). Quant aux transports, ils représentent 24% du total et constituent le secteur en plus forte croissance. Les secteurs tertiaire, résidentiel et agricole, parfois regroupés sous le terme générique de « domestique12 » et assimilés, représentent un peu plus du tiers de la consommation finale totale.

Un bilan provisoire de la libéralisation de l’électricité et du gaz

Au cours des années 90, plusieurs directives ont jeté les bases d’un grand marché européen du gaz et de l’électricité13. Chaque consommateur pourra bientôt choisir son fournisseur d’électricité et de gaz naturel. C’est déjà le cas en Flandre depuis le 1er juillet 2003. Le 1er janvier 2007, ce sera chose faite en Wallonie et à Bruxelles. Jusque-là, les marchés du gaz et de l’électricité étaient caractérisés par des situations de quasi-monopole avec Electrabel (90% du marché) et la SPE (10% du marché) pour l’électricité. Distrigaz assurait l’approvisionnement en gaz naturel. Les activités de production, de transport-distribution et de fourniture étaient, pour l’essentiel, concentrées dans les mains de ces entreprises privées, éventuellement au travers des intercommunales de distribution d’électricité et du gaz naturel (Sibelga, Interlux, …). Les prix de l’électricité et du gaz naturel étaient basés sur les coûts de production et de distribution approuvés par le Comité de Contrôle de l’Electricité et du Gaz (CCEG).

La libéralisation progressive des marchés (initiée en 1999 pour les plus gros consommateurs) a séparé ces différents métiers en trois grandes catégories. Les producteurs, les gestionnaires de réseau de transport – distribution (Elia pour le transport, les anciennes intercommunales pour la distribution) et enfin les fournisseurs14. La Figure 3 explicite la situation avant et après libéralisation des marchés. Pour bien la comprendre, il faut s’imaginer le nouveau visage du fournisseur. Une fois les contrats conclus avec ses différents clients (ménages, entreprises tertiaires ou industrielles), il s’approvisionnera auprès des producteurs d’électricité ou de gaz naturel et s’acquittera d’une redevance de passage sur les réseaux de transport et de distribution. Le fournisseur d’énergie est comme un grand magasin qui nous propose des biens de consommation (ici de l’électricité ou du gaz naturel). Il veille à son transport et répercute ce coût dans le prix final. Un fournisseur pourra d’ailleurs être également un producteur, comme c’est aussi le cas pour les grands magasins.

Fonctionnement du marché Fonctionnement du marché

avant la libéralisation après la libéralisation

Figure 3 : Schéma de fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz avant et après libéralisation

Une fois la libéralisation effective pour l’ensemble des consommateurs (depuis le 1er juillet 2003 en Flandre et au 1er janvier 2007 en Wallonie et à Bruxelles), ce sont les fournisseurs qui factureront l’électricité et le gaz consommés par les ménages. Les transporteurs Elia et Fluxys ainsi que les Intercommunales de distribution ne seront plus là que pour acheminer le courant (et/ou le gaz) que chacun aura acheté au fournisseur de son choix. Les gestionnaires de réseau (Elia, Fluxys et les Intercommunales) agiront un peu comme un transporteur qui livre à domicile le vin acheté directement chez un viticulteur.

Une baisse des prix qui se fait attendre

Alors qu’on s’attendait à ce que la libéralisation fasse baisser les prix de l’électricité et du gaz, ceux-ci s’orientent à la hausse, particulièrement pour les gros consommateurs industriels. Au moins deux raisons expliquent cette évolution.

Primo, le marché n’est pas suffisamment concurrentiel parce qu’il reste dominé par un nombre réduit d’acteurs dominants. Les industriels qui doivent aujourd’hui négocier un contrat de fourniture avec les fournisseurs d’électricité constatent que les prix offerts ont augmenté de près de 20%. En effet, les prix de l’électricité proposés actuellement aux industries sont proches des coûts de production d’une centrale TGV (Turbine Gaz-Vapeur) alimentée au gaz naturel. Ceux-ci sont beaucoup plus élevés que par le passé quand ils étaient basés sur les coûts moyens du parc de production. Pour donner quelques ordres de grandeur, on peut estimer que les coûts de production de l’électricité étaient en octobre 2006 de l’ordre de 15€/MWh lorsque les centrales nucléaires sont amorties, de 30€/MWh dans les centrales au charbon et de 50€/MWh dans les centrales au gaz naturel15. Ces coûts montent à environ 40€/MWh pour le charbon et à 55€/MWh pour le gaz naturel si on tient compte du coût actuel du CO2 .

Secundo, la hausse des prix que nous connaissons depuis 2000 se répercute aussi sur les prix de l’électricité et du gaz naturel. Demain, les énergies seront plus chères. Cela paraît inéluctable et cela devrait nous pousser à les consommer plus rationnellement. Des énergies chères devraient faire reculer tant la dépendance géopolitico-énergétique que les émissions de gaz à effet de serre. Mais le risque est grand que l’envolée des prix ne fragilise encore un peu plus les ménages en situation précaire. Une partie croissante de la population pourrait ne plus avoir accès au minimum d’énergie (gaz naturel, électricité mais aussi bien sûr, produits pétroliers) qui assure une vie décente. En 2002, c’est-à-dire avant les fortes hausses des produits pétroliers de ces deux dernières années et avant la libéralisation du marché de la clientèle résidentielle, l’ensemble des factures énergétiques (électricité, gaz, mazout de chauffage) représentait déjà l’équivalent de près de 10% des revenus disponibles des Belges aux revenus les plus faibles.

Figure 4 : Part de la facture dans le revenu disponible par décile16 de revenus en Belgique en 2002. Source : DGSIE – Enquête sur le budget des ménages

Questions sur la sortie annoncée du nucléaire

En 2006, on ne peut pas parler d’électricité sans aborder la question du nucléaire et de la sortie annoncée de cette filière énergétique. L’atome pèse en effet lourd en Belgique. Le nucléaire assure 55% de la production électrique ou 10% de la consommation finale totale. En 2004, le gaz naturel assurait, lui, 26% du total en 2004 et le charbon seulement 11%. Les autres formes d’énergie, dont l’ensemble des renouvelables, ne produisent toujours qu’une très faible part de l’électricité belge. Aujourd’hui, il paraît vraisemblable que les centrales nucléaires seront principalement remplacées par des centrales alimentées en gaz naturel. Le défi géopolitique, financier et climatique est de taille. Est-il bien raisonnable de faire dépendre l’essentiel de la production électrique belge du gaz naturel alors que les réserves gazières mondiales sont limitées et détenues par des pays17 qui pourraient être tentés de s’en servir à des fins politiques ? Le défi est aussi financier. Le remplacement de la moitié du parc de production électrique belge nécessitera des investissements massifs dans des moyens de productions alternatifs. Enfin, on ne peut passer sous silence la dimension climatique de l’arrêt du nucléaire. Des centrales qui produisent peu de CO2 devront être remplacées par d’autres qui en émettront nécessairement beaucoup plus (gaz naturel ou charbon).

Par ailleurs, il est sans doute intéressant de conserver un talon de production électrique alimentée en charbon pour conforter la sécurité d’approvisionnement énergétique. Les grandes unités de combustion comme les centrales électriques sont les mieux à même de brûler ce combustible fossile dans des conditions environnementales satisfaisantes19. Si la séquestration du CO2 est un jour lancée, les coûts d’investissement imposeront de le faire dans des unités de production centralisées. Le prix de l’électricité devrait alors être majoré, incitant l’ensemble des consommateurs à plus de frugalité énergétique.

Croire que l’on pourra remplacer le nucléaire par du gaz naturel nous paraît aujourd’hui dangereux, essentiellement du point de vue de la sécurité d’approvisionnement électrique. L’approvisionnement en gaz naturel est trop sensible d’un point de vue géopolitique et trop incertain à long terme. Le potentiel du renouvelable est, quant à lui, trop faible pour assurer plus de 25% de notre consommation dans l’état actuel des connaissances et des techniques. La sortie du nucléaire doit donc s’accompagner d’une maîtrise puis d’une réduction des consommations électriques si l’on veut respecter les engagements du Protocole de Kyoto.

Figure 5 : Production d’électricité nette en Belgique par source d’énergie primaire en 200420. Source FPE

Figure 6 : Evolution de la production électrique en Belgique nette annuelle par source d’énergie primaire. Source FPE

La réalité des chiffres bruxellois

La situation énergétique de la Région de Bruxelles-Capitale est très particulière. Il s’agit d’une région essentiellement urbaine dont le tissu industriel s’est réduit comme peau de chagrin. En 2004, l’essentiel de sa consommation énergétique était le fait des secteurs tertiaire et résidentiel ainsi que du transport, essentiellement routier. La consommation finale totale s’est élevée à 26 TWh soit 2.2 Mtep.

Bruxelles ne compte pas de très gros consommateurs dont les éventuelles baisses de consommation pourraient exempter les autres d’actions énergiques. Chacun a donc un grand rôle à jouer ! Or la consommation générale et en particulier la consommation électrique du tertiaire et du résidentiel sont en croissance. L’énergie ne semble pas encore peser bien lourd dans les dépenses annuelles de nombreuses entreprises du tertiaire (commerces, bureaux…). Elle ne fait pas partie de leur core business. En réduire les consommations est rarement une priorité. La chasse aux économies d’énergie dans les entreprises du tertiaire bruxelloises représente dès lors un bon débouché potentiel pour des sociétés de tiers financement ou de services énergétiques.

Quant aux transports, ils connaissent une croissance impressionnante. Ce n’est pas une spécificité bruxelloise. Certes, au cours de la période 1980-1985, la hausse des prix consécutive au deuxième choc pétrolier a provoqué une baisse puis une relative stabilisation des consommations de carburants. Mais il est trop tôt pour savoir si les hausses de prix de 2006 freineront encore une fois les appétits de mobilité.

Ce n’est donc pas en créant de nouveaux axes routiers que l’on pourra résoudre nos problèmes de mobilité. Jusqu’à présent, l’offre de voiries a toujours créé un effet d’aspiration qui a poussé les consommations à la hausse. La solution se trouve certainement dans une augmentation de l’offre de transports en commun mais aussi dans une diminution des besoins de mobilité. Une fois de plus, c’est l’organisation de la société qu’il faut repenser. Un habitat plus dense, des zones d’activité économiques plus proches des centres-villes impliquent moins de trajets en voiture.

La réalité des chiffres wallons

La Région wallonne se caractérise par le poids considérable qu’occupe encore l’industrie. En 2004, près de la moitié des consommations énergétiques (44%) trouvait son origine dans ce secteur d’activité. Cette année-là, elles s’élevaient à 158 TWh ou encore 13.6 Mtep. Toutefois, on assiste actuellement à de profondes mutations. L’érosion du poids de l’industrie dans le bilan énergétique régional s’explique par des baisses d’activité dans certains gros secteurs, comme dans la production d’acier au début des années 80 ainsi que par le recours à des processus de production moins consommateurs (remplacement de hauts-fourneaux par des fours électriques, passage de la voie humide à la voie sèche en cimenterie…). La baisse continue des consommations industrielles enregistrée depuis 2001 va se poursuivre au moins jusqu’en 2010, à cause notamment de l’arrêt de l’ensemble de la phase à chaud de la sidérurgie liégeoise.

Cette baisse de l’activité industrielle lourde s’accompagne heureusement de la création de nouvelles filières moins énergivores (parachimie, agroalimentaire,…) mais aussi d’une importante progression du secteur tertiaire. Sur ce plan, on retrouve en Wallonie les mêmes caractéristiques qu’à Bruxelles : une croissance vigoureuse des consommations du secteur tertiaire et en particulier, une forte croissance des consommations électriques dans tous les secteurs d’activités (hors transports). Elles progressent de 24% dans l’industrie, 50% dans le tertiaire et de 39% dans le résidentiel entre 1990 et 2004. Enfin, on doit aussi noter l’impressionnante augmentation du trafic et donc des consommations énergétiques des transports. A la différence de Bruxelles, les transports routiers ne sont pas les seuls à progresser. Le développement récent des aéroports de Liège et de Charleroi fait exploser les consommations des transports aériens, même si elles restent faibles par rapport aux consommations belges qui sont, elles, essentiellement attribuables à l’aéroport de Bruxelles-National. En 2004, le transport aérien a consommé 217 ktep (soit 2.5 TWh) en Région wallonne contre 1 427 ktep (17 TWh) pour la Belgique.

Si on fait abstraction des impacts sociaux et économiques des fermetures d’outils, on pourrait se réjouir de la baisse des consommations énergétiques wallonnes. Notre économie se tertiarise, elle consomme donc de moins en moins. Mais c’est oublier un peu vite que cette transformation implique que les productions industrielles (et agricoles) que nous consommons sont produites à l’autre bout du monde. La tertiarisation n’est donc pas nécessairement synonyme de meilleures performances énergétiques. Les pays où sont transférées ces productions de masse risquent bien d’être moins attentifs aux questions environnementales. En outre, cette augmentation des distances induit naturellement des transports supplémentaires, notamment d’acier. A l’heure de l’économie de la connaissance, la production d’acier mondiale n’a jamais été aussi forte. En 2004, elle a franchi la barre psychologique du milliard de tonnes.

En route pour le facteur 4 !

Cette photo de la situation énergétique belge, wallonne et bruxelloise nous rappelle que l’énergie est au cœur de nos existences. Nos sociétés modernes se sont construites sur cette idée simple que l’énergie est abondante, bon marché et qu’elle le restera à jamais. Aujourd’hui pourtant, la pénurie annoncée des énergies fossiles, l’augmentation de leur prix, leurs impacts croissants sur l’environnement se rappellent à notre bon souvenir. Il s’agit là de défis nouveaux et considérables qu’on peut résumer de la sorte : Comment assurer un développement économique équitable sans compromettre l’avenir dans une perspective d’urgence climatique et de rareté énergétique ? Devant l’implacable réalité, on peut être tenté par la fuite en avant. Tant qu’il y a du pétrole, consommons… On peut se bercer d’illusions. Les nouvelles technologies, de nouveaux gisements nous permettront de contourner la difficulté, l’huile de colza remplacera le pétrole… Notre conviction profonde est, au contraire, qu’il est nécessaire et possible de vivre aussi bien, sinon mieux en consommant moins, beaucoup moins. C’est la théorie du facteur 4 (2 fois plus de bien-être et 2 fois moins de consommation)21. Bien sûr, cela nécessitera du courage, de la persévérance et de l’imagination. Cela demandera d’utiliser au mieux les progrès technologiques et de repenser nos organisations, mais il est sûrement préférable de choisir le changement, de l’accompagner et de le gérer plutôt que d’attendre que les crises internationales, la géologie pétrolière ou encore le changement climatique nous rappellent brutalement à l’ordre.

1Direction Générale des Technologies, de la Recherche et de l’Energie soit l’administration wallonne en charge de l’énergie.

2 Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement nouvellement rebaptisé Bruxelles – Environnement

3Celui qui voudra approfondir la question trouvera sur le site Internet de l’IBGE (http://www.ibgebim.be/francais/contenu/content.asp?ref=2170) et sur le site portail de la Région wallonne (http://energie.wallonie.be) les bilans énergétiques complets de ces deux régions. De même, un atlas énergétique de la région wallonne est également accessible sur le site portail.

4Pétrole, gaz naturel, charbon, nucléaire, hydroélectricité

5Du CO2 est indirectement émis au moment de la construction de la centrale et au cours de l’extraction/préparation/retraitement du combustible nucléaire.

6Renewable Energy Evolution in Belgium 1974-2025 – SPSD II – Juin 2004 page 85

7http://www.statbel.fgov.be/downloads/cah2006m_fr.xls

8Eurostat Energie Statistiques annuelles Données 2004

9On peut citer la prise de position de l’UITP (http://www.uitp.com/eupolicy/positions/2006/03/Climate_Change_FR.pdf) qui rappelle qu’un bus consomme de 3 à 10 fois moins qu’une voiture individuelle par personne transportée.

10Les centrales thermiques classiques au charbon et les centrales nucléaires ont un rendement électrique de 30 à 38%. Les nouvelles centrales TGV (Turbine Gaz Vapeur) ont, quant à elles, un rendement électrique exceptionnel de 50% voire 55%. On peut s’étonner de l’importance des pertes dans la production d’électricité (même dans le cas des TGV). Il s’agit là des conséquences des lois de la thermodynamique qui gouverne l’ensemble des processus naturels.

11Eurostat Energie Statistiques annuelles Données 2004

12Le domestique est une appellation européenne qui regroupe le tertiaire et le résidentiel

13Il s’agit principalement des directives 96/92/CE et 2003/54/CE pour l’électricité ainsi que 98/30/CE et 2003/55/CE pour le gaz naturel

14La liste des fournisseurs actifs dans une région donnée est accessible sur les sites des régulateurs régionaux, la CWaPE en Wallonie, l’IBGE à Bruxelles, la VREG en Région flamande

15Eric de Keuleneer, Présentation à la journée d’études « L’énergie nucléaire au XXIème siècle – Promesses et réalité » – 19 octobre 2006.

16Une répartition en décile correspond à une distribution statistique en dix classes d’effectif égal. Le décile 1 reprend donc les 10% de ménages aux revenus les plus faibles.

17L’essentiel des réserves mondiales de gaz naturel, plus des deux tiers, est, rappelons-le, concentré en ex-URSS et au Moyen-Orient.

18La durée d’utilisation se calcule en divisant la production annuelle par la puissance nominale. Elle correspond donc au nombre d’heures que la centrale aurait dû tourner à puissance nominale pour obtenir la production réelle.

19Désulfuration des fumées et, peut-être, à terme possibilité de séquestrer le CO2.

20Les gaz fatals sont issus de process industriels comme, par exemple, les gaz de hauts-fourneaux ou les gaz de cokerie, l’appellation ‘Liquides’ reprend l’ensemble des produits pétroliers liquides (kérosène, fuel lourd, …).

21Facteur 4 : Deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources. Un rapport au Club de Rome E Von Weisäcker, AB Lovins, LH Lovins.

pour comprendre les chiffres et les abréviations

Table de conversion

TJ tep GWh
TJ 1 23,889 0,278
tep 0,04186 1 0,0116
GWh 3,6 86 1

Les énergies

J Joule
tep tonne équivalent pétrole
kWh kilowattheure

Les multiples

k kilo 103 millier
M méga 106 million
G giga 109 milliard
T téra 1012 mille milliards
P péta 1015 million de milliards

Les pouvoirs calorifiques (valeurs indicatives) en mégajoules

1 m3 de gaz naturel 36 MJ (PCI)
1 litre de mazout 36 MJ (PCI)
1 kg de charbon 28 MJ (PCI)
1 kg de propane 46 MJ (PCI)
10 kWh d’électricité 36 MJ
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