2016 restera sans doute dans l’Histoire comme une Annus Horribilis, pour reprendre l’expression d’Elizabeth d’Angleterre à l’issue d’une année qui avait vu son château brûler et ses chers enfants traverser des crises conjugales en pagaille : bagatelles comparées aux événements de cette année écoulée, qui fut un mélange d’ attentats et de violences, de bouleversements géopolitiques et de consécrations de leaders populistes à la pensée aussi simpliste qu’au discours libéré de toute barrière morale, des Philippines aux US, du Brexit à l’Autriche : oups, ah non, pas à l’Autriche où on y a échappé de bien peu…
Heureusement, un autre événement qui a eu lieu en Juin 2016 fera peut-être de cette année, aux yeux de l’Histoire, un tournant dans la pensée socio-économique qu’aussi bien le Financial Times que plus traditionnellement « Alternatives Économiques » n’ont pas manqué de relever.
En effet, des chercheurs seniors du FMI n’ont pas hésité à titrer un papier paru dans la revue de leur institution [[« Neoliberalism oversold », Jonathan D. Ostry, Prakash Lougani and Davide Furceri, dans « Finance & Development », Juin 2016
]] d’un inattendu « Le libéralisme : concept survendu ? » ! Si l’institution se défend d’une révolution, mais plutôt d’une « évolution basée sur l’expérience »[[«IMF survey : « Evolution, Not Revolution : rethinking policy at the IMF », interview du Chief Economist du FMI, Maurice Obstfeld, 2 juin 2016
]], les observateurs et opposants ne pourront s’empêcher de voir dans ce papier un ébranlement des tables de la Loi du néo-libéralisme abritées par le Temple sacré de Washington depuis si longtemps…
C’est Milton Friedman qui doit se retourner dans sa tombe et, avec lui, ses amis de la Société du Mont Pèlerin, ce groupe d’intellectuels qui se sont battus depuis leur réunion en 47 à l’Hôtel du même nom au bord du Lac Léman, pour que leurs idées promouvant le laissez-faire imprègnent la pensée et l’action politiques. Pinochet, conseillé directement par Friedman, Thatcher et Reagan en furent les épigones les plus zélés pour accoucher d’une créature, la fameuse TINA, « There Is No Alternative » (pour assurer la croissance) dont l’article du FMI vient enfin ébrécher l’armure jusque là inoxydable.
Car tout commence avec Friedman et le Chili où sont implémentées les recettes néo-libérales: libéralisations des marchés et des capitaux et restriction du rôle de l’État, auxquelles s’est rajoutée par la suite la doctrine d’orthodoxie budgétaire dont s’est inspirée avec ardeur aveugle l’Union européenne au travers du traité de Maastricht. Passons en revue la manière dont nos trois chercheurs traitent ces différentes facettes du néo-libéralisme.
Une libéralisation des capitaux qui multiplie les crises
C’est sur la libéralisation des capitaux que nos économistes concentrent leurs premières réflexions. La théorie est simple: les capitaux en surplus viennent rencontrer les besoins d’investissement là où ils se trouvent et où ils peuvent s’avérer les plus productifs. C’est évidemment le cas des pays en développement dont les réserves d’épargne limitées constituent un obstacle au processus vertueux de croissance. Pour autant, les économistes reconnaissent aussi un certain risque, voire un risque certain, à cette ouverture des capitaux et admettent que « cette dualité de bénéfices et de risques est inévitable dans le vrai monde » (Obstfled cité par Ostry et alii, voir 1). C’est le moins qu’on puisse dire, puisqu’on comptait en 2012, 394 crises financières – d’importance variable, il est vrai – depuis la fin des accords de Bretton Woods[[Classification of financial crises and their occurrence frequency in global financial markets by E Racickas & A. Vasiliaukaite, Social Research. 2012. Nr. 4 (29), 32–44
]]!!!! »Les crises ne sont pas un phénomène collatéral, mais bien le cœur de l’histoire financière des dernières années » comme le dit l’économiste de Harvard D. Rodrick, cité dans l’article du FMI. Nos auteurs reconnaissent d’ailleurs que ces crises financières ont souvent un impact désastreux (y compris dans leurs aspects « anti-redistributifs » comme disent les économistes). Dès lors, il y a maintenant un certain consensus, avouent-ils, pour s’interroger sur la réelle plus-value de l’ouverture des capitaux à court terme, qui se transforme trop souvent en pure spéculation et n’amène en rien à un transfert de technologies ou de savoir-faire. Revenir à un contrôle des capitaux sur le court terme semble la voie à suivre, préconisent nos trois économistes. Première atteinte au dogme du néo-libéralisme, avec un pensée émue pour tous ceux et celles qui ont subi les crises financières, d’Asie à la Russie, des Etats-Unis à l’Europe….
Le commerce mondial comme une loi absolue…et aveugle
Parler de commerce international – et donc, d’une certaine manière, de globalisation – quelques semaines après la résistance héroïque au traité CETA entre l’EU et le Canada et l’avènement de Donald Trump aux USA, élu par l’américain blanc exclu de la mondialisation, n’est pas anodin : si le sommet de Seattle de l’Organisation Mondiale du Commerce de 1999 a marqué simultanément la fin des grandes accords mondiaux du commerce et l’avènement d’un mouvement altermondialiste, on a l’impression que c’est seulement en 2016 que cette résistance à l’extension de la sphère mercantile mondialisée s’est marquée soit bien dans les urnes américaines, soit par l’ opposition officielle d’un gouvernement et d’un parlement élus et non celle par de simples activistes.
Les trois experts se réjouissent du fait que l’expansion du commerce mondial a permis à des millions de personnes de sortir de la pauvreté, ce qu’on ne peut sans doute pas remettre en cause. Mais comme leur réflexion préfère être concentrée sur d’autres aspects du néo-libéralisme (voir ci-dessous), on peut sans crainte se substituer à eux pour porter un œil critique sur cette expansion.
Un des principaux reproches que l’on peut faire à la croissance du commerce international est qu’elle est devenue un dogme auto-suffisant et une solution automatique : « ouvrez vos frontières et la prospérité suivra ». C’est faire peu de cas de la nécessité des institutions politiques à mettre en place et des politiques d’accompagnement nécessaires à mener par les États nationaux[[ « Quel avenir pour le commerce mondial? Pour un Consensus de Genève » par Pradeep S. Mehta, Bipul Chatterjee, Rashid S. Kaukab, 1/2012, Document de travail de CUTS international
]].
Du côté des pays industrialisés qui ont perdu une grande partie de leurs activités manufacturières suite à l’ouverture des marchés, on a vilipendé toute notion même de politique industrielle comme étant une chose du passé et imposé l’avis qu’il fallait laisser faire les marchés, au mépris total de l’enjeu crucial d’aider à la transformation de l’économie et surtout à la reconversion des millions de travailleurs qui se trouvaient déclassés au profit – principalement – des travailleurs d’Asie du Sud Est, des dizaines de fois moins chers qu’eux. Tandis que dans ces pays « gagnants » de la mondialisation, la non protection des droits du travail et l’absence d’interdiction du travail des enfants ont permis l’exploitation outrancière des forces laborieuses, sans non plus mettre en place un système de transmission des gains de productivité à l’ensemble de l’économie nationale.
Surtout, ce dogme monolithique a complètement balayé l’existence de déséquilibre des termes d’échange pour les pays moins favorisés chez qui les importations se substituent souvent aux productions locales et a poussé à l’émergence de groupes transnationaux tout puissants, davantage préoccuper de renforcer leur position de rente plutôt que d’insuffler à l’économie les gains de productivité que l’extension de leurs activités a permis[[ Trade and Development Report (overview), 2016, UNCTAD
]].
Enfin, on a parlé du CETA comme le modèle d’une nouvelle génération d’accords : s’ils consistent à remettre en cause les normes sociales et environnementales démocratiquement votées, autant dire qu’ils ne feront que renforcer l’absolutisation du dogme du commerce qui piétinera un peu plus les autres aspects de notre vivre ensemble. 2016 aura au moins montré que les citoyens de Wallonie ou des USA ne sont pas dupes…
Austérité et dette publique
Le deuxième focus de leur papier porte sur la taille idéale de l’État selon la doxa néo-libérale. S’ils mentionnent, parmi les bienfaits du néo-libéralisme, que la privatisation de nombreux services publics a permis « la fourniture de services de meilleure qualité et a allégé le fardeau fiscal », leur préoccupation concerne surtout l’austérité et ses impacts. Quelle est la taille idéale d’une dette par rapport au PIB d’un pays est la question qu’ils posent et qui nous agite, nous européens, singulièrement depuis l’impact de la crise de 2008 et son impact sur les budgets et dettes nationaux, tenus que nous sommes par le carcan de Maastricht et ces 60 % de rapport dette/PIB ? La théorie économique s’orne de bon sens sur cette question : une dette trop importante entraîne une hausse d’impôts qui crée des distorsions de marché et peut fragiliser un pays en cas de ressac économique. Les économistes du Fond ajoutent même qu’une dette élevée est mauvaise pour la croissance, ce que certains remettent en cause par ailleurs[[Ce constat non étayé est loin de faire l’unanimité : une recherche de Reinhart et RRogoffparue en 2010 avait fait beaucoup de bruit en établissant qu’une dette atteignant 90 % était mauvaise pour la croissance, faisant rugir de plaisir les tenants de l’ orthodoxie budgétaire la plus stricte ; ce papier avait été ensuite critiqué pour de serieux problèmes méthodologiques. Ugo Panizza et Andrea Presbitero (in « Is high public debt harmful for economic growth? « 22 April 2012, VOX, CEPR policy portal) remette carrément le lien de causalité dette-croissance en question en observant plutôt un lien inverse…
]]…
Ayant dit cela, nos économistes, s’appuyant en cela sur une note précédente de 2015, nuancent fortement le propos pour des pays à la surface fiscale suffisante et aux capacités de jouer sur les impôts si de besoin, comme les US ou l’Allemagne, pour qui la lutte contre une dette élevée, comme par exemple de la réduire de 120 à 100 %, n’apporte finalement que peu d’intérêt. Par contre, pour d’autres pays qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques, la règle s’applique, car, à défaut, les sacro-saints marchés risquent de ne pas leur offrir de financement…
Première nuance donc : dans certains cas, l’austérité pour faire diminuer la dette d’un pays ne se justifie pas toujours. Deuxième nuance, qui s’appuie sur la théorie économique : le rythme auquel on tente de faire diminuer la dette est lui aussi primordial. Y aller trop fort peut faire « dérailler la reprise » pour reprendre les mots des auteurs. Rien de neuf ici non plus, car, à l’instar de certains économistes comme P. De Grauwe, cela fait un certain temps que le FMI a conseillé à l’Europe de restreindre ses politiques d’austérité pour accélérer la reprise, comme l’exemple US y incitait d’ailleurs: par respect pour les personnes souffrant d’autisme, nous parlerons de surdité aiguë pour caractériser la réaction de l’Union Européenne à ces conseils…
Mais c’est avec la troisième nuance – et c’est en fait bien plus qu’une nuance !- que le papier des chercheurs FMIstes se distingue vraiment. En effet, pour la première fois, ils mettent dans la balance le bénéfice d’une dette réduite face à l’impact sur le bien-être que représentent une coupe dans les dépenses publiques et une hausse des impôts : dans de nombreux cas, reconnaissent-ils, cet impact est bien plus élevé que le bénéfice attendu et surtout, la perte de bien-être s’avère irrécupérable. Dès lors, la conclusion s’impose : pour les pays qui n’effraient pas les marchés, mieux vaut vivre avec la dette et attendre que la croissance la fasse diminuer organiquement plutôt que chercher à tout prix à générer du surplus budgétaire…
Et ils vont même plus loin en se rappelant qu’une politique publique restrictive peut avoir des effets sur la demande et donc sur la croissance (Keynes is back !!!!) Ce faisant, ils battent même en brèche la théorie de JC Trichet, longtemps patron de la Banque Centrale Européenne, qui affirmait qu’une période de consolidation fiscale (censée engendrer une hausse de la confiance des investisseurs privés) est suivie d’une période d’expansion de l’économie : cette théorie n’est pas prouvée par les faits… Au contraire, une restriction budgétaire engendre plutôt une hausse du chômage et…des inégalités !!
Où le FMI s’intéresse aux inégalités
Inégalités : ce mot – que le FMI avait perdu de vue – est lancé : oui, l’ouverture aux capitaux et l’austérité ont des effets sur la redistribution et génèrent davantage d’inégalités : c’est dit ! Et ils vont même plus loin : les inégalités peuvent être un frein à la croissance, comme l’un de nos trois auteurs l’avait co-écrit dans un papier du FMI en 2014
Mr. Jonathan David Ostry ; Mr. Andrew Berg ; Mr. Charalambos G Tsangarides
Publication Date:
February 17, 2014, IMF
]], basé sur des données transnationales de plusieurs décennies. Et des politiques redistributives n’ont qu’un impact bénin sur la croissance, ajoutent-ils. Traduction vulgaire : pour que le gâteau grandisse, il faut d’abord en distribuer les parts de manière intelligente et juste. Juste le contraire de cette antienne qui nous a été resservie depuis des années par les libéraux qui affirmaient que , « pour pouvoir redistribuer le gâteau, il fallait d’abord qu’il soit grand assez », une véritable révolution copernicienne… En tout cas pour les économistes du FMI, car des auteurs comme Wilkinson et Pickett démontraient déjà, à partir de données épidémiologiques, que le bien-être d’une société était corrélé au niveau d’égalité atteint en son sein[[« Pourquoi l’inegalite est meilleure pour tous » R Wilkinson and K Pickett, Etopia, Petist Matins et Institut Veblen, 2013
]]. Ou encore l’économiste français Eloi Laurent qui illustre plusieurs exemples du « gâteau inversé » dans son dernier livre[[« Nos mythologies économiques », par Eloi Laurent Les liens qui libèrent, 2016, cité dans les livres de référence sur le site d’Alternatives Economiques.
]] justement intitulé « Nos mythologies économiques ». C’est aussi une remise en cause du fameux « trickle down effect » ou « effet de ruissellement » qui voulait nous convaincre que les riches plus riches, c’était bon pour l’ensemble de la population !!!
Un vrai tournant
Ainsi donc, le FMI, à travers cet article, a osé : osé remettre en cause les bienfaits d’une ouverture des capitaux à court terme et se permettre de nuancer fortement les exigences et les modalités d’une politique d’austérité voulue par la réduction de la place de l’État dans l’économie à travers, entre autres, le poids de sa dette publique.
Soyons juste : cette inflexion de la pensée FMIste marque une vraie révolution de la pensée économique dominante, dont le Fond était une sorte de Congrégation de la Doctrine de la Foi. A propos de foi, nos auteurs concluent d’ailleurs en disant qu’une institution comme la leur doit s’appuyer plutôt sur des faits que sur celle-ci !! Et mieux que dans l’Église catholique, ils reconnaissent même les voies dissidentes qui s étaient élevées depuis longtemps contre la doctrine, comme celle de Joseph Stiglitz par exemple, qui avait relevé que le miracle chilien, s’il s’était accompagné d’une ouverture aux capitaux étrangers, était aussi advenu grâce à de substantielles mesures de régulation (nouveau tour à 360° de Friedman dans sa tombe!). Ce changement de position du FMI donne dorénavant un argument d’autorité inédite à ceux et celles qui, depuis des années, se sont battus contre les recommandations du FMI et tous les parangons du penser juste.
Des questions qui restent
Ce papier doit donc être considéré comme un tournant. Pour autant, il reste de nombreuses questions et nous nous arrêterons à quatre d’entre elles.
La première porte sur la profondeur du constat et les conclusions tirées par le FMI, en particulier en ce qui concerne la dette. Les auteurs parlent d’ « équilibre à trouver » dans les politiques d’austérité à mettre en place. Sur leur élan, ils auraient pu reconnaître la nécessité des investissements publics comme base du développement privé : Eloi Laurent (op.cit.) rappelle, par exemple, le poids des investissements militaires US dans le développement de la Silicon Valley. Comme lui, ils auraient pu aussi reconnaître le poids de la baisse des impôts consentis dans l’augmentation de cette dette. Comme Thomas Piketty dans son opus devenu une référence (« Le capital au 21eme siècle », Seuil, 2013), ils auraient pu insister dans leurs arguments sur la redistribution de l’iniquité de la fiscalité sur le capital par rapport au travail. Comme lui, ils auraient pu évoquer l’hypothèse selon laquelle la grande Angleterre a perdu sa place de leader économique mondial au fil du temps, par faute du poids d’une dette qu’elle a voulu supporter jusqu’au bout…amenant à s’interroger sur l’opportunité pragmatique des remises de dettes. Et ils auraient pu aussi déconstruire la dette pour en interroger les effets redistributifs : en d’autres termes, s’interroger sur l’identité des détenteurs de la dette qui sont rarement monsieur-tout-le-monde, mais plus souvent des détenteurs de patrimoine, voire des fonds de pension : une telle prise en compte amènerait à remplacer le concept du « service de la dette » par celui du « service des détenteurs de la dette »et pourrait amener à avoir une vision de la redistribution bien plus intégrée que celle qui prévaut actuellement, entre les détenteurs de la dette et les autres agents économiques.
La deuxième porte sur la notion de croissance : toute la doctrine néo-libérale, encore rappelée par nos trois auteurs, vise à définir les modalités qui permettent d’optimaliser la croissance. Force est de constater que soit, les politiques néo-libérales n’arrivent pas favoriser la croissance – ce qu’on peut en partie déduire du papier -, ou que soit, cette sacro-sainte croissance, dont les bases conceptuelles sont par ailleurs assez légères, ne sera plus jamais la même que lorsque son concept fut établi à la fin de la guerre pour, avec la comptabilité nationale, mesurer les efforts de reconstruction de l’économie à la base des Trente Glorieuses. Peut-être faudrait-il passer à une autre notion plutôt qu’invoquer à tout bout de champs le retour de la croissance depuis plus de 40 ans, sans beaucoup d’effet…[[« Faut-il attendre la croissance ? », par Florence Jany-Catrice et Dominique Méda La Documentation française, 2016
]]
Or, depuis le Club de Rome jusqu’à Tim Jackson[[« Prospérité sans croissance », T Jackson, DE Boeck-Etopia, 2010
]] et Dominique Meda[[
]], et sans même à parler de décroissance, on sait que cette croissance n’a par ailleurs pas que des effets positifs. Effets sur le bien-être des gens d’abord avec différentes analyses qui montrent qu’à partir d’un certain seuil, la croissance n’apporte plus de différence substantielle de bien-être. Effets sur la planète, son climat et ses ressources ensuite : le même Jackson, sur le climat par exemple, montre qu’un découplement relatif entre croissance et production de CO2 (c’est-à-dire une intensité moindre de CO2 par unité de croissance) ne sera pas suffisant pour éviter les fameux deux degrés de hausse de température et qu’il faut un découplement absolu, c’est-à-dire …une moindre croissance. A tout le moins, parler de politique économique sans parler d’environnement, de transition ou au moins de fiscalité verte constitue au 21eme siècle un sérieux manquement à l’exigence de coller aux exigences du réel.
Enfin, comment ne pas s’interroger sur l’impact que ces articles du FMI auront sur les politiques ? Quel poids donner à leur contenu pour contrer cette bataille des idées engagée par quelques hommes au bord du Lac Léman pour, 25 ans après triompher au bord du Lac Michigan (et la fameuse école de Chicago) et s’étendre de Santiago à Washington en passant par Londres et Bruxelles ? Cette idéologie du néo-libéralisme, dont les méfaits sont si bien décrits par le chroniqueur du Guardian, G Monbiot[[« Neoliberalism – the ideology at the root of all our problems », G Monbiot, The Guardian, 25 Avril 2016
]], qui a brainwashé nos cerveaux depuis au moins trente ans, faisant des entrepreneurs des super-héros s’étant faits tout seuls, des top managers des surhommes méritant d’être payés 100 fois plus que leurs collaborateurs, des fonctionnaires des paresseux inutiles, de la régulation un gros mot, de la fraude fiscale une forme de créativité géniale, des chômeurs des fainéants, des pauvres des abuseurs de sécurité sociale, des syndicats des anachronismes et du marché une loi issue directement de la Nature… Comment ne pas voir que cette idéologie, par la libéralisation des marchés, la fin d’une fiscalité digne de ce nom et la dégénérescence du concept de régulation, a alimenté et été alimentée à son tour par les plus puissants – ceux que Naomi Klein appelle « the Davos class »[[« It was the Democrats’ embrace of neoliberalism that won it for Trump », N. Klein, The Guardian, 9 Novembre 2016
]]- à travers le rapport de force ainsi créé? Et qu’elle a contaminé, comme Klein le déplore dans le même article qui a suivi l’élection de Trump, la gauche occidentale au point que celle-ci en perde tous ses repères ?
Urgence…
Que les Américains victimes de cette idéologie remettent leur destin, pour marquer leur révolte, dans les mains d’un milliardaire qui s’est, depuis toujours, joué des lois à son avantage, qui se vante de ne pas payer d’impôts et qui compose son cabinet d’encore plus milliardaires que lui, en dit long aussi bien sur l’état du désarroi de nos concitoyens , sur l’urgence de jeter cette doctrine pour éviter des effets encore plus délétères, que sur la difficulté énorme du chemin qui nous attend pour ré-inventer un monde durable qui promeut l’égalité.
Sur ce chemin, gageons que 2016 aura été un jalon important, marqué à la fois par cette reconnaissance intellectuelle de poids qui est celle du FMI, qui fait éclater des dogmes et de croyances en se basant sur les observations scientifiques et identifie les impasses économiques dans lesquelles l’idéologie néo-libérale nous a fourvoyés et à la fois par l’expression populaire radicale et pleine d’incertitudes du désarroi que ce fourvoiement a engendré auprès des peuples américains ou britanniques. Mais il reste aux progressistes de lourds combats à mener et un travail intellectuel à exercer en profondeur pour regagner la partie. Il y a urgence.