Début d’été, après un printemps sec, une semaine de forte chaleur sonne l’alerte. La canicule s’annonce, comme en 2003, avec son cortège de vieillards desséchés, d’incendies de forêt, d’interdiction d’arrosage et – pire ! – de laver les voitures… Déjà des agriculteurs et des hommes politiques annoncent leur intention de saisir le fonds des calamités pour indemniser les victimes. Quelques jours plus tard de fortes précipitations font déborder les rivières et les égouts. Caves inondées, rues transformées en torrents et « micro-trottoir » 100 fois répétés durant lesquels de braves citoyens, bottes aux pieds, montrent jusqu’où l’eau est montée dans leur salon. Le Roi ne s’est pas déplacé cette fois-ci, mais les Bourgmestres, de Tournai à La Roche, annoncent qu’ils saisiront le fonds des calamités.
Trop de soleil ou trop de pluie, les caricaturistes de nos quotidiens nous croquent, dansant comme des Sioux, implorant du Ciel une météo plus clémente. Danser serait ce qu’il nous reste à faire quand les éléments se déchaînent, quand nous nous sentons impuissants face aux forces de la Nature.
Et pourtant, si nous n’avons guère d’influence sur le temps qu’il fait, nous savons aujourd’hui que les activités humaines contribuent au réchauffement de la planète. Et celui-ci entraînera, selon toute vraisemblance, une augmentation du nombre et de l’intensité des phénomènes climatiques extrêmes : sécheresses, pluies diluviennes, tempêtes sont de cet ordre. Il serait donc logique que nos sociétés se préparent à affronter ce réchauffement et à gérer les sautes d’humeur de la météo.
Et s’il est vrai qu’il arrivera toujours bien un jour où l’égout sera trop étroit, le vent trop puissant, les réserves d’eau trop courtes… il n’en reste pas moins que nos modes de vies, nos pratiques agricoles, notre façon d’aménager le territoire… peuvent soit réduire, soit aggraver les crises. Il serait donc bien utile de nous occuper de ce qui prévient les catastrophes plutôt que de nous cramponner aux hypothétiques indemnités qui en résulteraient.
Deux exemples l’illustrent assez bien que la logique inverse prévaut le plus souvent.
Les pratiques agricoles intensives ont rendu les agriculteurs plus vulnérables aux sursauts de la météo.
Considérablement appauvries en humus, nos terres arables meurent et seule l’utilisation d’engrais chimiques permet encore d’y cultiver. Or, ce précieux humus protège le sol contre l’érosion et se comporte comme une véritable éponge. Un sol pauvre en humus sera vite sec et dur, imperméable à l’eau qui ruissellera dessus en cas de forte pluie comme elle le fait sur du béton. Un sol riche en humus, par contre, permettra l’infiltration de l’eau et la conservera plus longtemps. Les plantes nourries au cocktail salin azote-phosphore-potassium ont des besoins en eau sensiblement plus importants que celles qui poussent sur un sol « équilibré », riche en matières organiques. En cas d’irrigation, les racines des plantes se développent en outre très peu. La moindre interruption de l’arrosage entraîne dès lors un dépérissement quasi immédiat des cultures. Besoins en eau plus importants sur des sols absorbant moins et gardant moins la pluie… l’agriculture intensive crée les conditions de ses propres crises climatiques et souffrira plus de la sécheresse et des inondations que l’agriculture Bio. Si le fonds des calamités intervient sans réflexions sur les mesures préventives à prendre, ce sont, en quelques sortes, les moins bonnes pratiques qui sont récompensées par la collectivité…
L’aménagement du territoire en Wallonie reste largement inadapté. Chaque jour de nouveaux espaces sont urbanisés – même en zones inondables – de nouveaux lotissements de « 4 façades » émergent, de nouveaux zonings, de nouveaux centres commerciaux… La surface couverte par le bâti, les routes, les parkings ne cessent de croître et, avec elle, la vitesse de ruissellement de l’eau du ciel vers nos rivières. Nos systèmes de gestion des eaux de ruissellement sont en outre trop souvent délaissés, indignes d’une société moderne : égouts inadaptés ou obstrués, avaloirs bouchés, fossés non curés, absence de récupération des eaux de pluies… On sait aussi aujourd’hui à quel point le bocage est un élément régulateur du climat. Les haies augmentent l’infiltration de l’eau, ralentissent sa course et réduisent l’érosion, font obstacle au vent froid ou desséchant, offrent leur ombre au bétail… Mais les haies continuent à être rasées dans nos campagnes. De même, un peu partout, des terrains sont drainés et des zones humides asséchées au prix d’une diminution constante de la capacité de notre territoire rural à « faire tampon » en stockant l’eau, pour atténuer autant l’effet des sécheresses que celui des intempéries.
Mieux vaut prévenir que guérir, dit-on.
Développer une agriculture qui nourrit le sol et entretien son humus, replanter massivement des haies, cesser le bétonnage irresponsable de notre territoire, imposer des surfaces de parkings qui laissent s’infiltrer l’eau, revaloriser le rôle des arbres en ville, maintenir ou réhabiliter des zones humides, équiper tous les bâtiments d’une citerne d’eau de pluie pour créer un immense « bassin d’orage »… les pistes ne manquent pas qui pourraient contribuer à atténuer l’impact de phénomènes climatiques extrêmes et à repousser le moment où leurs conséquences deviennent catastrophiques pour les habitants.
L’indemnisation des victimes de catastrophe naturelles constitue l’expression utile d’une indispensable solidarité mais n’est-il pas temps de voir plus loin ? D’allouer davantage de moyens à la prévention ? De conditionner l’aide publique à des pratiques écologiquement durables ? D’anticiper sur les prochaines crises et sur l’évolution du climat ? Car indemniser sans inciter concrètement à des modifications de pratiques nous entraîne dans une spirale d’endettement à l’égard des générations futures. Un peu comme si l’Etat promettait la climatisation gratuite aux propriétaires de vérandas orientées plein Sud.
Ces questions éclairent un des paradoxes de notre démocratie et l’inextricable difficulté d’introduire le long terme et la réflexion systémique en politique…
Car, en imposant des règles urbanistiques plus strictes ou de pratiques agricoles plus écologiques, les autorités heurtent des intérêts particuliers immédiats mais ne suscitent jamais l’enthousiasme. En refusant un permis de construire en zone inondable, un responsable politique perdra bien plus de voix qu’il n’en pourrait gagner. S’il donne une légitime priorité à l’entretien correct des fossés et égouts, il a conscience que le sujet n’intéressera strictement personne jusqu’au jour du premier débordement. Aucune des mesures évoquées ci-dessus ne sera aussi populaire qu’un plaidoyer pour l’intervention du fond des calamités, l’ouverture d’une permanence sociale pour aider ses « administrés » à remplir leur formulaire, voire une descente médiatisée, raclette à la main, auprès des sinistrés…
Comment dès lors favoriser la prévention et la prise en compte du long terme dans la décision politique ? Comment assurer un soutien populaire suffisant aux mesures de prévention allant dans le sens de l’intérêt collectif ?
La médiatisation des crises offre l’opportunité de développer une meilleure compréhension de la complexité et d’attirer l’attention sur la pertinence de politiques de prévention. Ce travail, auquel se frottent les écologistes depuis une trentaine d’année, représente un vaste défi dont chacun d’entre nous tient un fil : celui du courage chez les politiques, de la pédagogie pour les médias, de la conscientisation chez les citoyens-électeurs… Nous pouvons mélanger sans crainte ces ingrédients.
Au fond, il s’agit d’élever le niveau du débat politique et, en même temps, d’approfondir la démocratie à partir de questions éminemment concrètes, en tentant de déjouer les pièges du clientélisme et de la démagogie.
Vaste défi à prendre à bras le corps ! Sans quoi, nous risquons d’être condamnés à subir et à… « danser » entre canicules et inondations !