Les nouvelles technologies prennent une place de plus en plus importante dans nos sociétés. Les crypto-monnaies, la blockchain ou le Bitcoin sont des mots qui reviennent sans cesse dans les conversations à propos des ruptures technologiques en cours ou à venir. Pourtant, ces innovations demeurent difficiles à saisir. A quoi font-elles référence ? Quelles sont les logiques sous-jacentes ? Et surtout à quels besoins répondent-elles ?

L’objectif de cette analyse est de tenter d’aborder le concept de la blockchain sous deux angles différents. Un premier qui poserait les grandes lignes de ce concept et un second qui montrerait les applications de celle-ci.

La blockchain est parfois décrite comme la plus grande invention depuis internet ou comme une réelle révolution qui va changer notre mode de vie. Le célèbre journal anglais le Guardian n’a d’ailleurs pas hésité à publier un titre provocateur : « blockchain : the answer to life, the universe and everything ? » [1].

La blockchain est une technologie qui ne cesse de grandir. Initialement, conçue pour permettre les transactions de bitcoin. Elle est aujourd’hui proposée en vue d’améliorer divers secteurs : gouvernance, monnaie, énergie, musique, … En d’autres mots, la blockchain semble pouvoir atteindre tous les domaines d’activités. La blockchain reste cependant un concept neuf et mal-compris. Par conséquent, il importe avant d’en venir à ses applications, d’approfondir la notion de blockchain.

Les origines de la blockchain :

Pour comprendre la blockchain, il faut revenir sur sa création. La blockchain a été découverte comme la technologie qui permet l’échange de bitcoin. Le bitcoin est une monnaie numérique créé en 2008 par Satoshi Nakamoto, une personne ou un groupe qui est resté dans l’anonymat. ’Cette monnaie vaut aujourd’hui 150 milliards de dollars et possède un réseau informatique 10 000 fois (ce chiffre est en constante évolution) plus grand que les 500 premiers supercalculateurs.’ [2] C’est la popularité croissante du Bitcoin qui a mise en lumière le concept de blockchain.

La blockchain dépasse le cadre du Bitcoin. Il existe une multitude de blockchain qui ont chacune des spécificités propres. Cependant, il existe des caractéristiques communes qui permettent de situer le concept.

Il existe de nombreuses définitions de la blockchain, qui se focalisent chacune sur des points différents. Le site de blockchain France la définit comme : ’une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle.’ [3]

Le droit français offre une définition plus restreinte : la blockchain est un ’dispositif d’enregistrement électronique partagé’. [4]

La blockchain est donc une technologie qui permet le stockage et la transmission d’informations sur internet. Elle permet surtout une transaction de valeur sur internet. Si on envoie une image à quelqu’un par internet, on envoie en réalité une copie. On possède toujours l’image sur notre ordinateur. Pour les transactions financières, ce double enregistrement n’est évidemment pas possible. La blockchain permet de dépasser cette difficulté : l’échange de monnaie est réalisé à l’aide d’un transfert effectif. L’argent est envoyé, on ne le possède plus après puisqu’il a été transféré. Si on traduit littéralement en français cela donne ’ une chaîne de bloc’. Un bloc est simplement un ensemble d’informations mis ensemble, et ces blocs sont reliés les uns aux autres de manière irréversible.

On pourrait voir dans la blockchain un type de grand journal de comptes. Chaque page serait un bloc, où on va écrire des informations (dans le cas du Bitcoin on y écrit les différentes transactions de monnaies). Les chaînes sont représentées par la reliure du journal de compte, qui fait que tout se tient.

Considérer la blockchain uniquement comme un grand journal de comptes évacuerait le caractère révolutionnaire de cette technologie, s’il n’y avait pas une série de caractéristiques proprement innovantes.

Les caractéristiques générales d’une blockchain :

Plusieurs caractéristiques sont associées à la blockchain : désintermédiation, traçabilité, transparence, consensus distribué, ineffaçable, structure distribuée, résilience, sécurité, confiance. Ces caractéristiques permettent de mieux saisir la blockchain :

  • Désintermédiation : les transactions ne sont pas gérées par une autorité centralisée. C’est un échange de pair à pair (peer-to-peer), l’information transférée (cela peut-être de l’argent) va directement à la personne concernée. L’exemple de la monnaie est clair. Quand on achète un objet dans un magasin et qu’on paye avec du cash, l’argent va directement au gérant. Si en revanche, on paie par carte bancaire, notre échange ne s’effectue plus de pair à pair. L’argent passe par une autorité centralisée : la banque. Le Bitcoin se rapproche, en théorie, d’une forme de cash digital.
  • Traçabilité et transparence : tous les utilisateurs de la blockchain peuvent voir les transactions présentes et passées opérées. Cela permet aussi de pouvoir remonter les transactions, tracer des montants quand il s’agit d’argent.
  • Consensus distribué : si il n’y a pas d’autorité centrale, il convient néanmoins de vérifier les transactions et les transferts. Chaque blockchain dispose d’un mécanisme de consensus distribué. Cela signifie que les blocs doivent être validés, grâce à la puissance algorithmique mobilisée par une série d’utilisateurs. La communauté décentralisée prend la place de l’autorité centrale traditionnelle.
  • Ineffaçable : quand les blocs ont été créés et ajoutés à la chaîne, ils ne sont plus susceptibles d’être effacés.
  • Structure distribuée : le système n’est pas centralisé mais bien distribué. C’est-à-dire que pratiquement tous les usagers sont reliés entre eux et gèrent le système sur un pur mode peer-to-peer.
  • Résilience : la blockchain a une grande résistance, car toutes les données sont copiées dans les différents serveurs. Cela rend la blockchain résistante aux cyber-attaques ou au contrôle de l’État. En effet, s’il est possible de s’attaquer à un ou plusieurs ordinateurs, il est plus compliqué de s’attaquer aux blocs d’informations copiés dans l’ensemble des ordinateurs connectés au réseau.
  • Sécurité : la résilience offre à la blockchain un haut niveau de sécurité. Elle est considérée comme inattaquable, inviolable. Par exemple, « La capitalisation totale des crypto-monnaies est passée de 18 milliards de dollars au début de l’année à plus de 300 milliards de dollars aujourd’hui (article du 27 novembre 2017) ». [5] Vu l’argent en jeu, il y a donc un large potentiel de piratage. Et pourtant ces monnaies restent en sécurité. Cependant, un bémol est à retenir, les points de faiblesse des crypto-monnaies résident dans les plates-formes internet qui permettent d’acheter des crypto-monnaies avec des dollars ou des euros. Ces plates-formes sont piratables. Elles ne fonctionnent pas sur le mode de la blockchain.
  • Confiance : le système repose sur une confiance automatisée, réciproque des utilisateurs. Il n’y a pas d’autorité centrale, le système est alors géré par tous sur les principes de la décentralisation.

Le fonctionnement de la blockchain :

Les limites de la blockchain :

La blockchain doit aussi répondre à un certain nombre d’interrogations à son sujet. Avec son utilisation qui se répand dans le monde entier, des limites sont ainsi apparues. Celles- ci font parties des futurs défis que la blockchain doit relever.

  • Grand besoin d’énergie : miner la blockchain du Bitcoin constitue, à ce jour, une activité lucrative. Miner est le fait de mettre à disposition son ordinateur et son matériel pour essayer de résoudre un algorithme. Le système de vérification des transactions permet une grande sécurité dont le prix à payer est particulièrement important : une consommation énergétique considérable. « A titre de comparaison, un ménage américain consomme en moyenne 901 kilowattheures par mois, comme l’indique l’administration américaine. A 215 kilowattheures (KWh), une seule opération en bitcoin nécessite donc autant de kilowattheures… qu’un foyer américain sur 7 jours ! Plus globalement, cela signifie que l’énergie consommée en un an par le bitcoin pourrait alimenter 2,35 millions de foyers américains. » [6]
  • Matériel qui s’use vite, qui pèse sur les ressources environnementales : miner ne constitue pas seulement une activité énergivore. Elle nécessite de nombreuses installations qui tournent durant de longues heures. Par conséquent, ce matériel s’use de façon plus rapide qu’à la normale. Il y a donc aussi une plus grande consommation de biens matériels.
  • Un problème fondamental de « scalabilité » : il existe une incapacité pour la blockchain de fonctionner sur une grande échelle ce qui implique une vitesse de transaction très importante. Sur ce point PayPal et le Bitcoin peuvent être comparé. PayPal permet un grand nombre de transactions en peu de temps dans le monde entier : « Au quatrième trimestre de 2017, le fournisseur de transfert d’argent en ligne (Paypal) a traité plus de 2,2 milliards de paiements » [7]. Contrairement au Bitcoin qui prends du temps dans ses transactions. Un bloc étant ajouté toutes les 10 minutes.
  • Une blockchain est-elle viable sans crypto ? La blockchain s’appuie sur un système d’incitants qui permet de contourner le besoin d’une autorité centrale. Du côté du Bitcoin, ce système passe par la rémunération de ceux qui gèrent l’infrastructure des échanges, en d’autres mots les mineurs. Est-il possible de faire fonctionner une blockchain et son mécanisme de distribution sans incitants ? Cette question fondamentale reste ouverte.

Quelles sont les applications de la blockchain ?

La blockchain est encore souvent associée au Bitcoin. Pourtant, ses applications dépassent largement le seul périmètre des fintechs. De nombreux projets dans des secteurs variés émergent aux quatre coins du monde. De la musique à la lutte contre la fraude, en passant par : le cadastre, le cloud, l’énergie, la console de jeu [8], la fiscalité et le dossier médical, est une liste non exhaustive.

L’utilisation de la technologie blockchain pour l’enregistrement des propriétés terriennes au Ghana, est un des nombreux cas d’application. Au Ghana, 78% des terres sont non enregistrées et cela engendre de nombreux litiges devant les cours et tribunaux. Une entreprise nommée ’Bitland’ s’appuie sur les propriétés de la blockchain (transparence et irréversibilité) pour proposer un système sécurisé et transparent d’enregistrement des terres à l’aide de système GPS. Ce produit a pour but de garantir des droits de propriété et de réduire les pratiques de corruption. [9]

La blockchain pourrait révolutionner l’organisation des suffrages électoraux qui permettraient un vote digitalisé tout en garantissant la transparence et la sécurité des suffrages. Les votes apparaîtraient dans les blocs et l’anonymat serait garanti par la cryptographie [10]. De plus, pour s’assurer de savoir qui a voté, les technologies liées aux smartphones pourraient aider : reconnaissance faciale et d’empreinte. Les nombreuses affaires d’ingérences électorales qui font l’actualité des derniers mois montrent la nécessité de sécuriser ce processus fondamental qu’est une élection démocratique. Depuis 2014, au Danemark, certains partis ont fait usage de la blockchain pour organiser leurs meetings annuels. Deux autres cas se sont appuyés sur cette innovation : les États-Unis avec les primaires du parti républicain dans l’Utah [11] et le Sierra Leone [12] .

La blockchain pourrait apporter une grande plus-value en terme d’accountability. Ce faisant, elle améliorait la gouvernance de nombreuses entités, notamment les pouvoirs publics et les grandes ONG. Cette technologie permet des nouvelles possibilités en terme de traçage des actifs. De manière générale, elle peut réduire considérablement les coûts de transactions, simplifier la bureaucratie, sécuriser le flux des données personnelles qui n’a fait que s’accélérer ces dernières années. Enfin, et c’est peut-être sa promesse la plus puissante : la blockchain renouvelle les possibilités de construction d’organisations décentralisées. [13]

Les ONG peuvent ici aussi s’accaparer cette technologie. Ces organisations comme la croix rouges, reçoivent régulièrement des dons d’argent. La blockchain pourrait apporter ici : transparence, sécurité et traçabilité de ces dons [14]. Une personne qui ferait un don pourrait suivre son argent et voir concrètement son utilité. La fraude ne serait plus alors possible et on peut penser que les dons augmenteraient.

Les crypto-assets, les applications financières de la blockchain, apparaissent comme une réponse aux inégalités d’accès aux banques, aux crédits, etc. En effet, de nombreuses personnes dans le monde n’ont pas le droit d’ouvrir un compte en banque. Elles sont souvent trop pauvres pour avoir accès au service bancaire. La blockchain leur permet d’effectuer des transactions financières numériques juste à l’aide d’un smartphone, sans devoir passer par une banque.

Les transferts financiers des diasporas vers les pays d’origine sont un vecteur de développement Nord-Sud. Or, ces transactions sont très coûteuses. L’élimination de l’autorité centralisée permise par la blockchain ouvre la perspective de transactions bien moins coûteuses. Cela peut avoir des conséquences vertueuses pour les moins fortunés ou les migrants qui assument souvent les surcoûts du système financier. Dans cet esprit, la UNWPF [15] utilise la crypto-monnaie pour envoyer de l’aide aux réfugiés syriens. [16] Cela permet d’éviter certains problèmes administratifs et de faciliter l’utilisation de la monnaie pour les réfugiés qui n’ont dès lors pas besoin de se rendre dans une banque.

La blockchain évolue : smart contract

La technologie blockchain suscite un enthousiasme qui fait qu’elle évolue continuellement. Des développeurs talentueux sont attirés par les promesses de cette innovation. Les investisseurs financent substantiellement ces évolutions continues. Depuis quelques années, le smart contract apparaît comme l’une des innovations les plus intéressantes de la blockchain.

Ces « contrats intelligents » peuvent se définir comme des : ’programmes autonomes qui, une fois démarrés, exécutent automatiquement des conditions définies au préalable et inscrites dans la blockchain.’ [17] En d’autres mots ils respectent une simple application du ’ si une condition se produit, alors il y aura telle conséquence’. Nous vivons dans des environnements saturés de contrats en tout genre. La possibilité de pré-programmer ces contracts ouvrent des possibilités importantes. Les smart contracts permettent de réduire considérablement les coûts de transactions, de vérification. Ils font reculer les fraudes en tout genre car couplés à la blockchain ces contrats sont transparents et infalsifiables.

Les smart contracts peuvent faire l’objet de nombreuses applications notamment dans l’industrie de l’assurance. Aujourd’hui ’60 % des passagers assurés contre le retard de leur vol ne revendiquent jamais leur remboursement’ [18]. Lors d’un hackathon à Londres en 2015, un smart contract a été codé pour permettre d’indemniser automatiquement les passagers dont le vol a été retardé. Relier à la base de données de l’aéroport, ce contrat intelligent produirait mécaniquement ses effets au bénéfice des passagers.

Conclusion :

L’utilisation de la Blockchain commence à dépasser le cadre des crypto-monnaies. Nombreux sont ceux qui commencent à s’y intéresser et à penser son développement. Cette innovation peut répondre à plusieurs besoins, mais surtout à une volonté d’horizontalité, de décentralisation.

Néanmoins, cette technologie, en évolution constance, est en quête de maturité. Des obstacles importants subsistent auxquels de nombreuses start-up tentent d’apporter des solutions, en termes de scalabilité et de consommation énergétique. De nouveaux mécanismes de consensus sont mis en œuvre pour permettre une adoption à grande échelle de cette technologie. Par exemple, un consensus par tirage au sort est une des pistes de réflexions.

Les gouvernements se penchent également sur la blockchain et les crypto-monnaies. Ils tentent de saisir leur fonctionnement, leurs opportunités mais aussi leurs risques. Ils essayent de cadrer leurs développements, notamment en essayant de leur appliquer un cadre juridique. En France, le Bitcoin est ainsi inscrit dans la loi [19].

Certains gouvernements sont plus proactifs et financent les recherches en la matière. C’est le cas des États-Unis qui viennent d’adopter une loi budgétaire allouant « 700 milliards de dollars sur les dépenses militaires, qui contient une directive pour la réalisation d’une étude sur la cybersécurité liée à la blockchain ». [20]

La blockchain peut devenir un pilier pour les innovations de demain. Son caractère ouvert et décentralisé, séduit.

La blockchain reste une technologie relativement neuve et ses multiples applications reste à découvrir et à vérifier. La blockchain continue à évoluer. Son avenir reste particulièrement prometteur et ouvert à la réflexion.

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[4
L’article 2 de l’ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse, introduit un nouvel article L. 223-12 du Code monétaire et financier

[9Nir Kshetri (2017) Will blockchain emerge as a tool to break the poverty chain in the Global South ?, Third World Quarterly, 38:8, 1710-1732, DOI : 10.1080/01436597.2017.1298438

[13Voshmgir Shermin, Disrupting governance with blockchains and smart contracts, Strategic Change, September 2017, Vol.26(5), pp.499-509

[15

United Nations World Food Programme

[18Ibid

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