Note de lecture d’un article de Georges Monbiot paru dans The Guardian, 4 décembre 2007. Traduit de l’anglais par Réginald de Potesta de Waleffe.

Avant-propos

Georges Monbiot écrit régulièrement dans le journal anglais The Guardian. C’est un spécialiste des questions environnementales. A l’occasion du sommet de Bali, il a publié le 4 décembre un de ces articles secouants dont il a le secret.

Des objectifs de réduction des émissions de CO2 déjà dépassés

Lorsque vous alertez les gens sur les dangers du changement climatique, on vous prend pour un Saint. Lorsque vous expliquez ce qu’il est nécessaire pour l’éviter, ils vous traitent de communiste[[NdT : ou plus souvent de doux dingue.]]. Voyez plutôt.

Il existe dorénavant un très large consensus scientifique sur la nécessité d’empêcher la température de s’élever de plus de 2°C au-dessus du niveau pré-industriel[NdT : Nous sommes déjà 0,8°C au-dessus de ce niveau et la température augmente, à présent, de 0,2°C par décennie.]]. Passé cette limite, la couverture de glace du Groenland irait vers une fonte irréversible, certains écosystèmes s’effondreraient, des milliards de gens manqueraient d’eau, les sécheresses commenceraient à menacer l’approvisionnement alimentaire global[[Voir, par exemple, IPCC, 2007. Climate change and its impacts in the near and long term under different scenarios. [ et Hans Joachim Schellnhuber (éditeur en chef), 2006. Avoiding Dangerous Climate Change, Cambridge University Press. [->http://www.defra.gov.uk/ENVIRONMENT/climatechange/research/dangerous-cc/pdf/avoid-dangercc.pdf] ]].

Le gouvernement britannique propose de réduire les émissions de carbone de 60% pour 2050. Cet objectif est basé sur un rapport publié en 2000[Royal Commission On Environmental Pollution, juin 2000. Energy -Tthe Changing Climate. [ ]]. Ce rapport s’appuyait sur une estimation publiée en 1995 elle-même dérivée d’un article scientifique publié quelques années plus tôt. En clair, la conduite du Royaume-Uni, est basée sur des articles de 15 ans d’âge. Nos objectifs, qui sont parmi les plus stricts du monde, n’ont aucune relation avec la réalité scientifique actuelle.

Sur la dernière quinzaine, tant Gordon Brown[NdT : Nouveau Premier Ministre du Royaume-Uni.]] que son conseiller Sir Nicholas Stern ont proposé d’élever les réductions à 80%[[Gordon Brown, 19 novembre 2007. Speech on Climate Change. [ et Sir Nicholas Stern, 30 novembre 2007, Bali: now the rich must pay, The Guardian.]]. D’où vient ce calcul ? Le dernier sommet du G8 s’est arrêté sur une réduction au niveau mondial de 50% pour 2050. Ceci induit pour le Royaume-Uni de porter son effort à 80%. Mais l’objectif du G8 n’est pas plus en relation que ça avec la science actuelle.

Dans le nouveau résumé publié par le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC), on trouve un tableau qui associe les températures attendues à différents niveaux de réductions[Intergovernmental Panel on Climate Change, 2007. “Fourth Assessment Report. Climate Change 2007: Synthesis Report. Summary for Policymakers”, Table SPM.6. [ ]]. Pour éviter un réchauffement global de 2°C, il suggère que le monde réduise, pour 2050, ses émissions à un niveau qui correspond à environ 15% du total des émissions en 2000.

Aller vers une « décarbonation » complète de l’économie

J’ai retrouvé les chiffres de production de dioxyde de carbone en 2000[Toutes les mesures suivantes concernent le CO2 de la combustion et du torchage de combustibles fossiles. [.]] et les ai divisé par la population actuelle[Actuellement: 6.635.000.000; [ ]]. Ceci donne une base de calcul de 3,58 tonnes de CO2 par personne. Une réduction de 85% signifie que (si la population reste constante) la production globale par tête devrait être réduite à 0,537 tonne pour 2050. Actuellement, le Royaume-Uni produit 9,6 tonnes par tête et les États-Unis 23,6 tonnes[Les derniers chiffres sont de 2005 http://www.eia.doe.gov/pub/international/iealf/tableh1co2.xls. Les mesures démographiques pour 2005 viennent de [ ]] [[NDT :en Belgique, 12 tonnes par habitants (pour info, un aller-retour BXL-New-York (12.000 km) compte au moins pour 3 tonnes de CO2 par personne, et ce, sans compter l’effet radiatif multiplicateur (fois 5) des émissions à très haute altitude).]] Réduire ces montants à 0,537 tonne signifie une réduction de 94,4% pour le Royaume-Uni et 97,7% aux Etats-Unis[[NdT : 95,5% pour la Belgique.]]. Mais la population va croître dans la même période. Si nous considérons une population de 9 milliards en 2050[[Ce chiffre est une hypothèse prudente.]], les réductions grimpent à 95,9% pour la Grande-Bretagne et à 98,3% pour les USA[[NdT : 97% pour la Belgique.]].

Les calculs du GIEC pourraient eux aussi être dépassés. Dans une note de bas de page sous le tableau, le panel admet que les « réductions d’émissions (…) pourraient être sous-estimées suite à la disparition de réactions du cycle du carbone ». Ceci signifie que l’impact de la réponse de la biosphère au réchauffement climatique n’a pas été complètement considéré. Ainsi, par exemple, lorsque l’eau de mer se réchauffe, elle relâche du dioxyde de carbone. Lorsque les bactéries du sol sont chauffées, elles respirent plus et génèrent plus de CO2. Quand la température monte, la forêt tropicale se meurt, relâchant le carbone qu’elle contient[[NdT : Quand la banquise fond, l’albédo de l’Océan Arctique passe de 90% à 10% et donc plus la banquise fond, plus l’Océan se réchauffe… Cet été 2007, la banquise a perdu en surface, la taille de l’Alaska, soit 30 fois plus que les années précédentes et plus d’un mois fût nécessaire pour reformer le niveau minimum précédent. « Les glaces arctiques pourraient ainsi complètement disparaître pendant les trois mois d’été d’ici 2013 » selon Wieslaw Maslowski (et on nous disait pas avant 2050).
Josep G. Canadell et al. 25 octobre 2007. “Contributions to accelerating atmospheric CO2 growth from economic activity, carbon intensity, and efficiency of natural sinks”. Proceedings of the National Academy of Sciences. [->www.pnas.org_cgi_doi_10.1073 pnas.0702737104]
]]. Ces exemples sont des rétroactions positives. Un article récent (toutes les références sur mon site web [->www.monbiot.com]) estime que ces rétroactions comptent pour 18% dans le réchauffement global . Celles-ci devraient s’intensifier.

Un article du Geophysical Research Letters établit que même avec une réduction globale de 90% en 2050, le seuil des 2°C « est en fin de compte dépassé »[[Andrew J. Weaver et al, 6 octobre 2007. “Long term climate implications of 2050 emission reduction targets”. Geophysical Research Letters, Vol. 34, L19703. doi:10.1029/2007GL031018, 2007]]. Stabiliser les températures à 1,5°C au dessus du niveau pré-industriel requiert une réduction globale de 100%. Les diplomates qui ont commencé les pourparlers à Bali hier devraient discuter d’une complète « décarbonation » de l’économie globale.

Cela n’est pas impossible. Dans un article précédent, j’ai montré comment, en reportant toute l’économie sur l’électricité et par la mise en place des dernières inventions sur les réseaux électriques régionaux, leur équilibrage et le stockage de l’énergie, vous pourriez faire tourner l’ensemble du système énergétique sur les énergies renouvelables[George Monbiot, 3rd July 2007. “A Sudden Change of State”. The Guardian. [ ]]. Avec pour exception majeure l’aéronautique (n’espérez pas voir des avions de ligne sur batteries), ce qui suppose que nous devrions fermer plutôt que d’ouvrir de nouvelles pistes.

Ceci pourrait compter pour 90% des réductions nécessaires. Une « décarbonation » totale exige que nous allions plus loin. Éviter 2°C de réchauffement signifie extraire le dioxyde de carbone de l’air. La technologie nécessaire existe déjà[Frank Zeman, 26th September 2007. “Energy and Material Balance of CO2 Capture from Ambient Air”. Environmental Science & Technology, Vol. 41, No. 21, pp7558-7563. 10.1021/es070874m]] : le défi est de le faire efficacement et bon marché. L’année dernière Joshuah Stolaroff, qui a écrit une thèse sur le sujet, m’a fait parvenir quelques projections de coûts, de 256 à 458 £[[NdT : de 380 à 677 EUR.]] par tonne de carbone[[Les chiffres de Stolaroff sont de 140 à 250 USD par tonne de CO2. Je les ai converti £ par tonne de carbone. Le poids du CO2 est 3,667 fois celui du carbonne seul. Vous pouvez lire sa thèse ici : [ ]]. Ceci rend la capture du CO2 dans l’air environ trois fois aussi chère que les dépenses du gouvernement britannique pour la construction des turbines éoliennes, deux fois plus chère que l’énergie nucléaire, légèrement moins chère que l’énergie marémotrice et 8 fois moins chère que des panneaux solaires sur les toîts du Royaume-Uni[ Department of Trade and Industry (now the DBERR), 2003. Energy White Paper – Supplementary Annexes, p7. [ ]]. Mais je soupçonne que ses chiffres sont sous-estimés puisqu’ils suggèrent que cette méthode est moins chère que de capter le CO2 depuis les centrales électriques qui prévoient de le faire à la source, ce qui ne peut être vrai[[Le DBERR donne des chiffres pour la capture du carbone par des centrales électriques idoines de 460-560£ par tonne de carbone. Cela ne peut être vrai car la concentration de CO2 dans les émanations de centrales thermiques est beaucoup plus importante que celle de l’air ambiant.]].

Le Protocole de Kyoto a échoué

Le Protocole de Kyoto, pour lequel Bali discute d’une suite, a échoué. Depuis sa signature, on a connu une accélération globale des émissions : le taux de production de CO2[NdT : +3% par an depuis 2000]] dépasse les pires hypothèses du GIEC et croît maintenant plus vite que jamais depuis le début de la révolution industrielle[[Josep G. Canadell et al, ibid.]]. Ça n’est pas seulement le fait de la Chine. Un article dans Proceedings of the National Academy of Sciences établit « qu’aucune région ne décarbone son approvisionnement énergétique »[[Michael R. Raupach et al, 12 juin 2007. « Global and regional drivers of accelerating CO2 emissions”. Proceedings of the National Academy of Sciences, Vol.104, no. 24. Pp 10288–10293. [ ]]. Même la traditionnelle tendance à la décroissance de l’intensité énergétique des économies matures est contredite[[ibid.]]. Au Royaume-Uni, il y a un gouffre ahurissant entre la politique climatique du gouvernement et la réalité sur le terrain. Comment pourrions-nous même réussir une réduction de 60% si nous construisons de nouvelles centrales à charbon, de nouvelles routes et de nouvelles pistes à Heathrow?

Souligner le problème immédiat est plus grand encore. Dans une présentation à là Royal Academy of Engineering, en mai, le Professeur Rod Smith de l’Imperial College a expliqué qu’une croissance de 3% signifie que l’activité économique double en 23 ans[[Roderick A Smith, 29th May 2007. Lecture to the Royal Academy of Engineering. “Carpe Diem: The dangers of risk aversion”. Reprinted in Civil Engineering Surveyor, octobre 2007.]]. À 10%, il ne lui faut que 7 ans. Nous le savions. Mais Smith va plus loin. Avec une série d’équations, il montre que « chaque doublement successif de période brûle autant de ressources que l’ensemble de tous les précédents doublements de période. » En d’autres mots, si notre économie croît de 3% par an jusque 2030, nous consommerons jusqu’à cette échéance l’équivalent de tout ce que nous avons consumé depuis que l’homme se tient sur ses deux pieds. Ensuite, entre 2030 et 2053, nous devons encore une fois doubler ce total. En lisant l’article, j’ai réalisé pour la première fois contre quoi nous luttions.

Le courage de revoir la signification du « progrès »

Mais je ne suis pas l’avocat du désespoir. Nous devons faire face à un défi aussi pressant que la monté des puissances de l’Axe. Si nous avions alors jeté l’éponge, comme beaucoup sont tentés aujourd’hui, vous liriez cet article en Allemand. Bien que la guerre resta le plus souvent impossible à remporter, quand la volonté politique fut mobilisée, d’étranges et incroyables choses commencèrent à arriver. L’économie des Etats-Unis fut renversée en un quart de tour en 1942 quand les industries civiles se firent militaires[[Jack Doyle, 2000. “Taken for a Ride: Detroit’s big three and the politics of pollution”, pp1-2. Four Walls, Eight Windows, New York.]]. L’État pris plus de pouvoir qu’il n’en exerça jamais. Des politiques impossibles devenaient subitement réalisables.

Les vraies questions à Bali ne sont pas techniques ou économiques. La crise à laquelle nous faisons face requiert une profonde discussion philosophique, une réévaluation de ce que nous sommes et de ce que le progrès signifie. Débattre de ces matières ne fait de nous ni des saints ni des communistes ; cela montre seulement que nous avons compris la science.

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