Nous l’avons indiqué d’emblée, dès son adoption par le Gouvernement wallon : le Plan Marshall de relance économique ne pourra selon nous réussir que si la Région wallonne met simultanément en œuvre un Plan Marshall de réforme politique, établissant une véritable rupture avec un certain nombre de pratiques, d’habitudes, de dysfonctionnements et d’abus. Nous pensions – et nous continuons à penser – que la problématique de la gouvernance et des pratiques politiques constitue une clé essentielle pour le redéploiement de la Wallonie. Il y va également, du reste, de la bonne gestion des deniers publics.
Au point de départ, la majorité à l’œuvre en Région wallonne (PS – CDH) pensait pouvoir faire l’impasse totale sur les enjeux de gouvernance. Quelques scandales et une démission ministérielle plus loin, elle a intégré une partie de cette nécessité et a annoncé mettre en oeuvre certaines réformes.
Aujourd’hui, un an après l’annonce du Plan Marshall et neuf mois après son adoption, il faut cependant déchanter, dans une large mesure.
Il serait naturellement incorrect de présenter un tableau sans nuances et nous pouvons constater que des changements intéressants ont été initiés dans certains secteurs.
Il reste que là où des modifications ou des adaptations ont été adoptées ou sont en passe de l’être, elles restent insuffisantes – voire largement insuffisantes – par rapport aux problèmes soulevés. Plusieurs réformes essentielles, tenant à notre avis à des éléments constitutifs du mal wallon, ne sont, d’ailleurs, tout simplement pas évoquées : nous pensons ici aux cumuls, au clientélisme ou aux sous régionalismes. Pire, dans un grand nombre de cas et à l’inverse de son discours, le Gouvernement a décidé d’avancer à contresens !
Globalement, face aux urgences de l’heure, le Gouvernement apparaît trop souvent comme cherchant à temporiser ou à minimiser et, lorsqu’il ouvre une réforme, à veiller à le faire en préservant les prés carrés et les intérêts partisans ou individuels.
Nous tenterons dès lors, dans le cadre de cette contribution, de dresser un premier inventaire des orientations politiques adoptées par le Gouvernement sur le terrain de la réforme de la gouvernance. Cet effort d’analyse est d’autant plus nécessaire que, depuis quelques semaines, une nouvelle vague d’affaires, de révélations et/ou d’inculpations font état, à nouveau, de scandales, de malversations ou de dysfonctionnements, hypothéquant tout simplement le redéploiement wallon.
Nous aborderons ainsi successivement le secteur du logement social, des intercommunales, des structures économiques et de l’administration. Nous évoquerons, en guise de conclusion, les éléments qui se trouvent, selon nous, au cœur du mal wallon et qui restent, à ce stade, des tabous.
1. LOGEMENT SOCIAL
Tout a donc commencé dans le secteur du logement social, à la suite d’audits alarmants révélant des situations catastrophiques dans une série de sociétés de logement.
Avant toutes choses, il faut rappeler que PS et CDH ont, dès le départ et de façon systématique, tenté de réduire l’ampleur de la problématique ou de cadenasser la discussion :
refus de communiquer au Parlement, lors de la première réforme du Code en juillet 2005, les résultats de l’audit financier général des sociétés ;
obstacle à la mise en place d’une réelle commission d’enquête pour préférer un travail ordinaire en commission ;
limitation stricte de la liste des personnes auditionnées, excluant par exemple les témoins ou réviseurs d’une des sociétés dans la tourmente ;
…
Après avoir également refusé la réalisation d’un audit immédiat dans l’ensemble des sociétés (par exemple avec l’appui de la Cour des comptes comme cela avait été proposé sur les bancs de l’opposition), la majorité a pris l’option d’une cartographie des risques, qui sera malgré tout finalement suivie d’un audit de chacune des sociétés.
Les résultats de la première phase de cette cartographie rendent compte de l’ampleur de la crise, les cas isolés l’étant de moins en moins : au total, outre 9 sociétés déjà conduites par un commissaire spécial, 9 autres sont placées sous procédure de contrôle rapproché tandis que 7 sociétés, notamment sur base des indices relevés par la première phase de cette cartographie, sont actuellement soumises à un audit approfondi, dont 3 en urgence et avec probable envoi d’un commissaire spécial.
En toute hypothèse, il importe que la situation réelle de chaque société soit établie : il s’agira donc d’examiner la seconde phase de cette cartographie, portant notamment sur la procédure d’attribution, et de poursuivre le processus d’audits approfondis. Ce n’est effectivement qu’à l’issue de l’ensemble des audits approfondis que l’état réel du secteur pourra être apprécié avec fiabilité et que les comptes pourront, le cas échéant, être soldés.
Si la détermination du Ministre à avancer dans l’établissement des constats s’est manifestement amplifiée avec le temps, il faut par contre observer que la volonté – ou la capacité – gouvernementale à initier les réformes nécessaires, et davantage encore à les mettre en œuvre, est, à notre sens, largement insuffisante.
Ainsi, la plupart des modifications adoptées vont certainement dans le bon sens : mise en place d’un audit des sociétés, première réduction du nombre d’administrateurs – encore que 19 ou 25 restent des nombres très et trop élevés -, représentation proportionnelle dans les organes de gestion, régulation des rétributions des administrateurs et gérants – qui reste à faire -,…
Ces mesures s’avèrent toutefois insuffisantes par comparaison avec la résolution votée par la coalition elle-même. Ainsi, plusieurs des recommandations formulées par le Parlement sont carrément passées à la trappe lors de l’adoption du décret :
le recrutement des directeurs-gérants suivant des procédures objectivées (outre la faiblesse des conditions d’engagement définies par le Code et la non mise en œuvre d’un régime de mandats) ;
la généralisation de la présence d’un réviseur au sein des sociétés ;
l’obligation pour les administrateurs et directeurs-gérants de déposer une liste de mandats et une déclaration de patrimoine.
Ces réformes restent également insuffisantes, selon nous, par rapport à des changements importants pour le redressement du secteur. De façon prioritaire, il faut mentionner les éléments suivants :
aucune évolution en matière d’incompatibilités et cumuls, de sorte que les bourgmestres et échevins pourront par exemple rester directeurs-gérants ou présidents de conseil d’administration, tandis qu’une même personne pourra continuer à exercer de multiples mandats ;
l’enjeu de l’attribution des logements – et le clientélisme qui l’entoure – n’a pas été abordé, alors que, dans le même temps, 20 000 demandes restent en attente.
Enfin, il faut rappeler qu’aucun des arrêtés d’application n’a été adopté à ce jour, qu’il s’agisse des arrêtés requis par le décret de mars 2006, autant que par celui de juillet 2005. Nous pensons par exemple, pour le décret de 2005, à la mise en œuvre du contrat d’objectifs du directeur-gérant ou du programme de gestion de chaque société ou, pour le décret de 2006, aux balises en matière de jetons de présence et autres indemnités. Si nous nous souvenons par ailleurs que d’autres éléments n’entrent en vigueur qu’en 2007 (ouverture des organes de gestion, par exemple), cela signifie que les réformes adoptées restent, à ce stade, largement virtuelles… Cette situation n’est pas sans danger.
2. INTERCOMMUNALES
La tourmente dépasse aujourd’hui les sociétés de logement social, puisque c’est le secteur des intercommunales – et des asbl communales – qui est à présent touché.
En particulier, une série de pratiques inadmissibles ont été mises en relief au sein de l’ICDI, à nouveau en Pays de Charleroi.
Cette affaire constitue-t-elle un cas isolé de plus ? Les mêmes symptômes conduisant aux mêmes maux, il est permis de penser que non .
Force est en tout cas de constater que cette affaire vient s’ajouter, dans un climat délétère aux instructions déjà ouvertes par ailleurs et qu’elle est susceptible de porter un nouveau coup, important, à la confiance de la population en nos institutions.
Il faut cependant constater que le Gouvernement n’a, jusqu’ici, pas voulu mettre en place de méthode fiable de nature à identifier les indices de dysfonctionnements ou de mauvaise gestion dans l’ensemble du secteur, encore moins qu’il souhaite réaliser un audit au sein de ces structures, par exemple avec le concours des services de tutelle et de la Cour des comptes.
Pareille temporisation – dans l’attente de nouvelles révélations ? – nous semble préjudiciable. Dans le contexte actuel de crise grave susceptible de mettre en cause la confiance citoyenne dans le système démocratique, elle ne constitue effectivement pas le meilleur signal quant à la volonté de la Région de lutter contre toute forme d’abus ou de malversations et d’établir rapidement la probité du secteur intercommunal.
A côté de cela, il faut toutefois observer qu’indépendamment de cette problématique des affaires, le Gouvernement a mis en chantier une réforme des intercommunales, comportant deux volets : un toilettage du décret, d’une part, et une réduction du nombre de structures, d’autre part.
A l’instar de la réforme adoptée dans le secteur du logement, la modification du décret qui est en projet nous semble contenir plusieurs éléments positifs : première réduction du nombre d’administrateurs à 30 (ce qui reste un nombre extrêmement élevé) , représentation proportionnelle au sein des organes restreints de gestion, régulation des rétributions des administrateurs et gérants (qui reste à faire), accès aux délibérations pour les conseillers communaux, liste des adjudicataires, association de la Cour des comptes au sein du collège des réviseurs,…
Elle reste cependant insuffisante, en particulier face aux enjeux suivants :
aucune règle n’est déterminée pour le recrutement du personnel, et en particulier des directeurs généraux ;
aucune évolution en matière d’incompatibilités et cumuls, de sorte que les bourgmestres et échevins pourront par exemple rester directeurs généraux ou président du conseil d’administration, de même qu’une même personne pourra continuer à exercer, quasi sans limite, de multiples mandats ;
maintien du système de calcul de la dévolution des sièges encourageant l’hégémonie politique (clé Impériali + clé D’Hondt en fonction dérivée).
La réforme du nombre d’intercommunales, quant à elle, nous laisse également quelque peu perplexe, dans la mesure où la réalité du nombre absolu agrège des réalités fort disparates et que l’effort semble avoir été davantage porté au niveau des intercommunales de simple coopération communale, et beaucoup moins au niveau des entreprises en réseaux.
Au-delà, nous pensons qu’il importe également de considérer l’ensemble des structures publiques développées au niveau local et des entités constituées à l’intérieur des opérateurs subsistants. Nous craignons, en la matière, le « rattrapage » d’une réduction qui ne serait alors que faciale.
3. STRUCTURES ECONOMIQUES
A côté de la rationalisation annoncée des intercommunales, le Gouvernement avait également annoncé qu’il entendait structurer l’offre d’animation économique et d’animation technologique et rationaliser le paysage, composé de 70 acteurs d’un côté et de 50 de l’autre. Toutefois, le Gouvernement a réussi le tour de force de commencer le travail de rationalisation par une opération allant dans le sens exactement contraire, en créant deux nouvelles structures, l’Agence de stimulation économique (ASE) et l’Agence de stimulation technologique (AST), qui s’ajoutent aux structures existantes. A ce stade, il n’y a pas la moindre rationalisation, le moindre début d’une première étape, la moindre annonce d’une quelconque concrétisation.
Outre la complexification du système à l’heure où la dynamique inverse est attendue, cette création de structures va de pair avec les habituels effets induits d’un tel phénomène : création d’emplois sur-rémunérés (par rapport aux barèmes de la fonction publique), possibilité de recruter sans le SELOR et en dehors des procédures garantissant transparence ou objectivation des compétences …
Elle est aussi budgétivore : en 2006 (exercice partiel puisque les deux sociétés ne sont pas encore créées), 750 000 € sont prévus pour l’AST et 750 000 € étaient également prévus pour l’ASE. Celle-ci vient de voir son budget, déjà, augmenté à 1 788 000 € pour cette même année 2006.
Dans le même temps, la galaxie des filiales s’est également élargie, dans l’environnement SRIW, puisque la SOFIPOLE a été développée pour le financement des pôles de compétitivité, tandis que la SOWAFINAL a été créée pour l’assainissement de certaines friches industrielles. Est-il seulement possible de penser qu’aucun outil wallon existant ne voit naturellement ses activités doublonnées par ces nouvelles structures et n’aurait pu remplir les missions qui leur ont été attribuées ?
Au niveau local, une même logique, contraire à la philosophie de rationalisation officiellement portée par le Plan Marshall, est à l’œuvre. Ainsi, la ville de Liège vient-elle, par exemple, de créer un guichet d’accueil des investisseurs étrangers.
Plus illustratif encore, l’activation récente du GIE Economie situé dans l’orbite de l’ASBL Avenir du Pays de Liège. Pour rappel, cette ASBL – qui reste présidée par le Ministre wallon du Budget – avait décidé de créer, il y a quelques années, plusieurs groupements d’intérêt économique (GIE) rassemblant, par secteur, divers opérateurs intercommunaux et publics existants. Parmi ces GIE, il en est un qui a fait la preuve la plus absolue de son inutilité, à savoir le GIE Economie, précisément : en près de 4 ans, aucune initiative quelconque et quasi aucune réunion, sauf pour acter le remplacement à la présidence de Willy Demeyer par José Happart. Cette structure fait donc certainement partie de celles qu’il est permis – et indispensable – de supprimer à très brefs délais. Ce GIE vient pourtant d’être activé, puisque plusieurs de ses opérateurs associés (SAB et Meusinvest en tout cas) ont décidé de lui verser, chacun, une subvention de 40 000 €, il y a quelques semaines. Le but de l’opération consisterait, selon nos informations, à recaser l’un ou l’autre ami(e) du président du Parlement wallon…
Le Ministre wallon de l’Economie a néanmoins indiqué qu’il ne comptait pas réagir, évoquant … son impuissance. Curieux, si nous voulons bien nous souvenir que la Région finance largement ces opérateurs contributeurs et que Meusinvest est soumis à la tutelle de la SOWALFIN, elle-même placée sous le contrôle du Ministre de d’Economie.
4. ADMINISTRATION
Il importe tout d’abord de rappeler que le Gouvernement a créé ex nihilo plusieurs cellules directement situées sous son contrôle.
Ainsi, une cellule a été mise sur pied autour d’un délégué spécial à la création d’activités, en principe affecté au PST 1 et depuis lors recyclé dans le suivi du Plan Marshall. Une cellule a également été développée autour d’un second délégué spécial, chargé de coordonner le PST 2 relatif au développement du capital humain.
A côté de cela, une cellule a également été dédiée au suivi des financements alternatifs, en appui du cabinet du Ministre du Budget.
Cet appareil administratif est naturellement érigé de façon parallèle à l’administration et apparaît finalement comme une annexe des cabinets dont ils relèvent. Ces cellules présentent également leur coût budgétaire, qui constituent autant de sommes non prises en compte dans le plafonnement des dépenses de cabinet qui avait été promis : ainsi, pour 2006, 400 000 € par exemple pour la cellule du délégué spécial à la création d’activités ou 642 000 € pour la cellule financière.
Dans la rubrique des cellules, il faut également accorder une mention spéciale à la création de la cellule ESPACE – encore appelée cellule de développement territorial, qui a pour but de gérer plusieurs missions de nature proprement administrative, voire régalienne (planification, rédaction de cahier des charges, étude de projets de révision de plan de secteur). Il s’agit, de la sorte, de déposséder l’administration de l’aménagement du territoire de plusieurs de ses missions et de ses agents, afin de les placer sous la supervision directe du Ministre. La facture s’élève par ailleurs à 1 000 000 €.
Nous savons que la fonctionnaire dirigeante s’est émue des motifs de cette décision dans un courrier adressé au Ministre, devenu ensuite d’ordre public. Nous savons aussi que l’intéressée s’est vue signifier, depuis lors, l’ouverture d’une procédure disciplinaire… Après les réductions de subventions d’IEW et les manoeuvres à l’égard des riverains des aéroports en recours juridictionnel, les signes d’intimidation de toute expression critique se multiplient.
A côté des cabinets et de leurs « extensions », il convient aussi d’évoquer la situation de l’administration, notamment quant à sa structuration.
Deux ministères, douze directions générales, des dizaines de divisions et des centaines de directions… Il y aurait certainement matière à une simplification de la chaîne de commandement, de même qu’à l’intégration d’éventuels nouveaux besoins, afin de cesser la dynamique de création perpétuelle de nouveaux organismes autonomes ou cellules parallèles.
Le Gouvernement a toutefois drastiquement limité ses ambitions, en s’arrêtant à la seule annonce de la fusion entre la DGEE et la DGTRE. Il semble par ailleurs que cet objectif soit lui-même menacé : interrogé au sujet de manœuvres fonctionnelles ayant pour but de faire échouer ce projet, le Ministre a indiqué que le Gouvernement a effectivement ajourné sa décision à une hypothétique réflexion plus globale sur l’ensemble des structures.
Après avoir longuement temporisé pour ne pas le mettre en application tel quel, le Gouvernement a par ailleurs sérieusement réduit l’ambition du régime des mandats : suppression du brevet de management et, surtout, application aux seuls rangs A1 (secrétaires généraux) et A2 (directeurs généraux), à l’exclusion du rang A3 (inspecteurs généraux), ce qui a pour effet de limiter l’ampleur du système de près de 80 % en termes de nombre d’emplois visés, et d’en revenir au mécanisme de la promotion pour le rang A3.
Il reste à espérer que cette évolution ne donnera pas lieu, dans le même temps, à la restauration de la scandaleuse répartition 2/3 – 1/3 en cours, à travers des conseils de direction caporalisés, sous la précédente promotion PS-PSC.
Enfin, les nouvelles révélations relatives à l’affaire Wagner et les complicités dont aurait bénéficié l’homme d’affaires carolo jettent un éclairage particulièrement inquiétant sur la gouvernance wallonne et font état de faits particulièrement graves. Il importe également que la clarté soit faite le plus rapidement possible dans cette affaire et que les responsabilités soient établies, notamment quant au rôle joué par le pouvoir politique et par l’administration.
Il en est de même, à un autre niveau de pouvoir, des graves confusions d’intérêt révélées au niveau de la passation des marchés publics à la ville de Namur.
5. TROIS ENJEUX ESSENTIELS AU CŒUR DU MAL WALLON
A travers ces différentes illustrations, trois problématiques apparaissent, de façon transversale, comme étant au cœur du mal wallon : les cumuls, le clientélisme et les baronnies.
La restauration de la confiance dans nos institutions et dans la Wallonie elle-même appelle une réelle rupture à l’égard de ces trois enjeux, que les mesures adoptées jusqu’ici par le Gouvernement wallon prennent garde, systématiquement, de ménager.
A. Cumuls et conflits d’intérêt
Qu’il s’agisse de la question essentielle des conflits d’intérêt qu’engendrent naturellement une série de cumuls, de la disponibilité en temps et en esprit que requiert un accomplissement sérieux de sa charge publique, ou qu’il soit question de concentration de pouvoirs et d’hégémonie politique, la problématique des incompatibilités et cumuls de mandats se situe véritablement au cœur des errances et scandales mis au jour, et plus fondamentalement au cœur d’un système wallon de malgouvernance. Dans la plupart des affaires, les mandataires responsables sont titulaires d’une multiplicité de mandats et se situent dans un ensemble de structures aux intérêts variés.
Il nous apparaît donc prioritaire de mettre en œuvre un réel décumul des mandats. A titre illustratif, nous pensons aux éléments suivants :
incompatibilité entre fonction parlementaire et mandat exécutif local ;
limitation drastique du nombre de mandats d’administrateur qu’une même personne peut exercer au sein d’une intercommunale ou structure assimilée (société de logement, autre société publique, …) ;
incompatibilité entre fonction de directeur d’une intercommunale ou structure assimilée et mandat exécutif local ;
organisation, à partir de l’autorité de tutelle et de la Cour des comptes, d’un dispositif de contrôle a priori et a posteriori des conflits d’intérêts ;
réduction réelle du plafond global de rémunérations de 150 % à 100 % par rapport à l’indemnité parlementaire et prise en compte de l’ensemble des revenus et non seulement des revenus d’ordre politique.
La mise en place de règles et d’un contrôle par les pouvoirs publics est d’autant plus nécessaire que la chasse aux parvenus ne se fait pas – ne pourrait pas se faire ? – de l’intérieur. Les événements récents démontrent qu’à défaut d’une capacité de certains acteurs – et singulièrement du PS – à mettre de l’ordre chez eux, l’Etat doit agir pour garantir l’intérêt général.
B. Lutte contre le clientélisme et les passe-droits
Le clientélisme et le règne des passe-droits dominent trop souvent le fonctionnement d’une série d’institutions publiques en Wallonie. A chaque fois qu’un piston fait passer un dossier au-dessus de la pile, pour un logement social, pour un emploi public, pour une promotion ou pour un subside, c’est pourtant le principe d’égalité entre les citoyens qui est mis à mal et, dans le même temps, l’Etat de droit et la démocratie. A chaque fois, c’est le moral de la population qu’on sape, c’est la motivation des agents publics qu’on érode, c’est la confiance du public qu’on altère.
Nous pensons que la Région wallonne ne pourra rebondir sans l’abolition de ce système féodal de dépendance et de pouvoir. La Région wallonne ne pourra stimuler les entrepreneurs et mobiliser les citoyens tant que des logements sociaux continueront à être attribués préférentiellement à travers les permanences sociales, tant que des emplois au sein de l’administration ou de pouvoirs locaux continueront à être octroyés prioritairement aux amis, tant que des mandataires pourront imaginer détourner la règle pour favoriser leurs « clients ».
Il convient que le législateur adopte un code de déontologie, dans des termes clairs, précis et exigeants, assorti de sanctions, en ce compris pénales, en cas d’infraction.
C. Un projet de développement régional contre les baronnies
La multiplicité d’acteurs publics en Wallonie n’est plus à démontrer, en particulier au niveau sous-régional. Elle est à la source de nombreuses dispersions et dilutions de pouvoir, de concurrences stériles et de déperdition d’énergies et de ressources . Nous avons pu évoquer supra l’une ou l’autre illustration récente de ce mal endémique.
Ce tissu institutionnel surabondant constitue le vecteur des sous régionalismes et des baronnies, qu’elles soient territoriales ou sectorielles, et est particulièrement coûteux pour la collectivité. Il altère naturellement l’émergence d’une vision wallonne et d’une autorité régionale et il induit corollairement une autonomisation de microsphères de pouvoir de nature à rendre plus difficile le contrôle démocratique et, partant, la lutte contre les abus.
Le redéploiement wallon impose à notre sens, en conséquence, de réduire la voilure, dans le respect des missions exercées et de l’emploi.
Dans cette perspective, il importe de simplifier les institutions intermédiaires, de rationaliser les outils économiques et de revoir la définition des zones franches sur base de critères objectifs et cohérents.
Dans le même sens, il convient d’ouvrir le débat relatif aux modalités d’élection du Parlement wallon, afin de permettre l’élection d’une partie de l’assemblée sur base d’une circonscription unique régionale, parallèlement à la nécessaire suppression du cumul entre fonction parlementaire et mandat exécutif local, qui pose de nombreuses difficultés : disponibilité, dialectique malsaine contrôleur – contrôlé, confusion entre intérêt régional et intérêt local, sous localisme, désavantage pour les communes non représentées au sein de l’assemblée régionale, …
Bien plus qu’à travers une Constitution wallonne, c’est en attaquant les supports des sous régionalismes et des baronnies qu’une vision régionale pourra émerger, et le projet de développement de la Wallonie prendre corps.
6. EN CONCLUSION
Une série d’illustrations laissent penser que bon nombre d’acteurs n’ont tout simplement pas pris conscience de la gravité de la situation.
La situation économique demeure pourtant extrêmement précaire et le chômage à un niveau très élevé. L’enjeu fondamental du redéploiement mériterait déjà, en lui-même, toutes les réformes qui s’imposent dans la gouvernance wallonne. Quel investisseur, en effet, pourrait miser sur la Région wallonne en observant l’état de délabrement dans lequel se trouvent une série de structures publiques relevant de près ou de loin de son autorité ?
A côté de cela, la société est également déboussolée face à ces affaires à répétition et ce ne sont pas les révélations apparues ces dernières semaines qui vont améliorer cette situation. Face à cette situation, certains agitent le risque de l’extrême droite pour couper court à toute critique. Une telle posture conduit naturellement à une impasse. Si l’extrême droite menace de façon préoccupante et si une crise démocratique sans précédent est sur notre seuil, il importe de combattre les causes de cette crise, sans diversion.
Face à cet état de crise qui perdure et s’amplifie, nous continuons de penser que le redéploiement wallon n’aura pas lieu si le pouvoir politique wallon ne fait pas le choix d’une véritable révolution en matière de gouvernance. Il importe donc de dépasser les demi-mesures pour établir une réelle rupture en cette matière.
Il importe en conséquence que l’ensemble des acteurs mesurent la gravité du moment et conviennent de la nécessité d’un sursaut permettant l’adoption rapide de réformes significatives de nature à restaurer la confiance de la population. Le parti dominant y est-il prêt ? La démonstration tarde.