Nairobi, 17 novembre 2006 : c’est le point d’orgue de deux semaines de négociations pour les 6.000 participants à la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques. Malgré des avancées essentielles, notamment un plan de travail de révision du protocole pour l’après 2012 et un programme et un fonds d’adaptation pour venir en aide aux victimes des changements climatiques, on peut lire de la déception sur certains visages de la délégation belge, dont je fais partie. Déception parce que, en dépit de nouvelles études alarmistes sur les coûts des changements climatiques et des dernières statistiques montrant l’accélération des rejets de CO2 (ils ont augmenté quatre fois plus vite entre 2000 et 2005 qu’au cours des précédentes années), malgré les discours courageux et ambitieux de nombreux politiques et notamment de Kofi Annan, les efforts des négociateurs présents à Nairobi n’ont pu déboucher sur des engagements de réduction des émissions à atteindre après 2012, notamment dans le chef des pays émergents. Pour enrayer la catastrophe climatique imminente, il faut en effet avoir diminué les émissions mondiales de moitié d’ici 2050 au plus tard. Selon certains rapports récents, il ne resterait même plus que 10 ans au maximum pour agir…

Pendant ce temps, de l’autre côté du Sahara et de la Méditerranée, la Belgique est agitée par la diffusion d’un rapport controversé de la commission « Énergie 2030 ». Sous-estimant le coût de la prolongation des centrales nucléaires et sur-estimant celui des économies d’énergies, des énergies renouvelables et de la co-génération, ce rapport prône l’allongement de la durée de vie des centrales nucléaires belges. Au même moment, un groupe d’industries lourdes annonce son intention de construire une centrale nucléaire en bord de Meuse, quelque part entre Liège et Maastricht, en passant sous silence les subventions publiques énormes qu’un tel investissement requièrerait.

Ne nous voilons pas la face: il est clair que la sortie du nucléaire rend effectivement plus difficile la réduction des émissions. Mais faut-il en déduire que le nucléaire est la clé du respect des engagements de Kyoto ? Si c’était le cas, pourquoi la Belgique détient-elle le record européen d’émissions de CO2 par habitant, après la Finlande (qui dispose aussi du nucléaire), alors que son parc éléctrique est déjà parmi les plus nucléarisé au monde? L’importance de l’industrie lourde ne suffit pas à justifier cette situation. Celle-ci s’explique en réalité par le fait que le nucléaire ne bénéficie que d’applications limitées : il représente moins de 10% des consommations d’énergie en Belgique, et 3% à peine à l’échelle mondiale.

Un rapide calcul montre que le remplacement de nos 7 centrales nucléaires par des centrales au gaz engendrerait une hausse d’environ 10% des émissions de la Belgique. Mais il serait tout à fait possible de compenser cette hausse par la fermeture de nos centrales au charbon, par la mise en service de centrales de co-génération (elles permettent d’économiser 30% d’énergie primaire), la production d’électricité verte et une maîtrise de la demande d’électricité. Ce dernier aspect est souvent négligé bien qu’il recèle un potentiel économiquement rentable très important. A titre d’illustration, la consommation en mode veille des appareils électriques des ménages belges équivaut à plus de la moitié de la production de la centrale de Doel 1. De 1996 à 2000, la consommation d’électricité des ménages limbourgeois a diminué de 10% alors qu’elle a augmenté de 2% en moyenne en Belgique, et ce grâce à des campagnes de sensibilisation et des incitants du fournisseur d’ électricité. On peut donc sortir du nucléaire tout en maîtrisant nos émissions à condition d’y mettre suffisamment de volonté et de courage politique.

Et puisque le nucléaire est présenté par certains comme la solution aux changements climatiques, supposons que toute la production d’électricité mondiale actuellement issue des combustibles fossiles soit nucléarisée. Cela impliquerait une baisse théorique des émissions mondiales de CO2 de l’ordre de 30% (théorique car, contrairement aux coefficients officiels, la filière nucléaire émet aussi du CO2), mais il faudrait pour cela ajouter 1850 nouvelles centrales nucléaires au parc existant de 440 centrales.
Sachant que les partisans du nucléaire acceptent implicitement la poursuite de la croissance de la consommation d’électricité et que celle-ci devrait doubler d’ici 2030 à politique inchangée, 2750 nouvelles centrales nucléaires supplémentaires devraient s’ajouter pour absorber la boulimie électrique uniquement via le nucléaire .

Outre que l’extension du parc nucléaire mondial de 4.600 centrales accélérerait l’épuisement des gisements d’uranium conventionnels (ils seraient épuisés en moins de 10 ans au lieu de 85 ans), elle poserait de gigantesques problèmes en matière de déchets, de sécurité, de prolifération et de démocratie. En effet, même dans un pays comme la Belgique disposant d’un niveau de culture démocratique et scientifique parmi les meilleurs de la planète, le nucléaire pose problème. L’actualité récente a montré combien le secteur nucléaire était traditionnellement opaque et non-transparent vis-à-vis des pouvoirs publics. J’en veux pour preuve le fait que le 21 novembre dernier, la France a omis de prévenir la Belgique d’une fuite à la centrale nucléaire de Chooz située dans la botte de Givet, à proximité de la frontière belge. Après 50 années de nucléaire, il n’y a toujours aucune solution au stockage des déchets de haute activité et la gestion des déchets a un coût incertain. Je n’ose imaginer les conséquences en terme de sécurité et de prolifération d’un monde comptant plus de 5.000 centrales. Kofi Annan l’a rappelé à Nairobi: « Le changement climatique compte désormais au nombre des principales menaces à la paix et à la sécurité ». N’y ajoutons pas celle d’une planète truffée de réacteurs atomiques et parcourue en tous sens de transports de matières et déchets radioactifs.

En conclusion, ne nous dispersons pas, mobilisons toute notre intelligence, toutes nos ressources industrielles et financières pour relever le défi de l’intelligence énergétique et des énergies renouvelables. Ce sont les réelles voies durables pour lutter contre le réchauffement climatique qui nous concerne tous !

Evelyne Huytebroeck
Ministre bruxelloise de l’Environnement et de l’Energie

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