La politique est à la fois l’art des choix sans retour
et des longs desseins (R. Aron)

1. Les raisons

L’écologie politique en Belgique depuis près de 30 ans. A vingt ans, on croit qu’on aura toujours vingt ans, comme le chantait Ferré. A vingt ans, le narcissisme est encore une coquetterie. A trente, cela risquerait de devenir une culture et la culture du narcissisme conduit à l’impuissance politique. A vingt ans, il est normal que l’on se veuille critique et indépendant mais protégé. A trente, on a appris que ce sont nos propres forces qui préservent notre indépendance et donne le goût d’aller de l’avant.

C’est une des raisons pour lesquelles ECOLO a décidé de doter l’écologie politique de cet instrument qu’est étopia.

Chaque jour, l’actualité témoigne de ce que le monde est confronté à des enjeux inédits dans l’histoire humaine. Et chacun sent, au moins confusément, que ce n’est pas en faisant toujours un peu plus de la même chose que nous sortirons nos sociétés, où qu’elles se trouvent sur la planète, des multiples impasses dans lesquelles les plonge un mode de développement irrespectueux des personnes, des générations futures et des ressources naturelles. L’écologie politique a l’ambition de répondre dans leur globalité et dans la durée à ces nouveaux défis. etopia est le nouvel instrument de cette ambition : réinventer un avenir commun.

Pour nous, il n’y a pas d’alternative à un surcroît de politique et d’approfondissement démocratique. Après vingt-cinq ans d’existence, le mouvement écologiste peut faire le constat que le contexte politique global ne s’est pas particulièrement amélioré :

les résultats décevants de l’application du Sommet de Johannesburg – qui lui-même n’était pas une réussite ;

la dégradation du climat à l’échelle planétaire ;

les difficultés à parvenir à la mise en œuvre du Protocole de Kyoto, auquel le monde n’aurait jamais abouti sans l’Europe – où, rappelons-nous siégeaient alors les Deleuze, Trittin, Voynet, Haavisto et Pecoraro Scano, c’est-à-dire cinq ministres verts de l’environnement sur quinze, sans lesquels la nouvelle orientation de la politique européenne n’aurait pas été concevable ;

la crise du multilatéralisme ou le combat face à ceux pour qui la liberté de marché serait la voie unique du développement des pays les plus pauvres ;

la montée des exclusions et des inégalités qui se traduit dans la crise de confiance du monde du travail tant marchand que non-marchand.
Tout cela indique à suffisance l’ampleur de la tâche et des responsabilités historiques auxquelles une mondialisation insuffisamment régulée confronte l’humanité. Et les partis verts.

Ce qui est fondamental pour l’avenir des écologistes aujourd’hui, c’est de se rendre disponibles pour résoudre les problèmes qui se posent à l’ensemble de la société et du monde en se tournant résolument vers l’extérieur. Notre rôle politique n’est pas d’être le prisme de toutes les radicalités frustrées ; notre rôle politique est de produire davantage de consensus autour des solutions pertinentes que nous proposons. Cela ne remet ni en cause la légitimité de revendications radicales, ni les justes raisons de la frustration ; cela les remet à leur place.

étopia est autant le résultat qu’un des instruments de la maturité des écologistes. Au fond, pour étopia, le plaisir politique consiste à la fois à se donner une perspective et à prendre conscience lucidement des réalités politiques, càd de dessiner les étapes de la transition vers un développement écologiquement et socialement plus soutenable.

Prendre le parti de l’intelligence contre les dogmes, y compris en politique, permet de découvrir quelque chose que nous ne pouvons encore penser. Et parce qu’il y aura toujours plus d’intelligence dans beaucoup de têtes que dans quelques-unes, nous voulons contribuer à approfondir la démocratie.

2. L’originalité d’étopia : entre parti et société civile

Le projet politique d’étopia prend racine dans l’expérience fondatrice des “états généraux de l’écologie politique” (1996-1998) lancé à l’époque par ECOLO.

Il repose sur une difficulté : si un parti-mouvement comme Ecolo cherche à mobiliser des ressources et des dynamiques sociales « disponibles », à travers un dispositif comme celui-ci, à cheval entre politique et société, il bute inévitablement sur des limites car il y a une tension entre deux objectifs parfois contradictoires :

l’administration publique (la gestion des affaires publiques)

la participation citoyenne (à la vie sociale et publique).

Comment poursuivre à la fois des objectifs de gestion (de gouvernement) et des objectifs de dynamisation sociale et culturelle ? Ils répondent chacun à des temporalités différentes (le court terme de l’actualité politique versus le long terme de la vie sociale) et des principes différents (« le système tend toujours à coloniser le monde vécu »). Si les objectifs de gestion programment tout en fonction de leur actualité et de leurs impératifs, on fait fuir les citoyens et les dynamiques sociales qui étaient disponibles.

Les partis traditionnels, de masse, réussissaient à poursuivre ces deux objectifs, mais à un prix élevé pour tous : piliers, clientélisme individuel et politiques clientélistes. Ces ressorts traditionnels s’affaiblissent. Ils sont partiellement remplacés par un fonctionnement en machines électorales permanentes mobilisant l’électorat sur un mode acclamatif. C’est la réponse marketing des partis traditionnels à la « démocratie d’opinion ».

Il s’agit ici de lier ces deux objectifs autrement. Si on les lie trop strictement en fonction des impératifs fonctionnels d’un parti (si Ecolo veut programmer entièrement et « immédiatement » les activités des personnes et des acteurs qu’il cherche à mobiliser), on se voue à l’échec. Il s’agit donc de travailler en même temps sur deux plans :

une intégration rigoureuse de la prospective écologique citoyenne dans l’organisation d’Ecolo : étopia produit un travail politique qui place dans le système d’action du parti. Il a donc pour mission de contribuer au travail d’Ecolo, en fournissant un appui intellectuel (conseil, information, contacts, animation, formation, documentation, archivage), dans l’anticipation des décisions politiques (la prospective) et le dialogue avec l’extérieur, mais dans une temporalité différente (le long terme) ;

des « médiations » souples, publiques, transparentes et critiques avec différents individus, groupes et ressources dont il doit être clair qu’ils ne sont pas « récupérables » ou instrumentalisables. Cela passe notamment par des activités de recherches ouvertes collectives et d’éducation permanente. Les agendas et les résultats de ces médiations (publications, séminaires, forums, clubs, actions locales d’éducation permanente, etc) ne pourront être programmés par le parti. Les processus à stimuler et à soutenir par étopia doivent garantir une écoute, une discussion et une reconnaissance des informations, des problèmes, des thèmes et des personnes, quelles que soient les échéances (élections législatives ou communales, changements de cap internes, etc). Ce qui implique réciproquement qu’Ecolo garde toute son autonomie pour traduire en propositions et décisions ce qu’il aura entendu : les processus de discussion publique informent la volonté politique mais ne la déterminent pas.

Travailler sur ces deux plans à la fois n’est possible en réalité qu’au départ d’une structure autonome (ici, une asbl), articulée au parti et développant en même temps des activités propres dans une démarche d’éducation permanente. Dans cette optique « radicale-démocratique », un des objectifs d’Ecolo devra donc être de continuer à développer des politiques participatives et des politiques culturelles qui favorisent la citoyenneté (1). Et étopia devra l’y aider.

[1] Pour utiliser un langage conceptuel : favoriser l’intégration sociale plutôt que l’intégration fonctionnelle.

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