Berne, lundi 22 octobre 2007. La ville se réveille. Sur le sommet de la coupole du Palais fédéral flotte un drapeau suisse. Métaphore plusieurs fois centenaire, cet étendard symbolise un croisement dont le blanc évoque la neutralité. Carrefour alpin au cœur de l’Europe, calme et prospère, la Suisse se réveille pourtant ce matin-là avec un mal de ventre qui ne lui est pas inconnu : le populisme. Par un dimanche ensoleillé, 30% des électeurs qui se sont rendus aux urnes ont choisi de confier le pays au parti de Christoph Blocher, habile tribun populiste, xénophobe et anti-européen.
Même à bonne distance – en Belgique pour ce qui nous concerne – personne n’a pu échapper à cette information, annoncée et commentée sur un ton grave. Il faut dire qu’elle a quelque chose d’angoissant : si le populisme d’extrême-droite peut se développer à ce point dans un pays économiquement prospère, en situation de plein emploi, relativement épargné par la violence et peu sujet aux crises sociales, alors il guette potentiellement toutes les nations européennes. Enracinée dans la plus ancienne démocratie du vieux continent, l’UDC, efficace comme une machine de guerre, bouscule tout sur son passage, presque sans heurts.
Des heurts, la campagne électorale qui s’achève en a pourtant connu. Coup d’envoi des hostilités, la diffusion massive d’une affiche électorale mettant en scène la violence qu’exerceraient les étrangers en Suisse : sur un pré rouge à croix blanche, trois moutons blancs broutent. En avant-plan, l’un d’eux expulse d’une ruade un mouton noir. Dans une première version, un des moutons blancs baigne dans son sang, un poignard dans le flanc. Un slogan fait écho, mais il pèse peu ; l’image suffit. La réaction populaire à cette affiche aurait pu faire deviner l’issue du scrutin : d’un côté, une réaction massive et relativement résignée de dégoût devant un tel propos, dans un pays où 20% de la population est d’origine étrangère et y vit pacifiquement[[Le propos n’est pas de nier les problèmes qui se vivent en Suisse, et qui appellent une résolution efficace, mais de relativiser leur ampleur face à un discours dramatisant, amplificateur des émotions et volontairement excessif.]]. De l’autre, une attitude calme et déterminée. Pas de cynisme, pas de haine, juste du « bon sens »[[Un responsable du parti répond à un journaliste : « C’est un mouton noir, d’accord, mais on n’a rien de spécial contre les noirs. On est aussi bien contre les serbes, les kosovars, les turcs, les arabes… Les noirs ne doivent pas se sentir spécialement visés. » La xénophobie de l’UDC est totalement assumée et décomplexée.]]. Il faut bien que quelqu’un le dise, il faut bien qu’un parti bouge, puisque toute la classe politique se moque de la détresse des victimes de la violence de rue, forcément étrangère. « Votez pour la Suisse, votez pour l’UDC », dit le slogan. Cette Suisse-là ne peut exister que contre le reste du monde.
Craintes face à la mondialisation, recul des valeurs familiales, dilution de l’identité culturelle, exaspérations diverses… tout se cristalise autour de ce mouton noir, qu’un parti courageux et proche du peuple s’engage à mettre dehors. A partir de ce moment-là il n’y a plus de campagne électorale, dans laquelle chacun chercherait à séduire sur ses valeurs et sa vision de l’avenir, mais seulement un combat de tous contre l’UDC. Combat inégal, qui consacre son image de parti des victimes et pétrifie son prétendu courage politique.
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Berne, lundi 22 octobre 2007. La ville se réveille. Sur le sommet de la coupole du Palais fédéral flotte un drapeau suisse. En-dessous, deux salles plénières s’apprêtent à accueillir une nouvelle cohorte d’élus écologistes. Les Verts, en obtenant 20 sièges sur 200 au Conseil national et leur premier siège dans le très inaccessible Conseil des Etats, ont battu leurs meilleurs scores. Une victoire historique, une nouvelle étape[[Il est frappant de voir que les Verts ont été stigmatisés dans certains propos tenus par l’UDC en campagne. Sur internet, un site de jeux créé par l’UDC permettait de s’amuser à sauver des passeports à croix blanche avant qu’ils ne tombent entre des mains étrangères ou encore à empêcher un écologiste de mettre des radars ou des limitations de vitesse en l’écrasant (sic). Dans chacun de ces jeux, la suppression d’un vert rapporte des points. L’UDC ne s’est pas trompé en voyant dans le mouvement écologiste un adversaire de poids.]].
Autre Suisse, autre campagne ? Non. L’instant est le même. Malgré le brouhaha, les idées des Verts ont pu être entendues et leur vision claire de l’avenir du pays – une Suisse ouverte et solidaire qui réussit la reconversion écologique de son mode de vie – a recueilli l’adhésion de nouveaux électeurs. Avec 9,6%, un score qui nivelle des différences cantonales qui vont de 3,6 à 17%, les verts pourront-ils peser sur les destinées du pays ? Ce qui est sûr, c’est que leur statut de gagnant leur donne la responsabilité d’initier à gauche et avec le centre (le vrai), une dynamique politique capable de redonner aux citoyens d’autres perspectives que de voter UDC, la peur au ventre. Une politique progressiste ancrée dans les valeurs positives du peuple suisse.
En Suisse comme ailleurs, ce serait donc l’espoir incarné par l’écologie politique et fédéré dans une gauche renouvelée qui pourrait faire sortir le peuple de l’ornière populiste. Les nouvelles de ce dimanche ne sont donc pas si mauvaises…