Un texte de Grégoire Wallenborn, publié dans la revue Etopia n°2.
Réduire sa consommation et ses effets négatifs sur notre environnement sans renforcer les injustices constitue un défi politique de taille pour tous les gouvernements des pays industrialisés. Une connaissance fine des comportements de consommation peut contribuer à aider au choix de mesures qui, loin de culpabiliser, montrent que les indispensables changements sont possibles et bénéfiques. Construire une vraie culture de l’énergie en Belgique reste une tâche indispensable, comme le montre le présent article qui s’appuie sur une étude menée récemment avec Catherine Rousseau (CRIOC) et Karine Thollier (ICEDD)1 pour comprendre pourquoi et comment les Belges consomment l’énergie chez eux2.
La consommation d’énergie devient de plus en plus un problème à la fois environnemental et social. D’un côté les préoccupations climatiques peuvent nous pousser à souhaiter que les prix des hydrocarbures augmentent parce que cela pousse les consommateurs à économiser, comme on l’a constaté lors des précédents chocs pétroliers. Mais de l’autre, les personnes les plus durement touchées par une augmentation des prix de l’énergie seront celles qui ont déjà du mal à se chauffer, à se soigner, à nouer les deux bouts. Elles devront donc opérer des arbitrages impossibles entre différents besoins de base : chauffage, santé, alimentation, etc. Notre économie étant encore très dépendante du pétrole, une augmentation chaotique de son prix aura des répercussions économiques, sociales et politiques importantes. Comme le font remarquer Jancovici et Grandjean3, à moins de nous désintoxiquer rapidement des combustibles fossiles, nous risquons de nous précipiter vers une récession profonde et généralisée. Et rien ne nous met à l’abri des dérives politiques qui s’ensuivraient. Vers quels partis les plus démunis pourraient-ils se tourner ? Par conséquent, des politiques volontaristes doivent être lancées de manière anticipative, avant que la marge de manœuvre du politique ne soit contrainte par l’ampleur du problème économique. Pour être efficaces, elles doivent se baser sur une bonne connaissance des comportements actuels.
La consommation d’énergie des Belges en quelques chiffres
La Belgique est l’un des pays européens où la consommation d’énergie totale par habitant est la plus élevée. Il semble en outre que, relativement aux pays voisins, la consommation d’énergie liée au chauffage soit également élevée4. En Belgique, la consommation d’énergie des ménages représente un peu moins d’un quart de la consommation totale d’énergie primaire5. Au sein de celle-ci, la consommation d’énergie résidentielle est responsable de près de 16% des émissions de gaz à effet de serre, soit une émission annuelle d’environ 24 MT de CO2. Le chauffage des bâtiments (tertiaire inclus) est la première source d’émission de gaz à effet de serre en Belgique en 2003 (21,8%), en augmentation de 14,3% par rapport à 1990. Après les transports, il s’agit de la plus forte progression. La figure 1 montre l’évolution de la consommation d’énergie par secteur pour la Région wallonne depuis 1990 (indice 100) et dissocie le tertiaire du logement. Bien que la croissance de la consommation du logement n’est pas la plus forte, elle est contraire au protocole de Kyoto.
Figure 1 (Source : Tableau de Bord de l’Environnement (Région Wallonne).)
L’examen des consommations moyennes d’énergie d’un ménage (wallon en l’occurrence) montre (figure 2) que le chauffage représente plus de la moitié et l’automobile environ un quart de la consommation. Mais en termes de budget, cette répartition est à peu près inversée : le chauffage représente en moyenne 29% de la facture d’énergie, tandis que la voiture individuelle absorbe 46 % du budget !
Figure 2 : Répartition de la consommation globale d’énergie d’un ménage wallon (source : ICEDD)
Les deux grands secteurs où un effort de réduction de consommation d’énergie par les ménages devrait être accompli sont le transport et le chauffage, sans oublier la consommation d’électricité qui est en augmentation constante alors que celle d’énergie pour le chauffage semble se stabiliser. L’augmentation du nombre d’appareils électroménagers par ménage explique cette croissance de la consommation d’électricité. Mais il est plus difficile d’agir dans ce secteur, tant la vie moderne et son confort semblent y être étroitement associés. En outre, la consommation d’électricité est liée à un grand nombre d’appareils qui répondent à des usages très différents.
Classes de revenus, classes de consommateurs d’énergie
La part de l’énergie résidentielle dans le budget des ménages (fig. 3) a baissé entre 1997 et 2004, soit avant le renchérissement récent de l’énergie. Les Wallons consacrent une part relativement plus importante de leur budget à l’énergie domestique. En effet, les revenus moyens sont plus bas en Wallonie qu’en Flandre et le chauffage correspond à un besoin primaire. Il est dès lors difficile d’en diminuer les coûts à moins de procéder à des investissements souvent onéreux. Les Bruxellois – bien que disposant de revenus inférieurs à la moyenne nationale – consacrent proportionnellement moins d’argent à l’énergie domestique : leurs logements sont groupés (appartements, maisons mitoyennes) et leurs surfaces plus petites (ce qui compense l’ancienneté de l’habitat, voire sa vétusté).
Figure 3 : Evolution de la part de l’énergie résidentielle dans le budget des ménages belges (Source : INS)
Ces parts dans les budgets des ménages cachent en fait une grande disparité selon les revenus. En effet, l’observation des consommations d’énergie en fonction des déciles de revenu6 (fig. 4) permet de constater deux tendances très différentes :
•une corrélation entre la consommation d’électricité et le revenu (autrement dit, plus on est riche, plus on consomme de l’électricité) ;
•une consommation pour se chauffer à peu près constante d’un décile à l’autre (sauf pour le 10e décile) (en effet pour obtenir les frais moyens de chauffage, il faut additionner le gaz et le mazout7, qui sont des moyennes par décile).
Figure 4 : Factures d’énergie par décile de revenu (Source : INS – Enquête socioéconomique 2001)
Si l’idée d’un tarif progressif (plus on consomme, plus le prix du kWh est élevé) a un sens en matière d’électricité, elle est clairement antisociale pour les combustibles de chauffage, du moins en l’absence de mesures d’accompagnement. Cela ressort encore plus clairement de la figure 5 qui montre la part du budget que consacrent les différents déciles au paiement de leurs factures d’énergie.
Fig. 5. Part du budget consacré à l’énergie par décile de revenu (Source : INS – Enquête socioéconomique 2001)
Les 10% de ménages les plus riches dépensent proportionnellement trois fois moins pour se chauffer (gaz + mazout) que les 10% des ménages les plus pauvres. Et pourtant, il est inutile de préciser qu’une villa quatre façades et un deux-pièces vétuste n’offrent pas les mêmes volumes chauffés…
Les dynamiques de consommation domestique d’énergie
Au-delà des grandes tendances, il est utile d’examiner la manière dont les ménages belges consomment l’énergie dans leur vie privée. Les observations qui vont suivre sont tirées d’une étude réalisée avec le CRIOC et l’ICEDD8. Réalisée en 2005, elle comprend un volet qualitatif (groupes de discussion, entrevues individuelles, interviews de professionnels du secteur) et un volet quantitatif (sondage auprès de mille Belges durant l’été 2005).
1. Des connaissances parfois très fragmentaires
L’énergie reste une grandeur physique mal appréhendée par le grand public. Sa visibilité se résume souvent à ses utilisations (chauffage, éclairage, appareils…). Très souvent, les personnes ne connaissent pas la quantité d’énergie qu’ils utilisent, ni de manière globale, ni par source, ni par type d’utilisation. Ils ne sont pas en mesure de donner une estimation quantitative même approximative, que ce soit en m3 ou en kWh. 62% ne sont pas en mesure de communiquer le montant de leur facture annuelle de chauffage et 50% ne savent pas donner une estimation de leurs coûts mensuels d’électricité domestique ! Le système de domiciliation des factures empêche d’avoir fréquemment sa consommation à l’esprit et contribue sans doute à ce que l’énergie ne soit pas un problème pour une majorité des Belges.
Beaucoup de fausses idées continuent à circuler : « Pour ne pas trop consommer, il vaut mieux maintenir une température constante jour et nuit » ; « Les ampoules fluocompactes consomment beaucoup à l’allumage et ne doivent donc pas être placées dans les couloirs » ; « Les primes pour isoler ou remplacer sa chaudière sont une mauvaise affaire car on risque de voir son revenu cadastral augmenter »…
Un grand nombre de personnes surestiment l’isolation de leur logement, car leurs déclarations ne recoupent pas d’autres enquêtes plus objectives. Ceux qui isolent le toit de leur grenier le font sans demander conseil. Et s’ils s’adressent à un architecte, il y a beaucoup de chances pour que celui-ci fasse des recommandations nettement en deçà de l’optimum économique.
Par ailleurs, les primes sont peu connues. Pourtant, plus de trois quarts des personnes se disent bien informées à propos des économies d’énergie. La sensibilisation du public à l’isolation des logements se heurte donc à de nombreux obstacles !
2.Attitudes, représentations et motivations : la cohérence par le discours
La perception générale de l’énergie est spontanément associée aux coûts et à l’environnement. Cela change lorsqu’on passe à la représentation de l’énergie à domicile. L’environnement et l’économie cèdent alors le pas aux notions de services et de confort.
Les motivations à l’adoption de comportements d’économie varient selon les individus mais aussi, pour un même individu, selon les secteurs de la consommation et/ou les types de comportement. Les logiques sont différentes en ce qui concerne les investissements et les comportements quotidiens. Généralement les économies sont davantage considérées comme le résultat d’investissements plutôt que de comportements quotidiens. Ceux qui ont investi pensent qu’ils ont fait le nécessaire pour économiser de l’énergie et ne cherchent guère à adopter des comportements plus économes.
L’adoption de tels comportements est rarement l’expression de motivations environnementales, même si le souci de l’environnement peut la conforter. La recherche d’économies financières n’est pas non plus dominante. Par exemple, les économies d’énergie réalisées suite à un investissement ne sont pas considérées comme des économies financières mais comme un lent retour d’investissement. Cependant, une situation financière dégradée peut renforcer l’attention pour les coûts énergétiques et l’adoption de comportements plus économes.
Le coût de l’énergie ne semble pas influencer les comportements de manière prépondérante, du moins pas dans la mesure des variations des prix de ces dernières années. 75% des personnes interrogées trouvent que l’énergie pour le chauffage est chère sans que cela ne justifie l’adoption de comportements économes. Seules les personnes qui connaissent des situations financières difficiles ou des situations financières qui se sont brusquement dégradées, cherchent à faire de réelles économies financières dans le domaine de l’énergie. Elles le vivent alors comme une contrainte.
Le niveau de revenu semble influencer à la hausse aussi bien la consommation d’énergie que les comportements d’économies d’énergie. En effet, on constate que les investissements ou les comportements économes en énergie sont davantage le fait des groupes sociaux supérieurs ou moyens, bénéficiant en moyenne de revenus plus élevés et d’un meilleur niveau d’éducation. Or ces mêmes personnes disposent généralement d’un logement plus grand et de plus d’appareils électriques. Leurs consommations sont alors plus importantes même si elles déclarent adopter plus de comportements économes.
Les personnes ont tendance à sous-évaluer l’impact de leur consommation domestique sur l’environnement. Les responsabilités en matière d’effet de serre sont rejetées sur d’autres secteurs (transport, industries…) et sur d’autres acteurs (entreprises, pouvoirs publics…). Elles considèrent que leur consommation est nécessaire et qu’elle est limitée par rapport à d’autres. Elles trouvent dès lors que les efforts doivent être consentis en priorité à d’autres niveaux (secteur public, entreprises…). Par exemple, en ce qui concerne les produits, la plupart des personnes estiment qu’il revient aux pouvoirs publics de fixer des normes environnementales et aux fabricants de les respecter. Ainsi, 60% des personnes pensent que la lutte contre le réchauffement climatique est avant tout une question de progrès technologique. 75% des personnes pensent que leurs actions peuvent faire une réelle différence pour l’environnement. Mais ils sont 87% à penser que leurs actions ne feront une différence que si les autres agissent aussi. Les personnes sont donc disposées à agir si elles ont l’impression que leur effort est partagé par d’autres.
Seules les consommations jugées inutiles sont susceptibles de faire l’objet d’économies. Les autres sont considérées comme normales, nécessaires, participant au confort et au bien-être. Les discussions de groupe mais plus encore les interviews en profondeur ont mis en lumière l’importance de l’éducation dans l’acquisition de comportements économes en énergie.
De manière générale, nous observons que les consommateurs tiennent un discours bien plus cohérent que leurs pratiques. Ils peuvent ainsi avoir un discours très cohérent et rigoureux à propos des économies d’énergie, des raisons pour le faire et des moyens à mettre en œuvre, mais ne pas s’apercevoir que certains de leurs gestes sont en contradiction avec leur discours. Cette remarque est relativement évidente : le discours sert précisément à mettre de la cohérence au sein de pratiques quotidiennes disparates. Il est important de s’en souvenir quand on analyse les résultats d’un sondage.
Nous avons pu démontrer que les caractéristiques socio-démographiques (sexe, âge, lieu de résidence, classe sociale…) sont des facteurs explicatifs des comportements économes plus puissants que les facteurs d’attitudes. Ces derniers participent, mais de manière complémentaire, à l’explication des comportements plus ou moins économes. Les attitudes « positives » (envers l’environnement, l’impact de ses activités) ne sont pas des indicateurs du passage à l’acte mais on observe plus d’attitudes positives chez ceux qui passent à l’acte. Les attitudes négatives (énergie chère, progrès technologique, difficulté de maîtriser la consommation d’énergie…) ne semblent pas influencer les comportements dans un sens ou dans l’autre. Ceux qui agissent attribuent plus de sens aux économies que les autres.
Dans le tableau 1, quelques résultats sont montrés en fonction de trois classes sociales définies sur base de la profession du principal responsable des revenus et de son niveau d’instruction.9 On remarque que les gens appartenant aux classes inférieures se sentent moins concernés par les problèmes environnementaux, qu’ils attribuent moins d’importance à l’utilisation rationnelle de l’énergie (URE) mais qu’ils éprouvent plus de difficultés à maîtriser leur énergie.
Tableau 1. Attitudes selon les classes sociales
Non concerné par les problèmes environnementaux | Attitude par
rapport à l’URE |
Difficulté à
maîtriser sa consommation d’énergie |
|
Classes inférieures | 38% | Moins important, moins de
significations |
70% |
Classes moyennes | 32% | Relativement important | 61% |
Classes supérieures | 19% | Important, beaucoup de significations | 55% |
En conclusion, il n’existe pas UNE logique d’utilisation de l’énergie, ni UNE logique d’économies d’énergie. Les logiques se dessinent plutôt par secteur d’activité domestique : s’éclairer, se chauffer, cuisiner, laver le linge… Dans chacun de ces secteurs, les personnes font des choix et adoptent des comportements en fonction de critères et de contraintes, parmi lesquels la question des économies d’énergie ou des économies financières est souvent moins importante que d’autres critères personnels. C’est pourquoi, dans la suite, le secteur du chauffage et le secteur de la consommation d’électricité seront traités séparément.
3.Comportements en matière de chauffage
Pour maîtriser sa consommation d’énergie, un ménage peut adopter deux types de stratégies : 1) investir dans des équipements économes ou dans l’isolation ; 2) modifier ses comportements. A priori on s’attendrait à ce que la première stratégie soit adoptée par les propriétaires et les classes aisées, tandis que la seconde serait plutôt le fait de personnes intéressées par des économies d’argent. Pourtant, les résultats de l’enquête indiquent que seuls 26% des personnes défavorisées diminuent la température de leur logement quand elles s’absentent pendant plus de 4 heures, contre 89% pour les personnes les plus aisées. Ceci est partiellement lié à la possession d’un thermostat (62% des plus pauvres en possèdent contre 92% des plus riches). Neuf personnes aisées sur dix affirment mettre un pull plutôt que d’augmenter le chauffage, tandis que seulement 42 % des personnes plus démunies déclarent le faire. Au-delà de l’interprétation des réponses – les personnes mieux informées savent quelle réponse est attendue de leur part -, il ressort que le chauffage est avant tout motivé par le confort et qu’un logement mal isolé requiert une plus grande température ambiante pour atteindre un confort équivalent. Le chauffage est considéré par tout le monde comme un besoin primaire mais les ménages pauvres sont moins bien lotis pour y faire face. Notons que l’existence des primes est nettement mieux connue des classes supérieures qui sont aussi plus souvent propriétaires. A l’heure actuelle, les primes ne jouent pas un rôle d’entraînement. Elles sont peu demandées lors d’investissements car elles ne sont pas connues ou les personnes ne savent pas où s’adresser, et elles viennent compléter généralement un budget déjà ficelé.
Tableau 2. Comportements et équipements en matière de chauffage
Diminution
de la t° |
Thermostat | Mettre un pull | Nb de pièces | Propriétaires | Connaissance des primes | |
Classes
inférieures |
Nuit : 68%
Absence : 26% |
62% | 42% | 3,2 | 35% | 33% |
Classes moyennes | Nuit : 89%
Absence : 75% |
83% | 63% | 4,1 | 72% | 50% |
Classes
supérieures |
Nuit : 95%
Absence : 85% |
92% | 88% | 5,4 | 82% | 64% |
4.Consommation d’électricité : le confort des électroménagers
La consommation d’électricité des ménages belges a tendance à augmenter. Cela s’explique notamment par la multiplication du nombre d’appareils possédés par les ménages et par la hausse des fréquences d’utilisation. Certains appareils sont présents dans la majorité des ménages: le frigo, la télévision, le lave-linge, le micro-ondes. C’est moins vrai d’autres appareils comme le congélateur, l’ordinateur, la cuisinière électrique, le sèche-linge, le lave-vaisselle… Généralement, les ménages possèdent au maximum un appareil de chaque type, sauf pour les télévisions et les ordinateurs où les ménages en possèdent généralement plus d’un. Très peu de personnes estiment possible de renoncer à l’usage des électroménagers qui font désormais partie de leur quotidien. Elles sont également très peu nombreuses à envisager d’utiliser les appareils de manière différente. Par contre, elles sont nombreuses à estimer plus facile d’acheter des appareils plus performants au niveau énergétique.
Il n’existe pas de dynamique unique de consommation d’électricité, ni de dynamique cohérente d’économie d’électricité. La consommation électrique ne se laisse appréhender qu’au travers des différents secteurs d’activité (éclairage, cuisine, nettoyage, loisirs…). Un exemple : au sein d’un ménage, on fera attention à éteindre les veilles tout en utilisant un puissant éclairage halogène. La tendance est fréquente: des personnes déclarent éteindre dans les pièces inoccupées pour éviter le gaspillage. Mais d’autres déclarent également utiliser l’éclairage pour « créer une ambiance ».
Sans surprise, le taux d’équipements consommateurs d’électricité est corrélé au revenu. Les classes moyennes et supérieures regardent plus souvent le label énergétique lors de l’achat. Elles sont plus convaincues de l’intérêt financier des ampoules économes en énergie. En termes de pratiques, les classes à revenus inférieurs laissent plus souvent la télévision en veille (47% contre 25% pour les classes supérieures) mais lavent plus souvent leur linge à maximum 40°C (41% contre 19%).
Tableau 3. Consommations électriques
Possession d’appareils électriques | Utilisation (jours/an) | Utilisation d’un label lors de l’achat | Intérêt financier pour ampoules économes | Laissent la télévision en veille | Lavage du linge
à max 40°C |
|
Classes
inférieures |
Moins que la moyenne | 1.849 | 72% | 57% | 47% | 41% |
Classes moyennes | Dans la moyenne | 2.140 | 85% | 75% | 33% | 31% |
Classes
supérieures |
Plus que la moyenne | 2.553 | 83% | 75% | 25% | 19% |
Il n’y a pas de culture de l’énergie en Belgique aujourd’hui
la culture de l’énergie est quasi inexistante en Belgique pour l’instant. Les connaissances des Belges sont pauvres, leurs attitudes envers les économies d’énergie peu soutenues, leurs pratiques, quoique très variées, sont peu cohérentes et de gros efforts doivent encore être fournis en matière d’équipements.
Les motivations environnementales ne semblent pas déterminantes. Néanmoins, ce manque d’intérêt pour l’environnement n’inhibe apparemment pas l’adoption de comportements économes. Cela peut en partie expliquer l’inefficacité des discours actuellement développés en matière d’Utilisation Rationnelle de l’Energie qui reposent souvent sur l’hypothèse que si les particuliers veulent économiser l’énergie, c’est pour protéger l’environnement.
Dans le cadre de l’enquête, un groupe de discussion a dû réagir à une plaquette destinée à ‘encourager les économies d’énergie. Les participants ont été invités à réagir à l’extrait suivant tiré d’une brochure de sensibilisation : « A l’échelle de la Région Bruxelloise, les ménages sont responsables de près de la moitié des émissions de CO2. Chacun d’entre nous peut agir concrètement en réduisant sa consommation d’énergie, et par là, contribuer à la protection de l’environnement… »
Les participants ont rejeté ce texte, même si avant sa lecture ils avaient spontanément identifié les déchets et le CO2 comme des problèmes environnementaux. Ils ont estimé qu’on cherchait à les culpabiliser. L’objectif de sensibilisation a donc été manqué. Sans doute parce qu’il a suscité une réaction de rejet et a finalement renforcé l’opinion que les responsabilités sont ailleurs. La plupart des gens ne veulent pas être considérés comme des « extrémistes verts ».
Du point de vue des ménages, l’énergie est distribuée dans une série de gestes qui n’ont pas pour fonction de consommer mais de rendre un ensemble disparate de services : ceux-ci ne sont pas spontanément perçus sous la catégorie d’énergie. Les ménages qui agissent pour diminuer leur consommation le font suite à une concertation explicite en leur sein. Certains se mobilisent même autour de cet objectif mais ils sont rares. Bien sûr, tout le monde sait que l’énergie a un coût et que sa consommation est un problème pour l’environnement mais l’énergie reste une notion abstraite car elle n’est pas spontanément associée à la multitude des gestes qui la font consommer.
L’étude a également permis de constater une absence comparable de culture de l’énergie chez les professionnels. Des rencontres ont été organisées avec des observateurs privilégiés et des praticiens d’une série de secteurs. Elles ont porté sur la consommation d’énergie résidentielle : architecture, chauffage, construction, pouvoirs publics, formateurs, conseillers en énergie, etc.
La plupart d’entre eux ont cité la mauvaise isolation du parc existant pour expliquer la consommation élevée des logements en Belgique. Les avis sont plus partagés sur les nouveaux logements : certains pensent qu’ils demeurent mal isolés, d’autres estiment que l’évolution est favorable. Mais tous s’accordent pour dire que le problème réside dans le contrôle de l’application des normes. De plus, les professionnels du bâtiment apparaissent comme manquant de qualification. Les répondants sont généralement favorables aux mesures d’accompagnement telles que le programme « Construire avec l’énergie » lancé par la Région Wallonne.
Les répondants qui n’ont pas pu réfléchir à la problématique générale de la (sur)consommation domestique d’énergie ont comme premier réflexe de suggérer l’organisation de vastes campagnes d’information (spots TV…) mais ceux qui ont étudié la question remarquent que les campagnes de sensibilisation dans les grands médias sont assez inefficaces car elles sont fugaces.
Les primes sont souvent perçues comme un bon instrument de communication, mais leur efficacité en terme de consommation d’énergie n’est pas vraiment prouvée. Le système actuel de primes est jugé dispersé (il faut un temps considérable pour les rassembler) et instable (changeant au gré des budgets disponibles).
Les interviews de certains professionnels ont confirmé qu’ils jouent un rôle important dans la consommation d’énergie des ménages et dans les pratiques (bonnes ou souvent mauvaises) qu’ils perpétuent. On ne peut se défaire d’une impression de pesanteur de la tradition dans les corps professionnels de la construction et du chauffage. L’attentisme semble encore très présent. Le rôle de conseiller en énergie auprès des ménages reste à assurer !
Pistes pour une politique globale de changement des consommations d’énergie
L’étude a été réalisée pour l’essentiel en 2005, peu avant le renchérissement de l’énergie. Depuis lors, on peut observer certains frémissements au sein de la population10 et des différents acteurs sociétaux11. Les pistes ne manquent pas pour établir un « plan global énergie » qui incorporerait les divers instruments politiques disponibles : réglementaires, économiques (les taxes environnementales sur l’énergie sont particulièrement basses en Belgique), socioculturels (information, sensibilisation, éducation), aménagement du territoire, etc. Les mesures les plus incitatives varient selon les groupes, mais il y a un accord général sur ce qui amènerait les gens à faire plus attention à leur consommation d’énergie : plus de réglementation, une meilleure visualisation de la consommation d’énergie et de ses impacts sur l’environnement, un prix élevé de l’énergie et des conseils personnalisés.
Au-delà d’un catalogue de mesures, il faut veiller à leur cohérence… Trois axes devraient être simultanément développés et intégrés – alors qu’ils sont parfois opposés : efficience ET suffisance ET mobilisation sociétale. Nous avons en effet besoin d’améliorer l’efficacité énergétique via les technologies (ce qui inclut aussi la question de l’appropriation de ces technologies). Mais les technologies ne pourront à elles seules nous faire passer à une société basée sur les énergies renouvelables : il est nécessaire de réduire la consommation d’énergie dans tous les secteurs. Et pour que ces perspectives commencent à pouvoir s’actualiser, il est indispensable d’en faire un véritable projet de société. L’ancienne culture de l’énergie était basée sur la consommation invisible d’une énergie bon marché. La nouvelle culture de l’énergie n’adviendra que si l’énergie est considérée comme un enjeu public.
Pour l’instant, les instruments d’information sont nettement privilégiés par rapport aux instruments réglementaires (le respect des normes est peu contrôlé) et économiques (les incitants et les taxes sont trop réduits). Et on a vu que ces instruments concernent avant tout les ménages privilégiés. Ces instruments visent avant tout les attitudes des gens. Etant donné l’échec relatif de ces instruments, il est indispensable de partir des pratiques des ménages et d’en reconnaître la diversité. Les consommateurs sont très intéressés par un audit gratuit.12 Ils aimeraient que quelqu’un vienne en quelque sorte leur expliquer à la maison ce qu’est la consommation d’énergie et comment ils pourraient la réduire. Chaque ménage, chaque maison étant particulière, il semble normal de demander une aide pour son propre cas. Pour l’instant, les ménages qui font le plus attention à leur consommation d’énergie sont en général des ménages installés depuis longtemps dans leur logement : la question énergétique demande du temps pour être cernée par des individus isolés, livrés à eux-mêmes. Pour être suivis d’effets, les audits doivent être accompagnés, que ce soit sur le plan financier ou par un contact régulier de proximité. Par ailleurs, le particulier qui veut procéder à des travaux chez lui est aujourd’hui très désemparé. Il est très difficile de trouver des informations fiables (pour les ménages et pour les professionnels). A chacun des stades du processus, depuis la conception jusqu’au contrôle, il manque un accompagnement professionnel. Un nouveau métier est appelé à connaître un développement important, notamment dans le cadre de la directive européenne sur la PEB (Performance Energétique des Bâtiments), celui de conseiller en énergie.
Dans une seconde étape, lorsqu’une personne a posé un geste pour épargner de l’énergie, il est possible d’utiliser ces modifications pour que l’énergie devienne une question importante et pour alors donner un sens, par exemple, au Protocole de Kyoto. Les deux étapes (pratique et enjeu) ne sont pas chronologiques mais logiques : être au plus près des pratiques des gens (audits), pour ensuite leur montrer le lien entre leurs gestes et l’environnement. Sous peine de culpabiliser les personnes, c’est-à-dire de les rendre impuissantes, on ne peut partir des questions essentielles que soulève la consommation d’énergies non renouvelables, sans organiser au préalable une politique générale d’aide et d’accompagnement qui tienne compte de la très grande hétérogénéité des pratiques.
[[1http://www.belspo.be/belspo/fedra/proj.asp?l=fr&COD=CP/50
2Nous n’avons donc pas étudié la question des transports, ni l’ « énergie grise » (c’est-à-dire l’énergie nécessaire à la fabrication des produits consommés).
3Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean, Le plein s’il vous plait !, Le Seuil, 2006
4En matière de comparaison avec les pays européens, la précaution est de mise car il n’existe pour l’instant pas de base de données fiable : les chiffres fournis par la Belgique mélangent les secteur domestique et tertiaire. Ainsi les indicateurs que l’on trouve sur le site odyssee-indicators.org sont sujets à caution pour la Belgique de l’avis même de ceux qui les construisent.
5A. Henry, 2005, Quelle énergie pour un développement durable ?, Working Paper du Bureau du Plan.
6Le premier décile comprend les 10% des ménages les plus pauvres, et le 10e décile comprend les 10% les plus riches.
7On néglige ici les ménages qui se chauffent à l’électricité qui, heureusement, sont relativement peu nombreux en Belgique (environ 5%).
8Le rapport final de l’étude, son résumé et ses annexes sont disponibles à : http://www.belspo.be/belspo/fedra/proj.asp?l=fr&COD=CP/50
9Pour une analyse des impacts générés par les ménages en fonction des classes sociales, voir Grégoire Wallenborn & Joël Dozzi, « Du point de vue environnemental, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé ? », in P. Cornut, T. Bauler & E. Zaccaï (eds.), Environnement et inégalités sociales, Editions de l’université de Bruxelles. (en préparation)
10Les demandes d’information auprès des guichets de l’énergie par exemple sont en augmentation.
11Voir par exemple l’avis du Conseil Central de l’économie : CCE 2005-1391 Avis relatif à l’efficacité énergétique dans le secteur du logement en Belgique (21/12/2005). Cet avis reprend un grand nombre de pistes.
12Le gouvernement fédéral a dépensé environ 200 millions d’euros pour des « chèques énergie ». Il aurait mieux valu attribuer des « chèques audits », en donnant les moyens pour former des auditeurs.]]