Avant propos

Quand les Verts renouent avec les débats de fond, ça leur fait du bien. Du vendredi 1er au dimanche 3 septembre, 1.500 d’entre eux ont participé au « Zukunftskongress », le Congrès d’Avenir des Grünen., « Un Woodstock de la théorie avec des résultats pratiques », selon l’expression de leur co-présidente Claudia Roth. Ni nostalgiques, ni dépressifs, mais résolument tournés vers le futur, ses défis et surtout la manière de les surmonter, ils ont mené tout au long du week-end des dizaines de débats de fond. Un peu comme lors des EGEP d’Ecolo des années ’90, de nombreux experts, intervenants extérieurs avaient été invités. Les Verts allemands ne veulent pas qu’on les présente comme un parti intellectuel. « Nous sommes le parti qui apprend », préfère Claudia Roth. En relançant les débats sur des enjeux cruciaux comme le travail, la fin du pétrole, l’intégration, la globalisation, ils comptent prolonger un mouvement de développement qui semble bien enclenché. Les derniers sondages fédéraux les créditent de 10 pc des intentions de vote. Aux élections régionales de Berlin, ils viennent de faire un bond de 4 pc, passant de 9,1 pc à 13,1 pc des suffrages exprimés, ce qui les mettait en position de revenir au pouvoir dans la capitale fédérale, mais entretemps le SPD a choisi de s’allier avec la gauche conservatrice de die Linke (ex-communistes). Mais d’autres signes témoignent de leur vitalité. Au Zukunftskongress, plus d’un tiers des participants avait moins de trente ans.

1 Vandana Shiva : « Détruire le mur de l’avenir »

Vandana Shiva , la grande militante altermondialiste indienne, était visiblement émue par la solennité du lieu où elle était invitée à prendre la parole : le grand atrium de verre du Forum des Energies, un bâtiment ultramoderne voué aux nouvelles énergies situé au centre de l’ancien Berlin-Est en pleine revitalisation, tout près du Mur de sinistre mémoire. L’enjeu aujourd’hui est de détruire les nouveaux murs, explique-t-elle. Le mur entre les sociétés, le mur de l’avenir, qu’élèvent la surexploitation des ressources naturelles, l’agriculture industrielle, le brevetage du vivant. Nous devons aussi détruire le mur de la violence qui se construit quand les démocraties échouent à protéger les gens, estime-t-elle en évoquant la répression de l’état indien contre les agriculteurs qui résistent aux dévastations des multinationales agro-alimentaires. Elle appelle au développement généralisé de l’agriculture biologique et au repeuplement des campagnes européennes. A un nouveau pacte entre le nord et le sud autour d’une agriculture durable. Et de conclure dans un tonnerre d’applaudissements : « Nous sommes à un moment historique, nous devons d’urgence agir car les prochaines années seront décisives », « l’avenir sera vert, sinon il n’y aura pas d’avenir ! ».

2 Pour un nouveau réalisme à la hauteur des défis écologiques

Est-ce le retour du catastrophisme ? De «l’utopie ou la mort ? » des années ‘70. Pas tout à fait. Chez les Verts allemands, on parle désormais de « nouveau réalisme ». Aujourd’hui, la realpolitik commande de regarder froidement et lucidement les défis et les menaces réelles. Et d’agir en conséquence, comme le défend le député fédéral Reinhard Loske . Celui-ci invite les Grünen à regarder fièrement leur bilan gouvernemental, mais aussi à rester lucides. « Il est clair qu’en matière de climat, l’Allemagne est l’un des rares borgnes au royaume des aveugles. Mais nos émissions moyenne par habitant demeurent les plus hautes des pays industrialisés européens.(…) Les Verts doivent, s’ils veulent faire de la politique à la hauteur des défis écologiques, indiquer clairement ce qui se produira si on n’agit pas et ce qu’il convient de faire. On peut appeler cela de la re-radicalisation, parce que les mesures nécessaires en termes de protection de climat vont bien plus loin que ce qui est actuellement discuté. Nous préférons parler d’un nouveau réalisme dans la politique écologique, parce que les thèses tenues jusqu’ici n’étaient pas réalistes ». Et Loske d’insister sur le fait que les dix prochaines années seront décisives pour le climat. Dans le texte qu’ils ont rédigé dans la perspective du Congrès, les deux co-présidents Bütikofer et Roth évoquent aussi la nécessité de retrouver un ton à la hauteur des défis contemporains. Ni auto-flagellation, ni prophétisme, mais volonté de faire bouger les choses très rapidement. Avec des objectifs très ambitieux. La radicalité, c’est la thématisation de ce qu’il est indispensable de faire, si on veut que l’avenir soit possible, dit-on encore. La députée Christine Scheel explique, elle, que les Verts ont perdu les élections de 1990 (au moment de la réunification) en faisant campagne sur le climat. « C’est pourquoi nous voulons élargir l’adhésion pour une économie de marché verte afin de disposer d’un rapport de force nous permettant de nous rapprocher d’une solution du problème climatique ».

3 Objectif 100 % d’énergies renouvelables

Les Grünen veulent pousser à fond les économies d’énergie : la meilleure énergie alternative, c’est celle qu’on ne consomme pas. Mais il s’agit aussi de doper à coups de fonds publics la recherche sur les énergies alternatives avec, pourquoi pas ?, l’objectif de parvenir à terme à 100 pc de renouvelables… Et aussi de contraindre l’industrie automobile toute puissante en Allemagne d’adopter des standards obligatoires pour les émissions de CO2. Le raisonnement, c’est que si cela a marché pour les normes Euro (les voitures sont de moins en moins polluantes), cela doit aussi marcher pour le CO2. Plus question de faire confiance au secteur automobile qui, dans les années ’90 ; avait arraché à coups de lobbying un mécanisme d’accord volontaire qui n’a pas marché et n’a pas permis de réduire suffisamment le CO2 émis par les voitures. L’enjeu est crucial. Car il n’y aura pas de solution au problème climatique sans solution au problème des émissions du transport. Il faut parfois oser prendre des risques : aujourd’hui, les villes allemandes adoptent progressivement les politiques d’aménagement réclamées à leurs débuts par les écologistes, à une époque où tout le monde les prenait pour de doux rêveurs. Il ne faut pas relâcher la pression. A court terme, il faut que toute l’Union Européenne se mette d’accord sur une réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre de 30 pc d’ici 2020 par rapport à 1990. C’est indispensable si on veut convaincre la Chine de s’engager dans le processus de Kyoto.

4 L’écologie, c’est le social

Est-ce à dire que les Grünen se replient sur leur sanctuaire écologique ? Pas du tout. Et d’abord, la question écologique, c’est la question sociale centrale de l’avenir. C’est un enjeu de justice, d’égal accès aux ressources et d’égal accès aux possibilités d’émancipation, répète le collectif « Realismus und Substanz » qui réunit une quarantaine de jeunes Grünen dans sa dernière publication .Celui-ci insiste sur l’enjeu de la formation pour réduire le chômage alors que d’autres veulent relancer l’allocation universelle. Un débat pas du tout tranché. Qui tourne non seulement autour de la place du travail dans la société mais aussi autour du financement de la protection sociale. La a tête du parti est très réticente. L’allocation doit elle être conditionnée (à des prestations) ou inconditionnelle ? Comment la financer et surtout ne risque-t-on pas de dépiauter toute la protection sociale pour une allocation très légère. On parle de 500 €, certes cumulables avec d’autres revenus, mais pas grand-chose par rapport à un seuil de pauvreté fixé à 936€ en RFA. En période d’austérité, ne devra-t-on pas sabrer ailleurs pour trouver le financement ? A un moment où les Verts veulent garantir « un accès inconditionnel aux biens collectifs et à l’éducation en particulier »… L’aversion pour la bureaucratie, le contrôle des chômeurs poussent les défenseurs de l’allocation universelle. Elle permettrait aussi une réelle individualisation des droits sociaux (pas de différence entre cohabitants) et une meilleure conciliation de la vie de famille et des activités professionnelles. Mais comme le demandait un participant, « le versement à vie d’une allocation universelle n’est-elle pas un programme élitaire qui cache le fait que le travail salarié ne sert pas seulement à garantir la sécurité matérielle mais constitue également un élément central d’intégration sociale ? » Le débat n’est pas fini.

5 Priorité absolue à la formation

En revanche, le consensus est total au sein des Verts allemands pour faire de la formation et de l’éducation tout au long de la vie une priorité absolue. A la fois pour lutter contre les inégalités, mais aussi pour conserver la compétitivité de l’industrie allemande. Le renforcement de la formation doit permettre aux 3,5 millions de travailleurs de l’industrie métallurgique (le cœur de l’économie allemande) de résister à la pression sur les coûts, a expliqué Berthold Huber, le vice-président d’IG Metall, le grand syndicat de la métallurgie. D’accord disent les Verts, mais il faut que la formation puisse toucher tout le monde et pas seulement certains privilégiés. Il faut notamment que l’industrie accepte de jouer son rôle de formateur à un moment où de plus en plus de jeunes ont des difficultés à trouver des places de stages. Les Verts veulent une réforme en profondeur du système éducatif : plus de moyens et plus de décentralisation. . Ils planchent aussi sur d’autres propositions. Notamment celle d’un renforcement de la fiscalité sur la fortune permettant une redistribution plus juste de la propriété. Justification ? L’exigence de justice intergénérationnelle et le vieillissement. Les héritiers doivent attendre de plus en plus tard avant d’hériter. Mais gare aux conséquences économiques, notamment dans l’agriculture… Autre piste : la participation des travailleurs au capital de leur entreprise, pas trop bien vue par les organisations syndicales, même dans un pays de co-gestion.

6 Les Verts absolument européens

L’engagement européen reste un point capital du projet vert. Comme le disait le grand sociologue Sygmunt Baumann, invité en ouverture du Congrès, « nous les Européens, nous avons appris ô combien durement à coexister. Nous devons donc transmettre au monde le message que notre diversité est une source de créativité ». L’ Europe qui a perdu l’hégémonie militaire et économique doit faire de ses différences une ressource de créativité, plaide-t-il. De par leur engagement résolu dans l’Europe des différences, les Verts forment un parti radicalement original, commentait le publiciste Warnfried Dettling en clôture du Congrès. Il prône une internationalisation des débats nationaux pour assurer une communication entre les espaces publics nationaux et contribuer à la création d’un espace public européen. Cela colle du reste assez bien avec la conception verte de la forme-parti. Les Verts se voient comme un « Trans-parti », un parti que l’on traverse, où la participation, l’ouverture à la société, la créativité sociale et aux acteurs du changement, jouent un rôle central. Dans les prochains mois, les Grünen comptent bien poursuivre dans cette direction en s’appuyant sur le matériel accumulé dans les dizaines de débats tenus à Berlin. Un Livre Vert reprenant les grands moments du Congrès est attendu pour le mois de décembre. Mais la plupart des PV des ateliers sont déjà disponibles sur leur site .

Notes
1. www.vshiva.net
2. www.loske.de
3. « Grüne Paradoxien, Diagnose und Orientierung auf Unaufwegsamen Terrain » Realismus und Substanz, September 2006.
4. www.gruenerzukunftskongress.de

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