Un texte d’Alexandra Sombsthay, chercheuse-associée à étopia
Introduction
Le récent rapport de l’Agence Internationale de l’Energie, rendu public à Londres le 7 novembre dernier[[“World Energy Outlook 2007”]] met en exergue le fait que la demande croissante de la Chine en ressources énergétiques, aux côtés de l’Inde, va considérablement modifier le système énergétique mondial. Selon ce rapport, sans inflexion politique vigoureuse, les besoins augmenteront de 55% dans les 25 prochaines années (les énergies fossiles représentant 84% de cette hausse) et avec eux les émissions de gaz à effet de serre. Dans ce schéma, la Chine deviendrait le premier consommateur mondial peu après 2010. Or le pays fait face à deux défis contradictoires : répondre à une demande d’énergie croissante tout en stabilisant, voire en réduisant la pollution. En effet, depuis quelques temps, la Chine joue à nouveau dans la cour des grands ; à ce titre, elle se doit d’être un acteur responsable. Tous les projecteurs sont désormais tournés vers ce pays à la croissance galopante et à l’inefficacité énergétique notoire. Depuis un peu plus d’un an, la Chine a mis en place les éléments d’une politique ambitieuse et progressive de réduction des gaz à effet de serre et d’augmentation de l’efficacité énergétique. Derrière cette armada de mesures, ainsi que la publicité qui en est faite – dans la perspective de Jeux Olympiques de Pékin – se cache une réalité plus pessimiste que les discours officiels ne le laissent croire. Quels sont les enjeux énergétiques pour la Chine ? Quelles sont les mesures prises ? Que peut faire l’Europe pour accélérer le processus initié ? sont autant de questions majeures à la veille de l’ouverture de la COP[[Conférence des Parties à la Convention sur le Changement Climatique]] à Bali qui doit poser les jalons du schéma post-2012. Cet article se limitera à l’examen de deux cas d’étude: le charbon et le secteur du bâtiment, les énergies renouvelables et biocarburants faisant l’objet d’une analyse ultérieure.
Une croissance hautement énergivore
La croissance chinoise affiche fièrement le chiffre de 11% en 2007 : un tel rythme frénétique repose pour beaucoup sur la production de biens dont les processus sont très énergivores ; cela étant grâce à cette croissance, le pays peut afficher fièrement ses tours de verre, méga-hall en tous genres et la classe moyenne connaît un essor sans précédent. La montée en puissance de la classe moyenne chinoise est un facteur social et économique qu’il convient de ne pas sous-estimer si l’on veut comprendre les défis énergétiques de la Chine. En effet, alors que Mao Zedong a ancré la stabilité du Parti Communiste dans la classe ouvrière, ses successeurs de Deng Xiaoping à Hu Jintao font désormais la part belle aux entrepreneurs et autres acteurs de la classe moyenne. Apporter satisfaction à cette classe socio-économique, c’est garantir la stabilité du Parti et donc du régime. L’exercice est périlleux pour les dirigeants chinois : ils doivent dans le même temps garantir la possibilité à classe moyenne de poursuivre son développement tout en réduisant la consommation énergétique du pays.
Dans son 11ème Plan Quinquennal (2006-2011), la Chine s’est fixé comme objectif de réduire sa consommation d’énergie par unité de PNB de 20 % d’ici 2010. Pour ce faire, elle a assigné aux provinces un objectif annuel de réduction de leur consommation énergétique de 4% : aucune des provinces, à l’exception notable de celle de Pékin, n’a tenu le pari en 2006. Pire, la Chine est devenue en 2007, le plus gros émetteur mondial de gaz à effet de serre[[Dutch Environmental Assessment Agency (MNP)]], avec environ 8% d’émissions en plus que les Etats-Unis. Hu Jintao a été forcé de reconnaître devant le Conseil d’Etat (i.e, le gouvernement) que les objectifs du Plan Quinquennal sont très difficiles à atteindre.
Un manque crucial d’application sur le terrain
La première des causes est à chercher dans l’organisation administrative du pays : les provinces et municipalités sont plus fortement liées au Comité Central du Parti qu’au Gouvernement Central : en effet, la reconduction des mandats est décidée au sein du Parti. Jusqu’à présent, le seul critère d’évaluation des performances des dirigeants locaux était leur capacité à accélérer le développement économique du territoire dont il était en charge. Ce critère a amené les provinces à accueillir sur leur territoire nombres d’entreprises hautement polluantes en dépit des règlementations posées par les différents organes ministériels du niveau national. Le constat est sans appel : alors que la Chine a mis en place un nombre conséquent de législations environnementales, l’application de celles-ci frôle le degré zéro. Le manque de mesures incitatives (pour le particulier, l’entrepreneur ou le mandataire local) ainsi que le niveau élevé de corruption ont évincé tout effet utile de ces législations. Il semble que le gouvernement central, au-delà des simples condamnations verbales, a décidé de s’atteler réellement à ce problème. En effet, le 28 octobre 2007, un amendement à la Loi sur la Conservation de l’Energie a été adopté : il crée un deuxième critère d’évaluation des performances des dirigeants locaux (qui sera in fine utilisé par le Parti), à savoir leur capacité à réduire la consommation énergétique de leur municipalité / province. Cet amendement est un signal politique qui était attendu de la part des pays tiers mais aussi de la part des investisseurs non-chinois, pour lesquels la Chine représente désormais un nouvel « éco-marché ». Reste à démontrer que cet amendement ne restera pas lettre morte et que l’épineuse question de l’application des règlementations ne suscitera plus de haussements de sourcils dans les foras internationaux.
L’empire du charbon et du gaspillage
Si l’application de la législation est un souci majeur de préoccupation, l’efficacité énergétique en est un autre : centrales à charbon et bâtiments sont deux secteurs où le potentiel pour des économies d’énergie est grand.
Il convient tout d’abord de rappeler que 67% de la consommation primaire d’énergie en Chine est alimentée grâce aux centrales à charbon. Ce chiffre est d’autant plus frappant quand on considère que cette technique de production d’énergie a le plus fort taux d’émissions de CO2 et surtout que l’efficacité énergétique de la chaîne de production à base de charbon est très basse ; que ce soit les mines, les procédés de lavage du charbon, le transport ou le procédé de conversion en énergie : chaque étape présente d’importantes déperditions d’énergie.
A titre d’exemple, environ 2 000 centrales ont un niveau d’efficacité énergétique inférieur à 30% (à titre de comparaison, les centrales européennes atteignent des niveaux compris entre 40 et 50%). Sans investir dans de nouvelles technologies, il existe un potentiel conséquent de gain énergétique par le seul procédé de modernisation (retrofitting) de ces centrales, procédé tout à fait maîtrisé d’un point de vue technologique. La réalité de ce gain a d’ailleurs été récemment démontrée par une circulaire du NDRC[[National Development and Reform Commission]], c’est-à-dire le ministère en charge des questions énergétiques, qui exige que d’ici 2010, les centrales aient amélioré de 20% leur efficacité énergétique.
Les mines de charbon sont un autre exemple. Environ 80% des mines de charbon sont exploitées illégalement, excluant de facto tout contrôle de la part des autorités, que ce soit en terme de sécurité ou de procédés d’extraction. Par ailleurs, le méthane (gaz à effet de serre également présent dans les mines de charbon) n’est que très peu extrait des mines de charbon : alors que les 20 000 mines présentes sur le territoire chinois génèrent environ 15 milliard de m³ de méthane, seul 15% est extrait puis traité.
Alors que le charbon a un avenir radieux en Chine, les investissements dans des technologies pour réduire les émissions de gaz à effet de serre n’en sont qu’aux balbutiements. Outre les technologies de contrôle des émissions, la capture et séquestration du carbone semble s’imposer. Bien que cette technologie fasse encore l’objet de nombreux débats (faisabilité, pénalité énergétique pour les centrales qui en seraient équipées…), cet outil est devenu incontournable en Chine. Cela étant, il n’en reste pas moins que le gouvernement est encore frileux à l’idée d’exiger ce type d’investissement des exploitants de centrales pour lesquels les émissions de carbone sont un souci annexe (beaucoup reste à faire en matière de sécurité et d’exploitation illégale de mines). A ce stade, donc, la Chine est engagée dans le processus de recherche aux côtés de divers partenaires tels les Etats-Unis, l’Australie et l’Union Européenne mais uniquement dans un but commercial et non d’implantation locale: la Chine refuse d’ailleurs encore tout engagement pour construire une centrale de démonstration -voulue par les européens- sur son territoire.
En termes d’efficacité énergétique, le secteur du bâtiment chinois a de bien faibles performances. Ce secteur – où les potentiels d’économies d’énergies sont élevés- représente 40 % de la consommation énergétique du pays. Selon les prévisions de la Banque Mondiale, d’ici 2015, la moitié des nouveaux bâtiments – à l’échelle mondiale- se trouvera en Chine. Le taux de construction chinois est sans précédent : chaque année la Chine construit 2 milliards de m² d’espaces destinés à des espaces commerciaux, résidentiels ou pour remplacer les bâtiments anciens. En effet, actuellement 44% de la population chinoise vit en zone urbaine, chaque année environ 20 millions d’habitants migrent des zones rurales vers les zones urbaines. D’ici 2050, le taux d’urbanisation devrait atteindre 70% (ce qui représente une augmentation dans la population urbain de 400 millions de personnes). Pour faire face à cet exode, la Chine doit construire chaque mois l’équivalent de la ville de Madrid. Il va sans dire que le secteur de la construction est le secteur qui pousse la croissance économique vers le haut : il est estimé que les investissements dans ce secteur représentent environ un quart du PNB chinois.
Un gouvernement plus conscient des enjeux
L’efficacité énergétique est désormais un véritable cheval de bataille pour le gouvernement chinois. Outre les deux secteurs susmentionnés, le gouvernement central a lancé toute une série de mesures afin d’atteindre l’objectif annoncé de réduire de 20% la consommation du pays d’ici 2010. Les instruments économiques ont fait leur apparition sur ce terrain. Les déductions fiscales dont bénéficiaient certaines compagnies ont été abolies pour toutes les entreprises à l’efficacité énergétique trop faible et la Banque Centrale a publié une circulaire pour que les prêts soient facilités pour des entreprises à faible consommation d’énergie[[Guideline available on the People’s Bank of China website : www.pbc.gov.cn/english]].
La réduction de la consommation énergétique n’est pas seulement un enjeu environnemental pour la Chine, c’est également un enjeu de stabilité: la demande de la classe moyenne en énergie étant en constante augmentation et les réserves de la Chine étant très limitées, la Chine ne peut se passer d’une inflexion de politique. En effet, tous les efforts de constitution de réserves de pétrole (actuellement, la Chine ne dispose que de 21 jours de réserves de pétrole, ce qui en cas de crise la mettrait dans une situation particulièrement périlleuse) ou de charbon[[La loi de 1996 sur le charbon vient d’être amendée afin de mieux prévoir et définir les réserves de charbon]] seraient vains si la consommation gardait sa pente ascensionnelle.
Ce besoin de réserves éclaire les politiques dites de protection de l’environnement: sous couvert d’efficacité énergétique, la Chine a récemment adopté plusieurs politiques fiscales visant à éliminer les exemptions de taxes à l’exportation sur le charbon et à en favoriser l’importation. Ce type de politique, largement rendue publique au plan international, ne répond certainement pas à une exigence environnementale mais bien énergétique, à savoir garder sur le territoire national la matière première qui lui permettra de combler ses besoins de croissance.
Quoiqu’il en soit, à ce stade, ni les réserves en cours de constitution ni les mesures prises pour améliorer l’efficacité énergétique ne constituent une réponse adéquate aux défis chinois. Il est indéniable que ce pays, encore en développement, a mis sur pied une politique énergétique en l’espace de quelques années dont peu d’Etats européens auraient pu se targuer il y a 10 ans. Mais la Chine ne pourra relever le pari d’infléchir à elle seule sa courbe d’émission de gaz à effet de serre.
Créer un cercle vertueux par la coopération
Outre les programmes bilatéraux d’aide au développement ou les programmes de recherche, il convient d’entraîner la Chine dans un cercle vertueux. L’AIE nous rappelle dans son rapport que si les Etats développés mettaient en œuvre les mesures qu’ils préconisent eux-mêmes, un recul de 19% des émissions par rapport au scénario énoncé dans le rapport serait possible en 2030.
Les techniques du commerce international doivent être au cœur de ce cercle vertueux. En effet, la Chine a avant toute chose besoin de croissance économique pour garantir sa stabilité politique interne; dès lors, seule l’émergence de nouveaux marchés dits “verts” pourra constituer un incitatif de taille à ce que la Chine s’inscrive dans un mouvement mondiale d’économies d’énergie et de production moins énergivores. Si les marchés européens se tournent vers des voitures hybrides, des produits labellisés, etc., la Chine aura tôt fait de se mettre au pas pour capter des marchés dont elle ne peut se passer.
Par ailleurs, le transfert de technologies doit faire l’objet d’un débat sérieux au sein des instances internationales et européennes. Il convient de décider ensemble, c’est-à-dire à 27 Etats membres, si l’Europe autorise le transfert de technologies (vers un pays réputé pour sa capacité à plagier), quelles seraient les technologies visées et surtout comment s’opèrerait ce transfert de technologies. L’Union européenne doit adopter une attitude coordonnée et responsable face à cet épineux problème. Certes, il ne s’agit pas de se faire piller les fleurons de nos nouvelles technologies, mais il convient d’avoir une attitude commerciale qui soit cohérente avec les engagements pris par les Ministres de l’environnement lors des grandes messes que sont les COP[[Pour rappel, la Convention sur la Changement Climatique prévoit que les parties signataires organisent le transfert de technologies de manière à permettre aux pays en développement une croissance plus propre que celle qu’ont connue les pays développés.]]. Sur ce terrain, il est désormais urgent de dépasser l’intérêt national consistant à devenir LE partenaire commercial de la Chine au détriment de l’intérêt général. Une attitude responsable voudrait que les ministres responsables des 27 Etats membres décident quelles sont les technologies qui peuvent et doivent être transférées. Seul une telle action garantirait un effet d’échelle, qui dans le cas de la Chine, a toute son importance.
Nier les besoins croissants en énergie de la Chine n’est pas une option. L’Union européenne, comme les autres Etats développés, ont la responsabilité d’entraîner la Chine vers un autre mode de production. C’est maintenant que ce changement de politique doit être décidé. Il est tout à fait utopique de vouloir imposer des plafonds d’émission de gaz à effet de serre à la Chine pour qu’elle diminue effectivement ses émissions, sans par ailleurs infléchir les politiques internes des pays développés. Par ailleurs, imposer des devoirs à la Chine en matière de “production propre” implique de la faire jouer à part entière dans la cour des grands, et donc de s’interroger sur les règles du jeu que sont celles des relations multilatérales commerciales, notamment. Chercher à tout prix à imposer des plafonds d’émissions à la Chine serait tout à fait contre-productif si cela n’est pas accompagné de politiques d’accompagnement dignes de ce nom.