Pierre Radanne a présidé l’ADEME, l’Agence de la Maîtrise de l’Energie, jusqu’en 2002. Il a également été chef de cabinet de Dominque Voynet (date) dans le gouvernement de la gauche plurielle. Aujourd’hui, il est consultant indépendant. Pierre Radanne est auteur de ‘L’Energie dans l’économie’ et de ‘Energies de ton siècle, des crises à la mutation’. Le texte ci-dessous est une retranscription de la conférence qu’il a donnée en ouverture des Rencontres des Nouveaux Mondes le 21 avril 2006 à Bruxelles.
Nous ne pouvons refuser le siècle, nous devons l’aimer, même si souvent nous en avons peur. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que les êtres humains ont l’impression d’être confrontés au déclin ou à la catastrophe. Nous sommes, si nous le voulons, à la veille d’une mutation fondamentale qui nous amènera vers une société plus sobre et plus agréable. Si nous nous constituons un imaginaire de ce siècle, nous verrons que le dépassement des conflits mondiaux et des inégalités qui les nourrissent passe par la résolution de la question de l’énergie.
Le XXIème siècle a commencé à Kyoto
Un jour, les manuels d’histoire feront du 11 décembre 1997 la véritable date d’entrée dans le XXIème siècle et la fin de la période de rêve dans laquelle l’humanité a vécu pendant deux siècles et demi. Alors que jusqu’à la première moitié du 18ème siècle, le bois était la principale source d’énergie, la découverte aux environs de 1750 de la machine à vapeur et des réserves de charbon permettant de les faire tourner a donné à l’humanité la fausse impression de disposer d’une énergie inépuisable. Cette période qui a été marquée par un progrès technique considérable a pris fin à Kyoto lorsque 180 pays ont signé un protocole par lequel ils se donnent des objectifs de réduction des gaz à effet de serre émis notamment lors de la combustion des énergies fossiles. A la fin du XXème siècle l’humanité commence à se rendre compte qu’elle est en train de déstabiliser la planète.
Graphique 1 : évolution des concentrations du CO2 et des températures au cours des temps géologiques
Histoire de climat, histoire de CO2
La compréhension du mécanisme de l’effet de serre est ancienne puisqu’elle date de 1827. Mais il aura fallu attendre 1985 pour que des scientifiques étudiant les glaces enfouies dans les profondeurs de l’Antarctique écrivent l’histoire de la relation entre l’évolution des températures terrestres et la concentration de C02 dans l’atmosphère. Ils ont établi un parallèle rigoureux entre les quantités de CO2 balancées dans l’atmosphère et l’augmentation des températures (graphique 1). La période industrielle correspond à une période interglaciaire (c’est-à-dire entre les périodes glaciaires). En période froide, les océans absorbent de grande quantité de CO2. Mais en cas de réchauffement, ce mécanisme risque d’être enrayé, ce qui pourrait encore amplifier le processus de réchauffement. Les scientifiques estiment que si la planète réagit bien et si l’homme fait le nécessaire, nous pouvons limiter la hausse moyenne de la température mondiale à 1,4°. En revanche, si la planète ne réagit pas et si l’homme ne fait pas le nécessaire, la hausse pourrait être de 5,8°, ce qui correspond à un réchauffement équivalent à la sortie de l’aire glaciaire. Pas question de minimiser le problème en se disant que nous aurons le climat de Nice à Bruxelles. Non, ce serait un énorme problème et nous devons tout faire pour l’éviter.
Comment stabiliser le climat
Deux hypothèses :
Des émissions stables à partir de 2000
La condition d’une stabilisation du climat
Emissions de CO2
Concentration dans l’atmosph?re
Temp?rature r?sultante
Graphique 2 : hypothèses de stabilisation des émissions et des concentrations de CO2
On peut effectuer deux hypothèses sur l’évolution des concentrations de CO2 et son impact sur l’évolution des températures. La première est celle d’une stabilisation des émissions de C02 à partir de 2000 et son impact sur le climat. La seconde montre les conditions à remplir pour stabiliser l’évolution du climat.
La courbe rouge (graphique 2) illustre la première hypothèse, celle du maintien des émissions de C02 au niveau atteint en 2000. Avec une population mondiale qui sera de 9 milliards en 2050 (soit 50 pc de plus qu’aujourd’hui), elle implique que les pays développés compensent la croissance de la population mondiale en réduisant leurs émissions, à la fois les émissions des populations existantes et celle des populations à naître. Cette stabilisation des émissions n’est pas synonyme d’une stabilisation des concentrations. En effet, le CO2 reste 120 ans dans l’atmosphère. Dès lors, à émissions constantes, la concentration des gaz augmente. Le graphique de droite montre qu’une stabilisation des émissions au niveau actuel entraîne une augmentation moyenne des températures de 3° qui se prolonge (toujours à émissions constantes). Cela signifie que nous perdons tout simplement la maîtrise du climat sur la terre.
Créer un monde avare d’énergies fossiles
La courbe bleue (graphique 2) pose la question de la décroissance des émissions de CO2 requise pour limiter la hausse des températures à un maximum de 2°. C’est le point de départ des négociations sur le climat : l’excès d’émissions de CO2 a été tel qu’il faut se contenter de limiter la hausse à 2° en moyenne. La réponse est donnée par le graphique du milieu : la concentration de CO2 dans l’atmosphère doit se stabiliser à 550 ppm. Sur le graphique de gauche, on voit le profil d’émissions qui permet d’atteindre ce résultat. Bien sûr, comme la croissance de la population mondiale va se poursuivre, les émissions risquent de continuer à augmenter, mais il faut qu’ensuite les émissions plongent très rapidement et reviennent au niveau de 2000. La condition de possibilité du maintien de la vie sur terre d’une façon pérenne, c’est une utilisation des combustibles fossiles qui correspondent environ au cinquième de ce que nous consommons aujourd’hui. L’enjeu des générations actuelles et à venir, c’est de changer le parcours de l’humanité, de créer un monde où l’on n’emploie presque plus de combustibles fossiles.
Une question de justice
Quelques données chiffrées illustrent les inégalités gigantesques entre les pays sur le plan des consommations énergétiques et l’impossibilité radicale de généraliser le mode de consommation américain et européen à l’ensemble des habitants de la Planète.
Graphique 3 et 4 : évolution des besoins en énergie
En 1990, un américain consommait en moyenne 8 tonnes de pétrole et un habitant d’un pays en développement 1 tonne. En 2050, à politique inchangée, la quantité d’énergies fossiles croîtra encore, essentiellement du fait de l’augmentation de la population et des consommations moyennes, les consommations des pays industrialisés ayant été stabilisées.
Si toute la population mondiale consommait au même niveau que les Américains, nous aurions une consommation mondiale équivalente à un énorme rectangle correspondant aux USA en ordonnée et à la population mondiale en abscisse (graphique 4). Par conséquent, si nous voulons vivre dans un monde de paix, il faudra que les pays industrialisés conçoivent un système extrêmement économe en énergie afin qu’il puisse être transposé à l’ensemble de l’humanité.
Voter sur le climat
Cela pose des questions tout à fait importantes au plan politique : pour la première fois depuis le début de la révolution industrielle, l’humanité est confrontée à une limite. Nous savons désormais que le climat n’appartient pas seulement à la nature mais qu’il est co-géré par l’homme et la nature. Le climat devient une question politique tout à fait importante sur laquelle l’ONU va devoir voter et notamment au Sommet de Nairobi (en décembre 2006). Le type de climat et le niveau de température mondial va devoir faire l’objet d’une délibération et d’un vote.
Sur ce plan, Kyoto a constitué un changement important dans l’histoire. En application de ce protocole, nous avons mis en place un système de rationnement (qui est fondamentalement de nature comparable à celui qui a été mis en œuvre pendant la guerre pour les produits de grande consommation) qu’on appelle un système de quotas. Dans ce cadre, l’ONU a imposé à l’Union Européenne de réduire de 8 pc ses émissions de Gaz à Effet de Serre, libre à elle de décider comment elle y parvient. Cela ne restera pas sans conséquence. Désormais, la gestion de la planète impose des ingérences dans la gestion des Etats. Elle leur dicte ce qu’ils doivent faire en matière énergétique, environnementale et économique.
Un retour du politique
Cela marque un fameux retour du politique. Nous ne sommes plus dans un mouvement de dérégulation mais de re-régulation. Le marché ne peut pas régler un tel enjeu à lui tout seul. Ce gouvernement commun de la planète est de la responsabilité des Etats. Mais il a également des implications sur nos vies individuelles. La manière dont chacun d’entre nous consomme de l’énergie n’est plus seulement une affaire privée mais a des impacts sur l’ensemble de la planète. Ma consommation spécifie mon type de rapport au monde. La question de la vie personnelle devient quelque chose qui doit être débattu collectivement.
Derrière la question du changement climatique, on voit se dessiner une extension du rôle de l’ONU et de la scène internationale. Nous devrons déterminer des capacités de sanction pour les Etats qui ne respectent pas leurs engagements. Par ailleurs, les négociations sur le climat forment un extraordinaire retour du dialogue Nord/Sud. Nous ne pourrons pas stabiliser les émissions de Gaz à Effet de Serre sans accord avec la Chine et l’Inde qui compteront bientôt 2,5 milliards d’habitants. Depuis la décolonisation, nous avons rêvé d’un tel débat : celui d’une convergence entre les pays du nord et du sud et d’un projet commun pour l’ensemble de l’humanité.
La perspective de la déplétion pétrolière
L’enjeu pétrolier se superpose à l’enjeu climatique, les deux dossiers n’étant initialement pas connectés. L’observation de l’évolution des prix du baril (voir graphique 5) nous montre que nous sommes revenus à des prix comparables à ceux qui étaient en vigueur au début des années ’70, la période dite des chocs pétroliers. Les deux premiers chocs étaient liés à des guerres (guerre du Kippour, chute du Shah d’Iran). Ils n’avaient pas de causes physiques.
Graphique 5 : évolution du prix du pétrole brut
Nous avons alors commencé à chercher à remplacer le pétrole par d’autres énergies. Les extraordinaires gisements d’économies d’énergie ont été découverts. Mais dès que les prix du pétrole ont baissé, de très grosses erreurs ont été commises. Notre société a été prise par un lâche désir d’amnésie. Nous avons espéré revenir à l’abondance d’énergie alors que ce n’était pas le cas, malgré le maintien des prix à un niveau relativement bas pendant quinze ans. En 2006, nous sommes confrontés à une nouvelle situation. L’augmentation du prix du pétrole n’est pas provoquée par une guerre. On pourrait même dire qu’il y a eu une guerre qui était censée l’éviter… La nouveauté réside dans le fait que la consommation dépasse tendanciellement la production. Nous sommes confrontés à un triple déficit : déficit de gisements exploités, déficit d’acheminement du pétrole et déficit de raffinage. La hausse des prix est portée vers des sommets par la spéculation et la conduite de certains politiques. Le problème physique de l’offre auquel nous sommes actuellement confrontés mettra du temps à être résolu parce qu’il faut du temps pour que les investissements d’augmentation de la production soient réalisés. Nous devons nous y préparer et cela d’autant plus que nous affronterons tôt ou tard le début de la décroissance des quantités extraites de pétrole.
Le graphique 6 qui a été réalisé par la société Exxon-Mobil montre l’évolution des découvertes. On constate que le sommet a été atteint dans les années ’60. Mais depuis lors, c’est la chute libre.
Graphique 6 : découvertes et consommation d’hydrocarbures
Après le choc pétrolier des années ‘70, les quantités découvertes ont augmenté parce qu’un effort de prospection a été réalisé. Enfin, une petite remontée a été effectuée ces dernières années parce que de nouvelles techniques permettent d’aller chercher du pétrole à 2.500 mètres dans les océans profonds. Au milieu des années ’80, la courbe de consommation a croisé la courbe de découvertes. Cela fait donc une génération que nous consommons plus de pétrole que nous en découvrons.
Le choc pétrolier de 2006
Nous n’avons consommé que la moitié du pétrole présent sur terre. Mais il s’agit de la moitié la plus accessible qui se trouvait essentiellement au Moyen-Orient. Les réserves subsistantes sont plus difficiles à extraire notamment parce que leurs débits sont plus faibles. En 2006, nous avons vécu un choc pétrolier, c’est-à-dire une augmentation forte des prix sur une période très courte. Même si depuis le début du mois de septembre 2006, les prix redescendent, derrière cette évolution, nous voyons se dessiner l’ombre de la déplétion pétrolière ou de ce qu’on appelle en anglais le « peak oil ». Ce moment correspond au sommet de l’extraction du pétrole à partir duquel les quantités produites commencent à diminuer (voir graphique X). Il survient lorsque la mise en exploitation de nouveaux gisements ne contrebalance plus le tarissement des anciens gisements. Si nous savons que l’essentiel des gisements anciens sont en exploitation depuis un certain temps, nous ne mesurons pas exactement le temps qui nous sépare de la déplétion : avant 2020, pour les pessimistes, vers 2050 pour les optimistes. Nous n’aurons cependant pas l’occasion d’assister à l’extraction de la dernière goutte de pétrole en direct à la télévision avant la fin du siècle.
Graphique 7 : prévisions de déplétion pétrolière
Si nous effectuons beaucoup d’investissements, le prix du pétrole pourra de temps en temps baisser. Mais tendanciellement, il deviendra de plus en plus cher. Nous resterons donc dans un contexte de rareté pétrolière.
Facteur 4
Graphique 8 : prévision de croissance des émissions de CO2
Le graphique 8 montre les perspectives d’évolution des émissions de Gaz à Effet de Serre en France de 2000 à 2050, à politique inchangée. La colonne de droite indique l’ampleur des efforts à accomplir pour parvenir à l’objectif d’une division par quatre des quantités émises par rapport à 2000 et par six par rapport à l’évolution attendue d’ici 2050. Nous devons absolument atteindre cet objectif sous peine de ne plus trouver de paix dans notre vie. C’est le niveau tolérable d’émission de Gaz à Effet de Serre qui, transposé à toute l’humanité, permet de stabiliser le climat de la planète. On reviendra plus loin sur le fait que le secteur des transports est responsable de la plus grosse partie de l’augmentation des émissions de CO2.
Le possible découplage
Graphique 9 : croissance économique et consommation d’énergie en France par habitant (1970-2002)
En France, les chocs pétroliers des années ’70 ont donné un salutaire « coup de pied au c… ». Si la croissance économique par habitant a été de 73 pc entre 1970 et 2004, celle de la consommation d’énergie (finale – donner la définition) a été limitée à 5 pc (graphique 9). Si les Français avaient poursuivi leurs efforts en matière d’économies d’énergie, la croissance de l’économie aurait pu être de 2 pc sans croissance de la consommation d’énergie. Nous devons voir dans cette évolution un signe que le chemin à parcourir n’est pas nécessairement négatif. Nos sociétés ont réellement la possibilité de devenir plus économes en énergie, d’utiliser des énergies alternatives renouvelables moins destructrices de l’environnement et d’avoir des conditions de vie agréables qui peuvent être étendues à l’ensemble de la planète.
Des bâtiments de plus en plus performants
Avant le premier choc pétrolier, la France ne disposait pas d’obligation d’isolation des maisons. La consommation moyenne y était de 200 kw/h M2. Après 1974, les autorités ont donc compris qu’il fallait agir. Des réglementations techniques ont été mises en place. La réglementation de 2000 qui a été approuvée en accompagnement de Kyoto permet une consommation moyenne de 80kw/h M2 (soit une baisse de 60 pc par rapport à la situation de départ) pour un surcoût de construction de 5 pc. Mais une nouvelle réglementation encore plus exigeante est en préparation. Une image permet de comprendre l’évolution demandée. Si quelqu’un demande de sauter du rez-de-chaussée au premier étage, il ne sera sans doute pas suivi. En revanche, s’il propose de prendre l’escalier, il aura davantage suivi. Le progrès technique, c’est comme monter les escaliers : nous devons définir le temps que nous mettons à franchir les marches. En matière de performance énergétique des bâtiments, il faut définir les étapes de ce qu’on peut gagner par une meilleure technique, par une meilleure organisation, par de meilleures conditions de travail des professions.
En France, l’objectif est de changer de réglementation thermique tous les cinq ans. Actuellement, on y planche sur les valeurs de la réglementation pour 2020. L’objectif devrait alors être de 30 kw/hM2 pour les constructions neuves, soit une amélioration de 85 pc par rapport aux performances initiales. La meilleure maison européenne neuve fait actuellement 8 kwh/M2. Mais on travaille aussi sur un concept de maison passive (en France, on dit bâtiments à énergie positive), c’est-à-dire des maisons dans lesquelles la consommation d’énergie pour le chauffage, l’électroménager, l’éclairage et l’électronique devient inférieure à l’énergie qu’elle va tirer de son environnement, par exemple du soleil ou de la géothermie. Il est donc parfaitement possible d’avoir des conditions habitations qui ne posent aucun problème en termes de réchauffement climatique. L’amélioration des constructions et singulièrement celle du bâti existant, le recours aux énergies renouvelables et l’amélioration des performances de l’électroménager doivent y contribuer.
Quand les transports dérapent
Graphique 10 : vitesse maximale et consommation urbaine
Le graphique 10 montre que la consommation d’une voiture en ville croît en raison directe de la vitesse de pointe de cette voiture. Autrement dit, si on double la vitesse maximale autorisée, la moyenne de la consommation en ville double également. Des voitures dont la vitesse de pointe est de 220 km/h consomment 14 litres d’essence au 100 km en ville (6 litres pour une voiture comme la Smart).
Les femmes doivent s’occuper d’urgence du cerveau reptilien des hommes. Notre mode de fonctionnement et de raisonnement par rapport aux voitures est complètement idiot. Je conseillerais aux jeunes qui veulent avoir une voiture d’être plus amoureux de leur autoradio que de leur moteur et d’avoir un véhicule qui corresponde à la réalité de son usage. Une voiture qui fait 200.000 km consomme 12 fois son poids en carburant, soit 14 tonnes de pétrole et émet 44 tonnes de CO2. Sur l’ensemble de sa durée de vie, une voiture émet un volume de CO2 qui correspond à six fois celui de l’arc de triomphe. Autrement dit, la voiture est un mode de déplacement qui n’est pas généralisable à l’ensemble de la planète, d’autant qu’actuellement, il est dépendant à raison de 97 pc du pétrole. La hausse des prix du pétrole va rendre cette dépendance intenable. Mais le climat nous impose également des efforts très importants dans le transport, secteur où les émissions de Gaz à Effet de Serre augmentent le plus (+ 25 pc depuis 1990) alors qu’elles sont stabilisées au niveau de la production industrielle, du traitement des déchets et de la production électrique. Le transport nous fait déraper et il va falloir changer cela. Des solutions existent. Pour les longues distances, il est possible de développer le rail. Sur la courte distance, nous devrons abandonner le pétrole et d’électrifier un maximum le transport. Mais il n’existe pas de technologie salvatrice (même pas l’hydrogène). Nous devons donc ramener la voiture à la réalité de son usage, cela implique de réduire sa vitesse maximale. Nous devons obtenir qu’une directive européenne interdise la mise sur le marché de véhicules dont la vitesse de pointe est supérieure à la vitesse autorisée. Au plan mondial, cela réduirait la consommation pétrolière de 10 pc. Une telle mesure ne coûte rien et sauvera de nombreuses vies.
Le nucléaire prolifère dans les états centralisés
Graphique 11 : mise en construction de réacteurs par année de commande
Le nucléaire est arrivé avant le premier choc pétrolier en 1974 qui a donné une formidable impulsion à la commande de centrales. Mais nous avons ensuite découvert que pour assurer notre indépendance énergétique, les économies d’énergie avaient le même effet. Dés avant la catastrophe de Tchernobyl, la commande de centrales nucléaires a été ralentie. Sur un plan politique, on doit constater que les seuls pays qui construisent encore aujourd’hui des centrales nucléaires sont des pays où l’Etat est fort, comme la France, la Russie, la Chine, Taïwan, le Japon, la Corée du Sud. Aucun des pays à structure fédérale – des pays où la démocratie locale joue un rôle important – ne commande encore de réacteurs nucléaires. Mon expérience et mes recherches m’amènent à conclure qu’il est parfaitement possible de résoudre le problème climatique sans le nucléaire. Car il importe d’être attentif aux aspects de sécurité. Voyons ce qui se passe en Iran ou ce qui s’est passé dans le monde depuis le 11 septembre. D’autres moyens existent pour produire de l’eau chaude sans faire d’armes de destruction massive. La Finlande est un cas intéressant : elle ne veut pas dépendre de la Russie (ni de son pétrole, ni de son gaz) et on peut la comprendre quand on regarde son histoire…
La mutation des énergies renouvelables
Graphique 12 : développement des énergies renouvelables
Au-delà des économies d’énergie, la solution viendra du développement des énergies alternatives. En France, dans l’état actuel des techniques dont nous disposons, à l’horizon 2050, elles permettront d’assurer la moitié de l’approvisionnement énergétique. Nous devons donc économiser l’énergie et encore faire progresser ces technologies.
Plaidoyer pour un bond démocratique
Nos besoins en énergie par unité produite se sont déjà fortement améliorés depuis le début de la révolution industrielle. Si on observe l’évolution des quantités d’énergie requises pour produire une même quantité de biens et de services, on constate que le maximum date des années 1880 en Grande-Bretagne. Les Anglais sont entrés les premiers dans l’ère industrielle. Ils y ont été suivis par l’Allemagne, la France et les USA qui ont progressivement eu recours à des matériaux améliorés. Cette évolution est frappante dans le cas du Japon qui est entré beaucoup plus tard dans l’ère industrielle avec des maxima de consommation nettement plus faibles parce que ses technologies étaient plus performantes.
Graphique 13 : évolution des intensités énergétiques de 1860 à 2000
Le progrès technique peut donc être défini comme le remplacement du travail humain par des machines utilisant des quantités sans cesse décroissantes d’énergie et de matières premières. Dans le vocabulaire moderne, on appelle cela le développement durable, c’est-à-dire, pour faire court, une société qui gaspille de moins en moins. L’itinéraire que nous avons à accomplir pour vivre en paix avec la Planète passe par la prolongation de ce mouvement et par la réalisation d’un énorme bond démocratique. Nous devons organiser la discussion sur notre avenir commun et nous créer un imaginaire de cet avenir. Cela passera immanquablement par un investissement éducatif et culturel considérable. Nous devons également faire progresser nos modes de vie et pour y parvenir, nous devons visualiser l’impact de nos vies sur l’environnement. Cela implique de comprendre la notion d’empreinte écologique et par exemple de comprendre que si tous les terriens vivaient comme les Européens, nous aurions besoin de trois planètes. Nous n’arriverons pas à avancer dans ce siècle et à convaincre nos concitoyens si nous n’arrivons pas à avancer en même temps sur la recherche du plaisir et sur le respect des contraintes et des conditions de vie sur cette planète. Nous entrons dans une société de plus en plus relationnelle, notamment grâce aux progrès de la technique. N’écoutons pas les prophètes de malheur. L’humanité change de trajectoire. Elle entre dans une période qui peut ressembler au yaourt allégé : « plus de goût, moins de calories ». Je vous souhaite une bonne vie dans votre siècle.