Mireille Delams-Marty, Edgar Morin, René Passet, Riccardo Petrella & Patrick Viveret. Ed. Fayard – Collection Transversales, 2006.

Pour militant curieux… et pressé

Si vous n’avez pas beaucoup de temps libre.
Si les essais politiques sont de grosses briques qui vous découragent et se heurtent à un agenda surbooké.
Comment donc satisfaire votre envie de comprendre, réfléchir vous oxygéner les neurones de temps en temps?
Les amis de la collection «Transversales» chez fayard ont pensé à vous.

Dans la lignée du «groupe des dix»[1] et de la revue «Transversale Sciences-Culture»[2], cette collection a pour ambition de prolonger leur travail et cherche «à donner à traduire la complexité du Monde».

Elle vient de s’enrichir d’un petit ouvrage (160 pages) foisonnant dérangeant, éclairant… et jubilatoire.
Intitulé «Pour un nouvel imaginaire politique» et rassemblant Edgar Morin (qui signe l’introduction), Mireille Delmas-Marty, René Passet, Riccardo Petrella, Patrick Viveret et Valérie Peugeot (pour l’avant-propos), ce véritable shaker à idée est structuré en 4 chapitres, chaque auteur y apportant sa contribution en quelques pages denses, mais très abordables.

«L’envie de ce livre est née après le référendum sur le traité constitutionnel européen» et d’avoir constaté «à quel point la ligne qui séparait, au sein du collectif de Transversales, les tenants qui «Oui» de ceux du «Non» était ténue», annonce l’avant propos de Valérie Peugeot.
Séparation qui réunit ou tension avec laquelle il faut vivre car «la politique est devenue de plus en plus […] inintelligible, de plus en plus inaudible […]. La politique tient désormais du degré zéro de la pensée. Sa crise est sans précédent, faute d’investissement intellectuel, sur les bouleversements technologiques, les grandes transformations, les changements de société, les crises de civilisation.» (E. Morin)

Précisément, le premier chapitre «Comment ré-oxygéner les espaces politiques?» réinterroge le fonctionnement de nos précieuses démocraties imparfaites.

«La difficulté, pour les partis et les syndicats, est qu’ils n’ont plus le monopole et sont concurrencés par d’autres formes d’expression démocratique», et, nous prévient Mireille Delmas, «l’idée que les formes de la démocraties puissent être elles-mêmes plurielles et s’enrichir mutuellement leur semble difficile à accepter».
Mais, simultanément et paradoxalement, aujourd’hui «les plus importants centres de décision s’éloignent […] des individus, et de cela résulte, […] une démobilisation des citoyens, qui se sentent objets impuissants plus qu’acteurs de la vie politique. Ré-oxygéner cette dernière, c’est donc aussi encourager la participation des hommes et des femmes à l’édification de leur propre destin.» (René Passet)

«Comment expérimenter des économies et des univers pluriels?» est le fil conducteur de second chapitre.
Des droits de propriété intellectuelle aux biens publics mondiaux, de la pluralité des modes de régulation au rôle et à la place de l’économie publique, de la «cocacolisation» à la «pétrolisation», ce chapitre défriche, et par là même, trace des pistes bien nécessaires dans le bouillon d’incertitudes qui risque de nous submerger.

«On a fini par oublier que la monnaie renvoie à des fondamentaux écologiques et anthropologiques. Autrement dit, il n’y a de richesse que dans le rapport entre les être humains et l’ensemble de l’univers.»
Mais aux tenants de la décroissance, René Passet répond «c’est une chose d’affirmer qu’une croissance matérielle infinie est inconcevable dans un monde matériel fini, de signaler ses méfaits sur la biosphère et de dénoncer les spoliations auxquelles elle donne lieu à l’échelle de la planète, c’en est une autre de remettre en cause le concept de «développement» précisément élaboré pour dénoncer ces méfaits».

Dans la suite logique des questionnements des chapitres précédents, c’est à la question «Comment jeter les bases d’une (réelle) gouvernance mondiale?» que s’attache le troisième chapitre.

Alors que Mireille Delmas affirme avec force la nécessité d’une judiciarisation progressive des institutions internationales comme la Banque Mondiale, le F.M.I. ou l’O.M.C.;, dans une brillante comparaison entre le vivant et le social, René Passet conclut «dans un monde évolutif, il faut savoir à la fois s’adapter et déterminer les valeurs fondamentales que l’on entend maintenir».
Visionnaire et généreux, Riccardo Petrella parle lui de reconnaître l’humanité en tant que sujet juridique et politique.

Le dernier chapitre enfin entreprend de repenser un imaginaire européen… à découvrir et à méditer.
Ce petit livre représente vraiment un rare exercice de réflexion, d’intelligence, de créativité…et de synthèse.
A savourer.

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