En 2004, une quarantaine de jeunes membres des Verts allemands (la plupart d’entre eux sont parlementaires ou permanents) se sont réunis au sein du collectif « Réalismus und Substanz1» pour rédiger un manifeste baptisé « Links Neu » (« nouvelle gauche » ou « nouveau à gauche ») appelant à une rénovation de la gauche européenne sur la base des idéaux de justice et d’autonomie. Le mot allemand « Gerechtigkeit » se traduit littéralement par justice. Il ne renvoie cependant pas à l’institution judiciaire, mais à la notion de justice, voire d’équité sociale au sens du philosophe américain John Rawls.

Pour les signataires de ce manifeste, une société juste, est une société qui donne la priorité aux plus faibles et qui permet réellement à chacun d’accéder à l’autonomie. Cela implique non seulement que les conditions naturelles de la vie soient préservées mais également que des fonctions collectives puissantes soient développées pour garantir concrètement à chacun la faculté de choisir sa vie. Cette position critique autant le « laisser-faire » néo-libéral que le conservatisme de la droite ou d’une partie de la gauche. Elle constitue également la base d’une approche réformée de la manière dont la gauche traite traditionnellement les questions de protection sociale. Le texte qui est ici proposé est une version nettement raccourcie du document intégral qui est téléchargeable sur le site d’etopia.

Contre l’air du temps, nous sommes convaincus que l’Europe et l’Allemagne ont besoin d’une gauche rénovée qui relève les nouveaux défis de la justice et de l’autodétermination. Si elle veut revenir au centre du jeu politique, la gauche doit être ambitieuse. Non seulement par rapport aux conservateurs et par rapport à tous ceux qui rejettent radicalement le marché, mais aussi par rapport à elle-même. Combattre l’hégémonie des conservateurs sur les plans stratégique et intellectuel doit être son objectif. Elle n’y parviendra qu’en adaptant ses positions aux bouleversements de la société et aux nouvelles conceptions du monde. Nous avons besoin d’une gauche dynamique qui a le goût de la réforme. Car si elle ne trouve pas l’énergie d’effectuer les réformes nécessaires, ce seront les conservateurs qui les mèneront, mais dans un sens dévastateur. Concilier justice et changement, ce n’est pas une parole en l’air. Les projets de modernisation sociale, économique et financière sont nécessaires dans une perspective de justice et c’est la raison pour laquelle une gauche capable d’être majoritaire doit avoir le courage de la modernisation. Elle ne doit pas perdre ce courage quand elle se heurte à la gauche traditionnelle. Seule une gauche qui ne se retire pas en terrain connu dès qu’elle prend le vent de face, aura le courage de se rénover.

Si être de gauche, c’est juger la réalité sociale en fonction des objectifs de justice et d’autodétermination, alors nous avons besoin d’une gauche forte. Il est exact que les concepts de la gauche du 20ème siècle n’offrent plus de réponses satisfaisantes aux principaux défis du 21ème siècle qui sont la participation équitable au travail, à la formation et à la démocratie, l’égalité des chances dans le contexte de la globalisation et de la société postindustrielle, la sécurité après la chute du mur, la justice entre les générations dans le cadre du choc démographique. L’alternative est dès lors simple: continuer à perdre toute importance politique ou se rénover.

Une gauche rénovée ne peut qu’être pluraliste et orientée vers la liberté. Ce qui lui importe, c’est la reconnaissance des différences entre les projets de vie, c’est la tolérance et le respect. (…) Une gauche rénovée rejette énergiquement l’idée qu’il n’y aurait qu’une seule bonne manière de vivre à laquelle tout le monde devrait se conformer. Elle ne vise pas l’égalisation conformiste (tout le monde la même chose) mais l’octroi de la même liberté et des mêmes chances de réalisation pour tous. Elle se sent responsable pour tous ceux qui sont désavantagés dans leurs possibilités de réalisation en raison de leur situation sociale, de leurs handicaps ou pour tout autre motif. L’autodétermination, c’est le contraire du paternalisme et de la condescendance. N’est pas libre celui qui est maltraité, embrigadé ou opprimé. Mais le concept de liberté de la nouvelle gauche n’est pas que négatif, il n’est pas défini par l’absence de répression. L’exercice de la liberté présuppose que l’individu ne peut rien seul. Des garanties matérielles, la formation, le lien social sont des ressources essentielles de développement pour une liberté comprise dans un sens positif. C’est le rôle de l’Etat de veiller à ce que tous ces présupposés soient mis en place.

Une gauche rénovée ne se considère pas en contradiction avec l’économie de marché, mais elle s’appuie sur celle-ci, pour autant que les balises sociales et écologiques soient fixées et respectées. Une concurrence équitable dans des limites écologiques et sociales est nécessaire, car elle seule permet la dynamique permettant la création de valeurs qui, à son tour, rend possible le bien-être pour tous. C’est l’économie socialement et écologiquement régulée qui ouvre le plus d’espace à l’autodétermination et aux possibilités individuelles de construire sa vie. Mais produire de la justice et une réelle capacité d’autodétermination dans le cadre de la globalisation constitue une tâche énorme. Nous sommes préoccupés par le fossé croissant entre les pauvres et les riches. Au niveau global, comme dans notre propre pays. Nous voulons l’égalité des chances et nous n’acceptons l’inégalité que là où elle favorise les plus faibles. Une gauche émancipatrice a renoncé depuis longtemps à la critique dogmatique du capitalisme. Elle sait qu’une économie dirigée par l’Etat constitue une grande menace pour la liberté tout en échouant dans la réalisation de la justice sociale. Mais l’absence de liberté peut également naître de l’absence de contrôle de la dynamique du marché. (…)

Une gauche rénovée est une gauche écologique parce que la conservation des bases indispensables à la vie est un enjeu social décisif pour l’avenir. L’écologie pose la question des conditions de vie et de qualité de vie individuelle. Or ce sont des présupposés centraux de la justice et de l’autodétermination. Au plan mondial, la paix et la sécurité ne seront assurées que si nous résolvons le problème global de l’énergie. Le monde occidental doit réussir le tournant énergétique. Les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique doivent dès lors être largement soutenues.

Un autre défi de la gauche rénovée réside dans la question de la mobilité. La mobilité individuelle et l’ouverture au monde sont des éléments importants d’une vie autodéterminée. Ce n’est que si nous parvenons à rendre la mobilité durable que nous parviendrons à conserver et à développer à la fois la mobilité individuelle et les bases naturelles de la vie sans lesquelles il n’y a pas d’autodétermination possible.

Le renforcement des droits des consommateurs est un autre enjeu important. A l’ère de l’ingénierie génétique, de l’industrie agro-alimentaire, des technologies complexes de la communication et du transport, l’autodétermination ne sera possible que si les consommateurs disposent de droits forts en matière d’information, d’une vraie liberté de choix ainsi que d’une protection effective par rapport aux risques et aux dangers. Tous ces défis sont importants pour une gauche rénovée parce qu’ils concernent des présupposés décisifs de la justice et de l’autodétermination.

Chances et exigences

Le concept « Nouvelle Gauche » contient une double exigence. Il oblige les modernisateurs – dans la société comme chez les Verts – à se poser dans chacune de leurs propositions de réforme la question fondamentale de ce qu’elle rapporte en termes de justice et d’autodétermination. Il oblige également la gauche traditionnelle à se poser la question de savoir si la modernisation n’est pas obligatoire pour répondre aux défis sociaux. Cette double exigence est également une double chance, parce qu’elle offre aux modernisateurs la possibilité d’expliquer de manière plausible certaines réformes et de combler les vides idéologiques. Elle offre à la gauche traditionnelle la chance de sortir du rôle de retardateur et dès lors de quitter le créneau de l’insignifiance croissante. De cette double exigence pour les modernisateurs et la gauche traditionnelle peut naître la force politique capable de gagner la bataille qu’ils mènent contre les conservateurs.

Le rôle des Verts

Les Verts ont un rôle important à jouer dans ce renouveau. Parce que beaucoup de leurs idées pour lesquelles ils se sont parfois faits flinguer par la gauche traditionnelle, apparaissent aujourd’hui comme les fondements centraux d’une gauche capable de relever les nouveaux défis.(…) Leur conception renouvelée et élargie de la justice permet de distinguer la vieille et la nouvelle gauche. Cette conception se caractérise par le parti pris résolu en faveur des plus faibles, l’insistance sur l’émancipation, l’élargissement de l’exigence de justice dans l’espace et dans le temps, l’intégration de la question écologique et le rapport central aux nouveaux biens sociaux que constituent la formation, le travail et la participation. (…) Nous sommes convaincus que l’Allemagne et l’Europe ont besoin d’une gauche forte. Mais celle-ci ne verra le jour que si elle se rénove de fond en comble. Les Verts doivent jouer un rôle pionnier dans cette rénovation parce que depuis le début de leur histoire, ils ont mis sur la table les questions qui se posent au 21ème siècle au sujet de la justice et de l’émancipation et ils y ont répondu.

Ce sont les Verts qui ont fait de la liberté et de l’autodétermination des fondements stables de la justice et de l’Etat social. Ce que nous voulons, c’est une solidarité entre citoyens mûrs, ce n’est pas la consolidation d’une bureaucratie infantilisante. Ce que nous voulons, c’est que chacun ait les mêmes chances de choisir sa vie, ce n’est pas la mise sous tutelle de chacun.

Avec l’écologie et la protection de la nature, les Verts ont commencé très tôt à poser l’une des questions sociales centrales de l’avenir. Les autres partis sont passés à côté. La question écologique figure certes dans leurs programmes, mais elle est toujours la première sacrifiée.

Les Verts ont élargi spatialement et temporellement les questions sociales. La justice intergénérationnelle et la durabilité sont des labels verts, tout comme la justice internationale et la globalisation juste. Il s’agit de deux défis majeurs cruciaux pour une gauche moderne qui agit en phase avec son temps. Une participation au travail, à la formation et à la démocratie qui soit juste et indépendante de l’origine sociale constitue une priorité centrale de la politique verte.

Les Verts ont fait de la question du genre une question de justice et ont thématisé de la sorte une dimension décisive de la question sociale.

Les Verts ont également montré comment le pragmatisme et l’idéalisme, le réalisme et la substance peuvent être reliés. Ils ne sont pas devenus opportunistes – comme on peut le voir dans certaines participations du PDS – et ne sont pas tombés dans le piège du sectarisme et du traditionalisme. Des pièges qui, nous le savons bien, sont particulièrement attirants pour la gauche. (…)

Le danger du néo-conservatisme

Lorsque nous parlons du danger du néo-conservatisme, nous ne visons pas seulement son cœur actuel, à savoir les concepts néo-conservateurs à l’œuvre dans la politique étrangère des USA. Nous visons un ensemble de tendances comme la déresponsabilisation de l’Etat, la régression sociale et la renationalisation des politiques étrangères.

(…) Dans toute l’Europe, nous voyons les alliances de gauche mises sous pression et nous les voyons perdre les élections quand elles sont au gouvernement. La rénovation de la gauche implique pour nous la rénovation de la gauche européenne, car les questions qui se posent à nous sont les mêmes dans toute l’Europe. (…) Nous devons bien constater que la gauche européenne n’offre plus, depuis longtemps, de réponse attirante aux nouveaux défis de l’époque post-industrielle. Nous opposons aux conservateurs un vide fait de pragmatisme et de léthargie qui risque bien de leur offrir, si nous n’y prenons garde, une hégémonie culturelle et politique.

Et pourtant, ce serait fatal, car les réponses des conservateurs sont totalement fausses. Le néo-conservatisme a pour but d’extraire les questions politiques du contexte de la justice et de les renvoyer dans la sphère privée. Le néo-conservatisme réduit les phénomènes de la modernisation sociale comme l’individualisation, les migrations ou la dissolution de la famille traditionnelle, à des erreurs personnelles pour lesquelles l’Etat et la société ne portent aucune responsabilité. Le refus de la modernité, la dénégation de sa complexité constituent leur base. Il s’agit de déconstruire toute responsabilité collective et de proposer à nos sociétés complexes et individualisées des concepts dont le succès réside dans leur simplicité. Ils ont tous en commun de mettre entre parenthèses les questions de justice sociale. Leur résultat, c’est le renforcement d’une injustice criante, de l’insécurité et la généralisation du découragement.

Derrière les questions d’apparence post-matérielle, comme la formation, le travail et les services à l’ère de l’information, la participation et l’écologie se trouvent de vrais enjeux de redistribution. Dans ce contexte, nous voulons faire valoir notre conception de la justice, au sens de l’égalité des chances. Mais cela ne peut réussir sans une réorientation du discours de la gauche sur la justice. Car les nouvelles questions de redistribution ne restent pas sans conséquence sur les destinataires d’une politique orientée par la justice.

Beaucoup de citoyens et de citoyennes ont encore l’espoir de produire la justice par la modernisation. Mais si la gauche déçoit cet espoir, les gens seront résignés et se contenteront du mirage des néo-conservateurs : la modernisation à la place de la justice. (…)

Pourquoi une gauche rénovée ?

Notre choix est de nous joindre à la gauche démocratique, en y posant à nouveaux frais la question de la justice et de l’autodétermination. Le parti pris pour les plus faibles et la promesse de l’autodétermination forment non seulement le point de départ normatif de notre engagement, c’est également ce que nous attendons des Verts. Sur ce plan, les Verts peuvent avoir la conscience fière de leur identité car la gauche traditionnelle a échoué à thématiser de manière satisfaisante les nouveaux enjeux de justice que constituent l’écologie, la protection des minorités, la participation démocratique, la justice intergénérationnelle, la justice internationale, l’accès juste à la formation.

L’objection suivant laquelle l’idée de la justice ne serait pas assez discriminante dans le paysage des partis est doublement fausse. D’une part, la catégorie de la justice n’existe quasiment pas chez les libéraux et chez les conservateurs. D’autre part, la force de rayonnement de l’idée de justice dépend de manière décisive de son interprétation. Ce n’est que comme concept interprété qu’elle acquiert des contours et qu’elle parvient à convaincre. Dans ce cadre, le nouveau programme des Verts allemands propose une interprétation forte d’un concept élargi de la justice.

Nous proposons une justice émancipatrice pour laquelle, ce qui compte, c’est l’« empowerment » (NDT le renforcement de la capacité des individus à devenir autonomes) et l’égalité des chances de réalisation grâce à la sécurité sociale. Du point de vue vert, la justice ce n’est pas l’égalité abstraite des chances mais bien l’égalité concrète des chances.

Et la justice implique avant tout un parti pris résolu pour ceux qui sont les moins bien lotis. Par là, nous ne visons pas un interprétation raccourcie du conflit entre travail et capital, selon laquelle les droits acquis du travailleur masculin représenteraient pour toujours la mesure décisive de la réalisation de la justice. Nous faisons de la politique pour ceux qui, sans le soutien de la société, n’auraient aucune chance de voir leurs droits pris en compte, aucune chance de choisir leur vie en toute autonomie. Les chômeurs, les immigrées et immigrés, les parents isolés, les enfants, sont au cœur de l’engagement politique des Verts et ils ont besoin de cet engagement. Dans ce sens, la justice n’est pas une idée abstraite mais une idée hautement relevante sur le plan politique. Un concept de la justice qui veut répondre aux défis sociaux du présent et de l’avenir a nécessairement plusieurs dimensions.

Qui, à part les Verts, est capable de poser et de répondre aux nouvelles questions relatives aux ressources sociales essentielles que constituent le travail, la formation et la participation démocratique ?

Qui, à part les Verts, veut réaliser la promesse non encore accomplie de l’égalité entre les hommes et les femmes ?

Qui, à part les Verts, prend en compte – dès aujourd’hui – les intérêts des jeunes et des générations à venir en matière de sécurité sociale et de politique de l’environnement ?

Et enfin qui, sinon les Verts, thématise la question de l’environnement comme une question essentielle de justice, comme une question relative aux conditions préalables à la vie et à la qualité de la vie, pour aujourd’hui et demain ?

Au centre de notre politique réside la défense de ceux qui sont socialement faibles et désavantagés – avec toutes les conséquences que cela implique en termes de redistribution. Les « nouvelles » questions de la justice ne s’opposent pas aux questions de la redistribution. Elles sont des questions de redistribution, mais d’un genre nouveau. Il serait naïf de croire que la question de la participation au travail et à la formation, la question de la justice globale ou de la justice intergénérationnelle n’ont pas de dimension redistributive. Tout au contraire : c’est précisément sur ce point que des efforts matériels considérables sont nécessaires, même si c’est avec un but différent, en l’occurrence la participation à des biens sociaux essentiels.

Dégager le rapport interne entre la justice et l’autodétermination est une opération décisive. D’un point de vue vert, la justice ne s’oppose pas à la liberté, mais elle est synonyme de l’égalité des possibilités de réalisation. Si on comprend la justice comme l’octroi des mêmes chances réelles de liberté, alors la spécificité des Verts devient claire. Sur ce plan, tant l’approche sociale-démocrate que l’approche libérale de la justice sont insuffisantes. Les Verts sont en mesure de penser simultanément la justice et la liberté. De notre point de vue, la justice n’est pas un paternalisme étatique infantilisant, mais c’est la réelle égalité des chances et l’autodétermination. Sur cette base, la liberté conserve une orientation émancipatrice, qui ne met pas entre parenthèses les présupposés matériels et immatériels de l’autodétermination, comme c’est le cas du libéralisme du « laisser-faire » des libéraux du FDP.

Un parti qui prend au sérieux le concept de la justice doit élargir spatialement et temporellement le principe d’universalisation. Et c’est au minimum dans la justice internationale et dans la justice intergénérationnelle que l’on peut trouver la spécificité des Verts.

Dans le contexte vert, la justice implique depuis toujours la solidarité internationale. Avec l’Europe, les Verts ont la chance historique de devenir les avocats de l’Europe et, partant, les avocats d’une des plus grandes visions de notre temps.

Dans le contexte vert, la justice veut dire d’abord la justice intergénérationnelle et c’est également là que se trouvent enfouis les thèmes d’avenir des domaines social et écologique. Il ne s’agit de rien de moins que de l’avenir de la sécurité sociale et de l’Etat social en tant que tel. Sur le chemin que nous proposons, nous avons la possibilité de rendre évidente la relevance sociale des thèmes environnementaux. Dans le monde anglo-saxon, le concept de la « justice environnementale » est depuis longtemps un concept établi. Il souligne le fait que derrière la question écologique, on retrouve des questions fortes et tangibles de justice et de liberté. Avec l’écologie politique, il en va de la liberté d’action des jeunes générations et des générations à venir ; il en va des conditions sociales dans lesquelles les êtres humains sont appelés à vivre. Ici, l’écologie politique résonne différemment que dans certaines partitions du « small is beautiful ».

Une politique de justice environnementale ne peut jamais renoncer à tracer les limites écologiques. En les reliant positivement au projet de liberté et de justice dans les sociétés modernes, elle peut faire comprendre aux citoyens en quoi elles sont nécessaires. (…)

Le concept élargi de la justice ne nous exempt pas des difficiles exercices de pondération. Il ne s’agit pas uniquement d’élargir les dimensions de la justice. Il y aura aussi des conflits dans l’établissement des objectifs. Mais une gauche rénovée ne peut pas opposer ces différentes dimensions parce qu’elles désignent différents aspects importants de la question sociale. Jusqu’à un certain point, cette opposition est d’ailleurs artificielle. La participation à la vie sociale sans participation appropriée à la richesse économique peut rapidement être instrumentalisée par les partisans de relations sociales asymétriques et par les défenseurs d’économies dans les prestations sociales. Toute orientation post-matérielle a évidemment besoin de présupposés matériels importants. Les mettre en évidence, c’est la tâche d’une gauche rénovée.

Avec la stratégie « Links Neu », il est possible de présenter les revendications écologistes comme des revendications relatives aux conditions de base de l’avenir de chacun. On ne rend pas un service aux thèmes centraux des Verts en les cantonnant dans la sphère classique de l’environnement. Ce n’est que lorsque les citoyens comprendront que les demandes vertes sont dictées par une réelle préoccupation pour leurs chances de réalisation personnelle que la portée exacte du projet vert deviendra visible.

C’est incontournable : les revendications vertes convergent quand on les place dans une perspective de justice. Elles ne sont plus seulement des thèmes post-matériels relatifs à la qualité de la vie, elles deviennent des thèmes essentiels pour l’avenir. Sur cette base, les Verts peuvent intervenir plus fortement que jamais dans les débats sociaux et mieux faire connaître la portée sociale de leurs revendications. (…)

« La nouvelle gauche » à l’époque post-industrielle

Une gauche rénovée et une nouvelle politique de justice doivent tenir compte du fait que les conditions de la redistribution du bien-être ont radicalement changé à l’ère post-industrielle. Le travail industriel a été remplacé dans de larges proportions par le travail dans le secteur des services. Sous la pression de la globalisation, le travail basé sur la connaissance joue un rôle toujours plus grand. Sous la pression de la destruction de l’environnement et de la raréfaction des ressources, les technologies respectueuses de l’environnement sont devenues des facteurs économiques importants. L’évolution démographique des sociétés postindustrielles pose de grands défis à l’Etat social.

Dans les conditions présentes d’endettement public et d’évolution démographique, nous avons besoin de croissance, mais pour autant qu’elle ne soit pas dommageable sur le plan social et écologique. L’espoir trompeur d’une croissance industrielle de type classique ne peut cependant pas faire négliger les nécessaires réformes de structures. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on tient compte du changement démographique. Le financement de la sécurité sociale ne peut plus se faire uniquement sur l’emploi salarié, mais doit intégrer d’autres sources de revenus. Il y a un besoin de protection sociale qui va au-delà des seuls salariés notamment chez les indépendants ou chez des personnes qui effectuent un travail socialement nécessaire sans être payées. Des situations de risque qui jadis étaient marginales se multiplient avec tant de conséquences pour les individus qu’un réajustement de l’Etat social devient urgent. Cela concerne en particulier le risque de parcours professionnels alternant des phases de chômage et de travail à temps partiel qui ne rendent plus possible la constitution d’une vraie pension, le risque des familles monoparentales, le risque de qualification insuffisante ou dépassée ou le risque de l’échec du lancement d’une activité d’indépendant. La modernisation de l’Etat social ne peut donc signifier sa régression. Au contraire, des succès substantiels ne peuvent être engrangés dans la lutte contre le chômage que si les systèmes de solidarité tiennent compte de ces nouvelles situations de risque. La persistance d’un chômage important n’est pas la conséquence d’un excès de protection sociale. Elle est aussi la conséquence du manque de protection ou d’une protection sociale inadaptée à certains types de situations.

Nous devons décider quels risques assumés jusqu’ici collectivement doivent, à l’avenir, être couverts par les individus et quels risques individuels doivent à l’avenir être davantage soutenus. Jusqu’à présent, les systèmes de protection sociale ont été orientés en fonction du maintien du standard de vie. Cet objectif a été juste tant que le recours aux prestations sociales était considéré comme une exception à la règle de l’emploi à vie. La garantie de maintien de ce standard de vie, qui présuppose qu’il y ait un accès réel au marché du travail, se transforme en injustice lorsqu’il devient un privilège impayable pour une minorité et lorsqu’il empêche l’accès de beaucoup d’autres. Une distribution juste des chances d’accès au marché du travail n’est possible que si les systèmes sociaux prennent moins de responsabilité dans la garantie du standard de vie et soutiennent davantage l’individu dans la prise en charge du risque d’une exclusion durable du marché du travail et de la protection sociale. Les Verts ont mis en place deux dispositifs cruciaux pour rencontrer cette problématique : l’assurance citoyenne et l’assurance sociale de base. Nous devons constamment affiner ces propositions si nous voulons amener notre monde à plus de justice.

Le parti pris pour les faibles

Pour nous, les partis ne sont pas des groupes d’intérêt, mais ils ont pour tâche de transformer les intérêts particuliers en fonction de la justice et de l’équité. Cette transformation n’est pas seulement la pondération d’intérêts différents mais la prise en compte de l’exigence fondatrice du politique de produire la justice et l’équité. (…) Une des tâches les plus décisives, peut-être la plus décisive, est de mettre à jour et de soutenir les intérêts qui n’ont pas de lobby. Le parti pris pour les plus faibles constitue probablement la raison la plus profonde de notre énergie politique et de notre idéalisme politique. Celui qui ne peut se relier à une problématique sociale particulière est purement et simplement exclu des débats sur la justice. Les Verts ont sur ce plan un rôle particulier à jouer parce que leur politique s’adresse précisément à ces groupes.

C’est la raison pour laquelle l’appel à « moins d’Etat » et à la « dérégulation » est inacceptable. Au contraire, ce qui s’impose c’est une nouvelle description des tâches de l’Etat qui tienne compte d’une situation complètement changée : révolution démographique, globalisation, migration, individualisation, digitalisation… Il ne s’agit pas en l’occurrence de décider s’il faut plus ou moins d’Etat mais de définir de nouveaux équilibres et de nouveaux arrangements.

Il est évident que les deux grandes réformes menées par le gouvernement rouge-vert sur le plan social, la réforme Riester et la réforme Hartz, renforcent la flexibilité et la responsabilité individuelle mais elles augmentent également de manière importante les moyens publics affectés à ces politiques. L’émancipation des citoyens implique un Etat puissant et actif. Mais nous refusons tout autant que le slogan « plus de responsabilité individuelle» soit utilisé pour reporter sur les individus la responsabilité de la couverture de certains risques alors qu’en même temps l’Etat réduit la liberté de décision de ces individus en les chargeant de la sorte. Le choix professionnel devient un risque de plus en plus grand du fait de l’apparition de nouvelles formes de recrutement et de carrières de plus en instables. Souvent, le travail occasionnel devient la règle. L’Etat et les systèmes de protection sociale ne peuvent plus partager le bien être que de manière limitée, mais ils mettent à la disposition de toutes les situations sociales une protection de base. Si le renforcement de la responsabilité individuelle est la menace du nouvel Etat social, alors le renforcement réel de la capacité d’autodétermination constitue la promesse qu’il doit tenir. Moins de sécurité doit aller de pair avec plus de capacité réelle et autonome de décision et pas seulement quand cela fait l’affaire de l’Etat. (…)

Lancer la rénovation

La rénovation de la gauche est un projet qui peut mobiliser et faire grandir les Verts. Il a besoin de la jeune génération, si celle-ci veut sortir de l’actuelle « tristesse royale ». Des politiciennes et des politiciens avec des convictions et du charisme peuvent en émerger. Sur les questions politiques décisives, nous devons nous soustraire à la fascination du détail et dresser les grandes lignes d’une politique capable de rayonner sur toute la société. Notre concept élargi d’une justice écologiste nous offre un potentiel politique et stratégique considérable. De même, l’exigence d’une gauche européenne rénovée et écologique définit un projet qui va bien au-delà de nous, les Verts, projet qui rend visible à long terme notre engagement pour la société.

1 Voir www.realismus-und-substanz.de

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